Cliquez ici >>> 🐏 ceotto avis de deces vitry le francois

51300Vitry-le-François Le vendredi 13 mai 2022 Ă  10h30 Obtenir l'itinĂ©raire 3 Inhumation ⌄ CimetiĂšre 51300 Vitry-le-François Le vendredi 13 mai 2022 Ă  11h30 Obtenir l'itinĂ©raire Cet MonsieurMichel AUPETIT. DĂ©cĂ©dĂ© le 25/12/2021 Ă  l'Ăąge de 81 ans. survenu le samedi 25 dĂ©cembre 2021, Ă  l'Ăąge de 81 ans. Ses obsĂšques auront lieu le jeudi 30 dĂ©cembre ï»żConsulterl'avis de dĂ©cĂšs de MILOUD Françoise - CEOTTO SA. APRÈS LE DÉCÈS. DĂšs les premiers moments, les conseillers FUNERIS vous assistent et vous accompagnent dans toutes les dĂ©marches qui prĂ©cĂšdent les funĂ©railles. ontla tristesse de vous faire part du dĂ©cĂšs de. Madame Mariette BOUCHÉ NĂ©e ROBINET. DĂ©cĂ©dĂ©e le 29/04/2022 Ă  l'Ăąge de 87 ans. La cĂ©rĂ©monie religieuse aura lieu le mardi DĂ©poserun message de condolĂ©ances. DĂ©poser mon message. CEOTTO SA. 48, avenue du Colonel Moll. 51300 VITRY LE FRANÇOIS. 0326740405. Offrir des fleurs et plaques. Mon Homme Est Inscrit Sur Un Site De Rencontre. ï»żJB Monsieur Jean François BOUCHON Date du dĂ©cĂšs 27 mai 2014 Vitry-le-François 51300 VITRY LE FRANÇOIS - MORLAINCOURT 55Marie-JosĂ©e BASTELICA sa compagne ;Thomas et Catherine BOUCHON,Magali BOUCHON et Julien,Ses enfants ;FrĂ©dĂ©rique et Yann MÉZOU,Damien LAHANQUE,Les enfants de sa compagne ;Noa, Achille, Joseph, Robin, LoukaSes petits-enfants ;Jean-Marie et GeneviĂšve BOUCHON,GĂ©rard et Francine BOUCHON,Remi et Nicolle BOUCHONSes frĂšres, belles-soeurs, neveux, niĂšces ;Jack et Christine BASTELICA ;Ses cousins, cousines, ses tantes ;Jean-Claude et Marie-ThĂ©rĂšse COUFFON,Toute la parentĂ© et amis,Ont la douleur de vous faire part du dĂ©cĂšs de M Jean François BouchonSurvenu le 27 mai 2014 Ă  l'Ăąge de 64 crĂ©mation a eu lieu dans la plus stricte intimitĂ© pouvez dĂ©poser vos messages de condolĂ©ances et tĂ©moignages sur ce prĂ©sent avis tient lieu de faire-part et de remerciements. Mur du souvenir EA Equipe Avis-De-DĂ©cĂšs a allumĂ© une bougie Nous vous adressons nos sincĂšres condolĂ©ances. Allumer une bougie de deuil Écrire un message de condolĂ©ances Voir plus de services POMPES FUNĂšBRES See other formats / f u A' V . i 4 ÉTUDE CRITIQUE DES SOURCES Sommaire I. ƒUVRES DE SAINT FRANÇOIS. II. BIOGRAPHIES PROPREMENT DITES. I. Note prĂ©liminaire. II. PremiĂšre Vie par Thomas de Celano. III. Coup d'oeil sur l'histoire de l'Ordre de 1230-1244. IV. LĂ©gende des Trois Compagnons. V. Fragments de la partie supprimĂ©e de la LĂ©gende. VI. Seconde Vie par Thomas de Celano PremiĂšre loartie. VII. » » » DeuxiĂšme partie. VIII. Documents secondaires Biographie Ă  Vusage du chƓur. Vie versifiĂ©e. Biographie de Jean de Ceperano. Vie de frĂšre Jidien. IX. LĂ©gende de saint Bonaventure. X. De laudibus de Bernard de Besse. III. DOCUMENTS DIPLOMATIQUES. I. Donation de l'Alverne. II. Registres du cardinal Hugolin. III. Bulles. XXXII VIE DE S. FRANÇOIS IV. CHRONIQUEURS DE L'ORDRE. I. Chronique de frĂšre Jourdain de Giano. il. Eccleston ArrivĂ©e des FrĂšres en Angleterre. III. Chronique de fra Salimbene. IV. Chronique des Tribulations. V. Les Fioretti et leurs appendices. VI. Chronique des XXIV gĂ©nĂ©raux. VII. Les ConformitĂ©s de BarthĂ©lĂ©my de Pise. VIII. Chronique de Glassberger. IX. Chronique de Marc de Lisbonne. V. CHRONIQUEURS ÉTRANGERS A L'ORDRE, I. Jacques de Vitry. II. Thomas de Spaiato. III. Chroniqueurs divers. ÉTUDE CRITIQUE DES SOURCES Il est peu de vies dans l'histoire aussi bien docu- mentĂ©es que celle de saint François. Ceci Ă©tonnera sans doute plus d'un lecteur, mais pour s'en convaincre on n*a qu'Ă  parcourir la liste ci-dessus qui a Ă©tĂ© cependant rendue aussi succincte que possible. Il est admis dans les milieux savants que les Ă©lĂ©ments essentiels de cette biographie ont disparu ou ont Ă©tĂ© complĂštement altĂ©rĂ©s. L'exagĂ©ration de certains Ă©cri- vains religieux, qui adoptent tout, et, entre plusieurs rĂ©cits d'un mĂȘme fait, choisissent toujours le plus long et le plus merveilleux, a amenĂ© une exagĂ©ration pareille en sens contraire. S'il fallait signaler au fur et Ă  mesure des Ă©vĂ©nements les rĂ©sultats de ces deux excĂšs, ce volume devrait ĂȘtre doublĂ© et mĂȘme quadruplĂ©. Les personnes qui s'occupent de ces questions trouveront dans les notes la brĂšve indication des documents originaux d'oĂč provient chaque rĂ©cit*. Pour ne plus revenir aux erreurs qui ont cours sur les documents franciscains, et en signaler en quelques 1. Si quelqu'un de studieux se trouvait embarrassĂ© par la raretĂ© extrĂȘme de certains ouvrages citĂ©s, je me ferai un devoir et un plaisir de les communiquer, ainsi que la copie des manuscrits d'Italie. XXXIV VIE DE S. FRANÇOIS lignes rextreme importance, j'en prendrai deux pour exemple nul parmi les contemporains n'a aussi bien parlĂ© de saint François que M. Renan -, il y revient dans tous ses ouvrages avec une piĂ©tĂ© Ă©mue, et il Ă©tait mieux Ă  mĂȘme que personne de connaĂźtre les sources de cette histoire. Cependant il n'hĂ©site pas Ă  dire, dans les pages qu'il consacre au Cantique du soleil, l'Ɠuvre la plus connue de saint François L'authenticitĂ© de ce morceau paraĂźt certaine, mais il faut remarquer qu'on n'en a pas l'original italien. Le texte italien qu'on pos- sĂšde est une traduction d'une version portugaise, laquelle Ă©tait elle-mĂȘme traduite de l'espagnol *. » Or le texte italien primitif existe^, non seulement dans de nombreux manuscrits en Italie et en France, — en particulier Ă  la Mazarine^, — mais aussi dans le livre fort connu des ConformitĂ©s'*', Une erreur, d'une portĂ©e bien autrement grave, est celle que fait le mĂȘme Ă©crivain en niant l'authenticitĂ© du Testament de saint François cette piĂšce n'est pas seulement la plus belle expression du sentiment reli- gieux de son auteur, elle constitue aussi une sorte d'auto- biographie et contient la rĂ©vocation solennelle et Ă  peine dĂ©guisĂ©e de toutes les concessions qui lui avaient 1. E. Renan. Nouvelles Ă©tudes d'histoire religieuse, Paris 1884, in-8op. 331. 2. V. ci-aprĂšs p. 349 ss.. 3. BibliothĂšque Mazarine, Ms. 8531 SpĂ©culum perfectionis S, Francisci; le cantique se trouve au f» 51. Cf. Ms. 1350 datĂ© de 1459. Ce texte a Ă©tĂ© iubliĂ© par BƓhmer dans les Romanische Studien, Halle 1871, p. 118—122. Der Sonncngesang v. Fr. d'A. 4. Conform. Milan 1510 202 b 2 s. Au reste il est exact que Diola, dans les CronicJie degli ordini instituti da S. Francesco, Venise 1606, 3 vol. in-4o traduites sur la version castillane de l'ouvrage composĂ© en portugais par Marc de Lisbonne, a eu la sottise de remettre en italien cette traduction d'une traduction. I ÉTUDE CRITIQUE DES SOURCES XXXV Ă©tĂ© arrachĂ©es. On verra plus loin que son authen- ticitĂ© est parfaitement inattaquable i. Ce double exemple suffira, j'espĂšre, pour montrer la nĂ©cessitĂ© d'aborder cette Ă©tude par un examen consciencieux des sources. Si rĂ©minent historien dont il vient d'ĂȘtre question Ă©tait encore de ce monde, il aurait pour cette page son large et bienveillant sourire, ce simple oui, oui.,, qui faisait jadis trembler d'Ă©motion ses Ă©lĂšves dans la petite salle du CollĂšge de France. Je ne sais ce qu'il penserait de ce livre, mais je sais bien qu'il aimerait l'esprit dans lequel il est entrepris, et me pardonnerait aisĂ©ment de l'avoir choisi comme bouc Ă©missaire de mes colĂšres contre les savants et les hagiographes. Les documents Ă  examiner ont Ă©tĂ© divisĂ©s en cinq catĂ©gories. La premiĂšre comprend les Ɠuvres de saint François. La seconde, les biographies proprement dites. La troisiĂšme, les documents diplomatiques. La quatriĂšme, les chroniques de VOrdre. La cinquiĂšme, les chroniques d^ auteurs Ă©trangers Ă  VOrdre. 1. Voir page 384 ss.. ƒUVRES DE SAINT FRANÇOIS Les Ă©crits de saint François * sont assurĂ©ment la meilleure source Ă  consulter pour arriver Ă  le connaĂźtre, et on ne peut que s'Ă©tonner de les voir si nĂ©gligĂ©s par la plupart de ses biographes. Il est vrai qu'ils donnent peu de renseignements sur sa vie, et ne fournissent ni dates, ni faits ^^ mais ils font mieux que cela ils marquent les Ă©tapes de sa pensĂ©e et de son dĂ©veloppement spiri- tuel. Les lĂ©gendes nous racontent François tel qu'il a Ă©tĂ©, et par lĂ  mĂȘme subissant un peu le joug des cir- constances, obligĂ© de se plier aux exigences de sa situation de gĂ©nĂ©ral d'un ordre approuvĂ© par l'Eglise, de thaumaturge et de saint. Ses Ɠuvres, au contraire, nous montrent son Ăąme mĂȘme ; chaque phrase a Ă©tĂ© non 1. RassemblĂ©s d'abord par Wadding Anvers, 1623, in-4o ils ont Ă©tĂ© publiĂ©s depuis lors bien des fois, en particulier par le P. de la Haye Paris 1641, in-f-^. Ces deux Ă©ditions devenues rares ont Ă©tĂ© reproduites —d'une maniĂšre fort peu satisfaisante — par l'abbĂ© Horoy S. Francisci Assisiatis opĂ©ra omnia Paris, 1880, in-4o. En l'absence d'une Ă©dition un peu exacte, celle du R. P. Bernardo da Fivizzano est la plus commode Opuscoli di S. Francesco cVAssisi, 1 vol. in-12 de 564 p. Firenze, 1880. Le texte latin y est accompagnĂ© d'une traduction italienne. Prix 2. Die Briefe, die unter seinem, Namen gehen, mOgen theilweise Ă cht sein. Aber sic tragen kaum etwas zur nĂ heren Kenntniss bei und kunnen daher fast ganz ausser Acht bleihcn. MĂ»ller, Die An fange des Minorilenordens, Freiburg i/B., S", 1885, p. 3. ÉTUDE CRITIQUE DES SOURCES XXXVII seulement pensĂ©e, mais vĂ©cue, et nous apporte encore palpitantes les Ă©motions du Poverello. Aussi, lorsque clans les Ă©crits des Franciscains, on trouve une parole de leur maĂźtre, elle se dĂ©cĂšle d'elle- mĂȘme, elle se dĂ©tache tout Ă  coup avec un son pur et doux qui va rĂ©veiller une fĂ©e endormie au fond de votre Ăąme, et vous fait tressaillir. Cette fleur d'amour des paroles de saint François, serait un fort bon critĂšre pour juger de l'authenticitĂ© des opuscules qui lui sont attribuĂ©s par la tradition 5 mais ce travail de triage n'est ni long ni difficile. Si plus tard, on a fait çà et lĂ  des efforts peu discrets pour lui faire honneur de miracles qu'il n'a pas faits, qu'il n'aurait mĂȘme pas souhaitĂ© faire, on n'a jamais cherchĂ© Ă  grossir son bagage littĂ©raire de piĂšces fausses ou supposĂ©es ^. La meilleure preuve en est qu'il faut attendre Wadding, c'est-Ă -dire le dix-septiĂšme siĂšcle, pour trouver le premier et le seul sĂ©rieux effort tentĂ© en vue de rĂ©unir ces prĂ©cieux souvenirs. Plusieurs se sont Ă©garĂ©s 2, mais ce qui reste suffit pour nous donner en quelque sorte la contre-Ă©preuve des lĂ©gendes. 4. On a bien attribuĂ© Ă  saint François des morceaux qui ne sont j as de lui ; mais ce sont lĂ  des erreurs involontaires et faites sans aniĂčre-pensĂ©e. Le souci de l'exactitude littĂ©raire est relativement nouveau, et il Ă©tait plus facile, Ă  ceux qui ignoraient l'auteur de certains opuscules franciscains, de les attribuer Ă  saint François, que d'avouer leur ignorance ou de faire de longues recherches. 2. Par exemple la premiĂšre RĂšgle; probablement aussi des can- tiques; une lettre aux frĂšres de France, Eccl. 6; une autre aux frĂšres de Bologne {PrƓdixerat per litteram in qua fuit pluri- mura latinum, Eccl. ib. ; une lettre Ă  Antoine de Padoue, autre que celle qui nous reste, puisque, au tĂ©moignage de Gelano, elle Ă©tait adressĂ©e Fralri Antonio episcopo meo 2 Gel. 3, 99 ; des lettres Ă  sainte Claire i Scripsit ClarƓ et sororibus ad consola- tionem Htteram in quĂą dabat benedictionem suam et absolvebat, etc. Conf. fo 185 a 1. Cf. Test. B. ClarƓ. A. SS. Augusti t. II, XXXVIII VIE DE S. FRANÇOIS Dans ces pages, François se donne Ă  ses lecteurs comme il se donnait autrefois Ă  ses compagnons ; cha- cune d'elles est la prolongation d'un sentiment, un cri du cƓur, ou un Ă©lan vers l'Invisible. Wadding a cru devoir insĂ©rer dans son recueil plu- sieurs piĂšces suspectes ; de plus, au lieu de suivre les manuscrits les plus anciens qu'il avait sous les yeux, il s'est souvent laissĂ© Ă©garer par des auteurs du seiziĂšme siĂšcle, dont la critique et l'exactitude Ă©taient bien les moindres prĂ©occupations. Pour Ă©viter la longue et toute nĂ©gative besogne Ă  laquelle il faudrait procĂ©der, si on le prenait comme point de dĂ©part, je vais me borner Ă  une Ă©tude positive de cette question. Toutes les piĂšces qui seront Ă©numĂ©rĂ©es se trouvent dans son recueil. Elles y sont parfois dĂ©coupĂ©es d'une façon bizarre; mais Ă  mesure que chaque document sera Ă©tudiĂ©, on trouvera des indications suffisantes pour opĂ©rer les redressements nĂ©cessaires. Les archives du Sacro-Convento d'Assise ^ possĂšdent p. 767 Plura scripta tradidit nobis, nepost mortem suam decli- naremus a paupertate\ des lettres au Cardinal Hugolin. V. 3. Soc. 67. Ce n'est pas seulemĂŽnt Ă  la nĂ©gligence qu'il faut attribuer la perte de bien des opuscules Quod nephas est cogitare, in provincia Marchie et in plurihus aliis locis iestamentum heati Francisci mandaverunt {prelati ordinis districte per ohedientiam ah omni- bus auferi et comburi. Et uni fratri devoto etsancto^ cujus nomen est N. de Rocanato combuxerunt dictum testamentum super caput suum. Et toto conatu fuerunt solliciti, annulare scripta beati patris nostri Francisci, in quibus sua intentio de ohservantia rĂ©gule declaraturn. Ubertin de Casai, apud Archiv, III, p. 168-109. 1. L'Italie est trop aimable pour les artistes, les archĂ©ologues et les savants, pour ne pas leur faire la faveur d'amĂ©nager d'une façon pratique ce dĂ©pĂŽt, le plus prĂ©cieux de toute l'Ombrie. MĂȘme avec la complaisance Ă  toute Ă©preuve du conservateur M. Alessandro et de la municipalitĂ© d'Assise, il est trĂšs difficile de profiter de ces trĂ©sors empilĂ©s dans une chambre sombre sans une table pour Ă©crire. ETUDE CRITIQUE DES SOURCES XXXIX un manuscrit dont rimportance ne saurait ĂȘtre exagĂ©rĂ©e. Il a Ă©tĂ© dĂ©jĂ  Ă©tudiĂ© Ă  maintes reprises ^ et porte le n° 338. On semble cependant ne pas s'ĂȘtre aperçu d'un dĂ©tail de forme, qui ne laisse pas d'avoir une grande impor- tance c'est que le n^ 338 n'est pas un manuscrit, mais toute une collection de manuscrits d'Ă©poques assez di- verses, qui ont Ă©tĂ© rĂ©unis parce qu'ils avaient Ă  peu prĂšs le mĂȘme format et ont reçu une foliotation unique. Ce caractĂšre factice du recueil montre que chacune des piĂšces qui le compose, doit ĂȘtre examinĂ©e Ă  part, et qu'on ne saurait dire, en bloc, qu'il est du treiziĂšme ou du quatorziĂšme siĂšcle. La partie qui nous intĂ©resse, parfaitement homogĂšne, est formĂ©e de trois cahiers de parchemin fol. 12 a -44 b et renferme une partie des Ɠuvres de François. 1° La RĂšgle dĂ©finitive approuvĂ©e par Honorius III le 29 novembre 1223^ fol. 12a-16a. 2° Le Testament de saint François ^ fol. 16 a- 18 a. 3° Les Admonitions 4 fol. 13a-23b. 4° La Lettre Ă  tous les chrĂ©tiens ^ fol. 23 b-28 a. 5^ La Lettre Ă  tous les membres de l'Ordre rĂ©unis en Chapitre gĂ©nĂ©ral 6 fol. 28a-31a. 6° Un avis Ă  tous les clercs sur le respect de l'Eucha- ristie 7 fol. 31b-32b. i. En particulier parEhrle Die historischen Handschriften von S. Francesco in Assisi. Archiv, t. I, p. 484. 2. Voir pages 288 ss.. et 324. 3. Voir page 384 et suiv. 4. Voir page 297 et suiv. 5. Voir page 373 et suiv. G. Voir page 369 et suiv. 7. Voir page 376. XL VIE DE S. FRANÇOIS 7° Un morceau trĂšs court prĂ©cĂ©dĂ© de la rubrique ; Des vertus qui ornĂšrent la Vierge Marie et qui doivent orner l'Ăąme sainte »l fol. 32 b. S^ Les laudes Creaturarum ou Cantique du soleil ^ fol. 33 a. 9° Une paraphrase du Pater introduite par la rubrique Incipiunt laudes quas ordinavit, B. pater noster Franciscus et dicĂ©bat ipsas ad onmes Ăźioras diei et noctis et ante offi- cium B. F. MariƓ sic incipiens Sanctissime Pater ^ fol. 34 a. 10° L'office de la Passion 34 b-43 a. Cet office, oĂč les psaumes sont remplacĂ©s par des sĂ©ries de versets bibli- ques, a pour but de faire suivre, heure par heure, Ă  celui qui le dit, les Ă©motions du CrucifiĂ© depuis le soir du Jeudi saint ^. 11° Un rĂšglement pour les frĂšres en retraite dans les ermitages ^ fol. 43 a-43 b. Un coup d'Ɠil sur cette Ă©numĂ©ration suffit pour voir que les opuscules de François rassemblĂ©s lĂ , s'adressent 1. Le voici tout entier nBegina sapientia, Dominus te salvet^ cum tua sorore sancta pura simplicitate. — Domina sancta pau- pertas, Dominus te salvet, cum tua sorore sancta humilitate. — Domina sancta caritas, Dominus te salvet, cum tua sorore sancta obedientia. — SanctissimƓ virtutes omnes, vos salvet Dominus, a quo venitis et procĂ©dais , Son authenticitĂ© nous est garantie par une citation de Gelano 2 Gel. 3, 419. Cf. Spec. 126 b et 127 a. 2. Voir p. 349 ss.. 3. Je n'y reviendrai pas; texte dans les ConformitĂ©s, 138a 2. 4. L'authenticitĂ© de cet office, auquel il n'est fait aucune allusion dans les biographies de saint François, est rendue certaine par la vie de sainte Glaire Officium crucis , prout crucis amator Franciscus instituerat. {Clara didicit et affectu simili frequenta- vit, A. SS. Augusti, t. Il, p. 761 a. 5. Il commence Illi qui voluntstare in heremis. Ce texte se trouve aussi dans les ConformitĂ©s 143 a 1. Cf. 2 Gel. 3, 43. Voir p. 125. ÉTUDE CRITIQUE DES SOURCES XLI Ă  tous les frĂšres, ou sont des sortes d'encycliques qu'ils sont chargĂ©s de transmettre Ă  leurs destinataires. L'ordre mĂȘme de ces piĂšces montre que nous avons en ce manuscrit la bibliothĂšque primitive des FrĂšres Mineurs, la collection dont chaque ministre provincial emportait une copie. C'Ă©tait vraiment leur viatique. Matthieu Paris nous raconte son Ă©tonnement, Ă  la vue de ces moines Ă©tranges, vĂȘtus de tuniques rapiĂ©cĂ©es, et portant leurs livres dans des sortes de fourreaux suspen- dus au cou^. Le manuscrit d'Assise a Ă©tĂ© sans doute destinĂ© Ă  cet usage ; s'il est muet sur les voyages qu'il a faits, sur les frĂšres pour lesquels il a Ă©tĂ© un guide et une inspiration, il nous fait du moins descendre, mieux que toutes les lĂ©gendes, dans l'intimitĂ© de saint François, et vibrer Ă  l'unisson de ce cƓur qui n'a jamais sĂ©parĂ© la joie, l'amour et la poĂ©sie. De quelle Ă©poque est ce manu- scrit ? Il faudrait ĂȘtre palĂ©ographe pour le dĂ©terminer. On trouvera plus loin une hypothĂšse qui, si elle Ă©tait fondĂ©e, le ferait remonter jusqu'aux environs de 1240 2. Son contenu mĂȘme semble corroborer cette date re- culĂ©e. Il y a lĂ  en effet beaucoup de piĂšces dont s'allĂ©- gea rapidement le Manuel du FrĂšre Mineur. BientĂŽt on se contenta de la RĂšgle pour tenir compa- gnie au brĂ©viaire ; on y ajoutait parfois le Testament. Mais les autres Ă©crits, s'ils ne tombĂšrent pas tout Ă  fait dans l'oubli, cessĂšrent du moins d'ĂȘtre d'un usage jour- nalier. 1. Nudis pedihus incedentes, funiculis cincti, tunicis griseis et talaribus peciatis, insuto capucio utenies . . . nihil sibi ultra noc^ tem reservantes . . . libros continue suos ... in forulis a collo dependcntes bajulantes. Historia Anglorum, Pertz Scrijot. t. 28, p. 397. Cf. 2 Gel. 3, 135 ; Fior. 5 ; Sjwc. 45 b. 2. Voir page 370 n. 1. XLII VIE DE S. FRANÇOIS Ceux des Ă©crits de saint François qui n'ont pas d4n- tĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral ou ne concernent pas les FrĂšres, n'ont na- turellement pas trouvĂ© place dans ce recueil. Dans cette nouvelle catĂ©gorie il faut ranger les documents suivants 1 La RĂšgle de 1221 K 2° La RĂšgle des Clarisses, que nous ne possĂ©dons plus sous sa forme premiĂšre 2. 3° Une sorte d'instruction spĂ©ciale pour les ministres gĂ©nĂ©raux ^. 4° Un billet Ă  sainte Claire '*. 5*^ Un autre billet Ă  la mĂȘme^ 6° Un billet Ă  frĂšre LĂ©on ^. 7° Quelques oraisons 7. 8° La bĂ©nĂ©diction de frĂšre LĂ©on. — L'autographe original, qui est conservĂ© dans le trĂ©sor du Sacro-Con- vento, a Ă©tĂ© fort bien reproduit par l'hĂ©liogravure^. 1. Voir page 288 et suiv. 2. Voir page 179. 3. Voir page 365 et suiv. 4. Voir page 272. 5. Voir page 377. 6. Voir page 300. 7. a Sanctus Dominus Deus noster. Cf. Spec. 126 a. Firmamen- tum 18 b 2. Conform. 202 b 1. b Ave Domina sancta. Cf. Spcc. Vil a. Conform. 138 a 2. c Sancta Maria virgo. Cf. Spcc. 126b. Conform. 202b 2. 8. V. S. François, in-4o, Paris 1885 Pion p. 233. L'authenticitĂ© de cette bĂ©nĂ©diction paraĂźt bien Ă©tablie puisqu'elle Ă©tait dĂ©jĂ  prĂ©- cieusement gardĂ©e du vivant de Thomas de Celano. On n'a jamais songĂ© Ă  demander Ă  cette piĂšce un tĂ©moignage historique. Peut-ĂȘtre est-ce un tort? Le centre de la feuille est occupĂ© par la bĂ©nĂ©diction qui fut dictĂ©e Ă  frĂšre LĂ©on Benedicat tibi Dominus et custodiat te, ostendat faciem suam tibi et misereatur tui convertat vultum ÉTUDE CRITIQUE DES SOURCES XLIII Quant aux deux fameux cantiques Amor de caritade * et In foco Vamor ml mise^j ils ne sauraient ĂȘtre attri- buĂ©s, du moins sous leur forme actuelle, Ă  saint François. Il appartient Ă  M. Monaci et Ă  ses nombreux et sa- vants Ă©mules, de faire la lumiĂšre sur ces dĂ©licates ques- tions, en publiant d'une maniĂšre scientifique les monu- ments de la poĂ©sie italienne Ă  ses dĂ©buts. J'ai indiquĂ© plus haut quelques opuscules dont on retrouve la trace certaine, mais qui ont Ă©tĂ© perdus. Ils sont en nombre bien plus considĂ©rable qu'on ne le pen- serait au premier abord. Dans le zĂšle missionnaire des premiĂšres annĂ©es, les frĂšres ne pouvaient songer Ă  col- lectionner des documents. On n'Ă©crit pas ses mĂ©moires en pleine jeunesse. suum ad te et det tibi pacem. Au-dessous, François ajouta le signe thau T qui Ă©tait comme sa griffe Bon. 51 ; 308 et les mots frater LĂ©o Dominus benedicat te. Puis quand ce souvenir passa parmi les reliques du Saint, frĂšre LĂ©on, pour l'authentiquer en quelque sorte, ajouta les indications suivantes vers le milieu Beatus Franciscus scripsit manu sua istam benedictionem mihi fratri Leoni; vers le bas Simili modo fecit istud signum thau cum capite manu sua. Mais l'annotation la plus prĂ©cieuse se trouve au haut de la feuille Beatus Fran- ciscus duobus annis ante inortem. suam fecit quadragesimam in loco AlvernƓ ad honorem BeatƓ Virginis MariƓ matris Dei et heati Michael archangeli a festo assumptionis SanctƓ MariƓ Vir- ginis usque ad festum, sancti Michael septembris et facta est super eum m,anus Domini per visionem et allocutionem seraphym, et impressionem stigmatum in corpore suo. Fecit lias laudes ex alio latere catule scriptas et manu sua scripsit gratias agens Domino de bĂ©nĂ©ficia sibi collato. V. 2 Gel. 2, 18. 1. Wadding en donne le texte d'aprĂšs S. Bernardin de Sienne. OpĂ©ra t. IV, sermo 16 extraord. et sermo feriƓ scxtƓ Parasceves. Amoni Legtnda trium Sociorum, p. 166. 2. Wadding en a puisĂ© le texte dans S. Bernardin toc. cit. Sermo IV extraord. Il a Ă©tĂ© reproduit aussi par Amoni ioc. cit. p. 165. On en trouvera deux versions fort curieuses dans les Miscellanea 1888, p. 96 et 190. XLIV VIE DE S. FRANÇOIS Il faut se rappeler aussi que la Portioncule n'avait ni archives, ni bibliothĂšque. C'Ă©tait une chapelle de dix pas de long, avec quelques huttes Ă  Fentour. L'Ordre Ă©tait dĂ©jĂ  vieux de dix ans, qu'on n'y avait vu qu'un seul livre un Nouveau Testament. On ne le garda mĂȘme pas. Un jour, François, n'ayant rien d'autre, le donna Ă  une pauvre femme qui demandait l'aumĂŽne, et comme Pierre de Catane, son vicaire, s'Ă©tonnait de cette pro- digalitĂ© Ne nous avait-elle pas donnĂ© ses deux fils pour l'Ordre? » rĂ©pliqua vivement le maĂźtre^. 1. 2 Gel. 3, 35. Ce fait eut lieu sous le vicariat de Pierre de Catane, par consĂ©quent entre le 29 sept. 1220 et le 10 mirs 1221. II BIOGRAPHIES PROPREMENT DITES I. Note prĂ©liminaire. Pour apprĂ©cier d'une façon un peu exacte les docu- ments qui vont nous occuper, il faut les replacer au milieu des circonstances de leur Ă©closion, les Ă©tudier jusque dans le dĂ©tail, et dĂ©terminer la valeur spĂ©ciale de chacun d'eux. Ici, plus que partout ailleurs, il faut se garder des thĂ©ories faciles et des gĂ©nĂ©ralisations prĂ©cipitĂ©es. La mĂȘme existence, racontĂ©e par deux contemporains Ă©gale- ment vĂ©ridiques, peut prendre des tons bien diffĂ©rents. C'est surtout le cas, si l'homme dont il s'agit a soulevĂ© des enthousiasmes et des colĂšres, si sa pensĂ©e intime, si ses crĂ©ations ont prĂȘtĂ© Ă  des discussions, si ceux-lĂ  mĂȘme qui sont chargĂ©s de rĂ©aliser ses idĂ©es et de conti- nuer son Ɠuvre se divisent et s'attaquent. Or, il en fut ainsi pour saint François. De son vivant, et sous ses yeux, des divergences se manifestĂšrent, sour- dement d'abord, puis au grand jour. Ivre d'amour, il Ă©tait allĂ© de chaumiĂšre en chaumiĂšre, de chĂąteau en chĂąteau, prĂȘchant la pauvretĂ© absolue ; mais cet Ă©lan d'enthousiasme, cet idĂ©alisme illimitĂ© ne pouvaient ĂȘtre de longue durĂ©e. L'Ordre des FrĂšres Mineurs, en grandissant, s'ouvrait non seulement Ă  quel- ques Ăąmes d'Ă©lite arrivĂ©es au paroxysme des ardeurs XLVI VIE DE S. FRANÇOIS mystiques, mais Ă  tous les hommes qui aspiraient Ă  une rĂ©forme religieuse laĂŻques pieux, moines dĂ©sillusionnĂ©s sur la vertu des anciens ordres, prĂȘtres effrayĂ©s des vices du clergĂ© sĂ©culier, tous apportaient — sans le vou- loir sans doute, et mĂȘme Ă  leur insu, — trop de leur vieil homme pour ne pas transformer peu Ă  peu la nou- velle institution. Plusieurs annĂ©es avant sa mort , François avait aperçu le pĂ©ril et fait tous ses efforts pour le con- jurer. On le vit dĂ©jĂ  agonisant rassembler ses forces, pour dĂ©clarer encore une fois ses volontĂ©s aussi claire- ment que possible, et pour conjurer ses frĂšres de nĂ© jamais toucher Ă  la RĂšgle, mĂȘme sous prĂ©texte de la commenter ou de l'expliquer hĂ©las , quatre ans ne s'Ă©taient pas Ă©coulĂ©s, et GrĂ©goire IX inaugurait, sur la priĂšre des FrĂšres eux-mĂȘmes, la longue sĂ©rie des pontifes qui ont expliquĂ© la RĂšgle * ! La pauvretĂ©, telle que François l'avait voulue, ne fut bientĂŽt qu'un souvenir. Le succĂšs inouĂŻ de l'Ordre ne lui amenait pas seulement de nouvelles recrues, il amenait l'argent. Comment le refuser quand on avait tant d'oeuvres Ă  fonder? Beaucoup de frĂšres trouvaient que leur maĂźtre avait exagĂ©rĂ© bien des choses, qu'il y avait dans la RĂšgle des nuances Ă  observer, par exemple entre les conseils et les prĂ©ceptes. Une fois la porte ou- verte aux interprĂ©tations, il devenait impossible de la fermer. La famille franciscaine se divisait donc eu partis opposĂ©s qu'il est souvent difficile de distinguer. Il y avait d'abord quelques hommes remuants, indis- ciplinĂ©s qui se groupaient autour des anciens frĂšres. Ceux-ci trouvaient, dans leur qualitĂ© de premiers com- pagnons du Saint, une autoritĂ© morale souvent plus i. Bulle Quo elongati du 28 septembre 1230. Voir p. 387. ÉTUDE CRITIQUE DES SOURCES XLVIl grande que l'autoritĂ© officielle des ministres et des gar- diens. Le peuple se tournait d'instinct vers eux comme vers les vĂ©ritables continuateurs de l'Ɠuvre de saint François. Ce n'Ă©tait pas sans raison. Ils avaient la vigueur, la vĂ©hĂ©mence des convictions absolues; Teussent-ils voulu, ils n'auraient pas pu tran- siger. On les voyait apparaĂźtre tout Ă  coup dans les villes ou les villages pour sommer les grands aussi bien que le peuple de fciire pĂ©nitence. Lorsqu'ils descendaiect de leurs ermitages des Apennins, les yeux brillants de fiĂšvre, perdus encore dans la contemplation, tout dans leur personne racontait leurs radieuses visions ; et la foule Ă©tonnĂ©e et subjuguĂ©e s'agenouillait pour baiser la trace de leurs pas, le cƓur mystĂ©rieusement troublĂ©. Un groupe plus nombreux Ă©tait celui des frĂšres qui, sans ĂȘtre moins saints, condamnaient ces allures. NĂ©s loin de l'Ombrie, dans des contrĂ©es oĂč la nature semble une marĂątre, oĂč l'adoration, bien loin d'ĂȘtre l'acte ins- tinctif de l'Ăąme heureuse s'Ă©panouissant pour bĂ©nir le PĂšre cĂ©leste, est au contraire le cri de dĂ©tresse de l'atome perdu dans l'immensitĂ©, ils voulaient surtout une rĂ©forme religieuse, rationnelle et profonde. Ils rĂȘvaient de ramener l'Eglise Ă  la puretĂ© des anciens jours, et voyaient dans le vƓu de pauvretĂ©, entendu dans le sens le plus large, le meilleur moyen de lutter contre les vices du clergĂ©; mais ils oubliaient ce qu'il y avait eu, dans la mission de saint François, de fraĂźcheur, de gaietĂ© italienne, de poĂ©sie ensoleillĂ©e. Pleins d'admiration pour lui, ils voulaient cependant Ă©largir la base de son Ɠuvre, et pour cela ne renoncer Ă  aucun moyen d'influence, surtout pas Ă  la science. Cette tendance dominait en France, en Allemagne et en Angleterre. En Italie elle Ă©tait reprĂ©sentĂ©e par une fraction trĂšs XLVIII VIE DE S. FRANÇOIS puissante, sinon par le nombre, du moins par l'autoritĂ© de ses reprĂ©sentants. C'Ă©tait celle que favorisait la papautĂ©. Ce fut celle de frĂšre Elie et de tous les ministres gĂ©nĂ©raux de TOrdre au XIIP siĂšcle, si on en excepte Jean de Parme 1247 — 1257 et Raymond Gaufridi 1289—1295. Dans la PĂ©ninsule, un troisiĂšme groupe, celui des relĂąchĂ©s, Ă©tait de beaucoup le plus nombreux les hommes vulgaires auxquels la vie monastique paraissait la plus facile existence, les moines girovagues heureux de s'at- tirer un regain de succĂšs en Ă©talant la RĂšgle nouvelle, y formaient la majoritĂ© de la famille franciscaine. On comprend sans peine que des documents Ă©manĂ©s de milieux si divers portent l'empreinte de leur origine. Les hommes qui vont nous apporter leur tĂ©moignage, sont les combattants de la lutte sur la question de la pauvretĂ©, lutte qui a troublĂ© l'Eglise pendant deux siĂšcles, passionnĂ© toutes les consciences, et qui a eu ses bourreaux et ses martyrs. Pour dĂ©terminer la valeur de ces tĂ©moignages, il faut donc avant tout en rechercher l'origine. Il est Ă©vident qu'un rĂ©cit des intransigeants de droite ou de gauche peut n'avoir qu'une trĂšs mince valeur s'il s'agit de points controversĂ©s ; d'oĂč la conclusion, que l'autoritĂ© d'un narrateur peut varier de page Ă  page ou mĂȘme de ligne Ă  ligne. Ces idĂ©es, si simples qu'on a presque besoin de s'ex- cuser de les exprimer, n'ont cependant jamais guidĂ© ceux qui ont Ă©tudiĂ© la vie de saint François. Les plus savants, comme Wadding et Papini, ont juxtaposĂ© les rĂ©cits des divers biographes, Ă©laguant çà et lĂ  ceux qui Ă©taient par trop contradictoires ; mais ils ont fait cela au hasard, sans rĂšgle ni mĂ©thode, guidĂ©s par l'impression du moment. il ÉTUDE CRITIQUE DES SOURCES XLIX Le long travail du Bollandiste Suysken est viciĂ© par un dĂ©faut analogue rivĂ© Ă  son principe que les plus anciens documents sont toujours les meilleurs i, il s'est Ă©tabli sur la PremiĂšre Vie par Tiiomas de Celano comme sur un roc inĂ©branlable et a jugĂ© toutes les autres lĂ©- gendes Ă  travers celle-lĂ ^. Quand on rattache les documents aux circonstances troublĂ©es de leur apparition, quelques-uns perdent un peu de leur autoritĂ©, d'autres qui avaient Ă©tĂ© nĂ©gligĂ©s, comme Ă©tant en contradiction avec les tĂ©moignages devenus quasi officiels, reprennent tout Ă  coup voix au chapitre, tous enfin gagnent une vie qui double leur intĂ©rĂȘt. Ce changement de point de vue dans l'apprĂ©ciation des sources, cette critique que je serais tentĂ© d'appeler soli- daire et organique, amĂšne une transformation profonde dans la biographie de saint François. Par un phĂ©nomĂšne qui peut sembler Ă©trange, on arrive Ă  tracer de lui un portrait qui se rapproche bien plus de celui qu'il a dans l'imagination populaire en Italie, que de celui qu'en ont fait les savants historiens mentionnĂ©s plus haut. Lorsque François mourut 1226, les partis qui divi- saient l'Ordre Ă©taient dĂ©jĂ  entrĂ©s en lutte. Cet Ă©vĂ©ne- ment prĂ©cipita la crise frĂšre Elie remplissait depuis cinq ans les fonctions de ministre gĂ©nĂ©ral avec le titre de vicaire. Il dĂ©ploya une stupĂ©fiante activitĂ©. Investi de la confiance de GrĂ©goire IX, il Ă©carta les zĂ©lanti 1. Il va sans dire que je ne veux pas m'Ă©lever contre ce principe, un des plus fĂ©conds de la critique, mais encore ne faut-il pas l'em- ployer isolĂ©ment. 2. Les travaux d'Ă©rudition parus en Allemagne dans ces derniĂšres annĂ©es pĂšchent par le mĂȘme dĂ©faut. On les trouvera citĂ©s en temps utile dans le corps de l'ouvrage. L VIE DE S. FRANÇOIS des charges, fortifia la discipline jusque dans les pro- vinces les plus Ă©loignĂ©es, obtint de nombreux privilĂšges de la curie, et prĂ©para avec une incroyable rapiditĂ© la construction de la double basilique oĂč devaient reposer les cendres du StigmatisĂ© ; mais malgrĂ© tous ses efforts, le chapitre de 1227 le laissa de cĂŽtĂ© et choisit Jean Parenti comme ministre gĂ©nĂ©ral. Furieux de cet Ă©chec, il mit aussitĂŽt tout en Ɠuvre pour ĂȘtre nommĂ© au chapitre suivant. Il semble mĂȘme qu'il n'ait tenu aucun compte de la nomination de Jean Parenti, et qu'il ait continuĂ© Ă  se comporter comme s'il eĂ»t Ă©tĂ© ministre 1. TrĂšs populaire parmi les Assisiates, tout Ă©blouis de la magnificence du monument qui surgissait sur la Colline de V enfer j devenue la Colline du paradis'^ sĂ»r d'ĂȘtre appuyĂ© par une partie considĂ©rable de l'Ordre et par le pape, il poussa les travaux de la basilique, avec une dĂ©cision et un bonheur peut-ĂȘtre uniques dans les an- nales de l'architecture 2. 1. Eccl. 13. Voluerunt ipsi, quos ad capitulum concesscrat venire frater Helias; nam omnes concessit etc. An. fr. t. I, p. 241. Cf. Mon. Germ. hist. Script, t. 28, p. 564. 2. La mort de François est du 3 oct. 1226. Le 29 mars 1228 Êlie reçoit l'emplacement de la basilique. L'Instrumentum dona- tionis est conservĂ© encore aujourd'hui Ă  Assise PiĂšce n» 1 du deuxiĂšme paquet Ă ' Instrumenta diversa pertinentia ad Sacrum Conventum. Il a Ă©tĂ© publiĂ© par Thode Franz von Assisif p. 539. Le 17 juillet de la mĂȘme annĂ©e, lendemain de la canonisation, GrĂ©goire IX posait solennellement la premiĂšre pierre. Moins de deux ans aprĂšs, l'Ă©glise basse Ă©tait terminĂ©e et le 25 mai 1230 on y transportait le corps du Saint. En 1236, l'Ă©glise supĂ©rieure Ă©tait achevĂ©e Ă  son tour. Elle Ă©tait dĂ©jĂ  dĂ©corĂ©e d'une premiĂšre sĂ©rie de fresques, et Giunta peignait Éhe de grandeur naturelle, agenouillĂ© au pied du crucifix au-dessus de l'entrĂ©e du chƓur. En 1239, tout Ă©tait parachevĂ©, et le campanile recevait les fa- ÉTUDE CRITIQUE DES SOURCES LT Tout cela ne pouvait se faire sans soulever l'indigna- tion des zĂ©lateurs de la pauvretĂ©. Lorsqu'ils virent sur le tombeau de celui qui avait dĂ©fendu Ă  ses disciples le simple contact de l'argent, un tronc monumental destinĂ© Ă  recueillir les aumĂŽnes des fidĂšles, il leur sembla que la prophĂ©tie de saint François, annonçant l'apostasie d'une partie de l'Ordre, allait se rĂ©aliser. Un vent de rĂ©volte passa sur les ermitages de l'Ombrie. Ne fallait-il pas empĂȘcher par tous les moyens cette abomination dans le lieu saint? On savait Elie terrible dans ses sĂ©vĂ©ritĂ©s, mais ses adversaires se sentaient le courage d'aller jusqu'au bout et de tout souffrir pour dĂ©fendre leurs convictions. Un jour, on trouva le tronc brisĂ© par frĂšre LĂ©on et ses amis * . On voit Ă  quel degrĂ© d'acuitĂ© la lutte Ă©tait parvenue. C'est sur ces entrefaites que parut la premiĂšre lĂ©gende. II. PremiĂšre Vie par Thomas de Celano^. Thomas de Celano en Ă©crivant cette lĂ©gende, sur laquelle il devait revenir plus tard pour la corn- meuses cloches dont le carillon rĂ©jouit encore toute la vallĂ©e de l'Ombrie. Ainsi donc, trois mois et demi avant la canonisation, Élie recevait l'emplacement de la basilique. Le procĂšs de canonisation commença fin mai 1228 1 Gel. 123 et 124. Cf. Potthast 8194 ss.. 1. Spec. 167 a. Cf. An. fr. t. II, p. 45 et note. 2. Les Bollandistes en ont donnĂ© le texte A. SS. Octobris t. II, p. 683-723 d'aprĂšs un manuscrit de l'abbaye cistercienne de Long- pont au diocĂšse de Soissons. — Il a Ă©tĂ© publiĂ© ensuite Ă  Rome en 1806, sans nom d'Ă©diteur en rĂ©alitĂ© par le P. Rinaldi Conventuel sous le titre Seraphici viri S. Francisci Assisiatis vitƓ duƓ auctore B. Thoma de Celano, d'aprĂši un manuscrit de Fallerone, . la Marche d'AncĂŽne qui dans les environs de Terni fut volĂ© LU VIE DE S. FRANÇOIS plĂ©ter, obĂ©issait Ă  un ordre exprĂšs du pape GrĂ©- goire IX *. Pourquoi celui-ci ne s'Ă©tait-il pas adressĂ© Ă  un des frĂšres de l'entourage immĂ©diat du Saint? Le talent de l'auteur pourrait expliquer ce choix; mais, outre que les prĂ©occupations littĂ©raires ne doivent dans ce cas venir qu'au second rang, frĂšre LĂ©on et plusieurs autres prou- vĂšrent plus tard qu'ils savaient, eux aussi, manier la plume. Si Celano fut chargĂ© de la biographie officielle, c'est par les brigands au frĂšre chargĂ© de le rapporter. Ce second texte a Ă©tĂ© reproduit Ă  Rome en 1880 par le chanoine Amoni Vita prima S. Fraiiciscij auctore B. Thoma de Celano, Roma, tipografia dĂ©lia face 1880, in-8°, 42 p. Les citations seront faites d'aprĂšs la division introduite par les Bollandistes, mais dans plusieurs pas- sages importants le texte Rinaldi-Amoni donne de meilleures leçons que celui des Bollandistes. Ce dernier a Ă©tĂ© retouchĂ© et complĂ©tĂ© çà et lĂ . Voir par exemple 1 Cel. 24 et 31. Quant aui manuscrits, le R. P. Denifle estime que le plus ancien parmi ceux qui sont connus est celui de Barcelone Archiva de la corona de Aragon, p. Ripoll. n. 41 {Archiv t. I, p. 148. Il y en a un Ă  la BibliothĂšque nationale de Paris, fonds latin, n» 3817, qui renferme une curieuse note Apud Perusium felix domnus papa Gregorius nonus gloriosi secundo pontiflcatus sut anno, quinto Kal. martii 25 fĂ©vrier 1229 legendam hanc recepit, confirmavit et censuit fore tenendam. Un autre manuscrit, qui mĂ©- rite de fixer l'attention, soit par son anciennetĂ© , XIII siĂšcle, soit par la correction du texte, et qui semble avoir Ă©chappĂ© aux recherches des Ă©rudits s'occupant des Franciscains, est celui que possĂšde l'École de mĂ©decine de Montpellier, n» 30 in-folio velin Passion aie vĂȘtus ecclesiƓ S. Benigni divionensis. La lĂ©gende de Celano y occupe les f"s 257 a — 271 b. Le texte finit brusquement au milieu du para- graphe 112 par suspiriis ostendebant. A part cette lacune finale il est complet. Cf. Archives Pertz t. VII, p. 195 et 196. V. Catalogue gĂ©nĂ©ral des manuscrits des bibliothĂšques publiques des dĂ©parte- ments, t. l, p. 295. 1. V. 1 Cel. Prol. Jubente doynino et glorioso Papa Gregorio. Celano l'Ă©crivit aprĂšs la canonisation 16 juillet 1228 et avant le 25 fĂ©vrier 1229, car la date indiquĂ©e plus haut ne suscite aucune difficultĂ©. ETUDE CRITIQUE DES SOURCES LUI qu'Ă©galement sympathique Ă  GrĂ©goire IX et Ă  frĂšre Elie, il avait Ă©tĂ© mis, par son absence, en dehors des luttes qui avaient marquĂ© les derniĂšres annĂ©es de la vie de François. TempĂ©rament irĂ©nique, il appartenait Ă  la catĂ©gorie de ces Ăąmes qui se persuadent facilement que l'obĂ©issance est la premiĂšre des vertus, que tout supĂ©- rieur est un saint et que, si par malheur, il ne Test pas, on n'en doit pas moins agir comme s'il l'Ă©tait. Nous avons sur sa vie quelques renseignements ori- ginaire de Celano dans les Abruzzes, il rappelle d'une façon discrĂšte que sa famille Ă©tait noble et ajoute mĂȘme, avec une pointe de naĂŻvetĂ©, que le maĂźtre avait des Ă©gards particuliers pour les frĂšres nobles et lettrĂ©s. C'est aux environs de 1215, lorsque François revint d'Espagne, qu'il entra dans l'Ordre i. Au chapitre de 1221, CĂ©saire de Spire, chargĂ© de la mission d'Allemagne, le prit parmi ceux qui devaient l'accompagner 2. En 1223, il Ă©tait nommĂ© custode de Mayence, Worms, Cologne et Spire. Au mois d'avril de la mĂȘme annĂ©e, lorsque CĂ©saire, dĂ©vorĂ© du dĂ©sir de revoir saint François, revint en Italie, il chargea Celano de remplir ses fonctions jusqu'Ă  l'arrivĂ©e du nouveau provincial '^. Jusqu'ici aucun renseignement ne permet de dĂ©cider oĂč il se trouva Ă  partir du chapitre provincial tenu Ă  Spire le 8 septembre 1223. Il a dĂ» ĂȘtre Ă  Assise en 1228, car son rĂ©cit de la canonisation est celui d'un 1. 1 Cel. 56. Peut-ĂȘtre Ă©tait-il fils de ce Thomas comte de Celano auquel Richard de S. Germano fait si souvent allusion dans sa chronique 1219-1223. Voir aussi deux lettres de FrĂ©dĂ©ric II Ă  Honorius III des 24 et 25 avril 1223 publiĂ©es dans Winckelmann ; Acta imperii inedita, t. I, p. 232. 2. Jord. 19. 3. Jord. 30 et 31. LÏV VIE DE S. FRANÇOIS tĂ©moin oculaire. Il y Ă©tait encore en 1230, et sans doute revĂȘtu d'une charge importante, puisqu'il put remettre Ă  frĂšre Jourdain des reliques de saint François t. Écrit d'un style attachant, fort souvent poĂ©tique, son livre respire une admiration Ă©mue pour son hĂ©ros ; ce tĂ©moignage s'impose immĂ©diatement comme sincĂšre et vrai ; quand il est partial, c'est sans le vouloir et peut- ĂȘtre mĂȘme sans le savoir. Le point faible de cette biographie, c'est le tableau qu'elle nous trace des rap- ports de frĂšre Elie et du fondateur de l'Ordre lorsqu'on relit les chapitres consacrĂ©s aux deux derniĂšres annĂ©es, il s'en dĂ©gage l'impression fort nette qu'Elie aurait Ă©tĂ© dĂ©signĂ© par François pour lui succĂ©der ^. Or, si l'on rĂ©flĂ©chit qu'au moment oĂč Ă©crivait Celano, Jean Parenti Ă©tait ministre gĂ©nĂ©ral, on s'apercevra tout de suite de la portĂ©e de ces indications^. Toutes les occasions sont saisies pour donner un rĂŽle prĂ©pondĂ©rant Ă  Elie*. C'est un vrai manifeste en sa faveur. Y a-t-il lieu d'accuser Celano? Je ne le crois pas. Il faut simplement se rappeler que son travail a pu ĂȘtre Ă  1. Jord. 59. Cf. Glassberger ann. 1230, Quant Ă  la question de savoir s'il est l'auteur du Dies irƓ, elle serait dĂ©placĂ©e ici. 2. Gela est si vrai que la plupart des historiens ont Ă©tĂ© amenĂ©s Ă  croire Ă  deux gĂ©nĂ©ralats d'Élie l'un de 1227-1230, l'autre de 1236- 1239. La lettre Non ex odio de FrĂ©dĂ©ric II 1239 Ă©nonce la mĂŽme idĂ©e RĂȘvera papa iste qucmdam religiosum et timoratum fratrem Helyam, ministrum ordinis fratrum minorum ab ipso beato Francisco pĂątre ordinis migrationis suƓ tempore constitutum . . . in odium nostriim . . . deposuit. Huillard-BrĂ©holles Hist. dipl. FrĂ©d. Il, t. V, p. 346. 3. Il n'est nommĂ© qu'une fois. 1 Gel. 48. 4. 1 Gel. 95, 98, 105, 109. Le rĂ©cit de la bĂ©nĂ©diction est surtout significatif. Super quem inquit {Franciscus teneo dexteram meam? Super fratrem Heliam, inquiunt. Et ego sicvolo, sit ... 1 Gel. 108. Ges derniers mots dĂ©cĂšlent l'intention d'une façon Ă©vidente. Cf. 2 Gel. 3, 139. ÉTUDE CRITIQUE DES SOURCES LV bon droit appelĂ© lĂ©gende de GrĂ©goire IX. Elie Ă©tait riionime du pape, et c'est sur ses renseignements que le biographe a travaillĂ©. Il ne pouvait pas ne pas s'arrĂȘter avec une complaisance particuliĂšre sur son intimitĂ© avec François. Par contre, on ne peut s'attendre Ă  j trouver des dĂ©tails qui auraient pu appuyer les prĂ©tentions des adversaires d'Elie, de ces zĂ©lateurs indociles qui dĂ©jĂ  se paraient avec orgueil du titre de Compagnons du Saint et cherchaient Ă  constituer dans l'Ordre une sorte d'aristocratie spirituelle. Parmi eux s'en trouvaient quatre qui, durant les deux derniĂšres annĂ©es, n'avaient pour ainsi dire pas quittĂ© François. On devine combien il Ă©tait difficile de ne pas parler d'eux. Celano tait soigneusement leur nom, sous prĂ©texte de mĂ©nager leur modestie! ; mais par les louanges prodiguĂ©es Ă  GrĂ©- goire IX, Ă  frĂšre Elie^^ Ă  sainte Claire ^ ou mĂȘme Ă  des personnages tout Ă  fait secondaires, il montre que sa discrĂ©tion Ă©tait loin d'ĂȘtre toujours aussi en Ă©veil. Tout cela est trĂšs grave ; il ne faudrait cependant pas l'exagĂ©rer. Il y a une partialitĂ© Ă©vidente, mais il serait injuste d'aller plus loin et de croire, comme on l'a fait plus tard, que les derniers temps de la vie de François aient eu le caractĂšre d'une lutte contre la personne mĂȘme d'Élie. Cette lutte a existĂ©, mais contre des ten- dances dont François n'aperçut pas la source. Il emporta dans la tombe ses illusions sur son collaborateur. 1. 1 Gel. 102; Cf. 91 et 109. FrĂšre LĂ©on n'est mĂȘme pas nommĂ© dans tout l'ouvrage. Ange, IlluminĂ©, Masseo non plus ! 2. 1 Gel. Prol.; 73-75; 99-101; 121-126. AprĂšs S. François c'est GrĂ©goire IX et frĂšre Elle, 1 Gel. 69; 95; 98 ; 105, 108; 109. qui occupent le premier plan. 3. 1 Gel. 18 et 19; 116 et 117. LVI VIE DE S. FRANÇOIS Au reste ce dĂ©faut est aprĂšs tout secondaire en ce qui concerne la physionomie mĂȘme de François. Elle y apparaĂźt, comme dans les Trois Compagnons ou les Fioretti, avec un sourire pour toutes les joies, des flots de larmes pour toutes les douleurs ; on sent Ă  chaque instant TĂ©motion contenue, le cƓur de l'Ă©crivain sub- juguĂ© par la beautĂ© morale de son hĂ©ros. 111. Coup d'Ɠil sur rhistoire de TOrdre de 1230-1244. Lorsque Thomas de Celano termina sa lĂ©gende, il sentait mieux que personne les lacunes de ce travail, pour lequel il n'avait pu rĂ©unir que des matĂ©riaux in- suffisants. Elie et les autres frĂšres d'Assise lui avaient racontĂ© la jeunesse de François et son activitĂ© en Ombrie ; mais outre qu'il avait prĂ©fĂ©rĂ©, soit par prudence, soit par amour de la paix, garder le silence sur certains Ă©vĂ©ne- ments ^, il y avait de longues pĂ©riodes sur lesquelles il n'avait recueilli aucune donnĂ©e 2. Aussi semble-t-il indiquer l'intention de reprendre son ouvrage pour le complĂ©ter ^, Ce n'est pas ici le lieu de faire l'histoire de l'Ordre, 1. Ceux qui se passĂšrent pendant l'absence de François 1220— 1221. Il glisse sur les difficultĂ©s rencontrĂ©es Ă  Rome pour l'appro- bation de la premiĂšre RĂšgle; il ne mentionne ni la seconde, ni la troisiĂšme, et ne fait aucune allusion aux circonstances qui les pro- voquĂšrent. Il les connaissait cependant, ayant vĂ©cu dans l'intimitĂ© de GĂ©saire de Spire, le collaborateur de la seconde 1221. 2. Par exemple le voyage de François en Espagne. 3. 1 Gel. 88. Ea sola quƓ necessaria magis oceurrunt ad prae- sens, intendimus adnotare. Il est Ă  remarquer que dans le pro- logue il parle au singulier. ÉTLDE CRITIQUE DES SOURCES LYII mais quelques renseignements sont nĂ©cessaires pour re- placer les documents dans leur milieu. Élu ministre gĂ©nĂ©ral en 1232, frĂšre Elie en profita pour travailler avec une indomptable fermetĂ© Ă  la rĂ©a- lisation de ses idĂ©es. De nouvelles collectes furent orga- nisĂ©es dans toutes les provinces pour la basilique d'As- sise dont les travaux Ă©taient poussĂ©s avec une activitĂ© qui n'a nui ni Ă  la soliditĂ© de l'Ă©difice, ni Ă  la beautĂ© des dĂ©tails, aussi achevĂ©s et aussi parfaits que dans aucun monument de l'Europe. On conçoit les sommes Ă©normes qu'il avait fallu drai- ner pour mener Ă  bien, en si peu de temps, une pareille entreprise. De plus, frĂšre Elie avait exigĂ© de tous ses subordonnĂ©s une obĂ©issance absolue nommant et desti- tuant les ministres provinciaux selon ses vues person- nelles, il nĂ©gligeait de convoquer le chapitre gĂ©nĂ©ral et envoyait dans toutes les provinces ses Ă©missaires, sous le nom de visiteurs, pour y assurer l'exĂ©cution de ses ordres. Les modĂ©rĂ©s d'Allemagne, de France et d'Angleterre trouvĂšrent bien vite ce joug insupportable. Il leur Ă©tait dur d'ĂȘtre dirigĂ©s par un ministre italien rĂ©sidant Ă  As- sise, bourgade placĂ©e en dehors des voies de la civilisa- tion, tout Ă  fait Ă©trangĂšre au mouvement scientifique con- centrĂ© dans les universitĂ©s d'Oxford, Paris et Bologne. Ils trouvĂšrent, dans l'indignation des zĂ©lanti contre Elie et son mĂ©pris de la KĂšgle, un appui dĂ©cisif. Le mi- nistre n'eut bientĂŽt, pour se dĂ©fendre, que son Ă©nergie, la faveur du pape et de rares modĂ©rĂ©s italiens. Il rĂ©prima plusieurs tentatives de rĂ©volte par un redouble- ment de vigilance et de sĂ©vĂ©ritĂ©. Ses adversaires arrivĂšrent cependant Ă  s'assurer des intelligences en cour de Rome ; le confesseur du pape fut mĂȘme gagnĂ© ; malgrĂ© tout, le succĂšs de la conspiration Ă©tait encore incertain quand s'ouvrit le chapitre de 1239. LYIII VIE DE S. FRANÇOIS GrĂ©goire IX, encore favorable Ă  Élie *, le prĂ©si- dait. La peur donna tout Ă  coup du courage aux con- jurĂ©s ; ils jetĂšrent leurs accusations Ă  la face de leur ennemi. Thomas d'Eccleston nous fait un rĂ©cit colorĂ© de ce qui se passa. Elie fut fier, violent, mĂȘme menaçant. Il y eut alors, des deux cĂŽtĂ©s, des cris, des vocifĂ©rations ; on allait en venir aux mains, lorsque quelques mots du pape ramenĂšrent le silence. Sa rĂ©solution Ă©tait prise il abandonnerait son protĂ©gĂ©. Il lui fit demander sa dĂ©mission. Elie, indignĂ©, refusa. Alors GrĂ©goire IX expliqua qu'en le maintenant en charge, il avait cru rĂ©pondre au vƓu de la majoritĂ©, qu'il n'entendait pas l'imposer Ă  l'Ordre, et que, puisque les frĂšres ne voulaient plus de lui, il le dĂ©clarait dĂ©chu du gĂ©nĂ©ralat. La joie des vainqueurs, dit Eccleston, fut immense et ineffable. Ils choisirent Albert de Pise, provincial d'An- gleterre, pour lui succĂ©der, et mirent dĂšs lors tout en Ɠuvre pour reprĂ©senter Elie comme une crĂ©ature de FrĂ©dĂ©ric II 2. L'ancien ministre Ă©crivit bien au pape pour expliquer sa conduite, mais la lettre ne parvint pas Ă  destination. Elle avait dĂ» passer par les mains de son successeur qui ne la remit pas lorsque Albert de Pise fut mort, on la trouva dans sa tunique 3. 1. En 1238 il avait envoyĂ© Élie Ă  CrĂ©mone, chargĂ© d'une mission pour FrĂ©dĂ©ric IL Salimbene ann. 1229. — V. aussi l'accueil de GrĂ©goire aux appelants contre le gĂ©nĂ©ral Jord. 63. 2. Voir la lettre de FrĂ©dĂ©ric II Ă  Élie sur la translation de sainte Elisabeth, mai 1236. Winkelmann, Acta, t. I, p. 299. Cf. Huillard- BrĂ©holles. Hist. dipl. Intr. p. ce. 3. Les Ă©lĂ©ments de ce rĂ©cit sont Catalogus Ministrorum de Ber- nard de Besse, ap. Ehrle, Zeitschrift, t. 7 1883 p. 339. SpĂ©culum 207 b et surtout 167 a— 170 a. Eccl. 13. Jord. 61—63. SpĂ©culum Morin, tract. I, fo 60 b. ÉTUDE CRITIQUE DES SOURCES LIX Toute la fureur du vieux pontife se dĂ©cliaĂźna contre Élie. Il faut lire les documents pour voir Ă  quel diapa- son elle pouvait monter. Le frĂšre riposta avec une virulence moins verbeuse, mais plus accablante encore ^. Ces Ă©vĂ©nements eurent Ă  travers toute l'Europe un retentissement inimaginable 2, et jetĂšrent dans l'Ordre un trouble profond. Beaucoup de partisans d'Elie se laissĂšrent persuader qu'ils avaient Ă©tĂ© trompĂ©s par un imposteur et se rapprochĂšrent du groupe des zĂ©lateurs qui ne cessait de rĂ©clamer l'observation pure et simple de la RĂšgle et du Testament. Thomas de Celano fut de ce nombre^. Il voyait avec une profonde tristesse les influences innombrables qui travaillaient sourdement l'institut franciscain et le me- naient Ă  sa ruine. DĂ©jĂ  dans les couvents circulait un refrain chantant la victoire de Paris sur Assise, c'est-Ă - dire de la science sur la pauvretĂ©. Les zĂ©lateurs reprenaient courage. Peu accoutumĂ©s aux subtilitĂ©s de la politique ecclĂ©siastique, ils ne com- prenaient pas que le pape, tout en maudissant frĂšre Elie, 1. Asserebat etiam ipse prƓdictus frater Helyas . . . papam . . . fraudem facere de pecunia collecta ad succursum TerrƓ Sanctƒj scripta etiam ad beneplacitum suum in camĂ©ra sua hullare clam et sine fratrum assensu et etiam cedulas vacuas^ sed bullatas, militas 7iunciis suis traderet . . . et alia multa enormia imposuit domino papƓ, ponens os suum in celo. Matth. Paris, Chron. Maj. ann. 1239, ap. Mon. Ger. liist. Script, t. 28, p. 182. Cf. Ficker, n. 2685. 2. V. Ryccardi de S. Germano chron, ap. Mon. Germ. hist. Script, t. 19, p. 380, ann. 1239. — La lettre de FrĂ©dĂ©ric se plaignant de la disposition d'Élie 1239 Huillard-BrĂ©holles, Hist. Dipl. V, p. 346—349. Cf. la Bulle, Attendite ad petram, fin fĂ©vrier 1240, ibid. p. 111— lld. Potthast, 10849. 3. Il Ă©tait sans doute aussi parmi les plus ardents adversaires de l'empereur. Son village avait Ă©tĂ© brĂ»lĂ© sur l'ordre de FrĂ©dĂ©ric II en 1224, et les habitants transportĂ©s en Sicile, puis Ă  Malte. Richard de S. Germano, loc. cit. ann. 1223 et 1224. LX VIE DE S. FRANÇOIS ne modifiait en rien l'orientation gĂ©nĂ©rale qu'il avait donnĂ©e Ă  l'Ordre. Les ministres gĂ©nĂ©raux Albert de Pise 1239—1240, Aimon de Faversham 1240—1244, Crescentius de Jesi 1244 — 1247 furent tous, avec des nuances diverses, les reprĂ©sentants du parti mo- dĂ©rĂ©. La premiĂšre lĂ©gende de Thomas de Celano Ă©tait devenue impossible. Le rĂŽle qu'il y donnait Ă  Elie Ă©tait presque un scandale. La nĂ©cessitĂ© de la remanier et de la complĂ©ter s'imposa clairement au chapitre de GĂȘnes 1244. Tous les frĂšres, qui avaient quelque chose Ă  raconter sur la vie de François, furent invitĂ©s Ă  le mettre par Ă©crit et Ă  l'adresser au ministre Crescentius de Jesi *. Celui-ci fit immĂ©diatement rĂ©diger, sous forme de dia- logue, un opuscule qui commençait par les mots Venera- hĂŻliwn gesta Tatruni. DĂ©jĂ  au temps de Bernard de Besse on n'en avait plus que des fragments^. Mais heureusement, plusieurs des travaux qui virent le jour Ă  la suite de la dĂ©cision de ce chapitre nous ont Ă©tĂ© conservĂ©s. C'est Ă  elle que nous devons la LĂ©gende des Trois Compagnons et la Seconde Vie par Thomas de Celano. 1. V. le prol. de 2 Gel. et des 3 Soc. Cf. Glassberger, ann. 1244. An. fr. t. II, p. 68. SpĂ©culum Morin, tract. I, 6l b. 2. Catalogus Ministrorum^ Ă©ditĂ© par Ehrle Zeitschrift, t, 7, 1883 n» 5. Cf. Spec. 208 a. Marc de Lisbonne en parle un peu plus longuement, mais il en fait honneur Ă  Jean de Parme, Ă©d. Diola, t. II, p. 38. D'autre part, dans le manuscrit 691 des archives du Sacro-Gon\ento Ă  Assise, c'est un catalogue de la bibliothĂšque du couvent fait en 1381 on trouve, f» 45 a, l'indication de cet ouvrage Dyalogus sanctorum fratrum cum postibus cujus principium est Venerabilia gesta patrum dignosque memoria, finis vero non indigne feram me quoque reperisse consortem. In quo lihro omnes quaterni sunt XllI. y ÉTUDE CRITIQUE DES SOURCES LXT IV. LĂ©gende des Trois Compagnons ^ La vie de saint François qui nous est parvenue sous le titre de LĂ©gende des Trois Compagnons, fut terminĂ©e le 11 aoĂ»t 1246, dans un petit couvent du val de Rieti, qui reviendra souvent dans le cours de cette histoire, celui de Greccio. Cet ermitage avait Ă©tĂ© le sĂ©jour prĂ©fĂ©rĂ© de François, surtout dans les derniers temps de sa vie. Il l'avait ainsi rendu doublement cher au cƓur de ses disciples ^. Aussi le voyons-nous devenir, dĂšs les premiers temps de l'Ordre, le quartier gĂ©nĂ©ral des Observants 3, et rester Ă  travers les siĂšcles un des foyers les plus purs de la piĂ©tĂ© franciscaine. Cette lĂ©gende avait pour auteurs des hommes dignes de raconter saint François, et peut-ĂȘtre les plus capables de le faire les frĂšres LĂ©on, Ange et Rufin. Tous trois avaient vĂ©cu dans son intimitĂ© et l'avaient accompagnĂ© durant les annĂ©es les plus importantes; ils avaient eu soin, du reste, de recourir Ă  d'autres pour complĂ©ter leurs souvenirs, en particulier Ă  Philippe, le visiteur des 1. Le texte en a Ă©tĂ© publiĂ© pour la premiĂšre fois par les Bollan- distes, A. SS. Octobris t. II, p. 723-742 d'aprĂšs un manuscrit du couvent des FrĂšres Mineurs de Louvain. C'est d'aprĂšs cette Ă©di- tion que nous faisons nos citations. Les Ă©ditions publiĂ©es en Italie, dans le courant de ce siĂšcle, sont devenues introuvables, sauf la derniĂšre, due Ă  l'abbĂ© Amoni. Celle-ci est malheureusement trop fautive pour servir de base Ă  une Ă©tude scientifique. Elle a paru Ă  Rome en 1880 in-S» de 184 p. sous le titre Legenda S. Francisci Assisiensis quƓ dicitur Legenda trium sociorum ex cod. membr. BĂźblioth. Vatic. num, 7339. 2. 2 CeL 2, 5; 3, 7; 1 CeL 60; Bon. 113; 1 CeL 84; Bon. 149; 2Cel. 2, 14; 3, 10. 3. Jean de P..rme s'y retira en 1276 et y vĂ©cut Ă  peu prĂšs jusqu'Ă  sa mort 1288. Tribul. Archiv, t. II 1886, p. 286. LXir VIE DE S. FRANÇOIS Clarisses, Ă  IlluminĂ© de Rieti, Ă  Masseo de Marignane, Ă  Jean, le confident d'Egide et de Bernard de Quinta- valle. De pareils noms promettent beaucoup et par bonheur on n'est pas trompĂ© dans son attente. Tel qu'il nous est parvenu, ce document est le seul qui, au point de vue historique, soit digne d'ĂȘtre placĂ© Ă  cĂŽtĂ© de la PremiĂšre Vie de Celano. Le nom des auteurs et l'Ă©poque de la composition indiquent avant tout examen Ă  quelle tendance il devra sans doute se rattacher ; ce sera le premier manifeste des frĂšres restĂ©s fidĂšles Ă  l'esprit et Ă  la lettre de la RĂšgle. Tout ceci est confirmĂ© par une lecture attentive c'est au moins autant un panĂ©gyrique de la PauvretĂ© qu'une histoire de saint François. On s'attend aussi Ă  voir les Trois Compagnons nous raconter, avec une complaisance toute particuliĂšre , les innombrables traits de la lĂ©gende qui ont eu Greccio pour théùtre ; on court Ă  la fin du volume pour y chercher le rĂ©cit des derniĂšres annĂ©es dont ils avaient Ă©tĂ© les tĂ©moins, et l'on est tout surpris de ne rien trouver. Tandis que la premiĂšre moitiĂ© de l'ouvrage raconte la jeunesse de François, complĂ©tant çà et lĂ  la PremiĂšre Vie de Celano, la seconde ^ est consacrĂ©e Ă  un tableau des premiers temps de l'Ordre; tableau d'une fraĂźcheur et d'une intensitĂ© de vie incomparables, et oĂč les auteurs Ă  force de sainte naĂŻvetĂ© atteignent bien souvent au sublime; mais, chose Ă©trange, aprĂšs nous avoir si longue- ment parlĂ© de la jeunesse de saint François, puis des premiers temps de l'Ordre, la narration saute brusque- ment de l'annĂ©e 1220 Ă  la mort et Ă  la canonisation, 1. 3 Soc. 25-67. ÉTUDE CRITIQUE DES SOURCES LXIII auxquelles ne sont du reste consacrĂ©es que quelques courtes pages ^ Ceci est trop extraordinaire pour ĂȘtre le rĂ©sultat du hasard. Que s'est-il donc passĂ©? Il est Ă©vident que la LĂ©gende des Trois Compagnons, telle que nous l'avons aujourd'hui, n'est qu'un fragment de l'original qui sans doute fut revu, corrigĂ© et considĂ©rablement Ă©laguĂ© par les autoritĂ©s de l'Ordre avant qu'on la laissĂąt circuler'^. Si les auteurs avaient Ă©tĂ© interrompus dans leur travail et obligĂ©s d'en Ă©courter la fin, comme on pourrait le sup- poser, ils l'auraient dit dans leur lettre d'envoi ; mais il 1. 3 Soc. 68-73. 2. Le ministre gĂ©nĂ©ral Crescentius de Jesi fut un adversaire dĂ©- clarĂ© des zĂ©lateurs de la RĂšgle. L'idĂ©e contraire a Ă©tĂ© soutenue par M. Millier {AnfĂ nge p. 180; mais le savant Ă©rudit n'a, paraĂźt-il, pas connu les rĂ©cits de la Chronique des Tribulations qui ne laissent aucun doute sur les persĂ©cutions qu'il dirigea contre les zĂ©lateurs {Archiv, t. II, p. 257-260. Si l'on Ă©tait tentĂ© de contester la valeur historique de ce tĂ©moignage, on en trouverait la confirmation dans les bulles du 5 aoĂ»t 1244 et du 7 fĂ©vrier 1246 Potthast 11450 et 120007. C'est aussi Crescentius qui obtint une bulle rappelant que la basilique d'Assise Ă©tait Caput et Mater ordinis, tandis que pour les zĂ©lateurs cette qualitĂ© appartenait Ă  la Portioncule 1 Gel. 106; 3 Soc. 56; lion. 23; 2 12; Conform. 217 b ss. Voir aussi sur Crescentius, Glassberger ann. 1244. An. fr. p. 69; Sbaralea Bull. fi\ I, p. 502 ss. Conform. 121 h 1. M. MĂ»ller a Ă©tĂ© induit en erreur par une mĂ©prise d'Eccleston 9 {An. fr. I , p. 235. Il est Ă©vident que le chapitre de GĂȘnes 1244 n'a pas pu se prononcer contre la JDe- claratio RegulƓ publiĂ©e le 14 nov. 1245. C'est au contraire Cres- centius qui a provoquĂ© cette Declaratio, contre laquelle , non sans peine, les zĂ©lateurs trouvĂšrent une majoritĂ© au chapitre de Metz 1249 prĂ©side par Jean de Parme ennemi dĂ©cidĂ© de toute Decla- ratio Archiv II, p. 276. Cette maniĂšre de voir se trouve confirmĂ©e par un passage du SpĂ©culum Morin Rouen 1509, fo62a In hoc Capitulo [Nar- honnƓ] fuit ordinatum quod declaratio D. Innocenta p. IV ma- neat suspensa sicut in Capitulo METENSI. Et prƓceptum est omnibus ne quis ittatur ea in iis in quibus expositioni D. Gregorii IX contradicxt. LXIV VIE DE S. y a d'autres arguments Ă  invoquer en faveur de cette hypothĂšse. FrĂšre LĂ©on ayant eu le premier et principal rĂŽle dans la rĂ©daction de l'Ɠuvre des Trois Compagnons, on l'ap- pelle souvent LĂ©gende de frĂšre LĂ©on ; or, la LĂ©gende de frĂšre LĂ©on se trouve plusieurs fois citĂ©e textuelle- ment par Ubertin de Casai, accusĂ© par le parti de la commune observance en cour d'Avignon. Ubertin se serait Ă©videmment bien gardĂ© d'en appeler Ă  un docu- ment apocryphe une fausse citation aurait suffi Ă  le confondre, et ses ennemis n'auraient pas manquĂ© d'ex- ploiter son imprudence. Nous avons en mains toutes les piĂšces du procĂšs^, attaques, rĂ©ponses, ripostes^ et nulle part nous ne voyons les relĂąchĂ©s arguer de faux leur adversaire. Celui-ci du reste fait ses citations avec une prĂ©cision qui ne laisse rien Ă  dĂ©sirer 2. Il en appelle Ă  des Ă©crits qui se trouvent dans l'armoire du couvent d'As- sise et dont il a tantĂŽt une copie, tantĂŽt un original 3. Nous sommes donc autorisĂ©s Ă  conclure que nous avons lĂ  des fragments qui ont survĂ©cu Ă  la suppression de la derniĂšre et de la plus importante partie de la LĂ©gende des Trois Compagnons. 1. PubliĂ©es avec tout l'appareil scientifique nĂ©cessaire par le P. Ehrle S. J. dans ses Ă©tudes Zur Vorgeschichte des Concils von Vienne, Archiv II, p. 353-416; 111, p. 1-195. 2. Voir par exemple Archiv III, p. 53 ss. Cf. 76. Adduxi vcrha et facta b. Francisai sicut est aliquando in legenda et sicut a soclis sancti patris audivi et in cedulis sanctƓ memorice fratris Leonis legi manu sua conscriptis, sicut ab ore beati Francisci audivit. Ib. p. 85. 3. HƓc omnia patent per sua [^B. Francisci] verba expressa per sanctum fratrem virum Leonem ejus socium tam de mandata sancti patris quam etiam de devotione prƓdicti fratris fuerunt solemniter conscripta, in libro qui habetur in armario fratrum de Assisio et in rotulis ejus, quos apud me Jiabeo, manu ejusdctn fratris Leonis conscriptis. Archiv III, p. 168. Cf. p. 178. I ÉTUDE CRITIQUE DES SOURCES LXV 11 n'y a pas Ă  s'Ă©tonner que l'Ɠuvre des plus chers amis de François ait subi de si graves mutilations. C'Ă©tait le manifeste d'un parti que Crescentius pour- suivit de tout son pouvoir. AprĂšs la rĂ©action passagĂšre du gĂ©nĂ©ralat de Jean de Parme nous verrons un homme de la valeur de saint Bonaventure, provoquer la suppression de toutes les lĂ©gendes primitives pour leur substituer sa propre compilation ! Il semble vraiment Ă©trange que personne ne se soit aperçu de l'Ă©tat fragmentaire de l'Ɠuvre des Trois Compagnons. Le prologue seul aurait dĂ» suggĂ©rer cette idĂ©e. Pourquoi se mettre trois pour Ă©crire ces quelques pages? Pourquoi cette Ă©numĂ©ration solennelle des frĂšres dont ils invoquent le tĂ©moignage et la collaboration? Il j aurait une disproportion Ă©tonnante entre l'effort et le rĂ©sultat. De plus, les auteurs disent qu'ils ne se contentent pas de raconter les miracles, mais qu'ils veulent surtout exposer les idĂ©es de François, et sa vie avec ses frĂšres \ or on chercherait inutilement, dans ce qui nous reste, des rĂ©cits de miracles ^. Une traduction italienne de cette lĂ©gende, publiĂ©e par le P. Stanislao Melchiorri^, m'a tout Ă  coup apportĂ© une confirmation indirecte de ce point de vue. Ce reli- gieux n'en est que l'Ă©diteur et a pu seulement arriver Ă  savoir qu'en 1577, elle avait Ă©tĂ© tirĂ©e d'un manuscrit trĂšs ancien, par un certain Muzio Achillei de San Severino ^. 1. 3 Soc. prol. Non contenti narrare solum miracula . . . con- versationis insignia et pii beneplaciti voluntatem. 2. Leggenda di S. Francesco^ tipografla Morici e Badaloni. Recanati 1856, 1 vol. in-S». 3. Voir la prĂ©face du P. Stanislas. LXVI YIE DE S. FRANÇOIS Cette traduction italienne ne renfermait pas les der- niers chapitres de la lĂ©gende, ceux qui racontent la mort, les stigmates et la translation i. Elle a donc Ă©tĂ© faite Ă  une Ă©poque oĂč l'on n'avait pas encore remplacĂ© la partie supprimĂ©e par un court rĂ©sumĂ© des autres lĂ©gendes. De tout cela se dĂ©gagent deux conclusions pour la critique 1° Ce rĂ©sumĂ© final n'a pas la mĂȘme autoritĂ© que le reste de l'ouvrage, puisqu'on ignore l'Ă©poque Ă  laquelle il a Ă©tĂ© ajoutĂ©. 2° Les fragments d'une lĂ©gende de frĂšre LĂ©on ou des Trois Compagnons, Ă©pars dans des compilations postĂ©rieures, peuvent ĂȘtre parfaitement au- thentiques. Dans son Ă©tat actuel, cette LĂ©gende des Trois Com- pagnons est le plus beau monument franciscain et l'une des productions les plus dĂ©licieuses du moyen Ăąge. Il y a dans ces pages, je ne sais quoi de doux, d'intime, de chaste, une sĂšve de jeunesse et de virilitĂ© quelesFioretti rappelleront sans y atteindre jamais. A plus de six cents ans de distance, nous y sentons revivre le rĂȘve le plus pur qui ait fait tressaillir l'Eglise chrĂ©tienne. Ces frĂšres de Greccio qui, Ă©parpillĂ©s dans la mon- tagne Ă  l'ombre des oliviers, passaient des journĂ©es Ă  chanter l'hymne du soleil, sont les vrais modĂšles entrevus par les maĂźtres ombriens primitifs. Ils se ressemblent tous, ils sont gauchement posĂ©s, tout en eux et autour d'eux pĂšche contre les rĂšgles les plus Ă©lĂ©mentaires de l'art *, cependant leur souvenir vous poursuit, et lorsque vous aurez oubliĂ© depuis long- temps les Ɠuvres des maĂźtres impeccables, vous re- verrez sans effort les crĂ©ations de ces ouvriers inconnus, car l'amour appelle l'amour; et ces personnages Ă©tri- 1. 3 Soc. 68-73. ÉTLDE CRITIQUE DES SOURCES LXVII quĂ©s ont un cƓur trĂšs bon et trĂšs pur; un amour plus qu'humain rayonne dans tout leur ĂȘtre ; ils vous parlent et vous rendent meilleurs. Tel est ce livre, premier cri des Spirituels, oĂč dĂ©jĂ  l'on voit naĂźtre quelques-unes de ces doctrines hardies qui ne divisaient plus seulement la famille franciscaine en deux branches ennemies, mais qui devaient mener quelques-uns de leurs dĂ©fenseurs jusque sur le bĂ»cher de l'hĂ©rĂ©sie 1. V. Fragments da la partie supprimĂ©e de la LĂ©gende des Trois Compagnons. Nous pouvons faire maintenant un pas de plus et tĂą- cher de grouper les fragments de la LĂ©gende des Trois Compagnons ou de frĂšre LĂ©on qui se retrouvent dans des Ă©crits postĂ©rieurs. Ici plus que jamais il faut se mettre en garde contre les thĂ©ories absolues un des principes les plus fĂ©conds de la critique historique consiste Ă  prĂ©fĂ©rer les docu- ments contemporains des faits racontĂ©s, ou tout au moins c€ux qui en sont le plus rapprochĂ©s, mais encore faut-il mettre une certaine discrĂ©tion Ă  l'employer. Le raisonnement des Bollandistes ne voulant rien sa- voir des lĂ©gendes Ă©crites aprĂšs celle de saint Bonaventure 1. Il ne s'en faut pas de beaucoup que saint François n'y soit re- prĂ©sentĂ© comme reprenant l'Ɠuvre de JĂ©sus interrompue par la faute du clergĂ© sĂ©culier depuis les temps apostoliques. Les viri erarjgreh'ci jugent les membres du clergĂ© filios extraneos 3 Soc. 48 et 51. Cf. 3 Soc. 48. Inveni virum .... per quem credo Domi- nus velit in toto mundo fidem sanctƓ EcclesiƓ reformare. Cf. 2 Cel. 3, 141. Videbatur rĂȘvera fratri et omnium comitantium turbƓ quod Christi et b. Francisai una persona foret. LXVIII VIE DE S. FRA^NÇOIS 1260, sous prĂ©texte que, venant aprĂšs plusieurs autres biographes autorisĂ©s, il a Ă©tĂ© mieux placĂ© que personne pour se renseigner et pour complĂ©ter l'Ɠuvre de ses prĂ©dĂ©cesseurs, semble inattaquable ^ En rĂ©alitĂ©, il est absurde, car il suppose que saint Bonaventure ait voulu faire Ɠuvre d'historien. C'est oublier qu'il Ă©crivait non seulement dans un but d'Ă©dification, mais comme ministre gĂ©nĂ©ral des FrĂšres Mineurs. DĂšs lors son premier devoir Ă©tait de garder le silence sur une foule de faits, et non sur les moins intĂ©ressants. Que dire d'une biographie oĂč le Testament de saint François n'est pas mĂȘme mentionnĂ©? Il est facile de laisser de cĂŽtĂ© un Ă©crit du quatorziĂšme siĂšcle, sous prĂ©texte que l'auteur n'a pas vu ce qui se passait cent ans avant, mais encore ne faut-il pas ou- blier que beaucoup de livres de la fin du moyen Ăąge ressemblent Ă  ces vieilles maisons oĂč quatre ou cinq gĂ©- rations ont travaillĂ©. Une inscription sur leur façade n'indique souvent que le passage du dernier restaura- teur ou du dernier dĂ©molisseur ; et les noms qui s'Ă©ta- lent avec le plus de complaisance ne dĂ©signent pas tou- jours les vĂ©ritables ouvriers. Tels ont Ă©tĂ© beaucoup de livres franciscains; chercher Ă  les attribuer Ă  un auteur serait une entreprise illu- soire ; des mains fort diverses y ont travaillĂ©, et cet amalgame mĂȘme a son charme et son intĂ©rĂȘt. En les feuilletant, j'allais dire en les frĂ©quentant, on arrive Ă  voir clair dans cet enchevĂȘtrement, car toute Ɠuvre d'homme porte la trace de la main qui l'a faite ; cette trace peut ĂȘtre d'une dĂ©licatesse presque imperceptible; elle n'en existe pas moins, prĂȘte Ă  se rĂ©vĂ©ler Ă  des yeux exercĂ©s. Quoi de plus impersonnel que la photographie 1. A. SS. p. 552. t ÉTUDE CRITIQUE DES SOURCES LXIX d'un paysage ou d'un tableau, et pourtant, au milieu de plusieurs centaines d'Ă©preuves, l'amateur ira droit Ă  celle de tel ou tel opĂ©rateur prĂ©fĂ©rĂ©. Ces rĂ©flexions m'ont Ă©tĂ© suggĂ©rĂ©es par l'Ă©tude atten- tive d'un curieux livre, bien des fois imprimĂ© depuis le XVI*' siĂšcle, le SpĂ©culum VitƓ S. Francisa et sociorum eJusK Un travail complet sur cet ouvrage, ses sources, ses Ă©ditions imprimĂ©es, les diffĂ©rences nombreuses que l'on trouve entre les manuscrits, exigerait Ă  lui seul un volume et l'histoire abrĂ©gĂ©e de l'Ordre; je ne peux songer Ă  donner ici que quelques indications, en pre- nant pour base la plus ancienne Ă©dition, celle de 1504. Le pĂȘle-mĂȘle qui y rĂšgne est effroyable. Les traits de la vie de François et de ses compagnons y sont entassĂ©s sans aucun plan ; plusieurs y sont rĂ©pĂ©tĂ©s Ă  quelques pages d'intervalle d'une maniĂšre diffĂ©rente^ ; certains chapitres ont Ă©tĂ© introduits si maladroitement 1. Venetiis, expensis domini Jordani de Dinslaken per Simonem de Luere, 30 januarii 1504. — Impressum MĂ©tis per Jasparem Hochffeder, anno Domini 1509. — Ces deux Ă©ditions sont identiques, petit in-12 de 240 folios mal numĂ©rotĂ©s. — ÉditĂ© avec le mĂȘme titre par SpƓlberch, Anvers 1620, 2 tomes en un volume in-S», 208 et 192 pages, avec une foule de changements. Le manuscrit le plus important semble celui de la Vaticane 4354. Il y en a deux Ă  la Mazarine, 904 et 1350 datĂ©s de 1459 et 1460, un Ă  Berlin Man. theol. lat. 4», n° 196 ssec. 14. V. Ehrle, Zeit^ schrift, t. VII 1883, p. 392 s. ; Analecta fr. 1. 1, p. XI; Miscellanea^ 1888, p. 119, 164. Cf. A. SS., p. 550-552. Les chapitres sont numĂ©rotĂ©s dans les 72 premiers folios seule- ment, mais ces numĂ©ros fourmillent d'erreurs f» 38 b caput LIX, 40 b LIX, 41 b LXI, ibid LXII, 42 a LX, 43 a LXI. Puis aux f^s 46 b et 47 b sont deux chapitres LXVI. Il y a deux LXXI, deux LXXII, deux LXXIII, etc. 2. Par exemple l'histoire des brigands de Monte-Gasale, fo 46 b et 58 b. Les remarques de frĂšre Élie Ă  François qui chante sans cesse 136 b et 137 a. La visite de Jacqueline de Settesoli, 133 a et 138 a. La bĂ©nĂ©diction autographe donnĂ©e Ă  frĂšre LĂ©on 87 a ; 188 a. LXX VIE DE S. FRANÇOIS que le compilateur a oubliĂ© d'enlever le numĂ©ro d'ordre qu'ils avaient dans l'ouvrage auquel il les emprunte * ; enfin on est tout Ă©tonnĂ© de trouver plusieurs Incipit^. Cependant avec un peu de persĂ©vĂ©rance on aperçoit bientĂŽt quelques clartĂ©s dans ce labyrinthe. Tout d'abord, voici quelques chapitres de la lĂ©gende de Bonaventure, qui semblent mis lĂ  en avant-garde comme pour protĂ©ger le reste du livre. Faisons-en abstraction, ainsi que de toute la sĂ©rie des chapitres des Fioretti, nous aurons diminuĂ© l'ouvrage de prĂšs des trois quarts. Retranchons encore deux chapitres tirĂ©s de saint Ber- nard de Clairvaux, puis ceux qui contiennent des priĂšres franciscaines, ou les diverses attestations sur l'in- dulgence de la Portioncule, nous arrivons finalement Ă  une sorte de rĂ©sidu, qu'on me passe l'expression, d'une homogĂ©nĂ©itĂ© remarquable. Le style y est diffĂ©rent de celui des pages environ- nantes et rappelle de trĂšs prĂšs celui des Trois Compa- gnons ; une seule pensĂ©e traverse ces pages, celle que la pierre angulaire de l'Ordre est l'amour de la pauvretĂ©. Pourquoi n'aurions-nous pas lĂ  des lambeaux de la lĂ©gende originale des Trois Compagnons? On n'y trouve rien qui ne cadre avec ce que nous savons, rien non plus qui rappelle les enjolivements d'une tradition tar- dive. Ce qui confirme cette hypothĂšse, c'est que divers pas- sages que nous y trouvons sont citĂ©s par Ubertin de Casai et par Angelo Clareno comme Ă©tant de frĂšre LĂ©on, 1. Au fo 20b on lit Tertium capitulum de charitate et compas- sions et condescensione ad proximum, Capitulum XXVI, Cf. 26 a, 83 a, 117 b, 119 a, 122 a, 128 b, 133 b, 136 b oĂč sont des indices semblables. 2. Fo 5 b. Incipit SpĂ©culum vitƓ h. Francisci çt sociorum ejus, fo 7 b. Incipit SpĂ©culum perfectionis. ÉTUDE CRITIQUE DES SOURCES LXXI et une comparaison attentive des textes montre que ces auteurs n'ont pas pu les puiser dans le SpĂ©culum, ni le SpĂ©culum chez eux. Il y a, du reste, une phrase qui, sans tenir compte de l'inspiration ou du style, suffirait au premier abord pour marquer l'origine commune de la plupart de ces mor- ceaux ^ Nos qui cum ipso fuimus. Nous qui avons Ă©tĂ© avec lui ! Ces paroles, qui reviennent presque Ă  chaque rĂ©cit 2, ne sont dans bien des cas qu'un hommage recon- naissant des compagnons Ă  leur pĂšre spirituel, mais par- fois aussi elles renferment quelque chose d'amer; ce sont les ermites de Greccio qui tout Ă  coup rappellent leurs titres ne sommes-nous pas les seuls, les vrais inter- prĂštes des instructions du Saint, nous qui avons sans cesse vĂ©cu avec lui, nous qui, heure aprĂšs heure, avons recueilli ses paroles, ses soupirs et ses chants? On comprend que ces prĂ©tentions n'aient pas Ă©tĂ© du goĂ»t de la commune observance et que Crescentius, usant d'une autoritĂ© incontestable, ait fait supprimer presque toute cette lĂ©gende '^. Quant aux fragments qui nous ont Ă©tĂ© ainsi conservĂ©s, s'ils nous fournissent de nombreux dĂ©tails sur les der- niers temps de la vie de François, ils ne sont cependant pas ceux dont la perte est le plus regrettable; les auteurs qui les reproduisent dĂ©fendaient une cause ; aussi ne leur devons-nous guĂšre que des traits qui par 1. On la chercherait en vain dans les autres morceaux du SpĂ©cu- lum, et elle se retrouve dans les fragments de frĂšre LĂ©on, citĂ©s par Ubertin de Casai et par Angelo Glareno. 2. Fo 8 b, 11 a, 12 a, 15 a, 18 b, 21 b, 23 b, 26 a, 29 a, 33 b, 43 b, 41 a, 48 b, 118 a, 129 a, 130 a, 134 a, 135 a, 136 a. 3. Thomas de Gelano ne dit-il pas dans le prologue de la Seconde Vie liOramusergo, benignissime pater, ut laboris hujus non con- temnenda munuscula .... vestra henedicHone consecrare velitis, corrigendo errata et superflua resecantes , LXXII VIE DE S. FRANÇOIS quelque cĂŽtĂ© concernent la pauvretĂ©; ils n'avaient que faire des autres rĂ©cits, n'Ă©crivant pas une biographie. Mais, mĂȘme dans ces limites restreintes, ces lambeaux ont une importance de premier ordre ; aussi n'ai-je pas hĂ©sitĂ© Ă  les employer largement. Il va sans dire que tout en attribuant leur origine aux Trois Compagnons et Ă  frĂšre LĂ©on en particulier, il ne faut se faire aucune illusion sur la lettre mĂȘme des textes qui nous sont parvenus. Les morceaux donnĂ©s par libertin de Casai et Angelo Clareno, sont de vĂ©ritables citations et, Ă  ce titre, mĂ©ritent une pleine confiance. Quant Ă  ceux qui nous sont conservĂ©s dans le SpĂ©culum, ils ont pu ĂȘtre souvent Ă©courtĂ©s; des notes explicatives ont pu se glisser dans le texte, mais nulle part on ne voit la trace d'interpolations dans le mauvais sens du mot *. Enfin, si l'on compare ces fragments aux rĂ©cits cor- 1. La lĂ©gende des 3 Soc. fut conservĂ©e au couvent d'Assise Omnia . . . fuerunt conscripta . . . per Leonem ... m lihro qui habetur in armario fratrum de Assisio. Ubertin, Archiv III, p. 168. Plus tard, frĂšre LĂ©on semble ĂȘtre revenu plus en dĂ©tail sur certains faits; il confia ces nouveaux manuscrits aux Glarisses /n rotulis ejus guos apud me habeo, manu ejusdem fratris Leonis conscriptis n \ ibid.. Cf. p. 178. uQuod secjuitur a sancto fratre Conrado predicto et viva voce audivit a sancto fratre Leone qui presens erat et regulam scripsit. Et hoc ipsum, in quibusdam rotulis manu sua conscripiis quos commendavit in monasterio S. ClarƓ custodiendos .... In illis multa scripsit . . . quƓ industria fr, Bonaventura omisit et noluit in legenda publiĂ©e scribere, maxime quia aliqua erant ibi in quibus ex tune deviatio regulƓ publice monstrabatur et nolebat fr aires an te tempus in- famare », A^^bor, hb. V, cap. 5. Cf. Antiquitates^ p. 146. Cf. SpĂ©cu- lum, 50 b. Infra scripta verba, frater LĂ©o socius et Confessor B. Francisci , Conrado de Offida, dicebat se habuisse ex ore Bcati Patris nostri Francisci, quƓ idem Frater Conradus retulit, apud Sanctum Damianum prope Assisium. Conrad d'Offida copia donc Ă  la fois le livre de frĂšre LĂ©on et ses rotuli il y ajouta quelques renseignements oraux {Arbor vit. crue. lib. V, cap. 3 et composa peut-ĂȘtre ainsi le recueil si sou- ÉTLDE CRITIQUE DES SOURCES LXXIII respondants de la Seconde Vie par Celano, on voit que celui-ci les a parfois empruntĂ©s littĂ©ralement Ă  frĂšre LĂ©on, mais que la plupart du temps il les a beaucoup Ă©courtĂ©s, a ajoutĂ© çà et lĂ  quelques rĂ©flexions et surtout a remaniĂ© le style pour le rendre plus Ă©lĂ©gant. Cette comparaison prouve bien vite aussi que les rĂ©cits de frĂšre LĂ©on sont l'original, et qu'on ne saurait y voir une amplification postĂ©rieure de ceux de Thomas de Celano, comme on pourrait ĂȘtre tentĂ© de le penser au premier abord *. VI. Seconde Vie par Thomas de Celano 2. FremiĂšre Partie. A la suite de la dĂ©cision du chapitre de 1244, on se mit Ă  rechercher de tous cĂŽtĂ©s les souvenirs des pre- miers temps de l'Ordre. vent citĂ© par les ConformitĂ©s sous le titre de Legenda Antiqua et reproduit en partie dans le SpĂ©culum. Les numĂ©ros de chapitre, que le SpĂ©culum a gauchement insĂ©rĂ©s, sans remarquer qu'ils Ă©taient en dĂ©saccord avec sa propre division, seraient des vestiges de la division adoptĂ©e par Conrad d'Offida. Il est bien possible qu'aprĂšs l'interdiction de son livre et sa confis- cation au Sacro-Gonvento, frĂšre LĂ©on ait repris dans ses rotuli une grande partie des rĂ©cits dĂ©jĂ  faits, si bien que le mĂȘme trait pour- rait, tout en venant de frĂšre LĂ©on, se prĂ©senter sous deux formes diffĂ©rentes suivant qu'il aurait Ă©tĂ© copiĂ© sur le livre ou sur les rotuli. 1. Comparer par exemple 2 Cel. 120 Vocation de Jean le simple, et SpĂ©culum f*^ 37 a. Avec le rĂ©cit de Thomas de Celano, on ne com- prend pas ce qui attire Jean vers saint François ; dans le SpĂ©culum tout s'explique, mais Celano n'a pas osĂ© montrer François allant prĂȘcher avec un balai sur l'Ă©paule pour nettoyer les Ă©glises sales. 2. Elle a Ă©tĂ© publiĂ©e pour la premiĂšre fois Ă  Rome, en 1806, par le P. Rinaldi Ă  la suite de la PremiĂšre Vie V. plus haut p. LI, note 2 et redonnĂ©e en 1880 par l'abbĂ© Amoni Vita Secunda S. Francisci Assisiensis auctore B. Thoma de Celano ejus disci- LXXIV VIE DE S. FRANÇOIS Devant cette ardeur, oĂč le zĂšle pour la gloire de l'ins- titut franciscain laissait sĂ»rement un peu Ă  l'arriĂšre-plan le souci historique, le ministre gĂ©nĂ©ral Crescentius fut obligĂ© de prendre certaines prĂ©cautions. Bien des morceaux qu'il recevait faisaient double emploi, d'autres pouvaient se contredire ; plusieurs, sous couleur de raconter le Saint, n'avaient d'autre but que d'opposer le prĂ©sent au passĂ©. L'idĂ©e de constituer une sorte de commission chargĂ©e d'Ă©tudier et de coordonner tout cela s'imposa bientĂŽt ^ pulo. UomƓ , tipografia dĂ©lia pace. 1880, m-8o, d52 p. Les citations sont faites d'aprĂšs cette derniĂšre Ă©dition que j'ai colla- tionnĂ©e Ă  Assise avec le plus important des rares manuscrits connus actuellement Archives du Sacro-Gonvento. N» 686. Man. sur parchemin de la fin du XIII^ siĂšcle, si je ne me trompe, 130 millim. sur 142 ; 102 pages numĂ©rotĂ©es. A part le fait que le livre est divisĂ© en deux parties au heu de trois, les deux derniĂšres n'en formant qu'une, je n'ai pas trouvĂ© de diffĂ©rence notable avec le texte publiĂ© par Amoni ; les chapitres ne sont sĂ©parĂ©s que par un alinĂ©a et une lettre rouge, mais ils ont dans la table qui occupe les sept premiĂšres pages du volume les mĂȘmes titres que dans l'Ă©dition Amoni. Cette Seconde Vie a Ă©chappĂ© aux recherches des Bollandistes. On ne s'explique pas comment ces savants mĂ©connurent la valeur du manuscrit que le P. Theobaldi, archiviste d'Assise, leur avait signalĂ© et dont il leur offrait une copie A. SS. oct. t. II, p. 546 f.. Le P. Suysken s'est jetĂ© ainsi dans d'inextricables diffi- cultĂ©s et s'est exposĂ© Ă  ne pas comprendre les listes de biographies de saint François dressĂ©es par les annalistes de l'Ordre ; il se privait en mĂȘme temps d'une des plus abondantes sources de renseigne- ments sur les faits et gestes du Saint. — Le prof. MĂčller {Die AnfĂ nge, p. 175-184 a Ă©tĂ© le premier Ă  faire une Ă©tude critique de cette lĂ©gende. Ses conclusions me paraissent Ă©troites et extrĂȘmes. Cf. Analecta fr. t. II, p. XVII-XX. Le R. P. Ehrle indique deux manuscrits, l'un au British MusĂ©um, Harl. 47, l'autre Ă  Oxford. Christ CollĂšge. Cod. 202. Zeitschrift 1883, p. 390. 1. Les 3 Soc. prĂ©voient le cas oĂč leur lĂ©gende sera incorporĂ©e Ă  d'autres documents quibus {legendis hƓc pauca quƓ scribimus poteritis facere inseri , si vestra discretio viderit esse justum. 3 Soc. prol. ÉTUDE CRITIQUE DES SOURCES LXXV Quoi de plus naturel que de mettre Ă  sa tĂȘte Thomas de Celano. Depuis l'approbation de la premiĂšre lĂ©gende par GrĂ©goire IX, il paraissait un peu l'historiographe officiel de l'Ordre*. Cette maniĂšre de voir concorde bien avec le contenu des dix-sept chapitres que renferme la premiĂšre partie de la seconde lĂ©gende. Elle se prĂ©sente dĂšs l'abord comme une Ɠuvre collective. Celano est entourĂ© de compagnons qui l'aident 2. Un examen plus attentif montre qu'elle a pour source principale la LĂ©gende des Trois Compagnons, que les compilateurs remanient, en complĂ©tant quelquefois certains dĂ©tails ; plus souvent, en y pratiquant de vĂ©ritables coupes. Tout ce qui ne concerne pas saint François est impi- toyablement proscrit ; on sent la volontĂ© bien arrĂȘtĂ©e de laisser Ă  l'arriĂšre-plan les disciples qui se mettaient si complaisamment au premier^. L'Ɠuvre des Trois Compagnons avait Ă©tĂ© terminĂ©e le 11 aoĂ»t 1246. Le 13 juillet 1247 le chapitre de Lyon mettait fin aux pouvoirs de Crescentius. C'est donc entre ces deux dates que se place la composition de la premiĂšre partie de la Seconde Vie de Thomas de Celano *. 1. Une phrase du prologue 2 Gel. montre que l'auteur a reçu une mission tout Ă  fait spĂ©ciale Placiiit . . . vobis . . . parvitati nostrƓ injungere, tandis qu'au contraire les 3 Soc. laissent voir que la dĂ©cision capitulaire ne les visait que de fort loin ; Cum de mandato prƓteriti capituli fratres teneantur.. visum est nobis... pauca de multis , . . sanctitati vestrƓ intimare. 3 Soc. prol. 2. Comparer le prol. de 2 Gel. Ă  celui de 1 Gel. 3. Longum esset de singulis persequiy qualiter bravium supernƓ vocationis attigerint. 2 Gel, 1, 10. 4. Cette premiĂšre partie correspond exactement Ă  la portion de la lĂ©i^'ende des 3 Soc. que Crescentius avait autorisĂ©e. LXXVI VIE DE S. FRANÇOIS VII. Seconde Vie par Thomas de Celano. DeuxiĂšme Partie ^. L'Ă©lection de Jean de Parme 1247-1257, comme successeur de Crescentius, fut une victoire des zĂ©la- teurs. Cet homme, dans la table de travail duquel les oiseaux venaient faire leur nid 2, devait Ă©tonner le monde par ses vertus. Nul n'est entrĂ© plus avant que lui dans le cƓur de saint François *, nul n'a Ă©tĂ© plus digne de reprendre et de continuer son Ɠuvre. Il invita bientĂŽt Celano Ă  se remettre au travail ^. Celui-ci fut peut-ĂȘtre seul d'abord, mais peu Ă  peu un groupe de collaborateurs se forma de nouveau autour de 1. Je rappelle que le man. 686 d'Assise divise li Seconde Vie seu- lement en deux parties par la rĂ©union des deux derniĂšres. 2. Salimbene ann. 1248. 3. Glassberger ann. 1253. An. fr. t. II, p. 73. Frater Johannes de Parma minister generalis, multiplicatis Utteris prƓcepit fr. ThomƓ de Celano {cod. Ceperano, ut vitam beati Francisci quƓ antiqua Legenda dicitur perficeret, quia solum de ejus conversa- tione et verbis in primo tractatu^ de mandata olim generalis compilato , omissis miraculis fecerat mentionem, et sic secundum tractatum de miraculis sancti Patris compilavit, quem cum epistola quƓ incipit Religiosa vestra sollicitudo eidem gene- rali misit. Ce traitĂ© des miracles est perdu, car on ne peut l'identifier comme le veut M. Miiller {AnfĂ nge p. 177 avec la deuxiĂšme partie en en comptant trois comme l'Ă©dition Amoni de la Seconde Vie 1° l'Ă©- pĂźtre Religiosa vestra sollicitudo ne s'y trouve pas ; 2'^ cette deuxiĂšme partie n'est pas un recueil de miracles, en prenant ce mot dans le sens de guĂ©risons miraculeuses qu'il avait au treiziĂšme siĂšcle. Les vingt-deux chapitres de cette deuxiĂšme partie ont une unitĂ© marquĂ©e ; on pourrait les intituler François prophĂšte, mais non François thaumaturge. ÉTUDE CRITIQUE DES SOURCES LXXVII lui^ Plus rien dĂ©sormais ne s'opposait Ă  ce qu'il fĂźt sur la portion de l'Ɠuvre des Trois Compagnons, supprimĂ©e par Crescentius, le travail fait dĂ©jĂ  sur celle qui avait Ă©tĂ© approuvĂ©e. La LĂ©gende de frĂšre LĂ©on nous est ainsi parvenue tout entiĂšre remaniĂ©e par Thomas de Celano, Ă©courtĂ©e et dĂ©fraĂźchie, mais encore d'une importance capitale en l'absence de la majeure partie de l'original. Les traits pour lesquels nous possĂ©dons les deux Ă©preuves nous permettent de mesurer l'Ă©tendue de notre perte. On retrouve en effet dans la compilation de Celano tout ce qu'on s'attendait Ă  trouver dans les Trois Compagnons les rĂ©cits se rapportent surtout aux deux derniĂšres annĂ©es de la vie de François et beaucoup ont pour théùtre Greccio ou l'un des ermitages de la vallĂ©e de Rieti^*, frĂšre LĂ©on a Ă©tĂ© d'aprĂšs la tradition le hĂ©ros d'un grand nombre de traits qui y sont racontĂ©s^, et toutes les citations que fait Ubertin de Casai du livre de frĂšre LĂ©on j trouvent leurs correspondants ^. Cette deuxiĂšme partie de la Seconde Vie reflĂšte bien les circonstances nouvelles qui l'ont vue naĂźtre. La ques- tion de la PauvretĂ© y domine tout 5; la lutte entre les 1. Dans le prol. 2 Gel. 2 prol. Insignia patrum l'auteur parle au singulier tandis que l'Ă©pilogue est Ă©crit de nouveau au nom d'un groupe de disciples. 2. Greccio, 2 Gel. 2, 5 ; 14; 3, 7 ; 10 ; 103. — Rieti, 2 Gel. 2, 10; 11; 12; 13; 3, 36; 37; 66; 103. 3. S. François lui donne un autographe, 2 Gel. 2, 18. Cf. Fior. 2» consid.; sa tunique 2 Gel. 2. 19; il lui prĂ©dit une famine 2 Gel. 2, 21; Gf. Conform. 49 6. Fr. LĂ©on malade Ă  Bologne 2 Gel. 3, 5. 4. On trouvera le texte d'Ubertin de Gasal dans les Archiv. t. III, p. 53, 75, 76, 85, 168, 178 oĂč le R. P. Ebrle indique les passages correspondants de 2 Gel. 5. Elle est le sujet de trente-sept rĂ©cits ! 2 Gel. 3, 1-37, puis viennent des exemples sur l'esprit d'oraison 2 Gel. 3, 38-44, les tentations 2 Gel. 3, 58-64, la vraie joie 2 Gel. 3, 64-79, l'humilitĂ© 2 Gel. 3, 79-87, l'obĂ©issance 2 Gel. 3, 88, 91 etc., etc. LXXVm VIE DE S. FRANÇOIS deux partis de l'Ordre se rĂ©vĂšle Ă  chaque page ; les col- laborateurs veulent que chacun des traits racontĂ©s soit une leçon indirecte aux relĂąchĂ©s, auxquels ils opposent les Spirituels ; les papes avaient commentĂ© la RĂšgle dans le sens large ; eux, de leur cĂŽtĂ©, allaient la com- menter dans le sens tout Ă  la fois littĂ©ral et spirituel, par les actions et les paroles de son auteur lui-mĂȘme. L'histoire n'intervient donc guĂšre ici que comme le vĂ©hicule d'une thĂšse, ce qui n'enlĂšve rien Ă  la valeur historique des renseignements rĂ©pandus au cours de ces pages. Mais tandis que dans la PremiĂšre Vie de Celano et dans la LĂ©gende des Trois Compagnons les faits se succĂ©daient organiquement, ici ils sont juxtaposĂ©s. Aussi, quand on arrive Ă  cette lecture, a-t-on le sentiment d'une chute; mĂȘme au point de vue littĂ©raire l'infĂ©rioritĂ© se fait cruellement sentir. Au lieu d'un poĂšme on a devant soi un catalogue, trĂšs habilement fait, il est vrai, mais qui ne saurait essayer de nous Ă©mouvoir. Vill. Indication de quelques documents secondaires. a Vie de saint François ^mr Celano Ă  V usage du chƓur» Thomas de Celano fit aussi une courte lĂ©gende Ă  Ă  l'usage du chƓur; elle est divisĂ©e en neuf leçons et servit pour les brĂ©viaires franciscains jusqu'Ă  ce que saint Bonaventure eĂ»t fait sa legenda minor. Celle de Celano se trouve en partie les trois pre- miĂšres leçons, dans le manuscrit 338 d'Assise fol. 52 a — 53 b; elle y est prĂ©cĂ©dĂ©e d'une lettre d'envoi ^Bogasti me, frater BĂ©nĂ©dicte j ut de legenda B. P. N. F, quƓdani exciperem et in novem lectionum seriem ordina- ÉTUDE CRITIQUE DES SOURCES LXXIX rem,., etc. B. Franciscus de civitate Assisii ortiis a pueriUbus annis mitritiis extitit insoĂŻenter, » Ce travail n'a aucune importance historique. b Vie de saint François versifiĂ©e. Au nombre des biographies on a parfois comptĂ© un poĂšme en vers hexamĂštres ^ dont le texte a Ă©tĂ© Ă©ditĂ© en 1882 par le regrettĂ© Cristofani^. Ce travail ne fournit pas une seule indication histo- rique nouvelle. C'est la vie de Celano mise en vers et rien de plus ; l'auteur n'a voulu que faire Ɠuvre de poĂšte. Il est donc superflu de s'y arrĂȘter^. c Biographie de saisĂźt François par Jean de Ceperano. Une des biographies qui ont disparu, sans doute par suite de la dĂ©cision du chapitre de 1266'% est celle de Jean de Ceperano. La ressemblance de son nom avec celui de Thomas de Celano a provoquĂ© bien des confu- sions^. L'indication la plus prĂ©cieuse que nous ayons sur lui nous est donnĂ©e par Bernard de Besse au com- mencement de son De laudihiis S. Francisci' ^Blenam i. Le Monnier, t. I, p. XI; P. Barnabe, la Portioncule, p. 15. Cf. AnaĂźecta fr., t. II, p. XXI. Zeitschrift fur kath. Theol. VII 1883 p. 397. 2. Il piu antico poema dĂ©lia vita di S. Francesco d'Assisi scritto inanzi aU'anno i230 ora per la prima volta puhblicato et ira- dotto da Antonio Cristofani, Prato, 1882, 1 vol. 8», 288 pp. 3. Notons cependant deux articles des Miscellanea, l'un sur le manuscrit de cette biographie qui se trouve Ă  la bibliothĂšque de Versailles, t. IV 1889, p. 34 ss.; l'autre sur l'auteur du poĂšme, t. V 1890, p. 2—4 et 74 ss. 4. Voir plus loin p. LXXXV. 5. V. Glassberger, ann. 1244. AnaĂźecta, t. II, p. 68. Cf. A. SS.,- p. 545 ss. LXXX VIE DE S. FRANÇOIS virtutibus B. Francisci vitam scripsit in Italia exqidsitcB vir eĂŻoguentice fr. Thomas juhente Domino Gregorio papa 7X, et eam qiiƓ incipit Quasi stĂ©lla matutina vir venerdbilis Domimis ut fertur JoanneSj ApostdlicƓ sedis notarius *». Devant un texte si prĂ©cis, le doute sur l'existence du travail de Jean de Ceperano Ă©tait impossible. Le R. P. Denifle a pu jeter une lumiĂšre nouvelle sur cette ques- tion. Dans un manuscrit renfermant la liturgie des FrĂšres PrĂȘcheurs et terminĂ© en 1256, il a trouvĂ© les neuf leçons pour la fĂȘte de saint François prĂ©cĂ©dĂ©es du titre Ex gestis ejus ahbreviatis quce sic incipiunt Quasi stĂ©lla {Zeitsclirift filr hath. Theol. VII p. 710. Gf. Archiv I p. 148. Cet abrĂ©gĂ© du travail de Ceperano ne donne, comme on doit s'y attendre, aucune indication nouvelle; mais peut-ĂȘtre ne faut-il pas dĂ©sespĂ©rer de retrouver l'Ɠuvre mĂȘme de l'auteur. d Vie de saint François par frĂšre Julien. C'est sans doute vers 1230 que frĂšre Julien le Teuto- nique, qui avait Ă©tĂ© maĂźtre de chapelle Ă  la cour du roi de France, fut chargĂ© de mettre la derniĂšre main Ă  l'office de saint François 2. Une pareille Ɠuvre ne pouvait Ă©videmment rien avoir d'original, et sa perte est peu sensible. 1. Manuscrit de la Bibl. de Turin, J. VI, 33, f» 95 a. 2. Plenam virtutibus S. Francisci vitam scripsit in Italia . . . frater Thomas ... in Francia vero frater Julianus scientia et sanctitate conspicuus qui etiam nocturnale Sancti officium in littera et cantu posuit prƓter hymnos et aliquas antiphonas quƓ summus ipse Pontifex et aliqui de Cardinalibus in sancti prƓco- nmm ediderunt Commencement du De laudibus de Bernard de Besse. V. ci aprĂšs p. LXXXYIII, Ms. Taur., fo 95 a. Gf. Tord. 53; Conform. 75 b. ÉTUDE CRITIQUE DES SOURCES LXXXI IX. LĂ©gende de saint Bonaventure. Sous le gĂ©nĂ©ralat de Jean de Parme 1247-1257, les partis franciscains subirent des modifications, Ă  la suite desquelles leur opposition devint encore plus Ă©clatante qu'auparavant. Les zĂ©lanti, ayant Ă  leur tĂȘte le ministre gĂ©nĂ©ral, adoptĂšrent avec enthousiasme les idĂ©es de Joachim de Flore. Les prĂ©dictions de l'AbbĂ© calabrais rĂ©pondaient trop bien Ă  leurs prĂ©occupations intimes pour qu'il en fĂ»t autrement-, il leur semblait voir saint François comme un nouveau Christ inaugurant la troisiĂšme Ăšre du monde. Durant quelques annĂ©es ces rĂȘves Ă©murent l'Europe; la foi des Joachimites Ă©tait si ardente qu'elle s'imposait de vive force*, les sceptiques, comme Salimbene, se disaient que, somme toute, il valait mieux ne pas se laisser prendre au dĂ©pourvu par la grande Ă©chĂ©ance de 1260, et accouraient en foule Ă  la cellule d'HyĂšres, pour ĂȘtre initiĂ©s par Hugues de Digne aux mystĂšres des temps nouveaux ; quant au peuple, il attendait tremblant, partagĂ© entre l'espĂ©rance et la terreur. Cependant leurs adversaires ne se tenaient pas pour battus, et le parti des relĂąchĂ©s restait le plus nombreux. D'une puretĂ© angĂ©lique, Jean de Parme croyait Ă  la toute -puissance de l'exemple les Ă©vĂ©nements mon- trĂšrent combien il avait tort ; Ă  sa sortie de charge les scan- dales n'Ă©taient pas moins criants que dix ans plus tĂŽt*. 1. On en a pour preuve la lettre circulaire. Licet insufflcentiam nos/ram, adressĂ©e par Bonaventure le 23 avril 1257, de suite aprĂšs son Ă©lection, aux provinciaux et aux custodes sur la rĂ©forme de l'Ordre. Texte SpĂ©culum Morin, tract. III, f» 213 a. LXXXII VIE DE S. FRANÇOIS Entre ces deux partis extrĂȘmes, contre lesquels il allait sĂ©vir avec une rigueur Ă©gale, se tenait celui des modĂ©rĂ©s, auquel appartenait saint Bonaventure K Mystique, mais d'un mysticisme rĂ©glĂ© et orthodoxe, il voyait Ă  quelles rĂ©volutions courait l'Eglise si le r parti de l'Evangile Ă©ternel eĂ»t triomphĂ© ; sa victoire aurait Ă©tĂ© non pas celle de telle ou telle hĂ©rĂ©sie de dĂ©tail, mais c'eĂ»t Ă©tĂ© Ă  bref dĂ©lai la ruine de tout l'Ă©difice ecclĂ©siastique ; il Ă©tait trop perspicace pour ne pas voir, qu'en derniĂšre analyse, la lutte engagĂ©e Ă©tait celle de la conscience individuelle contre l'autoritĂ©. Ceci explique, et lui fait pardonner jusqu'Ă  un certain point, ses sĂ©vĂ©ritĂ©s Ă  l'Ă©gard de ses contradicteurs; il Ă©tait appuyĂ© par la cour de Rome et par tous ceux qui voulaient faire de l'Ordre Ă  la fois une Ă©cole de piĂ©tĂ© et de science. AussitĂŽt Ă©lu GĂ©nĂ©ral, il marcha Ă  son double but, avec une persĂ©vĂ©rance qui ne connut jamais les hĂ©sitations, et une volontĂ© dont la fermetĂ© se fait sentir partout. DĂšs le lendemain de sa nomination, il traçait contre le parti des relĂąchĂ©s le programme des rĂ©formes, et en mĂȘme temps provoquait la comparution Ă  Citta dĂ©lia Pieve, des frĂšres Joachimites devant un tribunal ecclĂ©siastique, qui les condamna Ă  la prison perpĂ©tuelle. Il fallut l'in- tervention personnelle du cardinal Ottobonus, le futur Adrien V, pour que Jean de Parme restĂąt en libertĂ© et pĂ»t se retirer au couvent de Greccio. Le premier chapitre qui se tint sous sa prĂ©sidence, et dans les longues dĂ©cisions duquel on retrouve partout 1. Salimbene, ann. 1248, p. 131. La chronica tribulalionum nous donne un long et dramatique rĂ©cit de ces Ă©vĂ©nements Archiv, t. II, p. 283 ss. nTunc enim sapientia et sanctitas fratris BonaventurƓ eclipsata paluit et obscurata est et ejus mansiuetudo {sic ah agi- tante spiritu in furorem et iram defecil. Ib. p. 283. ÉTUDE CRITIQUE DES SOURCES LXXXIII sa trace se rassembla Ă  Narbonne en 1260. Il y fut chargĂ© de composer une nouvelle vie de saint François*. On comprend facilement Ă  quelles prĂ©occupations rĂ©pondait cette dĂ©cision des FrĂšres. Le nombre des lĂ©gendes s'Ă©tait beaucoup accru, car outre celles qui viennent d'ĂȘtre Ă©tudiĂ©es ou indiquĂ©es, il en existait d'autres qui ont entiĂšrement disparu et il Ă©tait Ă©gale- ment difficile Ă  ceux qui partaient pour les missions lointaines, de faire un choix ou d'emporter tout. La voie Ă©tait donc toute indiquĂ©e au nouvel historien il devait faire Ɠuvre de compilateur et de pacificateur. Il n'y manqua point. Son livre est une vĂ©ritable gerbe, ou plutĂŽt, c'est une meule oĂč l'infatigable auteur a entassĂ©, un peu au hasard, les gerbes de ses prĂ©dĂ©ces- seurs. La plupart du temps il les insĂšre Ă  peu prĂšs telles quelles, se bornant Ă  les raccourcir et Ă  en enlever l'ivraie. Aussi, quand on arrive Ă  la fin de ces longues pages, a-t-on de saint François une impression fort vague; on voit qu'il a Ă©tĂ© un saint, un fort grand saint, puisqu'il a accompli une quantitĂ© innombrable de miracles, grands et petits; mais on Ă©prouve un peu la mĂȘme impression qu'en parcourant les galeries des marchands d'objets de piĂ©tĂ©. Toutes ces statues, qu'il s'agisse d'un saint Antoine abbĂ©, d'un saint Dominique, d'une sainte ThĂ©rĂšse ou 1. Bon. 3, 1. A ce mĂȘme chapitre on rassembla les Constitutions de l'Ordre Ă©dictĂ©es par les chapitres prĂ©cĂ©dents ; on leur en ajouta de nouvelles, et on coordonna le tout. Dans la premiĂšre des douze rubriques, le chapitre ordonnait que, sitĂŽt la publication du nou- veau recueil, toutes les anciennes constitutions fussent dĂ©truites. Le texte en a Ă©tĂ© publiĂ© dans le Firmamentum trium Ordinum^ f"7b, et redonnĂ© derniĂšrement par le P. Ehrle Arc/iiu. t. VI 1891 dans sa belle Ă©tude Die Ă ltesten Redactionen der GeneralconstitU" tionen des Franziskanerordens. Cf. SpĂ©culum Morin, f» 195 b, ss. du tract. III. LXXXIV VIE DE S. FRANÇOIS d'un saint Vincent de Paul, ont la mĂȘme expression d'humilitĂ© douceĂątre, d'extase un peu niaise. Ce sont des saints, si vous voulez, des thaumaturges*, ce ne sont pas des hommes; celui qui les a faits, les a faits par mĂ©tier, de procĂ©dĂ©, aussi n'a-t-il rien mis de son cƓur dans ces fronts toujours penchĂ©s, dans ces bouches au sourire blafard. Dieu me garde de dire ou de penser que saint Bonaven- ture ne fĂ»t pas digne d'Ă©crire une vie de saint François, mais les circonstances dirigeaicDt son travail, et on peut bien dire, sans lui faire injure, qu'il est heureux pour François, et surtout pour nous, que nous ayons sur le Poverello d'Assise une autre biographie que celle du SĂ©raphique Docteur. Trois ans aprĂšs, en 1263, il apportait son travail ter- minĂ© au chapitre gĂ©nĂ©ral convoquĂ© Ă  Pise sous sa prĂ©si- dence. Il y fut solennellement approuvĂ©*. Pensa-t-on alors qu'il suffirait de la prĂ©sence de la nouvelle lĂ©gende pour faire oublier les anciennes, c'est ce qu'on ne saurait dire-, mais il semble qu'on garda pour cette fois le silence Ă  leur Ă©gard. Il n'en fut pas de mĂȘme au chapitre suivant. Celui-ci rĂ©uni Ă  Paris prit une dĂ©cision qui devait avoir de dĂ©sastreux rĂ©sultats pour les documents franciscains primitifs. Ce dĂ©cret, Ă©manĂ© d'une assemblĂ©e prĂ©sidĂ©e par Bonaventure en personne, est trop important pour ne pas ĂȘtre rapportĂ© textuellement Item, le Chapitre gĂ©nĂ©ral ordonne par obĂ©issance que toutes les lĂ©gendes du B. François faites jadis soient dĂ©truites. Les frĂšres qui les trouveraient hors de l'Ordre devront tĂącher de les faire disparaĂźtre, puisque la lĂ©gende faite par le GĂ©nĂ©ral 1. On y approuva aussi la Legenda Minor de Bonaventure et qui n'Ă©tait qu'un abrĂ©gĂ© de la Legenda iMajor, arrangĂ© Ă  l'usage du chƓur pour la fĂȘte de saint François et son octave. ÉTUDE CRITIQUE DES SOURCES LXXXV a Ă©tĂ© compilĂ©e sur les renseignements de ceux qui ont accompagnĂ© presque toujours le B. François ; tout ce qu'ils ont pu savoir d'une façon certaine et tout ce qui est prouvĂ© y a Ă©tĂ© soigneusement insĂ©rĂ©. * » Il eĂ»t Ă©tĂ© difficile d'ĂȘtre plus prĂ©cis. On voit avec quelle persĂ©vĂ©- rance Bonaventure poursuivait sa lutte contre les groupes extrĂȘmes. Cette constitution nous explique la disparition presque complĂšte des manuscrits de Celano et des Trois Compagnons, alors que dans certaines collections ceux de la lĂ©gende de Bonaventure se comptent Ă  peine. Comme on le voit, Bonaventure avait voulu Ă©crire une sorte de biographie officielle ou canonique; il n'y rĂ©ussit que trop. La plupart des rĂ©cits que nous connaissons dĂ©jĂ  ont passĂ© dans son recueil, mais non sans souffrir parfois des dĂ©formations profondes. On ne saurait s'Ă©tonner de le voir glisser, avec plus de discrĂ©tion que Celano dans la PremiĂšre Vie, sur la jeunesse de François, mais on 1. {{Item prƓcipit GĂ©nĂ©rale capitulum per obedientiam quocl omnes legendƓ de B. Francisco olim factƓ deleantur et ubi in- veniri poterant extra ordinem ipsas fratres studeant amovere^ cum illa legenda quƓ facta est per Generalem sit compilata prout ipse habuit ab ore illorum qui cum B. Francisco quasi semper fuerunt et cuncta certitudinaliter sciverint et probata ibi sint posita diligenterm. Ce prĂ©cieux texte a Ă©tĂ© retrouvĂ© et publiĂ© par le P. Rinaldi dans sa prĂ©face au texte de Celano Seraphici Viri Francisci vitƓ duƓ, p. XL Wadding semble en avoir eu connais- sance, du moins indirectement, car il dit Utramque Historiam, longiorem et breviorem, obtulit {Bonaventura triennio post in comitiis Pisanis patribus Ordinis, quas rĂȘver enter cum gratiarum actione, supressis aliis quibusque Legendis, admiserunt » . Ad ann. 1260 n^ 18. Cf. Ehrle, Zeitschrift fur kath, TheoL, t. VII 1883 p. 396. — Communicaverat sanctus Franciscus plurima sociis suis et fratribus antiquis, que oblivioni tradita sunt, tum quia que scripta erant in legenda prima, nova Ă©dita a fratre, Bonaventura deleta et destructa sunt^ ipso jubente. tum quia. . . Chronica tribut. Archiv, t. II, p. 256. LXXXVI VIE DE S. FRANÇOIS regrette de le voir ornementer et matĂ©rialiser quelques- uns des plus jolis traits des lĂ©gendes antĂ©rieures. ‱Il ne lui suffit pas que François ait entendu parler le crucifix de Saint-Damien*, il s'arrĂȘte pour bien marquer qu'il l'entendit corporels auribus et qu'il n'y avait per- sonne dans la chapelle Ă  ce moment ! Le frĂšre Monaldo au chapitre d'Arles voit apparaĂźtre saint François corpo- reis ociilis. Il abrĂšge souvent ses prĂ©dĂ©cesseurs, mais ce n'est pas pour lui une rĂšgle invariable. ArrivĂ© au rĂ©cit des stigmates, il lui consacre de longues pages ^, ra- conte une sorte de consultation faite par François pour savoir s'il pouvait les cacher et ajoute plusieurs miracles dĂ»s Ă  ces plaies sacrĂ©es ; plus loin il y revient encore pour montrer un certain JĂ©rĂŽme, chevalier d'Assise, voulant toucher de ses mains les clous mira- culeux ^. Par contre il est d'une discrĂ©tion significative dĂšs qu'il s'agit des compagnons du Saint. Il ne nomme que trois des onze premiers disciples '^, et ne mentionne pas plus les frĂšres LĂ©on, Ange, Kufin, Masseo, que leur adversaire, frĂšre Elie. Quant aux rĂ©cits que nous trouvons pour la premiĂšre fois dans ce recueil, ils ne font guĂšre regretter les sources inconnues qui auront Ă©tĂ© au service du fameux Docteur; il semble que la guĂ©rison de Morico ramenĂ© Ă  la santĂ© par quelques boulettes de pain trempĂ©es dans l'huile de la lampe qui brĂ»lait devant l'autel de la Vierge^, n'a guĂšre d'importance pour la vie de François, pas plus que l'histoire de cette brebis donnĂ©e Ă  Jacqueline de Settesoli, Ă©veillant sa maĂźtresse pour lui rappeler 1. Bon. 188-204. 2. Bon. 218. 3. Bernard, Bon. 28; Égide, Bon. 29 et Sylvestre, Bon. 30. 4. Bon. 49. ÉTLDE CRITIQUE DES SOURCES LXXXVII l'heure d'aller Ă  la messe *. Que penser de cette autre brebis de la Portioncule, qui accourait au chƓur dĂšs qu'elle y entendait la psalmodie des frĂšres, et s'age- nouillait dĂ©votement pour l'Ă©lĂ©vation du Saint-Sacre- ment^? Tous ces traits dont on pourrait grossir la liste^, rĂ©- vĂšlent le travail de la lĂ©gende ; saint François devenait un grand thaumaturge, mais sa physionomie y perdait son originalitĂ©. Le plus grand dĂ©faut de cette Ɠuvre est en effet ce vague oĂč l'on reste quant au caractĂšre du Saint. Tandis que, dans Celano, il y a les grandes lignes de l'histoire d'une Ăąme, l'esquisse de ce drame Ă©mouvant d'un homme qui arrive Ă  se conquĂ©rir lui-mĂȘme, chez Bonaventure, tout ce travail intĂ©rieur disparaĂźt devant les interventions divines; son cƓur est pour ainsi dire le lieu gĂ©omĂ©trique d'un certain nombre de visions; il est un instrument passif dans les mains de Dieu, et on ne voit vraiment pas pourquoi c'est lui qui a Ă©tĂ© choisi et non un autre. Et pourtant Bonaventure Ă©tait italien; il avait vu l'Ombrie ; il avait dĂ» s'agenouiller et cĂ©lĂ©brer les saints mystĂšres dans la pauvre chapelle de la Portioncule, berceau de la plus noble rĂ©forme religieuse ; il avait conversĂ© avec frĂšre Egide et pu retrouver sur ses lĂšvres un Ă©cho des premiĂšres ardeurs franciscaines mais hĂ©las, rien de cet enivrement n'a passĂ© dans son livre, et s'il faut tout dire, je le trouve bien infĂ©rieur Ă  des documents tout Ă  fait postĂ©rieurs, aux Fioretti par exemple; car i. Bon. 112. 2. Bon. m. 3. V. Bon. 115; 99; etc. M. Thode a Ă©numĂ©rĂ© les rĂ©cits spĂ©ciaux Ă  Bonaventure {Franz von Assisi, p. 535. LXXXVm VIE DE S. FRANÇOIS celles-ci ont saisi, en partie du moinS; l'Ăąme de François ; elles ont senti battre ce cƓur tout plein de sensibilitĂ©, d'admiration, d'indulgence, d'amour, d'indĂ©pendance et d'insouciance. X. De laudibus de Bernard de Besse ^ L'Ɠuvre de Bonaventure ne dĂ©couragea pas les bio- graphes. La valeur historique de leurs travaux est Ă  peu prĂšs nulle, et nous n'essaierons mĂȘme plus d'en dresser le catalogue. Bernard de Besse, probablement originaire du midi de la France 2, et secrĂ©taire de Bonaventure ^, fit un rĂ©sumĂ© des lĂ©gendes antĂ©rieures cette Ɠuvre qui ne nous apporte aucune indication historique importante, n'intĂ©resse guĂšre que par le soin avec lequel l'auteur a notĂ© les localitĂ©s oĂč reposent les frĂšres morts en odeur 1. Manuscrit, I, IV, 33 de la bibliothĂšque de l'UniversitĂ© de Turin. C'est un in-4o sur parchemin de la fin du 14'" siĂšcle. 124 ff. Il ren- ferme d'abord la biographie de saint François par saint Bona- venture et une lĂ©gende de sainte Glaire, puis au f» 95a le De laudibus. Le texte en sera prochainement pubhĂ© dans les Analecta franciscana des RR. PP. Franciscains de Quaracchi, prĂšs de flo- rence. 2. En le lisant, on s'aperçoit bientĂŽt qu'il connaĂźt spĂ©cialement bien les couvents de la province d'Aquitaine, et note avec soin tout ce qui les concerne. 3. Wadding, ann. 1230, n» 7. Plusieurs passages prouvent du moins qu'il accompagna Bonaventure dans ses tournĂ©es .{Hoc enim l'assistance spĂ©ciale defr. Egide in iis cjuƓ adbonum animƓ per- tinent devotus Generalis et Cardinalis predictus . . . nos docuit ». Fo 96 a. — Jamdudum ego per TheutoniƓ partes et FlandriƓ cum Ministro transiens Generali. Ibid. f^ 106 a. ÉTUDE CRITIQUE DES SOURCES LXXXIX de saintetĂ©, et raconte une foule de visions tendant toutes Ă  prouver rexcellence de l'Ordre*. La publication de ce document prĂ©sentera cependant le grand avantage d'Ă©clairer un peu la difficile question des sources. Plusieurs passages du De laudibus se retrouvent textuellement dans le SpĂ©culum 2; or, comme un coup d'Ɠil suffit Ă  montrer que le SpĂ©culum n'a pas copiĂ© le De laudibus^ il faut que Bernard de Besse ait eu devant lui sinon le SpĂ©culum, du moins un document du mĂȘme genre. 1 Bernard de Besse est l'auteur de plusieurs autres Ă©crits no- tamment d'un important Catalogus Ministrorum genei^alium publiĂ© d'aprĂšs le mĂȘme manuscrit de Turin par le R. P. Ehrle [Zeitschrift fur kath. TheoL, t. Vil, p. 338—352, avec une fort remarquable introduction critique Ib. p. 323 — 337. Cf. Archiv fur Lia. u. Kirchg., I, p. 145. — BarthĂ©lĂ©my de Pise Ă©crivant ses ConformitĂ©s avait sous les yeux une partie de ses ouvrages, f» 148 b 2; 126a 1 ; mais il appelle l'auteur tantĂŽt Bernardus de Blesa, tantĂŽt Johannes de Blesa. — Voir aussi Marc de Lisbonne, t. II, p. 212 et HaurĂ©au, Notices et extraits^ t. VI, p. 153. 2. Benique primas Francisci Xll discipulos . . . omnes sanctos fuisse audivimus prĂȘter unum qui Ordinem exiens leprosus factus laqueo vel alter Judas interiit, ne Francisco cum Christo vel in discipulis similitudo deficeret. » F'' 96 a. III DOCUMENTS DIPLOMATIQUES Nous rangeons dans cette catĂ©gorie tous les actes ayant un caractĂšre d'authenticitĂ© publique, en particulier ceux qui ont Ă©tĂ© rĂ©digĂ©s par la chancellerie pontificale. Cette source de renseignements oĂč chaque document porte avec lui sa date, est prĂ©cisĂ©ment celle qui a Ă©tĂ© le plus nĂ©gligĂ©e jusqu'ici. I. Donation de TAIverne. U Instmmentum donationis Montis AĂŻverncPj document notariĂ© conservĂ© aux archives de Borgo San-Sepolcro*, ne nous donne pas seulement le nom du gĂ©nĂ©reux ami de saint François et bien des dĂ©tails pittoresques^ mais il fixe avec prĂ©cision une date d'autant plus importante qu'elle tombe dans la pĂ©riode la plus obscure de la vie du Saint. C'est le 8 mai 1213 qu'OrĂŻando dei Catani, comte de Chiusi en Casentin, donna TAlverne Ă  frĂšre François. 1. Il a Ă©tĂ© publiĂ© par Sbaralea, Bull. t. IV, p. 156, note h. Cet acte a Ă©tĂ© rĂ©digĂ© le 9 juillet 1274, Ă  un moment oĂč les fils d'Orlando aussi bien que les FrĂšres Mineurs voulurent authentiquer la do- natioQ restĂ©e verbale jusqu'alors. ÉTUDE CRITIQUE DES SOURCES XCI II. Registres du Cardinal Hugolin. Les documents de la chancellerie pontificale adressĂ©s au cardinal Hugolin, le futur GrĂ©goire IX, et ceux qui Ă©manent de la main de ce dernier, durant ses longs voyages comme lĂ©gat apostolique *, ont une importance de premier ordre. Il serait trop long d'en donner mĂȘme une simple Ă©nu- mĂ©ration. Ceux qui marquent des faits importants se- ront indiquĂ©s avec exactitude dans le cours de ce tra- vail. Qu'il suffise de dire qu'en rapprochant ces deux sĂ©ries de documents et en faisant intervenir la date des bulles papales contresignĂ©es par Hugolin, on arrive Ă  suivre presque jour par jour cet homme qui a Ă©tĂ© peut- ĂȘtre, sans en excepter saint François, celui dont la vo- lontĂ© a le plus profondĂ©ment façonnĂ© l'institution fran- ciscaine. On y voit aussi la part prĂ©pondĂ©rante que l'Ordre prit dĂšs l'abord dans les prĂ©occupations du futur souverain pontife, et on arrive Ă  une prĂ©cision parfaite pour l'Ă©poque de ses rencontres avec saint François. III. Bulles. Les bulles pontificales concernant les Franciscains ont Ă©tĂ© recueillies et publiĂ©es au siĂšcle dernier par le Conven- 1. Woiv Registri dei Cardinali Ugolino d'Ostia e Ottaviano degli Ubaldini pubblicati a cura di Guido Levi dalV Istituto storico italiano. — Fo7iti per la storia d'Italia, Roma 1890, 1 vol. m-APy XXVIII et 250 p. — Cette Ă©dition est faite d'aprĂšs un manuscrit de la Nationale de Paris Ancien fonds Colbert lat. 5152 A. Il faut en rapprocher un fort beau travail dĂ» aussi Ă  M. G. Levi Documenti ad illustrazione del Registro del Gard. Ugolino, dans VArchivio dĂ©lia Societa Romana di sioria patria, t. XII 1889, p. 241-326. XCll VIE DE S. FRANÇOIS tuel Sbaralea ^ Mais on n'en a tirĂ© jusqu'ici Ă  peu prĂšs aucun parti pour l'histoire des origines de l'Ordre 2. En voici une liste sommaire ; on trouvera les dĂ©tails dans le cours de l'ouvrage. N'' 1. 18 aoĂ»t 1218. — Bulle Litterce tiiƓ adressĂ©e Ă  Hugolin. Le pape lui permet d'accepter des donations de biens-fonds en faveur de femmes fuyant le monde Clarisses et de dĂ©clarer que ces monastĂšres relĂšvent du SiĂšge Apostolique. N^ 2. 11 juin 1219. — Oum dilecti filli. Cette bulle, adressĂ©e d'une maniĂšre gĂ©nĂ©rale Ă  tous les prĂ©lats, est une sorte de sauf-conduit pour les FrĂšres Mineurs. 1. Bullarium franciscanum seu Rom. Pontifioum constitutiones epistolƓ diplomata ordinibus 3finorum, Clarissarum et PƓniten- tium concessa, edidit Joh. Hyac. Sbaralea ord. inin. conv. 4 vol. in-fol. Rome t. I 1759, t. II 1761, t. III 1763, t. IV 1708. — Supplementum ab Annibale de Latera ord, min. obs. RomƓ 1780. — Sbaralea eut une tĂąche relativement facile, car de nombreux recueils avaient Ă©tĂ© faits avant le sien ; je n'en, citerai qu'un parmi ceux que j'ai sous les yeux ; il est, comparativement, fort bien fait, et a Ă©chappĂ©, semble-t-il, aux recherches des bibliographes francis- cains Singularissimum eximiumque opus universis mortalibus sacratissimi ordinis seraphici patris nostri Francisci a Domino Jesu mirabili modo approbati necnon a quam^pluribus nostri Redemptoris sanctissimis vicariis romanis ponlificibus multipha- rie declarati notitiam habere cupientibus profecto per necessarium — SpĂ©culum Minorum . . . per Martinum Morin . . . Rouen 1509. C'est un in-S^ ayant ses folios numĂ©rotĂ©s, imprimĂ© avec un soin remarquable. Il contient outre les bulles, les principales disserta- tions sur la RĂšgle, Ă©laborĂ©es au treiziĂšme siĂšcle, et un Memoriale ordinis P» partie, f^ 60-82. sorte de catalogue des ministres gĂ©nĂ©- raux qui eĂ»t Ă©vitĂ© bien des erreurs aux historiens, s'il eĂ»t Ă©tĂ© connu. 2. Les Bollandistes eux-mĂȘmes ont complĂštement nĂ©gligĂ© ces sources d'indications, croyant, sur un passige mal interprĂ©tĂ©, que l'Ordre n'avait obtenu aucune bulle avant l'approbation solennelle par Honorius III le 29 novembre 1223. ÉTUDE CRITIQUE DES SOURCES XCIII N° 3. 19 dĂ©cembre 1219. — Sacrosancta romana. Pri- vilĂšges concĂ©dĂ©s aux SƓurs Clarisses de Monticelli prĂšs Florence. N° 4. 29 mai 1220. — Pro dilectis. Le pape prie les prĂ©lats de France de faire bon accueil aux FrĂšres Mi- neurs. N° 5. 22 septembre 1220. — Gum secundum. Hono- rius III prescrit un an de noviciat avant l'entrĂ©e dans l'Ordre. N° 6. 9 dĂ©cembre 1220. — Constihitus in prƓsentia. Cette bulle concerne un prĂȘtre de Constantinople qui avait fait vƓu d'entrer dans l'Ordre. Comme il y est question de rater Lucas Magister fratrum Minonim de partihus BomaniƓ, on a lĂ  un tĂ©moignage indirect, et d'autant plus prĂ©cieux, sur l'Ă©poque Ă  laquelle l'Ordre s'Ă©tablit en Orient. N° 7. 13 fĂ©vrier 1221. — Nouvelle bulle pour le mĂȘme prĂȘtre. No 8. 16 dĂ©cembre 1221. — Significatum est nobis, Honorius III recommande Ă  l'Ă©vĂȘque de Rimini de pro- tĂ©ger les FrĂšres de la PĂ©nitence Tiers Ordre. N° 9. 22 mars 1222 *. — Devotionis vestrce. ConcĂšde aux Franciscains de cĂ©lĂ©brer les offices en temps d'interdit sous certaines conditions. N° 10. 29 mars 1222. — Ex x>arte TJniversitatis. Mis- sion donnĂ©e aux Dominicains, aux Franciscains et aux frĂšres de la Milice de Saint Jacques Ă  Lisbonne. N°^ 11, 12 et 13. 19 septembre 1222. — Sacrosancta 1. Et non pas 29 mars comme le veut Sbaralea.. L'original que j'ai eu sous les yeux aux archives d'Assise porte en effet Datum Anagnie XI Kal. aprilis pontificatus nostri anno sexto. XCIV VIE DE S. FRANÇOIS Romana. PrivilĂšges pour les monastĂšres Clarisses de Lucques, Sienne et PĂ©rouse. N° 14. 29 novembre 1223. — Solet annuere. Appro- bation solennelle de la RĂšgle qui est insĂ©rĂ©e dans la bulle. N° 15. 18 dĂ©cembre 1223. — Fratrum Minorum, Con- cerne les apostats de l'Ordre. N° 16. 1^'" dĂ©cembre 1224. — Cum illorum. Autorisa- tion donnĂ©e aux FrĂšres de la PĂ©nitence d'assister aux offices en temps d'interdit, etc. N° 17. 3 dĂ©cembre 1224. — ‱ Qaia populares tumuUus. — Concession de l'autel portatif. N° 18. 28 aoĂ»t 1225. — In Mis. Honorius rappelle Ă  l'Ă©vĂȘque de Paris et Ă  l'archevĂȘque de Reims le vrai sens des privilĂšges accordĂ©s aux FrĂšres Mineurs. N° 19. 7 octobre 1225. — Vineae Domini. Cette bulle contient diverses autorisations en faveur des FrĂšres qui vont Ă©vangĂ©liser le Maroc. Cette liste ne renferme que celles des bulles de Sba- ralea qui peuvent directement ou indirectement jeter quelque lumiĂšre sur la vie de saint François et sa crĂ©a- tion. La nomenclature de Sbaralea est sĂ»rement incom- plĂšte et devra ĂȘtre rĂ©visĂ©e quand les Registres d'Hono- rius III auront Ă©tĂ© publiĂ©s intĂ©gralement *. 1. L'abbĂ© Horoy a bien publiĂ© en cinq volumes ce qu'il intitule les OpĂ©ra omnia d'Honorius III, mais il nĂ©glige, sans mot dire, un grand nombre de lettres dont certaines sont signalĂ©es dans le re- cueil si connu de Potthast. L'abbĂ© Pietro Pressuti a entrepris de publier le sommaire de "toutes les bulles de ce pape d'aprĂšs les Re- gistres originaux du Vatican / regesli del Pontefice Onorio 111. Roma t. I, 1884. Le t. I" seul a paru jusqu'ici. IV CHRONIQUEURS DE L'ORDRE I. Chronique de frĂšre Jourdain de Giano ^ NĂ© Ă  Giano en Ombrie, dans la contrĂ©e montagneuse qui forme vers le sud l'horizon d'Assise, frĂšre Jourdain fut en 1221 l'un des vingt-six frĂšres qui, sous la con- duite de CĂ©saire de Spire, partirent pour l'Allemagne. Il semble ĂȘtre restĂ© attachĂ© jusqu'Ă  sa mort Ă  cette province, alors que la plupart des frĂšres, surtout ceux qui exerçaient des charges, Ă©taient transfĂ©rĂ©s, souvent Ă  quelques mois de distance, d'un bout Ă  l'autre de l'Europe. Il n'est donc pas Ă©tonnant qu'on l'ait frĂ©quem- ment priĂ© de mettre par Ă©crit ses souvenirs. C'est au 1. Chronica fratria Jordani a Giano. Le texte en a Ă©tĂ© publiĂ© pour la premiĂšre fois en 4870 par le D"^ G. Voigt sous le titre t Die DenkwĂ»rdigkeiten des Minoriten Jordanus von Giano, dans les Abhandlungen derphilolog. histor. Cl. der kĂŽnigl. sĂ chsischen Gesellschaft der Wissenschaften p. 421-545. Leipzig chez Hirzel, 1870. On n'en connaĂźt qu'un seul manuscrit qui se trouve Ă  la BibliothĂšque royale de Berlin Manuscript. theolog. lat. 4°, n. 196, saec. XIV, foliorum 141. Il a servi de base Ă  la seconde Ă©dition AnalectĂ  franciscana sive Chronica aliaque documenta ad historiam minorum spectantia. Ad Claras Aquas Quaracchi ex typographia collegii S. BonaventurƓ 1885, t. I, p. 1-19. Sauf indication contraire, je cite toujours cette Ă©dition, oĂč a Ă©tĂ© con- servĂ©e la division en soixante-trois paragraphes introduite par le Dr Voigt. XGVI VIE DE S. FRANÇOIS printemps de 1262 qu'il les dicta au frĂšre Baudoin de Brandebourg. Il dut le faire avec joie, s'y Ă©tant prĂ©parĂ© de longue date. Il raconte avec naĂŻvetĂ© comment, dĂšs 1221, au chapitre gĂ©nĂ©ral de la Portioncule, il allait de groupe en groupe, interrogeant les frĂšres qui partaient pour les missions lointaines sur leur nom, leur pays, afin de pouvoir dire plus tard, surtout s'ils venaient Ă  ĂȘtre martyrisĂ©s Je les ai bien connus ! » ^ Sa chronique porte la trace de ces dispositions. Ce qu'il veut raconter, c'est l'introduction et les premiers dĂ©ve- loppements de l'Ordre en Allemagne, et il le fait en Ă©numĂ©rant, avec une complaisance qui a bien sa coquet- terie, le nom d'une foule de frĂšres ^^ et en datant soigneu- sement tous les Ă©vĂ©nements. Ces dĂ©tails fatigants pour un lecteur ordinaire, sont prĂ©cieux pour l'historien ; il y voit la diversitĂ© des milieux dans lesquels se recru- taient les frĂšres, et la rapiditĂ© avec laquelle une poignĂ©e de missionnaires jetĂ©s en pays inconnu savaient rayon- ner, fonder de nouvelles stations et, en cinq ans, couvrir le Tyrol, la Saxe, la BaviĂšre, l'Alsace et les provinces voisines d'un rĂ©seau de monastĂšres. Il est bon^ cela va sans dire, de contrĂŽler les indica- tions chronologiques de Jourdain car il dĂ©bute en priant le lecteur de lui pardonner les erreurs qui ont pu lui Ă©chapper de ce chef; mais un homme qui note ainsi dans sa mĂ©moire ce qu'il veut plus tard raconter ou Ă©crire, n'est pas un tĂ©moin ordinaire. En lisant sa chronique, on croit entendre les souve- nirs d'un vieux soldat, oĂč certains dĂ©tails sans valeur sont saisis et prĂ©sentĂ©s avec une puissance de relief extraordinaire, oĂč le narrateur ne sait pas rĂ©sister Ă  la -1. Jord. 81. 2. Il nomme plus de quatre-vingts personnes. ÉTUDE CRITIQUE DES SOURCES XCVII tentation de se mettre en scĂšne, au risque parfois d'em- bellir un peu la sĂšche rĂ©alitĂ© ^ Cette chronique fourmille en effet d'anecdotes un peu personnelles, mais fort naĂŻves et bien venues, et qui somme toute, portent en elles-mĂȘmes le tĂ©moignage de leur authenticitĂ©. C'est dĂ©jĂ  le parfum des Fioretti qui s'exhale de ces pages pleines de candeur et de virilitĂ© ; nous pouvons suivre les missionnaires Ă©tape par Ă©tape, puis, quand ils sont installĂ©s, pousser la porte du mo- nastĂšre, et lire au fond du cƓur de ces hommes, dont beaucoup sont braves comme des hĂ©ros et simples comme des colombes. Cette chronique parle surtout, il est vrai, de l'Alle- magne, mais les premiers chapitres ont pour l'histoire de saint François une importance qui dĂ©passe mĂȘme celle des biographies. GrĂące Ă  Jourdain de Giano, nous sommes dĂ©sormais renseignĂ©s sur les crises que traversa l'institution de François dĂšs 1219 ; il nous fournit la base solidement historique qui semblait faire dĂ©faut aux docu- ments Ă©manĂ©s des Spirituels, et rĂ©habilite leur tĂ©moignage. II. Eccleston ArrivĂ©e des FrĂšres en Angleterre^. Les renseignements que nous avons sur la vie de Thomas d'Eccleston sont fort peu de chose, car il n'a 1 . Il ne me semble pas qu'on puisse regarder comme rigoureuse- ment exacte la relation de l'entrevue de GrĂ©goire IX et de Jour- dain, Jord. 63. 2. Liber de adventu Minorum in Angliam, publiĂ© sous le titre de Monumenta Franciscana {dans la sĂ©rie des RerumBritannica- rum medii JEvi scriptores, Roll sĂ©ries en deux volumes in-S» Le premier par les soins de J. S. Brewer 1858, le second par ceux de R. Hewlett 1882. — Ce texte est reproduit sans l'appareil scientifique dans les Analecta franciscana, t. I, p. 217-257 Cf. English historical Review V 1890 754. Il en a Ă©tĂ© publiĂ© une XCVIII VIE DE S. FRANÇOIS laissĂ© aucune trace dans l'histoire de l'Ordre, pas plus que Simon d'Esseby auquel il dĂ©die son travail. Sans doute originaire du Yorkshire, il semble n'avoir jamais quittĂ© l'Angleterre. Durant vingt-cinq ans, il rassembla les Ă©lĂ©ments de son travail qui embrasse la suite des Ă©vĂ©nements depuis 1224 jusqu'aux environs de l'an 1260. Les derniers faits qu'il raconte, se rapportent tous Ă  des annĂ©es trĂšs voisines de cette date. D'une longueur presque double, le travail d'Eccleston est loin d'ĂȘtre aussi intĂ©ressant Ă  la lecture que celui de Jourdain. Ce dernier avait vu Ă  peu prĂšs tout ce qu'il racontait, de lĂ  un brio dans le rĂ©cit qu'on ne saurait retrouver chez un auteur qui Ă©crit surtout sur le tĂ©moi- gnage d'autrui. De plus, tandis que Jourdain suit l'ordre chronologique, Eccleston a rĂ©parti ses rĂ©cits sous une quinzaine de rubriques oĂč. les mĂȘmes personnages reparaissent Ă  chaque instant dans un pĂȘle>mĂȘle qui, Ă  la- longue, ne laisse pas de devenir fatigant. Enfin il y a dans ce document un fond de particularisme Ă©ton- nant l'auteur ne veut pas seulement prouver que les frĂšres anglais sont des saints, il veut nous montrer que la province d'Angleterre surpasse toutes les autres^ par sa fidĂ©litĂ© Ă  la RĂšgle et son courage contre les fauteurs de nouveautĂ©s, en particulier contre frĂšre Elie. Mais ces quelques dĂ©fauts ne doivent pas faire perdre de vue la vraie valeur de ce document. Il est de ceux qu'il faut lire et relire pour en saisir toute la portĂ©e, pour en comprendre tous les dĂ©tails. Il embrasse ce qu'on pourrait appeler la pĂ©riode hĂ©roĂŻque du mouve- Ă©dition critique excellente, mais malheureusement partielle, dans le t. XXYIII Scriptorum des Monumenta GermaniƓ Historica, par M. Liebermann. Hanovre 1888, in-f», p. 560-569. 1. Eccl. 11 ; 13; 14; 15. Cf. Eccl. 14, oĂč l'auteur a soin de dire que fr. Albert de Pise est mort Ă  Rome au milieu de frĂšres anglais inter Anglicos ». ÉTUDE CRITIQUE DES SOURCES XCIX ment franciscain anglais, et la raconte avec une extrĂȘme naĂŻvetĂ©. En dehors de toute question historique, il y aurait lĂ  de quoi intĂ©resser tous ceux que captive le spectacle des conquĂȘtes morales. Le mardi 10 septembre 1224, les FrĂšres Mineurs abordaient Ă  Douvres. Ils Ă©taient neuf un prĂȘtre, un diacre, deux qui n'avaient que les ordres mineurs, cinq laĂŻques. Ils courent Ă  CantorbĂ©ry , Ă  Londres, Ă  Oxford, Ă  Cambridge, Ă  Lincoln, Ă  York, et moins de dix ans aprĂšs, tous ceux qui ont laissĂ© une trace dans l'histoire de la science ou de la saintetĂ© s'Ă©taient joints Ă  eux ; qu'il suffise de nommer Adam de Marisco, Richard de Cornouailles, l'Ă©vĂȘque Robert GrossetĂȘte une des figures les plus fiĂšres et les plus pures du moyen Ăąge, et Roger Bacon, ce moine per- sĂ©cutĂ© qui, devançant les temps de quelques siĂšcles, abordait et rĂ©solvait au fond de son cachot les problĂšmes de l'autoritĂ© et de la mĂ©thode, avec une rigueur et une puissance que le XVP siĂšcle aura peine Ă  surpasser. Il est impossible que dans un pareil mouvement, les faiblesses et les passions humaines ne se rĂ©vĂšlent çà et lĂ , mais il faut savoir grĂ© Ă  notre chroniqueur de ne pas l'avoir cachĂ©. GrĂące Ă  lui, nous pouvons oublier un instant l'heure actuelle, revivre dans cette premiĂšre chapelle de Cambridge, si pauvre que le charpentier n'avait mis qu'une journĂ©e Ă  la bĂątir, y entendre trois frĂšres chanter matines durant la nuit, et cela avec tant d'ardeur qu'un d'entre eux, — si boiteux que ses deux compagnons devaient le porter, — pleurait de joie Ă  chaudes larmes*, c'est qu'en Angleterre, comme en Italie, l'Ă©vangile franciscain Ă©tait un Ă©vangile de paix et de joie. Cependant la laideur morale leur inspirait une pitiĂ© que nous ne connaissons plus il y a peu de traits historiques plus beaux que celui de ce frĂšre Geoffroy de Salisbury C VIE DE S. FRANÇOIS confessant Alexandre de Bissingburn le noble pĂ©nitent accomplissait ce devoir sans attention, ayant l'air de raconter une histoire quelconque; soudain son confesseur fond en larmes, le fait rougir de honte, lui arrache aussi des pleurs et le bouleverse si bien qu'il demande Ă  entrer dans l'Ordre. Les morceaux peut-ĂȘtre les plus intĂ©ressants sont ainsi ceux oĂč Thomas nous montre les frĂšres dans l'intimitĂ© ici buvant de la biĂšre aigre, lĂ  courant en acheter Ă  crĂ©dit, malgrĂ© la RĂšgle, pour l'offrir Ă  deux confrĂšres qui ont Ă©tĂ© maltraitĂ©s, ou bien encore se ser- rant autour de frĂšre Salomon, qui vient de rentrer glacĂ© de froid et qu'on ne sait comment rĂ©chauffer, sicut porcis mos est eum comprimendo foveruntj dit le pieux narra- teur ^. Tout cela est entremĂȘlĂ© de rĂȘves, de visions, d'ap- paritions sans nombre 2 qui nous montrent une fois de plus combien les idĂ©es les plus familiĂšres aux esprits religieux du treiziĂšme siĂšcle Ă©taient diffĂ©rentes de celles qui hantent les cerveaux et les cƓurs d'aujourd'hui. Les renseignements donnĂ©s parEccleston n'auront guĂšre Ă  intervenir dans ce livre que d'une façon indirecte, mais s'il parle peu de François il parle fort longuement de quelques-uns des hommes qui ont Ă©tĂ© le plus mĂȘlĂ©s Ă  sa vie. III. Chronique de fra Salimbene^. Aussi cĂ©lĂšbre que peu connue, cette chronique est d'une utilitĂ© tout Ă  fait secondaire en ce qui concerne la 1. Eccl. 4; 12. 2. Eccl. 4; 5; 6; 7; 10; 12; 13; 14; 15. 3. Elle a Ă©tĂ© publiĂ©e, mais avec bien des suppressions, en 1857, Ă  Parme. Les Franciscains de Quaracchi en prĂ©parent une nouvelle Ă©dition qui paraĂźtra dans les Analecta franciscana. Cet ouvrage existe en manuscrit au Vatican sous le n» 7260. ÉTUDE CRITIQUE DES SOURCES CI vie de saint François. Son auteur, nĂ© le 9 octobre 1221, n'entra dans l'Ordre qu'en 1238 et Ă©crivit ses mĂ©moires de 1282 — 1287 ; aussi est-ce surtout pour les annĂ©es du milieu du XIIP siĂšcle que son importance est capitale. MalgrĂ© cela, on est Ă©tonnĂ© du peu de place que tient la rayonnante figure du maĂźtre dans ces longues pages, et cela mĂȘme indique, mieux que de longues considĂ©ra- tions, la chute profonde de l'idĂ©e franciscaine. IV. La Chronique des Tribulations par Angelo Clareno^. Cette chronique fut Ă©crite aux environs de 1330 on pourrait donc s'Ă©tonner de la voir paraĂźtre au nombre des sources Ă  consulter sur la vie de saint François mort plus d'un siĂšcle auparavant *, mais le tableau que V. Ehrle, Zeitschrift fur kath. Theol, 1883, t. VII, p. 767 et 768. On lira avec intĂ©rĂȘt le travail de M. GlĂ©dat. De fratre Salim- hene et de ejus chronicƓ auctoritate. Paris in-4o. 1877, avec fic- simile. 1. Le R. P. Ehrle l'a publiĂ©e, mais hĂ©las pas intĂ©gralement, dans les Archivjt. II, p. 125-155 texte de la fin de la cinquiĂšme et de la sixiĂšme tribulation ; p. 256-327 texte de la troisiĂšme, de la qua- triĂšme et du commencement de b cinquiĂšme. Il y a joint des introductions et des notes critiques. Pour les parties non publiĂ©es je citerai le texte du manuscrit de la Laurentienne Plut. 20, cod. 7 complĂ©tĂ© le cas Ă©chĂ©ant par la version italienne qui se trouve Ă  la bibliothĂšque nationale de Florence MagliabecchinaXXXVII-28. Voir aussi un article du prof. Tocco dans VArchivio storico italiano, t. XVII 1886, p. 12-36 et 243-61 et un de M. Richard BibliothĂšque de l'École des chartes, 1884, 5 livr,, p. 525. — Cf. Tocco, VEresia nel medio Evo, p. 419 ss. Quant au texte publiĂ© par DĂŽllinger dans ses BeitrĂ ge zur Sektengeschichte des Mittelalters. Munich 1890, 2 vol. in-8o, II. Theil Dokumente, p. 417-427, il ne saurait ĂȘtre d'aucune utilitĂ©. Il ne peut qu'in- duire en erreur, tant il surabonde de fautes grossiĂšres. Des pages entiĂšres y sont omises. en VIE DE s. FR/VNÇOIS Clareno nous y fait des premiers temps de l'Ordre tire son importance du fait qu'il l'a tracĂ© en faisant sans cesse appel Ă  des tĂ©moins oculaires, et prĂ©cisĂ©ment Ă  ceux dont les ouvrages ont aujourd'hui disparu. Angelo Clareno appelĂ© d'abord Pietro da Fossom- brone i du nom de sa ville natale, et parfois da Cingoli, sans doute Ă  cause du petit couvent oĂč il fit profession, appartenait dĂ©jĂ  vers 1265 au parti des zĂ©lanti de la Marche d'AncĂŽne. TraquĂ© et persĂ©cutĂ© par ses adver- saires pendant toute sa vie, il mourut en odeur de sain- tetĂ©, le 15 juin 1339, dans le petit ermitage de Santa Maria de Aspro, au diocĂšse de Marsico dans la Basilicate. GrĂące aux documents publiĂ©s, nous pouvons mainte- nant suivre pour ainsi dire jour par jour, non pas seule- ment les circonstances extĂ©rieures de sa vie, mais le travail intĂ©rieur de son Ăąme. Avec lui nous voyons revivre un Franciscain authentique, un de ces hommes qui, tout en voulant rester les fils soumis de l'Église, ne pouvaient se rĂ©soudre Ă  laisser s'envoler dans le do- maine du rĂȘve, l'idĂ©al qu'ils avaient saluĂ©. Bien souvent ils cĂŽtoyĂšrent l'hĂ©rĂ©sie ‱ il y a dans leurs paroles contre les mauvais prĂȘtres et les pontifes indignes une amertume que les sectaires du XVI siĂšcle ne dĂ©passe- ront pas 2. Souvent aussi ils semblent renoncer Ă  toute autoritĂ© pour en appeler en dernier ressort au tĂ©moignage intĂ©rieur du Saint-Esprit 3^ et pourtant le protestantisme 1. Archiv, t. III, p. 40G-409. 2. V. Archiv I, p. 557 .. . Et hoc iotum ex rapacitate et mali- gnitate luporum pastorum qui voluerunt esse pastores, sed operi- bus negaverunt deum » et seq. Cf. p. 562. Avaritia et sijmo- niaca heresis absque pallio rĂ©gnĂąt et fere totum invasit ecclesie corpus. 3. Qui excommunicat et hereticat altissimam evangelii paw pertatem, excommunicatus est a Deo et hereticus coram Christo, qui est Ă©ternel et incommutabilis veritas. Arch. I, p. 509. Non ÉTUDE CRITIQUE DES SOURCES CIIÏ aurait tort d'aller se chercher des ancĂȘtres parmi eux. Non, ils voulurent mourir comme ils avaient vĂ©cu, dans la communion de cette Eglise qui Ă©tait pour eux une marĂątre, mais qu'ils aimaient avec cette passion hĂ©roĂŻque que quelques ci-devant nobles mirent en 93 Ă  aimer la France, mĂȘme gouvernĂ©e par les Jacobins, et versĂšrent leur sang pour elle. Clareno et ses amis ne croyaient pas seulement que saint François avait Ă©tĂ© un grand saint ; mais, Ă  cette conviction qui Ă©tait aussi celle des frĂšres de la commune observance, ils ajoutaient la persuasion que l'Ɠuvre du StigmatisĂ© ne pouvait ĂȘtre continuĂ©e que par des hommes atteignant Ă  sa stature morale, Ă  laquelle on pourrait arriver Ă  force de foi et d'amour. Ils furent de ces vio- lents qui ravissent le royaume des cieux; aussi, quand au sortir des frivoles et sĂ©niles prĂ©occupations quoti- diennes, on se trouve en face d'eux, on se sent Ă  la fois rapetissĂ© et grandi, car on dĂ©couvre tout Ă  coup dans le cƓur humain des puissances inespĂ©rĂ©es et comme des claviers inconnus. Il y a un apĂŽtre de JĂ©sus auquel il est difficile de ne pas penser en lisant la chronique des Tribulations et la correspondance d'Angelo Clareno, c'est saint Jean. Entre les Ă©crits de l'apĂŽtre de l'amour et ceux du Franciscain il y a des conformitĂ©s de style d'autant plus frappantes qu'ils ont Ă©tĂ© rĂ©digĂ©s dans une langue diffĂ©rente. Des deux cĂŽtĂ©s on sent une Ăąme de vieillard, oĂč tout n'est qu'amour, pardon, besoin de saintetĂ©, et est potestas contra Christum Dominum et contra evangelium. » Ib. p. 560. Il termine une de ces lettres par une parole d'un mysticisme plein de sĂ©rĂ©nitĂ© et qui nous fiit descendre au fond du cƓur des frĂšres Spirituels. Totum igitur studium esse dĂ©bet quod unum inseparabiliter simus per Franciscum in Christ o. » Ib. p. 564. CIV VIE DE S. FRANÇOIS qui pourtant parfois vibre tout Ă  coup, comme jadis celle du voyant de Patmos, d'indignation, de colĂšre, de pitiĂ©, de terreur et de joie, quand l'avenir se dĂ©couvre et laisse deviner la fin de la grande tribulation. Les Ɠuvres de Clareno sont donc, dans le sens le plus Ă©troit du mot, des Ă©crits de parti il s'agit de savoir si l'auteur n'aurait pas sciemment dĂ©naturĂ© les faits ou mutilĂ© les textes. A cette question on peut rĂ©pondre hardiment non. Il commet des erreurs ^, surtout dans les premiĂšres pages, mais elles ne sont pas de celles qui pourraient diminuer notre confiance. En bon Joacliimite, il pensait que l'Ordre aurait Ă  tra- verser sept tribulations avant le triomphe dĂ©finitif. Le pontificat de Jean XXII marquait, croyait-il, le com- mencement de la septiĂšme il se recueillit alors pour faire, sur la demande d'un ami, l'histoire des six premiĂšres 2. Son rĂ©cit de la premiĂšre est prĂ©cĂ©dĂ© tout naturellement d'une introduction ayant pour but d'exposer au lecteur, en prenant comme cadre la vie de saint François, l'inten- tion que celui-ci avait eue en composant la RĂšgle et en dictant le Testament. NĂ© entre 1240 et 1250, Clareno eut Ă  son service le tĂ©moiguage de plusieurs des premiers disciples 3; il se 4. Par exemple dans la liste des premiers gĂ©nĂ©raux de l'Ordre. 2. La premiĂšre 1219-1226 s'Ă©tend du dĂ©part de saint François pour l'Egypte jusqu'Ă  sa mort; la seconde comprend le gĂ©nĂ©ralat de frĂšre Éiie 1232-1239 ; la troisiĂšme celui de Grescentius 1244- 1248; la quatriĂšme celui de Bonaventure 1257-1274; la cinquiĂšme commence Ă  l'Ă©poque du concile de Lyon 1274 et se prolonge jusqu'Ă  la mort de l'inquisiteur Thomas d'Aversa 1304. Enfin la sixiĂšme va de 1308 Ă  1323. 3. ISupercrant adhuc multi de sociis h. Francisci. . . et alii non pauci de quibus ego vidi et ab ipsis audivi quƓ narro. » Ms. Laur. cod. 7, pi. XX fo 24 a. Qui passi stmt eam [tribulationem ter- ETUDE CRITIQUE DES SOURCES CV trouva en relations avec Ange de Rieti^, Égide ^ et avec ce frĂšre Jean, compagnon d'Égide, mentionnĂ© dans le prologue de la LĂ©gende des Trois Compagnons ^. Sa chronique forme donc comme une suite de cette lĂ©gende ; ce sont les noms des membres du petit cĂ©nacle de Greccio qui viennent nous la recommander; c'est aussi la mĂȘme inspiration. Mais Ă©crivant de longues annĂ©es aprĂšs la mort de ces frĂšres, Clareno sentit le besoin de s'appuyer aussi sur les tĂ©moignages Ă©crits; il rappelle Ă  plusieurs reprises les quatre lĂ©gendes auxquelles il emprunte une partie de ses rĂ©cits ce sont celles de Jean de Ceperano, de Thomas de Celano, de Bonaventure et de frĂšre LĂ©on^. tiani] socii fundatoris fratres Aegidius et AngĂ©lus^ qui supere- rant me audiente referebant. » Ms. Laur, f» "21 b. Cf. Ms. italien XXXVII, 28. Magliab. f^ iSSb. 1. On ignore la date de sa mort; le 11 aoĂ»t 1253 il assista aux derniers moments de sainte Glaire. 2. Mourut le 23 avril 1261. 3. Queyn {fratrem Jacobum de Massa dirigente me fratre Jo- hanne socio fratris prefati Egidii videre laboravi. Hic enim frater Johannes . . . dixit mihi ...» Arch. II, p. 279. 4. ... Tribulationes preteritas memoravi , ul audivi Ă b illis qui sustinuerunt eas et alicjua commemoravi de hiis que didici in quatuor legendls quas vidi et legiy. Arch. II, p. 135. — Vitam pauperis et humitis viri Dei Francisci trium ordinum fundatoris quatuor solemnes personƓ scripserunt, fratres videlicet scientia et sanctitate prƓolari, Johannes et Thomas de Celano, frater Bona- ventura unus post Beatum Franciscum Generalis Minister et >nr mirƓ simplicitatis et sanctitatis frater LĂ©o, ejusdem sancti Fran- cisci soeius. Has quatuor descriptiones seu historias qui legerit.., Ms. Laurent, pi. XX, c. 7, f^ 1 a. Le traducteur italien crut-il Ă  une erreur dans cette Ă©numĂ©ration? Je ne sais, mais il la supprima. Au f" 12 a du manuscrit XXX VII 28 de la Magliabecchina, on lit Incominciano alcune croniche del ordine franciscano, corne la vita del povero e humile servo di Dio Francesco fondatore del minorico ordine fu scripta da San Bonaventura e da quatro altri frati, Queste poche scripture ovveramente hystorie quello il quale dili^ gentemente le leggiera, expeditamente potra cognoscere... la voca-' tione la santita di San Francesco. CVI VIE DE S. FRANÇOIS L'Ɠuvre de Bonaventure n'est mentionnĂ©e lĂ  que pour mĂ©moire; Clareno ne lui fait aucun emprunt, tandis qu'il cite de longs passages de Jean de Ceperano *, de Thomas de Celano'^ et de frĂšre LĂ©on^. A ceux-ci Clareno demanda pour la vie de saint François des rĂ©cits contenant plusieurs indications nou- velles extrĂȘmement curieuses'''. 1. Ms. Laur. fo4bss. D'autre part on lit dans une lettre de Clareno {Ad hanc {paupertatem perfecte servandam Christus Franciacum vocavit et elegit in hac kora novissima et precepit ei evangelicam assumere regulmn, et a papa Innooentio fuit omni- bus annuntiatum in concilio generalif quod de sua auctoritate et obedientia sanctus Franciscus evangelicam vitarn et regulam as- sumpserat et Chri&to inspirante servare promiser at, sicut sanctus vir fr, LĂ©o scribit et fr. Johannes de Celano. »> Archiv I, p. 559. 2. Audiens cnim semel quorundam fratrum Ă©normes excessus, ut fr. Thomas de Celano scribit, et malum exemplum per eos secularibus dalum. Ms. Laur. f» 13 b. Le passage qui suit se rĂ©fĂšre Ă©videmment Ă  2 Gel. 3, 93 et 112. 3. Et fecerunt de rĂ©gula prima ministri removeri capitulum istud de prohibitionibus sancti evangelii, sicut fraler LĂ©o scribit. Ms. Laur. f'^ 12 b. Cf. Spec. 9a. V. p. 282. Nam cum rediisset de pariibus ultramarinis, minister quidam loquebatur cum eo, ut frater LĂ©o refert, de capitulo paupertatis , f» 13 a, Cf. Spec. 9 a, iS. Franciscus, teste fr. Leone, frĂ©quenter et cum multo studio recitabat fabulam. . . . quod oporlebat finaliter ordinem humiliari et ad sue humilitatis principia confltenda et tenenda reduci ». Archiv. II, p. 129. Il n'y a entre la LĂ©gende des Trois Compagnons telle qu'elle existe aujourd'hui et ces passages aucun point de contact; mais on trouve au contraire les rĂ©cits visĂ©s dans le SpĂ©culum et dans d'autres recueils, oĂč ils sont citĂ©s comme venant de frĂšre LĂ©on. 4. Clareno, par exemple, veut que le cardinal Hugolin ait sou- tenu saint François dĂšs l'approbation de la premiĂšre RĂšgle, de concert uvec le cardinal Jean de Saint-Paul. C'est possible, puis- que Hugolin avait Ă©tĂ© créé cardinal en 1198 V. Cardella Memorie storiche de' Cardinali, 9 vol. in-8'>, Rome 1792-1793, t. 1, 2 p., p. 190 ; de plus on s'expliquerait mieux ainsi le zĂšle avec lequel il protĂ©geait les divers ordres instituĂ©s par saint François, dĂšs 1217. Le chapitre oĂč Clareno raconte comment saint François Ă©crivit ÉTUDE CRITIQUE DES SOURCES CVIl Je me suis particuliĂšrement arrĂȘtĂ© Ă  ce document parce que sa valeur me semble n'avoir pas Ă©tĂ© encore apprĂ©ciĂ©e avec Ă©quitĂ©. On est toujours d'un parti; les documents qu'il faut le plus tenir en quarantaine ne sont pas ceux dont la tendance est manifeste, ce sont ceux oĂč elle se dissimule habilement. La vie de saint François et toute une partie de l'his- toire religieuse du treiziĂšme siĂšcle, nous apparaĂźtront sans doute sous un jour bien diffĂ©rent, lorsqu'on pourra Ă©tudier les documents Ă©manĂ©s du parti vainqueur, en les complĂ©tant enfin par ceux du parti vaincu. De mĂȘme que la premiĂšre lĂ©gende de Thomas de Celano est dominĂ©e par le dĂ©sir d'associer Ă©troitement saint François, GrĂ©goire IX et frĂšre Elie, la chronique des Tribulations s'inspire d'un bout Ă  l'autre de la pensĂ©e que les troubles de l'Ordre, et pour dire le mot, que l'apostasie a commencĂ© dĂšs 1219. Cette thĂšse vient de trouver dans la Chronique de Jourdain de Giano une Ă©clatante confirmation. V. Les Floretti*. Avec les Fioretti nous entrons dĂ©finitivement dans le domaine de la lĂ©gende. Ce bijou littĂ©raire raconte la la RĂšgle, manifeste le travail de la lĂ©gende, mais il est bien possible qu'il l'ait empruntĂ© tel quel au travail de frĂšre LĂ©on. Il est Ă  noter que l'on ne trouve dans ce document aucune allusion Ă  l'Indul- gence de la Portioncule. 4. Les manuscrits et les Ă©ditions en sont presque innombrables. M. Luigi Manzoni les a Ă©tudiĂ©s avec un soin qui fait vivement dĂ©- sirer qu'il continue ce difficile travail. Studi sui Fioretti Miscel- lanei 1888, p. 116-119, 150-152, 162-168; 1889, 9-15, 78-84," 132-135. Quand se trouvera-t-il quelqu'un qui voudra et pourra CYIII VIE DE S. FRANÇOIS vie de François, de ses compagnons et de ses disciples, telle qu'elle apparaissait au commencement du quator- ziĂšme siĂšcle Ă  l'imagination populaire. Nous n'avons pas Ă  nous arrĂȘter Ă  la valeur littĂ©raire de ce document, une des productions les plus exquises du moyen Ăąge religieux, mais on peut bien dire qu'au point de vue historique, il ne mĂ©rite pas l'injuste oubli oĂč on l'a laissĂ©. Le courage a manquĂ© Ă  la plupart des auteurs pour rĂ©viser la sentence prononcĂ©e contre lui, d'un cƓur bien lĂ©ger cependant, par les successeurs de Bollandus. Comment s'arrĂȘter Ă  une Ɠuvre que le P. Suysken n'avait mĂȘme pas daignĂ© lire ^ ! Ce qui donne cependant Ă  ces rĂ©cits un prix inesti- mable, c'est ce qu'on pourrait appeler, faute de mieux, leur atmosphĂšre. Ils sont lĂ©gendaires, transformĂ©s, exa- gĂ©rĂ©s, faux mĂȘme si l'on veut, mais il y a quelque chose qu'ils nous rendent avec un coloris d'une vivacitĂ© et d'une intensitĂ© qu'on chercherait vainement ailleurs le milieu dans lequel vĂ©cut saint François. Mieux qu'au- cune autre biographie, les Fioretti nous transportent lĂ -bas en Ombrie, et au milieu des montagnes de la Marche d'AncĂŽne, pour nous en faire voir les ermitages, et nous mĂȘler Ă  la vie moitiĂ© puĂ©rile et moitiĂ© angĂ©- lique, qui Ă©tait celle de leurs habitants. Il est difficile de se prononcer sur le nom de l'auteur. Son rĂŽle se borne du reste Ă  recueillir, dans la tradition Ă©crite et dans la tradition orale, les fleurs de son bou- se charger d'en faire une Ă©dition scientifique? Celles qui ont paru de notre temps dans diverses villes d'Italie sont insignifiantes au point de vue critique. Voir Mazzoni Guido Capitoli inediti dei Fioretti di S. Francesco dans le Propugnatore. Bologne 1888, vol. XXI, p. 396-411. 1. V. A. SS. p. 865 Floretum non legi, nec curandum putavi. » Cf. 553 f. Floretum ad manum non habeo. » ÉTUDE CRITIQUE DES SOURCES CIX quet. La question de savoir s'il Ă©crivit en latin ou en italien a Ă©tĂ© fort discutĂ©e et ne paraĂźt pas encore tran- chĂ©e ce qui est sĂ»r, c'est que si son Ɠuvre est antĂ©rieure aux ConformitĂ©s 1, elle est de peu postĂ©rieure Ă  la chro- nique des Tribulations, car il serait Ă©trange qu'elle ne fĂźt aucune mention d'Angelo Clareno, si elle avait Ă©tĂ© Ă©crite aprĂšs sa mort. Ce livre est en effet une chronique essentiellement lo- cale 2; l'auteur a voulu dresser un monument Ă  la gloire des FxĂšres Mineurs de la Marche d'AncĂŽne. Cette pro- vince, qui est Ă©videmment la sienne, n'a-t-elle pas ressemblĂ© au ciel resplendissant d'Ă©toiles? Les saints frĂšres qui l'ont habitĂ©e ont, comme les astres du ciel, illuminĂ© et ornĂ© l'Ordre de saint François, remplissant le monde de leurs exemples et de leurs enseignements.» Aussi en connaĂźt-il les plus petits villages^, ayant tous Ă  quelque distance leur monastĂšre, bien isolĂ©, d'ordi- naire prĂšs d'un torrent, Ă  la lisiĂšre d'un bois, et au- dessus de lui, vers les cimes, quelques cellules presque inaccessibles, asiles des frĂšres encore plus Ă©pris que les autres de contemplation et de retraite^. 1. BarthĂ©lĂ©my de Pise les rĂ©digea en 1385; or, certains ma- nuscrits des Fioretti sont antĂ©rieurs. De plus, dans les rĂ©cits que les ConformitĂ©s empruntent aux Fioretti, on sent le travail d'abrĂ©- viation de BarthĂ©lĂ©my. 2. Je ne parle ici que des cinquante-trois chapitres qui forment le vrai recueil des Fioretti. 3. La Province de la Marche d'AncĂŽne comptait sept custodies 1 Ascoh, 2 Camerino, 3 AncĂŽne, 4 Jesi, 5 Fermo, 6 Fano, 7 Fele- tro. Les Fioretti mentionnent au moins six des monastĂšres de la custodie de Fermo Moliano 51, 53, Fallerone, 32, 51, Bruforte et Soffiano 46, 47, Massa 51, Penna 45, Fermo 41, 49, 51. 4. A chaque page sont rappelĂ©s ces bois qui furent Ă  l'origine la dĂ©pendance indispensable des monvstĂšres franciscains La selva cKera allora allato a S. M. degli Angeli 3, 10, 15, 16 etc. La selva d'un luogo deserto del val di Spoleto Garceri?4; Selva di Forano 42, di Massa 51, etc. ex VIE DE S. FRANÇOIS Les cliapitres qui concernent saint François et les frĂšres d'Ombrie ne sont lĂ  que comme une sorte d'in- troduction; Egide, Masseo, LĂ©on d'un cĂŽtĂ©, sainte Claire de l'autre, viennent tĂ©moigner que l'idĂ©al, Ă laPortion- cule et Ă  Saint-Damien, avait bien Ă©tĂ© celui auquel plus tard Jacques de Massa, Pierre de Monticulo, Conrad d'Offida, Jean de Penna, Jean de l'Alverne tĂąchaient d'atteindre. Tandis que la plupart des autres lĂ©gendes nous don- nent la tradition franciscaine des grands couvents, les Fioretti sont Ă  peu prĂšs le seul document qui nous la rende telle qu'elle se perpĂ©tuait dans les ermitages et parmi le peuple. A dĂ©faut d'une exactitude de dĂ©tail, les traits qui y sont racontĂ©s contiennent en eux une vĂ©- ritĂ© supĂ©rieure le ton est juste. Voici des paroles qui n'ont jamais Ă©tĂ© prononcĂ©es, des faits qui ne sont pas arrivĂ©s, mais l'Ăąme et le cƓur des premiers Franciscains ont bien Ă©tĂ© tels qu'ils sont ici dĂ©peints. Les Fioretti ont cette vĂ©ritĂ© vivante que donne le pin- ceau. Il manque quelque chose Ă  la physionomie du Po- verello quand on oublie sa conversation avec frĂšre LĂ©on sur la joie parfaite, son voyage Ă  Sienne avec Masseo, ou mĂȘme la conversion du loup de Gubbio. Il ne faudrait cependant pas exagĂ©rer le cĂŽtĂ© lĂ©gen- daire des Fioretti, il n'y a pas plus de deux ou trois de ces rĂ©cits dont le noyau ne soit historique et facile Ă  re- trouver. Le fameux Ă©pisode du loup de Gubbio, qui est sans doute le plus merveilleux de toute la sĂ©rie, n'est, pour parler comme les graveurs, que le troisiĂšme Ă©tat du rĂ©cit des brigands de Monte-Casale *, fondu avec une lĂ©gende de l'Alverne. 1. Le SpĂ©culum 46b, 58b, 455a, nous donne les trois Ă©tats. Cf. FĂźor. 26 et 21, Conform. 119b 2. ETUDE CRITIQUE DES SOURCES CXI Les rĂ©cits se pressent dans ce livre, comme des volĂ©es de souvenirs qui arrivent pĂȘle-mĂȘle, et oĂč des dĂ©tails insignifiants occupent bien plus de place que les plus grands Ă©vĂ©nements notre mĂ©moire est, en effet, une grande enfant, et ce qu'elle retient d'un homme, c'est d'ordinaire un trait, un mot, un geste. L'histoire scienti- fique fait effort pour rĂ©agir, pour marquer la valeur re- lative des faits, amener ce qui est important au premier plan, rejeter ce qui est secondaire, dans la pĂ©nombre. Ne se trompe-t elle pas? Y a-t-il de l'important et du secondaire? Ou plutĂŽt peut-on arriver Ă  le marquer? L'imagination populaire a raison ce qu'il faut retenir d'un homme, c'est le regard dans lequel il s'est mis tout entier, c'est un cri du cƓur, c'est un geste qui a exprimĂ© la personnalitĂ©. Tout JĂ©sus n'est-il pas dans les paroles du dernier souper? Et tout saint François, dans son allo- cution Ă  frĂšre loup, et son sermon aux oiseaux? Gardons-nous donc bien de mĂ©priser ces documents oĂč les premiers Franciscains se sont racontĂ©s tels qu'ils se voyaient. Ecloses sous le ciel de l'Ombrie, au pied des oliviers de Saint-Damien ou des sapins de la Marche d'AncĂŽne, ces fleurettes sauvages ont un parfum et une originalitĂ© qu'on attendrait en vain de fleurs entourĂ©es des soins d'un savant jardinier. Appendices des Fioretti. Dans le premier de ces appendices, le compilateur a rĂ©parti en cinq chapitres tous les renseignements qu'il a pu recueillir sur les stigmates. Il est facile de com- prendre le succĂšs des Fioretti. Le peuple s'Ă©prit d'amour pour ces rĂ©cits oĂč saint François et ses compa- gnons apparaissaient tout Ă  la fois plus humains et" plus divins que dans les autres lĂ©gendes; aussi Ă©prouva- CXII VIE DE S. FRANÇOIS o t-on bien vite le besoin de les complĂ©ter pour en faire une vĂ©ritable biographie *. Le second, intitulĂ© Vie de frĂšre JunipĂšre, n'a qu'un rapport assez indirect avec saint François ; il mĂ©rite cependant d'ĂȘtre Ă©tudiĂ©, car il prĂ©sente le mĂȘme genre d'intĂ©rĂȘt que le recueil principal, auquel il n'est sans doute guĂšre postĂ©rieur. Dans ces quatorze chapitres on trouve les principaux traits de la vie de ce frĂšre, dont les folles et saintes bizarreries dĂ©frayent encore les conversations des monastĂšres ombriens. Ces pages sans prĂ©tention nous dĂ©couvrent une partie de l'Ăąme francis- caine. Les historiens officiels avaient cru devoir garder le silence sur ce frĂšre qui leur paraissait surtout un indiscret personnage, fort encombrant devant les laĂŻques pour le bon renom de l'Ordre. Ils avaient raison Ă  leur point de vue, mais il faut savoir grĂ© aux Fioretti de nous avoir conservĂ© cette physionomie si gaie, si modeste et d'une bonhomie parfois si malicieuse. Certainement saint François ressemblait plus Ă  JunipĂšre qu'Ă  frĂšre Elle ou Ă  saint Bonaventure 2. Le troisiĂšme Vie de frĂšre Egide, paraĂźt ĂȘtre en somme le document le plus ancien que nous possĂ©dions sur la vie du fameux extatique. Il est bien possible que ces rĂ©cits proviennent de ce frĂšre Jean auquel en appellent les Trois Compagnons dans leur prologue. 1. Ce dĂ©sir Ă©tait si naturel que le manuscrit de la bibliothĂšque AngĂ©lique renferme plusieurs chapitres additionnels, sur la donation de la Portioncule, l'indulgence du 2 aoĂ»t, la naissance de saint François, etc. V. Amoni, Fioretti, Roma 1889, p. 266, 378—386. Une intĂ©ressante Ă©tude serait de rechercher l'origine de ces docu- ments et d'Ă©tablir leur parentĂ© avec le SpĂ©culum et les Confor-/. mitĂ©s. V. Conform. 281a 1, 121b. Spec. 92—96. 2. JunipĂšre avait Ă©tĂ© reçu dans l'Ordre par saint François. En 1253 il assista Ă  la mort de sainte Glaire. A. SS. Aug., t. II, p. 764 d. — Les ConformitĂ©s parlent de lui avec dĂ©tail, f^ 62b. ETUDE CRITIQUE DES SOURCES CXIII On retrouve, en lisant les textes si dĂ©fectueux que nous donnent les Ă©ditions actuelles, la main d'un anno- tateur dont les indications se seront glissĂ©es dans le texte^ 5 mais malgrĂ© cela, cette vie est une des plus im- portantes sources secondaires. Ce frĂšre toujours errant, dont une des principales prĂ©occupations est de vivre de son travail, est une des figures les plus originales et les plus heureuses de l'entourage de saint François, et c'est dans son genre de vie qu'il faut aller chercher le sens vĂ©ritable de quelques-uns des passages de la RĂšgle et prĂ©cisĂ©ment de ceux qui ont eu le plus Ă  souffrir des entreprises des exĂ©gĂštes. Le quatriĂšme renferme les sentences favorites de frĂšre Egide ; elles n'ont d'autre importance que de montrer les tendances de l'enseignement franciscain primitif. Ce sont des conseils courts, prĂ©cis, pratiques, imprĂ©gnĂ©s de mysticisme, et dans lesquels cependant le bon sens ne perd jamais ses droits. Le recueil tel qu'il est dans les Fioretti, est sans doute peu postĂ©rieur Ă  Egide, car dĂšs 1385 BarthĂ©lĂ©my de Pise en fournit un beaucoup plus long 2. VI. Chronique des XXIV gĂ©nĂ©raux^. On y trouve Ă  la suite de la vie de François celle de la plupart de ses compagnons, puis les Ă©vĂ©nements sur- venus sous les vingt-quatre premiers gĂ©nĂ©raux. 1. Les sept premiers chapitres forment un tout. Les trois qui suivent sont sans doute une premiĂšre tentative pour les complĂ©ter. 2. ConformitĂ©s, f» 55b 1— 60a 1. 3. Voir Archiv, t. I, p. 145, un article du R. P. Denifle Zur Quellenkunde der Franziakaner Geschichte, oĂč il indique jusqu'Ă  huit manuscrits de ce travail. Cf. Ehrle Zeitschrift, 1883, p. 324, GXIV VIE DE S. FRANÇOIS C'est un travail de compilation assez ordinaire. Les auteurs ont voulu y faire entrer tous les morceaux qu'ils Ă©taient parvenus Ă  recueillir, aussi le rĂ©sultat prĂ©sente- t-il un ensemble fort disparate. Une Ă©tude approfondie pourra en ĂȘtre intĂ©ressante et utile, mais elle ne sera possible qu'aprĂšs sa publication. Celle-ci ne saurait tarder Ă  deux reprises Ă  quinze mois d'intervalle, lorsque j'ai voulu Ă©tudier le manuscrit d'Assise, il se trouvait chez les Franciscains de Quaracchi qui en prĂ©parent l'impression. Il est difficile de ne pas rapprocher l'Ă©poque oĂč ce recueil a Ă©tĂ© clĂŽturĂ© de celle oĂč BarthĂ©lĂ©my de Pise a Ă©crit son fameux ouvrage. Peut-ĂȘtre y a-t-il entre eux des rapports assez Ă©troits. Cette chronique a Ă©tĂ© une des sources auxquelles Glassberger a puisĂ© avec prĂ©dilection. Vil. Les ConformitĂ©s de BarthĂ©lĂ©my de Pise. * Le livre des ConformitĂ©s, auquel frĂšre BarthĂ©lĂ©my de Pise consacra plus de quinze annĂ©es de sa vie 2, semble n'avoir Ă©tĂ© lu que d'une maniĂšre distraite par la plupart note 3. Je n'ai Ă©tudiĂ© que les deux manuscrits de Florence Ric- cardi 279, sur papier, 243 f46 b 1 1. Bernardus de Quinta- vallc, 2. Petrus Chatanii, 3. Egidius, 4. Sabatinus, 5. Moricus, 6. Johannes de Capelia, 7. Philippus Longus, 8. Johannes de San et 0 Constantio, 9. Barbarus, 10. Bernardus de Cleviridante sic, 11. AngĂ©lus Tancredi, 12. Sylvester. Gomme on le voit, dans ces deux derniers documents, il est question de douze disciples, s. FRANÇOIS ET INNOCENT III 103 cultes. La question prit de l'importance, lorsqu'au quatorziĂšme siĂšcle on voulut trouver entre la vie de saint François et celle de JĂ©sus une constante conformitĂ©. Elle est pour nous sans intĂ©rĂȘt. Le profil de deux ou trois de ces frĂšres se dĂ©tache trĂšs nettement dans le tableau des origines de l'Ordre; les autres font songer aux tableaux des maĂźtres ombriens primitifs, oĂč les figures d'arriĂšre-plan ont une grĂące caressante et pudique, mais pas l'ombre de personnalitĂ©. Ces premiers Franciscains eurent toutes les vertus, y compris celle qui nous fait le plus dĂ©faut, celle de con- sentir Ă  rester anonymes. Il y a dans l'Ă©glise infĂ©rieure d'Assise une vieille fresque reprĂ©sentant cinq des compagnons de saint François ; au-dessus d'eux se trouve une Madone de Cimabue qu'ils contemplent de toute leur Ăąme ; ce serait plus vrai si au lieu de la Madone il y avait saint Fran- çois on se transforme toujours Ă  l'image de ce qu'on admire, aussi ressemblent-ils Ă  leur maĂźtre et se res- semblent-ils entre eux^. C'est faire une sorte d'erreur psychologique et se rendre coupable d'infidĂ©litĂ© Ă  leur mĂ©moire que de chercher Ă  leur donner un nom ; le seul qu'ils auraient dĂ©sirĂ©, c'est celui de leur pĂšre. Son amour a changĂ© leur cƓur et rĂ©pand sur toute leur personne un rayonnement de lumiĂšre et de joie. Ce sont tandis que dans les prĂ©cĂ©dents il n'y en a que onze. Cela suffirait Ă  indiquer une thĂšse dogmatique. Cette liste se retrouve exacte- ment dans le SpĂ©culum avec la seule diffĂ©rence que François y Ă©tant compris, Ange de TancrĂšde est le douziĂšme frĂšre et Sylvestre disparaĂźt. Spec. 87 a. 1. D'aprĂšs la tradition, les cinq compagni del Santo ensevelis lĂ ,' au rĂšs de leur maĂźtre, seraient Bernard, Sylvestre, Guillaume anglais Eletto et Valentin ?. 104 VIE DE S. FRANÇOIS lĂ  les vrais personnages des Fioretti, ces hommes qui pacifiaient les villes, troublaient les consciences, chan- geaient les cƓurs, conversaient avec les oiseaux, appri- voisaient les loups. C'est vraiment d'eux qu'on peut dire ils n'avaient rien, mais ils possĂ©daient tout Nihil^ habentes, omnia possidentes. Ils quittĂšrent la Portioncule pleins de joie et de con- fiance. François Ă©tait trop absorbĂ© par ses pensĂ©es pour ne pas dĂ©sirer remettre en d'autres mains la direction de la petite troupe Choisissons, dit-il, l'un d'entre nous pour nous guider, et qu'il nous soit comme le vicaire de JĂ©sus-Christ. Partout oĂč il lui plaira de passer nous passerons, et quand il voudra s'arrĂȘter pour coucher quelque part, nous nous y arrĂȘterons.» Ils choisirent frĂšre Bernard, et firent comme François avait dit. Ils allaient pleins de joie et toutes leurs conversations n'avaient pour but que la gloire de Dieu et le salut de leurs Ăąmes. Leur voyage s'accomplit heureusement, partout ils trouvĂšrent de bonnes Ăąmes qui les hĂ©bergeaient, et ils sentaient Ă  n'en pas douter que le bon Dieu prenait soin d'eux ^ Les prĂ©occupations de François allaient toutes au but de leur voyage; il y pensait jour et nuit et inter- prĂ©tait naturellement ses rĂȘves dans ce sens. Une fois, il se vit en songe, cheminant sur une route, au bord de laquelle Ă©tait un arbre gigantesque et admi- rablement beau; et voici, pendant qu'il le contemplait, tout Ă©merveillĂ©, il se sentit devenir si grand qu'il en touchait les rameaux, et en mĂȘme temps l'arbre incli- 1. 3 Soc. 46; 1 Gel. 32; Bon. 34. s. FRANÇOIS ET INNOCEx\T III 105 nait jusqu'Ă  lui ses branches^. Il se rĂ©veilla plein de joie, sĂ»r du bon accueil que leur rĂ©servait le souverain ponlife. Ses espĂ©rances devaient ĂȘtre un peu déçues Inno- cent III occupait depuis douze ans la chaire de saint Pierre. Jeune encore, Ă©nergique, rĂ©solu, il avait cette surabondance d'autoritĂ© que donne le succĂšs. Venant aprĂšs le faible GĂ©lestin lĂŻl, il avait su en quelques annĂ©es reconquĂ©rir le domaine temporel de l'Église et imposer l'influence papale de façon Ă  rĂ©aliser presque les rĂȘves de thĂ©ocratie de GrĂ©goire VII. 11 avait vu le roi Pierre d'Aragon se dĂ©clarer son vassal et venir dĂ©poser sa couronne sur le tombeau des apĂŽtres pour la rece- voir de ses mains. A l'autre bout de l'Europe, Jean sans Terre Ă©tait obligĂ© de recevoir la sienne d'un lĂ©gat, aprĂšs avoir jurĂ© hommage, fĂ©autĂ© et tribut annuel au Saint-SiĂšge. PrĂȘchant l'union aux villes et aux rĂ©pu- bliques de la PĂ©ninsule, faisant Ă©clater le cri ITALÏ A ! ITALIA ! comme un coup de clairon, il Ă©tait le reprĂ©- sentant naturel du rĂ©veil national, et semblait en quelque sorte le suzerain de l'empereur, comme il l'Ă©tait dĂ©jĂ  des autres rois. Enfin, par ses efforts pour purifier l'Église, par son indomptable fermetĂ© Ă  dĂ©fendre la morale et le droit dans l'affaire d'Ingelburge et dans bien d'autres, il conquĂ©rait une force morale qui, dans ces temps si troublĂ©s, Ă©tait d'autant plus puissante qu'elle Ă©tait plus rare. Mais ce pouvoir incomparable avait ses Ă©cueils. A force de dĂ©fendre les prĂ©rogatives du Saint-SiĂšge, Innocent oublia que l'Église n'existe point pour elle- i. 4 Gel. 33; 3 Soc. 53; Bon. 35. 406 VIE DE s. FRANÇOIS mĂȘme, que la suprĂ©matie n'est qu'un moyen transitoire, et une partie de son pontificat ressemblera Ă  ces guerres, lĂ©gitimes au dĂ©but, mais ou le vainqueur continue les ravages et les massacres presque sans savoir pourquoi, uniquement parce qu'il est grisĂ© de sang et de succĂšs. Aussi Rome qui a canonisĂ© le pauvre GĂ©lestin V, a-t-elle refusĂ© cette consĂ©cration suprĂȘme au glorieux Innocent III. Elle a senti, avec un tact exquis, qu'il avait Ă©tĂ© plus roi que prĂȘtre, plus pape que saint. Quand il rĂ©prime les dĂ©sordres ecclĂ©siastiques, c'est moins par amour du bien que par haine du mal ; c'est le juge qui condamne ou menace s'appuyant toujours sur une loi, ce n'est pas le pĂšre qui pleure. Il y a une chose que ce pontife ne comprit pas en son siĂšcle l'Ă©veil de l'amour, de la poĂ©sie, de la libertĂ©. J'ai dit plus haut qu'au commencement du XIÎP siĂšcle le moyen Ăąge eut vingt ans. Innocent III voulut le mener comme s'il n'en avait eu que quinze. PossĂ©dĂ© par son dogme civil et religieux, comme d'autres le sont par leurs doctrines pĂ©dagogiques, il ne devina pas ce qui s'agitait confusĂ©ment au fond des Ăąmes de tendresses inassouvies, de rĂȘves, insensĂ©s peut- ĂȘtre, mais bienfaisants et divins. Ce fut un croyant, quoique quelques phrases des historiens ^ laissent la porte ouverte Ă  bien des suppo- sitionSj mais sa religion lui venait plus de la Bible que de l'Évangile, et s'il rappelle souvent MoĂŻse le conduc- teur des peuples, rien en lui ne fait songer Ă  JĂ©sus le pasteur des Ăąmes. 1. Sainte Lutgarde 1182-1246 le vit plongĂ© dans le Purgatoire jusqu'au jugement dernier. Vie de cette Sainte par Thomas de Ga- timprĂ© dans Surius VitƓ SS. 1618, VI, 215-226. s. FRANÇOIS ET INNOCENT III ^07 Oa ne peut tout avoir une intelligence d'Ă©lite, une volontĂ© de fer^ sont une part assez belle mĂȘme pour un prĂȘtre-dieu ; il lui manqua l'amour. La mort de ce pontife, grand entre les grands, devait ĂȘtre saluĂ©e par des chants d'allĂ©gresse^. La rĂ©ception qu'il fit Ă  François, a fourni Ă  l'ami de Dante, Ă  Giotto, le sujet d'une des pages les plus saisissantes de son Ɠuvre ; le pape assis sur son trĂŽne fait un brusque mouvement pour se pencher vers saint François. Il fronce le visage, car il ne comprend pas, et cependant il sent dans cet homme vil et mĂ©prisĂ© — vilis et despectus — une Ă©trange puis- sance; il fait un rĂ©el mais inutile effort pour saisir, et je retrouve tout Ă  coup en ce pape, — qui se nourrissait de citron ^, — quelque chose qui rappelle une autre intel- ligence d'Ă©lite, celle d'un thĂ©ocrate aussi, immolĂ© comme lui Ă  son Ɠuvre Calvin. On pourrait croire que le peintre avait trempĂ© ses lĂšvres dans la coupe du Voyant calabrais et qu'il a voulu symboliser dans l'attitude de ces deux hommes la 1. Vir clari ingeniij magnƓ probitatis et sapientiƓ^ oui nullus secundus tempore suo Rigordus, de gestis Philippi Augusti dans Duchesne, HistoriĂ©e Francorum scriptores coƓfanei, t. V, p. 60. — Nec si'inilem sui scientia, facundia, decretoriim et legum peri- iitia, strenuitate judiciorum nec adhuc visus est habere sequentem. Cf. Mencken, Script, rer. Sax., Leipzig, 1728, t. III, p. 252. Innocentius, qui vere stupor mundi erat et immutator sƓculi. Cotton, Hist. Anglicana, Ă©d. Luard, 1859, p. 107. 2. Cujus finis lƓlitiam potius quam tristitiam generavit sub- jectis. AlbĂ©ric des Trois-Fontaines, Ă©d. Leibnitz, Accessiones his- toricƓ^ t. II, p. 492. 3. Decidit in acutam {febrem quam cum multis diebus fovisset nec a citris, quibus in magna quantitate et ex consuetudine vescebatur. . . minime abstineret. . . ad ultimmn in lethargia pro- lapsus vitam fmivit. AlbĂ©ric des Trois-Fontaines, loc. cit. 108 VIE DE S. FRANÇOIS rencontre des reprĂ©sentanls de deux Ăąges de l'humanitĂ©, celui de la Loi et celui de l'Amour^. Une surprise atteniait les pĂšlerins Ă  leur arrivĂ©e Ă  Rome ils rencontrĂšrent l'Ă©vĂȘque d'Assise ^ qui fut tout aussi Ă©tonnĂ© qu'eux-mĂȘmes. Ce dĂ©tail est prĂ©cieux, puisqu'il prouve que François n'avait pas entretenu Guido de ses projets. MalgrĂ© cela il leur offrit, dit-on, de les patronner auprĂšs des princes de l'Église. On ne peut s'empĂȘcher de soupçonner que ses recommanda- tions ne lurent peut-ĂȘtre pas trĂšs chaudes. En tout cas, elles n'Ă©pargnĂšrent Ă  François et Ă  ses compagnons ni une minutieuse enquĂȘte, ni les longs et paternels conseils du cardinal Jean de Saint-Paul ^ sur les difficultĂ©s de la RĂšgle, conseils qui rappellent de fort prĂšs ceux de Guido lui-mĂȘme^. 1. Fresque de la grande nef de l'Ă©glise supĂ©rieure d'Assise. 2. 1 Gel. 32; 3 Soc. 47. 3. De la famille Colonna, il mourut en 1216. Cf. 3 Soc. 61. V. Cardella, Memorie storiche de Cardinali, 9 vol., in-8^, Rome 1792 ss , t. 1, p. 177. Il Ă©tait Ă  Rome dans TĂ©tĂ© de 1210, car le 11 aoĂ»t il contresigna la bulle Religiosam vitam, Potlhast 4061. Angelo Glareno raconte l'approbation, d'une maniĂšre plus prĂ©- cise Ă  certains Ă©gards Cum vero Summo Pontifici ea quƓ postu- lahat \^FYanciscus\ ardua valde et quasi viderentur iiifirmitati hominum sui temporis, exhortahatur eum, quod aliquem ordinem vel regulam de approbatis assumevet, at ipse se a Chriato missum ad taletn vitam et non aliam postulandam conatanter affĂźrmahs, fixas in sua petitione permansit. Tune dommus Johannes de sancto Paiilo episcopus Sabinensis et do- minus Hugo episcopus Hustiensis Dei spiritu moti assisterunt Sancto Francisco et pro hi^ quƓ petebat coram summo Pontifice et Cardinalibus plura propoauerunt rationabilia et efficacia valde. Tribut. Man. de la Laurentienne, f, Paris 1885; 1° Portrait contemporain par frĂšre Eudes; se trouve Ă  Subiaco {loc. cit. p. 30 ; 2^ Portrait datant des environs de 1230 par Giunta Pisano ?; conservĂ© Ă  la Portioncule {loc. cit. p. 384; 3*^ enfin, portrait datĂ© de 1235, par Bon. Berlinghieri et conservĂ© Ă  Pescia en Toscane {loc. cit. p. 277. En 1886, le prof. Garattoli a Ă©tudiĂ© avec grand soin un portrait qui date Ă  peu prĂšs des mĂȘmes annĂ©es, et dont il donne un dessin, conservĂ© aussi depuis quelque temps Ă  la Por- tioncule. Miscellanea francescana t. I, p. 44-48. Cf. p. 160, 190 et 1887, p. 32. M. Bonghi a Ă©crit des pages intĂ©ressantes sur l'ico- nographie de saint François {Francesco di Assisi, 1 vol. in-12, Citta di Gastello, Lapi 1884. V. p. 103-113. CHAPITRE XI L'homme intĂ©rieur et le thaumaturge. La tournĂ©e missionnaire, entreprise sur les encou- ragements de sainte Glaire et si poĂ©tiquement inaugurĂ©e par le sermon aux oiseaux de Bevagna, semble avoir Ă©tĂ© pour François un triomphe continuel ^. La lĂ©gende s'empare de lui dĂ©finitivement ; bon grĂ© mal grĂ©, les miracles Ă©clatent sous ses pas ; Ă  son insu mĂȘme, les objets qui lui ont servi ont des effets merveilleux ; on sort processionnellement des villages pour aller Ă  sa rencontre, et chez le biographe on entend l'Ă©cho de ces fĂȘtes religieuses d'Italie, gaies, populaires, bruyantes, ensoleillĂ©es, qui ressemblent si peu aux fĂȘtes mĂ©ticu- leusement organisĂ©es des peuples septentrionaux. D'Alviano, François vint sans doute Ă  Narni, une des plus dĂ©licieuses bourgades de l'Ombrie, en train de se bĂątir une cathĂ©drale au lendemain de la conquĂȘte de ses libertĂ©s communales. Il semble avoir eu pour elle une sorte de prĂ©dilection ainsi que pour les villages environnants ^, 1. 1 Gel, 62. 2. 1 Gel. 66; Cf. Bon. 180; 1 Gel. 57; Gf. Bon. 182; 1 Gel. 69; Bon. 183. AprĂšs la mort de saint François, les Narniates furent les plus empressĂ©s avenir prier sur son tombeau, 1 Gel. 128, 135, 136, 138,141; Bon. 275. l'homme intĂ©rieur et le thaumaturge 209 De lĂ , il paraĂźt s'ĂȘtre engagĂ© dans la vallĂ©e de Rieti, oĂč Greccio, Fonte-Colombo, San-Fabiano, Sant-Eleu- thero, Poggio-Buscone conservent ses traces mieux encore que les environs d'Assise. Thomas de Celano ne nous donne aucun dĂ©tail sur la route suivie, mais s'Ă©tend par contre sur les succĂšs de l'apĂŽtre dans la Marche d'AncĂŽne, et surtout Ă  Ascoli. Les gens de ces contrĂ©es se rappelaient-ils encore les appels que François et Égide Ă©taient venus leur adresser six ans auparavant 1209, ou faut-il croire qu'ils Ă©taient tout particuliĂšrement prĂ©parĂ©s pour comprendre l'Evan- gile nouveau? Quoi qu'il en soit, nulle part ailleurs on n'avait montrĂ© pareil enthousiasme ; l'effet des prĂ©di- cations fut si grand qu'une trentaine de nĂ©ophytes reçurent immĂ©diatement l'habit. La Marche d'AncĂŽne devait rester la province fran- ciscaine par excellence. C'est lĂ  que sont OffĂźda, San- Severino, Macerata, Forano, CingoH, Fermo, Massa et vingt autres ermitages oĂč la pauvretĂ© devait trouver pendant plus d'un siĂšcle ses hĂ©rauts et ses martyrs ; c'est de lĂ  que sont sortis Jean de l'Alverne, Jacques de Massa, Conrad d'OffĂźda, Angelo Clareno, et ces lĂ©gions de rĂ©volutionnaires anonymes, de rĂȘveurs, de prophĂštes, qui depuis les frĂšres extirpĂ©s en 1244 par le gĂ©nĂ©ral de l'Ordre, Crescentius de Jesi, ne cessĂšrent de se recruter, et, par leur fiĂšre rĂ©sistance Ă  tous les pouvoirs, Ă©cri- virent une des plus belles pages de l'histoire religieuse du moyen Ăąge. Ces succĂšs, qui inondaient de joie l'Ăąme de François, ne provoquaient pas chez lui le plus petit mouvement d'orgueil. Jamais homme n'a eu une plus grande puis- sance sur les cƓurs, parce que jamais prĂ©dicateur ne 210 VIE DE S. FRANÇOIS s'est moins prĂȘchĂ© lui-mĂȘme. Un jour frĂšre Masseo voulut mettre sa modestie Ă  l'Ă©preuve Pourquoi toi? Pourquoi toi? Pourquoi toi? rĂ©pĂ©ta-t-il Ă  plusieurs reprises, comme s'il avait voulu se railler de François.» — Que veux-tu donc dire, s'Ă©cria enfin celui-ci.» — Je veux dire que tout le monde te suit, chacun dĂ©sire te voir, t'entendre, t'obĂ©ir, et pourtant tu n'es ni beau, ni savant, ni de noble famille. D'oĂč vient donc que ce soit toi que tout le monde veut suivre?» — A l'ouĂŻe de ces paroles, le bienheureux François plein de joie leva les yeux au ciel, et aprĂšs ĂȘtre restĂ© un long moment absorbĂ© dans sa contemplation, il s'age- nouilla, louant et bĂ©nissant Dieu avec une ferveur extraordinaire. Puis se tournant vers Masseo Tu veux savoir pourquoi c'est moi que l'on suit? Tu veux le savoir? C'est que les yeux du TrĂšs-Haut l'ont voulu ainsi ils regardent sans cesse les bons et les mĂ©chants, et comme ces yeux trĂšs saints n'ont aperçu parmi les pĂ©cheurs aucun homme plus petit, ou plus insuffisant ou plus pĂ©cheur que moi, ils m'ont choisi pour accomplir l'Ɠuvre merveilleuse que Dieu a entreprise ; il m'a choisi, parce qu'il n'en a pas trouvĂ© de plus vil, et qu'il a voulu ainsi confondre la noblesse et la grandeur, la force, la beautĂ© et la science du monde i.» Cette rĂ©ponse jette un rayon de lumiĂšre sur le cƓur de saint François le message qu'il apporte au monde, c'est encore une fois la bonne nouvelle annoncĂ©e aux pauvres; son but est la reprise de cette Ɠuvre messia- nique entrevue par la Vierge de Nazareth dans son Magnificat^ ce chant d'amour et de libertĂ©, dans les 1. Spec. 103a; Fior. 10; Cf. Conform. 50b 1, 175a2. l'homme intĂ©rieur et le thaumaturge 211 soupirs duquel passe la vision d'un Ă©tat social nou- veau. Il vient rappeler que le bonheur de l'homme, la paix de son cƓur, la joie de sa vie, n'est ni dans l'argent, ni dans la science, ni dans la force, mais dans une volontĂ© droite et sincĂšre Paix aux hommes de bonne volontĂ©! Le rĂŽle qu'il avait jouĂ© k Assise dans les dĂ©bats de ses concitoyens, il l'aurait volontiers jouĂ© dans tout le reste de la PĂ©ninsule, car jamais personne n'a rĂȘvĂ© une rĂ©novation sociale plus complĂšte, mais si le but est le mĂȘme que pour beaucoup de rĂ©volutionnaires venus aprĂšs lui, les moyens sont complĂštement difFĂ©rents sa seule arme fut l'amour. L'Ă©vĂ©nement lui a donnĂ© tort. A part les illuminĂ©s de la Marche d'AncĂŽne et les Fraticelli de notre Pro- vence, ses disciples ont Ă  l'envi mĂ©connu sa pensĂ©e ^. Qui sait si personne ne se lĂšvera pour reprendre son Ɠuvre? La fureur des spĂ©culations vĂ©reuses n'a-t-elle 1. En ce qui concerne 1» la fidĂ©litĂ© Ă  la PauvretĂ©; 2° l'inter- diction de modifier la RĂšgle ; 3° l'Ă©gale autoritĂ© du Testament et de la RĂšgle ; 4» la demande de privilĂšges en cour de Rome ; 5° l'Ă©lĂ©- vation des frĂšres Ă  de hautes charges ecclĂ©siastiques ; 6" la dĂ©fense absolue de se mettre en opposition avec le clergĂ© sĂ©culier; 7° inter- diction des grandes Ă©glises et des riches couvents. Sur tous ces points et bien d'autres encore l'infidĂ©litĂ© Ă  la volontĂ© de François Ă©tait complĂšte dans l'Ordre moins de vingt-cinq ans aprĂšs sa mort. On peut Ă©piloguer sur tout cela; le Saint-SiĂšge, en interprĂ©tant la RĂšgle, a eu le droit canonique pour lui, mais libertin de Casai, en disant qu'elle Ă©tait parfaitement claire et n'avait pas besoin d'inter- prĂ©tation, avait le bon sens de son cĂŽtĂ©, que cela lui suffise ! Et est stupor quare queritur expositio super litteram sic apertam quia nulla est difficultas in regulƓ intelligeĂŻitia {Arbor vitƓ crucifixƓ, Venise, 1485, lib. V, cap 3. Sancius vir Egidius ianto ejulatu cla~ mahat super regulƓ destructionem quamvidebat quod ignoranti- bus viam spiritus quasi videbatur insanus. Jd. Ibid. 212 VIE DE S. FRANÇOIS pas fait assez de victimes! N'y en a-t-il pas beaucoup parmi nous qui s'aperçoivent que le luxe est un trompe l'Ɠil? que si la vie est un combat, elle n'est pas une tuerie oĂč des bĂȘtes fĂ©roces se disputent une proie, mais qu'elle est la lutte avec le divin, sous quelque forme qu'il se prĂ©sente, vĂ©ritĂ©, beautĂ© ou amour? Qui sait si ce dix-neuviĂšme siĂšcle agonisant ne se soulĂšvera pas de son suaire pour faire amende honorable et lĂ©guer Ă  son successeur une parole de foi virile? Oui, le Messie viendra. Celui qui a Ă©tĂ© annoncĂ© par Joachim de Flore et qui doit inaugurer un nouveau cycle de l'histoire de l'humanitĂ©, paraĂźtra. L'espĂ©rance ne confond point, 11 y a, dans nos Babylones modernes et dans les chaumiĂšres de nos montagnes, trop d'Ăąmes qui soupirent mystĂ©rieusement l'hymne de la grande vigile Borate cƓli desuper et nubespluant Justum^, pour que nous ne soyons pas Ă  la veille d'un enfantement divin. Toute origine est mystĂ©rieuse. Gela est vrai de la matiĂšre, mais encore davantage de cette vie supĂ©rieure Ă  toutes les autres qui s'appelle la saintetĂ© c'est dans la priĂšre que François trouvait les forces spiri- tuelles qui lui Ă©taient nĂ©cessaires; aussi recherchait-il le silence et la solitude. S'il savait batailler au milieu des hommes pour les gagner Ă  la foi, il aimait, suivant la parole de Celano, Ă  s'envoler comme l'oiseau, pour aller se faire un nid sur la montagne 2. 1. deux, rĂ©pandez votre rosĂ©e et que les nuĂ©es fassent pleuvoir le Juste. Antienne du temps de l'Avent. 2. In foramibus petrƓ nidificabat. 1 Cel. 71. Sur les priĂšres de François, V. Ibid. 71 et 72 ; 2 Cel. 3, 38-43; Bon. 139-148. Cf. 1 Cel. 6 ; 91 ; 103 ; 3 Soc. 8 ; 12 ; etc. l'homme intĂ©rieur et le thaumaturge 213 Pour les hommes vraiment pieux, la priĂšre des lĂšvres, l'oraison formulĂ©e n'est guĂšre qu'une forme infĂ©rieure de la vraie priĂšre. MĂȘme lorsqu'elle est sincĂšre et atten- tive, et non pas une rĂ©pĂ©tition machinale, elle n'est qu'un prĂ©lude pour les Ă»mes que le matĂ©rialisme reli- gieux n'a pas tuĂ©es. Rien ne ressemble plus Ă  la piĂ©tĂ© que l'amour. Les formulaires de priĂšres sont aussi incapables de dire les Ă©motions de l'Ăąme, que des modĂšles de lettres d'amour de dire les transports du cƓur passionnĂ©. Pour la piĂ©tĂ© vraie comme pour l'amour profond, la formule mĂȘme est dĂ©jĂ  une sorte de profanation. Prier, c'est parler Ă  Dieu, nous Ă©lever Ă  lui, pour qu'il descende vers nous, converser avec lui. C'est un acte de recueillement, de rĂ©flexion, qui suppose les efforts de ce qu'il y a en nous de plus personnel. EnvisagĂ©e dans ce sens, la priĂšre est la mĂšre de toutes les libertĂ©s et de tous les affranchissements. Qu'elle soit ou non, un soliloque de l'Ăąme avec elle- mĂȘme, ce soliloque n'en serait pas moins le fond mĂȘme des puissantes individualitĂ©s. Chez saint François comme chez JĂ©sus, elle a ce caractĂšre d'effort qui en fait l'acte moral par excellence. Pour connaĂźtre vĂ©ritablement de pareils hommes, il faudrait pouvoir les accompagner, suivre JĂ©sus sur les sommets oĂč il allait passer les nuits trois privilĂ©giĂ©s, Pierre, Jacques, Jean, l'y suivirent un jour, mais pour dĂ©crire ce qu'ils avaient vu, tout ce qu'un viril sursum corda ajouta au rayonnement et Ă  la mystĂ©rieuse gran- deur de celui qu'ils adoraient, ils ont Ă©tĂ© obligĂ©s de recourir Ă  la langue des symboles. Il en fut de mĂȘme pour saint François. Pour lui 22 214 VIE DE S. FRANÇOIS comme pour son MaĂźtre, le terme de la priĂšre, c'est la communion avec le PĂšre cĂ©leste, c'est l'accord du divin et de l'humain, ou plutĂŽt, c'est l'homme qui s'efforce de faire l'Ɠuvre de Dieu^ ne lui disant pas seulement un Fiat passif, rĂ©signĂ©, impuissant, mais qui se relĂšve vaillamment a Me voici. Seigneur, prĂȘt Ă  faire votre volontĂ©. » Il y a d'insondables forces au fond de l'Ăąme humaine, parce qu'au fond il y a Dieu lui-mĂȘme. » Que ce Dieu soit transcendant ou immanent; qu'il soit l'Un, le CrĂ©ateur, le Principe Ă©ternel et immuable ou qu'il soit, comme le disent les docteurs d'outre- Rhin, l'objectivation idĂ©ale de notre moi, lĂ  n'est pas la question pour les hĂ©ros de l'humanitĂ©. Le soldat au milieu de la bataille ne philo- sophe pas pour savoir ce qu'il y a de vrai ou de faux dans le sentiment patriotique; il prend ses munitions et se bat au pĂ©ril de sa vie. Les soldats des combats spiri- tuels cherchent de mĂȘme leurs forces dans la priĂšre, dans la rĂ©flexion, la contemplation, l'inspiration tous, poĂštes, artistes, initiateurs, saints, lĂ©gislateurs, pro- phĂštes, conducteurs de peuples, savants, philosophes, c'est Ă  cette mĂȘme source qu'ils vont puiser. Mais ce n'est pas sans peine que l'Ăąme s'unit Ă  Dieu, ou si l'on aime mieux, qu'elle se trouve elle-mĂȘme. Une priĂšre n'aboutit Ă  la communion divine que si elle a commencĂ© par ĂȘtre une lutte. Le patriarche d'IsraĂ«l, couchĂ© prĂšs de BĂ©lhel, l'avait dĂ©jĂ  devinĂ©, le Dieu qui passe, ne dit son nom qu'Ă  ceux qui l'arrĂȘtent et lui font violence pour le savoir. Il ne bĂ©nit qu'aprĂšs de longues heures de combat. L Evangile a trouvĂ© un mot intraduisible pour nous dire ce caractĂšre des priĂšres de JĂ©sus ; il compare la L HOMME INTÉRIEUR ET LE THAUMATURGE 215 lutte qui prĂ©cĂ©da l'immolation volontaire du Christ, Ă  l'agonie Factus in agonia^. On peut dire de sa vie qu'elle a Ă©tĂ© une longue tentation, une lutte, une priĂšre, puisque ces mots n'expriment que des moments diffĂ©- rents de l'activitĂ© spirituelle. Gomme leur MaĂźtre, les disciples et les successeurs du Christ ne peuvent conquĂ©rir leur Ăąme qu'Ă  force de persĂ©vĂ©rance. Mais ces paroles, vides de signification pour les conventicules dĂ©vots, ont eu pour les gĂ©nies religieux un sens tragique. Rien de plus faux, historiquement, que les saints qui ornent nos Ă©glises avec leur attitude mignarde, leurs airs contristĂ©s, ce je ne sais quoi d'anĂ©mique, et d'Ă©ma- ciĂ©, on dirait presque d'Ă©masculĂ©, qu'il y a dans tout leur ĂȘtre ; ce sont de pieux sĂ©minaristes Ă©levĂ©s sous la direction de saint Alphonse deLiguori ou de saint Louis de Gonzague, ce ne sont pas des saints, c'est-Ă -dire des violents qui ont forcĂ© les portes du ciel. Nous touchons Ă  un des cĂŽtĂ©s les plus dĂ©licats de la vie de François ses relations avec les puissances diabo- liques. Les mƓurs et les idĂ©es ont si profondĂ©ment changĂ©, en ce qui concerne l'existence du diable et ses relations avec les hommes, qu'il est Ă  peu prĂšs impossible de se figurer la place Ă©norme que la pensĂ©e des dĂ©mons a occupĂ©e jadis dans les prĂ©occupations des hommes. Les meilleurs esprits du moyen Ăąge ont cru, sans le moindre doute, Ă  l'existence de l'Esprit maUn, Ă  ses transformations perpĂ©tuelles pour tĂącher de tenter les hommes, et les faire tomber dans ses piĂšges. En plein i. Luc 22, 44. 216 VIE DE S. FRANÇOIS seiziĂšme siĂšcle, Luther, qui avait sapĂ© tant de croyances, ne doute pas plus de l'existence personnelle de Satan que de la sorcellerie, des conjurations ou des posses- sions^. Trouvant dans leur Ăąme tout un arriĂšre-fond de gran- deur et de misĂšre, y entendant Ă©clater parfois les har- monies lointaines d'un appel Ă  une vie supĂ©rieure, bientĂŽt dominĂ©es par les clameurs de la brute, nos ancĂȘtres ne pouvaient s'empĂȘcher de chercher l'expli- cation de ce duel; ils la trouvĂšrent dans la lutte des dĂ©mons contre Dieu. Le diable est le prince des dĂ©mons, comme Dieu est le prince des anges; capables de toutes les transforma- tions, ils se livrent, jusqu'Ă  la fin des temps, des batailles terribles, qui se termineront par la victoire de Dieu ; mais en attendant chaque homme est, durant toute sa vie, sollicitĂ© par ces deux adversaires, et les plus belles Ăąmes sont naturellement les plus disputĂ©es. C'est ainsi que saint François, avec tout son siĂšcle, expliquait les troubles, les terreurs, les angoisses dont son cƓur Ă©tait parfois assailli, aussi bien que les espĂ©- rances, les consolations et les joies dont il Ă©tait d'ordi- naire inondĂ©. Partout oĂč l'on suit ses pas, les traditions locales ont conservĂ© le souvenir des rudes assauts qu'il eut Ă  subir de la part du tentateur. Il est sans doute inutile de rappeler ici ce fait Ă©lĂ©men- 1. FĂ©lix Kuhn, Luther sa vie et son Ɠuvre. Paris 4883, 3 vol. in-8^, t. I, p. 128; t. II, p. 9; t. III, p. 257. Benvenuto Gellini n'hĂ©sito pas Ă  raconter la visite qu'il fit un jour au GolisĂ©e en compagnie d'un magicien dont les paroles Ă©voquĂšrent des nuĂ©es de diables qui vinrent peupler toute l'enceinte. B. Gellini. La vita scritta da lui medesimo, Ă©d. Bianchi. Florence 1890, in-12, p. 33. l'homme INTERIEUR ET LE THAUMATURGE 217 laire que si, avec le temps, les mƓurs changent, l'homme se modifie aussi singuliĂšrement. Si suivant l'Ă©ducation et le genre de vie, tel ou tel sens peut de- venir d'une acuitĂ© qui confond les habitudes courantes — l'ouĂŻe chez le musicien, le tact chez l'aveugle, etc. — il faut estimer par lĂ , combien certains sens ont pu ĂȘtre plus aiguisĂ©s jadis qu'aujourd'hui. L'illusion visuelle a Ă©tĂ©, il y a quelques siĂšcles, chez les adultes, ce qu'elle est aujourd'hui chez les enfants de nos campagnes les plus reculĂ©es. Une feuille qui tremblote, un rien, un souffle, un bruit inexpliquĂ©, crĂ©e chez eux une image qu'ils voient, et Ă  la rĂ©alitĂ© de laquelle ils croient absolu- ment. L'homme est d'une seule piĂšce; l'hypĂ©resthĂ©sie de la volontĂ© suppose celle de la sensibilitĂ© ; l'une est la condition de l'autre, et c'est ce qui rend les hommes des Ă©poques de rĂ©volution tellement plus grands que nature. Il serait inepte, sous prĂ©texte de vĂ©ritĂ©, de vouloir les ramener aux communes mesures de nos sociĂ©tĂ©s contemporaines, car ils ont Ă©tĂ© vĂ©ritablement des demi-dieux pour le bien comme pour le mal. Les lĂ©gendes ne sont pas toujours absurdes. Les hommes de 93 sont encore tout prĂšs de nous, mais c'est pourtant Ă  bon droit que la lĂ©gende s'est emparĂ©e d'eux, et c'est pitiĂ© de voir ces hommes, qui dix fois par jour avaient Ă  prendre des rĂ©solutions oĂč tout Ă©tait en jeu, leur sort, celui de leurs idĂ©es et parfois celui de la patrie, jugĂ©s comme s'ils avaient Ă©tĂ© de bons bourgeois, ayant le loisir de discuter longuement chaque matin le vĂȘtement Ă  mettre ou le menu d'un dĂźner. La plupart du temps, les historiens n'ont aperçu sur eux qu'une partie de la vĂ©ritĂ©, car il n'y a pas eu seulement deux hommes en eux presque tous sont Ă  la fois 218 VIE DE S. FRANÇOIS poĂštes, dĂ©magogues, prophĂštes, tyrans, hĂ©ros, martyrs. Écrire l'histoire, c'est donc traduire et transposer presque continuellement. Les hommes du treiziĂšme siĂšcle n'ont pas pu se rĂ©soudre Ă  ne pas rapporter Ă  une cause extĂ©rieure les mouvements intĂ©rieurs de leur Ăąme. Dans ce qui nous apparaĂźt comme le rĂ©sultat de nos rĂ©flexions, eux voyaient celui de l'inspiration; lĂ  oĂč nous disons dĂ©sirs, instincts, passions, eux disaient tentation; mais il ne faut pas que ces diffĂ©rences de langage nous fassent nĂ©gliger ou taxer de tromperie une partie de leur vie spirituelle, et nous amĂšnent aux apprĂ©ciations d'un rationalisme Ă©troit et ignorant. Saint François a cru bien des fois se battre avec le diable ; les horribles dĂ©mons de l'enfer Ă©trusque han- taient encore les bois de l'Ombrie et de la Toscane, mais tandis que, pour ses contemporains et quelques-uns de ses disciples, les apparitions, les prodiges, les possessions sont des phĂ©nomĂšnes quotidiens, ils sont pour lui excep- tionnels, et restent tout Ă  fait Ă  l'arriĂšre-plan. Dans l'iconographie de saint BenoĂźt, comme dans celle de la plupart des saints populaires, le diable occupe une place prĂ©pondĂ©rante ; dans celle de saint François il disparaĂźt si complĂštement que dans la longue sĂ©rie des fresques de Giotto Ă  Assise, on ne le voit pas une seule fois^. De mĂȘme tout ce qui est thĂ©urgie et thaumaturgie occupe dans sa vie un rang tout Ă  fait secondaire. JĂ©sus dans l'Evangile donne Ă  ses apĂŽtres le pouvoir de chasser 1. Sur le diable et François. V. 1 Gel. 68; 72 ; 3 Soc. 12; 2 Gel. 1, 6; 3, 10 ; 53; 58-65. Bon. 59-62. Cf. Eccl. 3 ; 5 ; 13. Fior. 29 ; Spec. 110 b. Pour avoir une idĂ©e du rĂŽle du diable dans la vie des religieux au commencement du treiziĂšme siĂšcle, il faut lire le Dia- logus miraculorum de GĂ©saire de Heisterbach. tA l'homme intĂ©rieur et le TIIiUMATURGE 219 les esprits impurs et de guĂ©rir toute maladie et toute infirmitĂ©^ François a sĂ»rement pris ces paroles qui faisaient partie de sa RĂšgle, au pied de la lettre. Il a cru faire, et il a voulu faire des miracles; mais sa pensĂ©e religieuse Ă©tait trop pure, pour lui laisser considĂ©rer le miracle autrement que comme un moyen tout exceptionnel d'adoucir les souffrances des hommes. Pas une fois, on ne le voit recourir au miracle pour prouver son apostolat ou imposer ses idĂ©es. Son tact l'avertissait que les Ăąmes sont dignes d'ĂȘtre gagnĂ©es par de meilleurs moyens. Cette absence presque com- plĂšte de merveilleux 2 est d'autant plus remarquable qu'elle est en contradiction absolue avec les tendances de son siĂšcle ^. Ouvrez la vie de son disciple saint Antoine de Padoue {f 1231 c'est un fastidieux catalogue de prodiges, de guĂ©risons, de rĂ©surrections. On dirait le prospectus d'un pharmacien inventeur d'une drogue nouvelle, plutĂŽt 4. Matth. 10, 1. 2. Les miracles n'occupent que dix paragraphes 61-70 dans 1 Cel. et sur le nombre, il en est plusieurs qu'on ne peut guĂšre compter comme miracles de François, puisqu'ils ont Ă©tĂ© faits par des objets lui ayant appartenu. 3. Les hĂ©rĂ©tiques profitĂšrent souvent de cette soif de merveil- leux pour duper les catholiques Les cathares de Moncoul fabri- quĂšrent un portrait de la Vierge, oĂč elle Ă©tait reprĂ©sentĂ©e borgne et Ă©dentĂ©e, et dirent que dans son humilitĂ© le Christ avait choisi une femme trĂšs laide pour mĂšre. Ils n'eurent pas de peine Ă  pro- voquer quelques guĂ©risons; l'image devint fameuse, fut vĂ©nĂ©rĂ©e un peu partout, et accomplit une foule de miracles jusqu'au jour oĂč les hĂ©rĂ©tiques divulguĂšrent la mystification au grand scandale des fidĂšles. Egbert de SchĂŽnau, Contra Catharos^ serm. I, cap. 2 Patrol. iat. Migne, t. 195. Cf. Heisterbach, loc cit., V, 18. Luc de Tuy, De altĂ©ra Vita, lib. II, 9; III, 9, 18Patrol. Migne, 208. 220 VIE DE S. FRANÇOIS qu'un app3l Ă  la converĂŽioa et Ă  une vie supĂ©rieure. Gela peut intĂ©resser des malades ou des dĂ©vots, mais ni le cƓur ni la conscience n'y sont saisis. Il faut dire Ă  la dĂ©charge d'Antoine de Padoue que ses relations avec François semblent avoir Ă©tĂ© fort peu de chose. Chez les disciples de la premiĂšre heure, qui avaient eu le temps de pĂ©nĂ©trer jusqu'au fond de la pensĂ©e de leur maĂźtre, on retrouve des traces de ce noble dĂ©dain du merveilleux; ils savaient trop bien, ceux-lĂ , que la joie parfaite n'est pas de stupĂ©fier le monde par des prodiges, de rendre la vue aux aveugles, ni mĂȘme de ressusciter des morts de quatre jours, mais qu'elle est dans cet amour qui va jusqu'Ă  l'immolation. Mihi ahsit gloriari nisi in cruce Domini^, Aussi frĂšre Égide demandait-il en grĂące au bon Dieu de ne pas lui faire faire de miracles; il voyait en eux, comme dans la passion pour la science, un piĂšge oĂč se feraient prendre les orgueilleux, et qui dĂ©tournerait l'Ordre de sa vraie mission 2. Les miracles de saint François sont tous des actes d'amour c'est dans la guĂ©rison des maladies nerveuses, de ces troubles en apparence inexplicables, qui sĂ©- vissent aux Ă©poques de crise, qu'il accomplit les plus nombreux. Ses regards si doux, si compatissants et si puissants aussi, qui semblaient ĂȘtre comme les messa- gers de son cƓur, suffisaient souvent Ă  faire oublier toute souffrance Ă  ceux qui le voyaient. Le mauvais Ɠil est une superstition moins stupide i. A Dieu ne plaise que je me glorifie d'autre chose que de la croix de notre Seigneur JĂ©sus-Ghrist.» Gai. 6, 14. G'est encore au- jourd'hui la devise des FrĂšres Mineurs. 2. Spec. 182 a; 200 a; 232 a. Gf. 199 a. l'homme intĂ©rieur et le thaumaturge 221 peut-ĂȘtre qu'on ne se l'imagine d'ordinaire. JĂ©sus a eu raison de dire qu'il suffĂźt d'un regard pour ĂȘtre adul- tĂšre; mais il y a aussi tel regard, celui de la contem- plative Marie, par exemple, qui vaut tous les sacrifices, parce qu'il les contient tous, parce qu'il nous donne, nous consacre, nous immole. Cette puissance du regard, la civilisation l'Ă©mousse; une partie de l'Ă©ducation mondaine consiste Ă  faire mentir nos yeux, Ă  les rendre atones, Ă  en Ă©teindre les flammes, mais les natures simples et droites ne sauraient renoncer Ă  ce langage du cƓur, qui porte la vie et la santĂ© dans ses rayons. » Un frĂšre souffrait des tourments infinis; parfois il se roulait sur le sol, se heurtant Ă  tous les obstacles, la bouche Ă©cumante, horrible Ă  voir; puis son corps se raidissait, et on le voyait, aprĂšs ĂȘtre restĂ© un instant allongĂ©, se contracter bientĂŽt, se tordre horriblement. Quelquefois mĂȘme gisant par terre, les pieds touchant la tĂȘte il bondissait Ă  hauteur d'homme.» François vint le voir et le guĂ©rit ^. Mais ce sont lĂ  des exceptions, et la plupart du temps le Saint se dĂ©robait aux instances de ses compagnons, lorsqu'ils lui demandaient des miracles. En rĂ©sumĂ©, si l'on embrasse d'un coup d'Ɠil la piĂ©tĂ© de François, on voit qu'elle procĂšde de l'union intime de son Ăąme avec le divin par la priĂšre cette vue intuitive de l'idĂ©al le classe parmi les mystiques. Il a connu en effet l'ivresse et la libertĂ© du mysticisme, mais il ne faut pas oublier tous les cĂŽtĂ©s par lesquels il s'en sĂ©pare, en particulier son ardeur apostolique. 1. 1 Gel. 67. '222 VIE DE s. FRANÇOIS Il y a de plus Ă  cette piĂ©tĂ© quelques caractĂšres parti- culiers qu'il est nĂ©cessaire d'indiquer. D'abord la libertĂ© vis-Ă -vis des observances Fran- çois sent tout ce qu'il y a de vide et d'orgueil dans la plupart des dĂ©votions. Il y voit un piĂšge, car l'homme en rĂšgle avec les minuties du code religieux risque d'oublier la loi suprĂȘme de l'amour; de plus le religieux qui s'impose un certain nombre de jeĂ»nes surĂ©roga- toires, se fait admirer par les simples, mais parle plaisir qu'il trouve Ă  cette admiration, il fait de son Ɠuvre pie un vĂ©ritable pĂ©chĂ©. Aussi, chose Ă©trange, Ă  l'encontre des autres fondateurs d'ordres, est-il allĂ© dans les diverses rĂšgles qu'il a faites^ en allĂ©geant les obser- vances '^. On ne peut voir lĂ  un simple hasard, puisqu'il eut Ă  lutter contre ses disciples pour faire prĂ©valoir sa vo- lontĂ© ; or prĂ©cisĂ©ment ceux qui Ă©taient le plus disposĂ©s Ă  se relĂącher du vƓu de pauvretĂ©, Ă©taient les plus dĂ©si- reux d'Ă©taler Ă  tous les yeux quelques pratiques dĂ©votieuses. Le pĂ©cheur peut jeĂ»ner, disait alors François, il peut prier, pleurer, se macĂ©rer, mais ce qu'il ne peut pas, c'est ĂȘtre fidĂšle Ă  Belle parole qui ne serait pas dĂ©placĂ©e dans la bouche de celui qui est venu prĂȘcher le culte en esprit et en vĂ©ritĂ©, sans temple, sans prĂȘtre, ou plutĂŽt, oĂč tout foyer sera un temple et tout fidĂšle un prĂȘtre. Le formalisme religieux, dans quelque culte que ce 1. Secundum primam rĂ©gulant fratres feria quarta et sexfa, et per licentiam beati Francisci feria secunda et sabbato jeju- nabant. Jord. ii. Cf. cap. 3 et Reg. 1223, cap. 3, oĂč le vendredi est le seul jour de jeĂ»ne conservĂ©. „ L HOMME INTERIEUR ET LE THAUMATURGE 223 soit, prend toujours des allures guindĂ©es et moroses. Les pharisiens de tous les temps, se dĂ©figurent le visage, pour que nul ne puisse ignorer leurs dĂ©votions Fran- çois non seulement ne pouvait souffrir ces simagrĂ©es de la fausse piĂ©tĂ©, mais il mettait la gaietĂ© et la joie au nombre des devoirs religieux. Gomment ĂȘtre triste, quand on a dans le cƓur un trĂ©sor intarissable de vie et de vĂ©ritĂ©, qui ne fait que s'accroĂźtre Ă  mesure qu'on y puise? Gomment ĂȘtre triste, quand, malgrĂ© bien des chutes, on ne cesse de pro- gresser? 11 y a pour l'Ăąme pieuse qui grandit et se dĂ©veloppe, une joie analogue Ă  celle de l'enfant, si heureux de sentir ses pauvres petits membres se fortifier et lui permettre chaque jour un effort de plus. Aussi le mot de joie est-il peut-ĂȘtre celui qui revient le plus souvent sous la plume des auteurs franciscains^ le maĂźtre alla jusqu'Ă  en faire un des prĂ©ceptes de la RĂšgle-. Il Ă©tait trop bon gĂ©nĂ©ral pour ne pas savoir qu'une armĂ©e joyeuse est toujours une armĂ©e victorieuse. Il y a dans l'histoire des premiĂšres missions franciscaines des Ă©clats de rire qui sonnent haut et clair^. Au reste, on s'imagine souvent le moyen Ăąge comme beaucoup plus triste qu'il n'a Ă©tĂ©. On souffrait beau- coup alors, mais l'idĂ©e de douleur n'Ă©tant jamais 1. 1 Gel. 10; 22; 27; 31; 42; 80; 2 Gel. 1, 1 ; 3, 65-68 ; Eccl. 5; 6; Jord. 21 ; Spec. 119 a; Conform. 143 a2. 2. Caveant fratres quod non ostendant se tristes extrinsecus nubilosos et hypocritas ; sed ostendant se gaudentes in Bomino, hilares et convenientes gratiosos. Reg. 1221, cap. 7. Gf. 2 Gel. 3, 08. 3. Eccl., loc. cit. ; Jord., Ăźoc, cit. 224 VIE DE s. FRANÇOIS sĂ©parĂ©e de celle de pĂ©nalitĂ©, la souffrance Ă©tait une expiation ou une Ă©preuve, et la douleur ainsi envisagĂ©e perd son aiguillon; la lumiĂšre et l'espĂ©rance la pĂ©- nĂštrent. François puisait une partie de sa joie dans la com- munion. Il avait pour le sacrement de l'eucharistie ce culte tout imprĂ©gnĂ© d'effusions indicibles, de larmes joyeuses, qui a aidĂ© quelques-unes des plus belles Ăąmes de l'humanitĂ© Ă  supporter la fatigue et la chaleur du jour^. La lettre du dogme n'Ă©tait pas arrĂȘtĂ©e au treiziĂšme siĂšcle comme aujourd'hui ; mais ce qu'il y a de beau, de vrai, de puissant, d'Ă©ternel dans le repas mystique instituĂ© par JĂ©sus, Ă©tait alors vivant dans tous les cƓurs. L'eucharistie fut vraiment le viatique des Ăąmes. Gomme autrefois les pĂšlerins d'Emmaiis, aux heures oĂč les ombres du soir descendent, oĂč les tristesses vagues envahissent l'Ăąme, oĂč les fantĂŽmes de la nuit s'Ă©veillent et semblent se dresser derriĂšre chacune de nos pensĂ©es, nos pĂšres voyaient le divin et mystĂ©rieux compagnon venir Ă  eux ; ils buvaient ses paroles, sentaient la force descendre dans leur cƓur, tout leur ĂȘtre intĂ©rieur se rĂ©chauffer, et ils murmuraient de nouveau Restez avec nous. Seigneur, car le soir approche et le jour est sur son dĂ©clin. » Souvent ils furent exaucĂ©s. 1. V. Test. ; 1 Gel. 46; 62; 75 ; 2 Gel. 3, 129; Spec. 44 a. CHAPITRE XĂŻĂŻ Chapitre gĂ©nĂ©ral de 1217 '. A partir de la PentecĂŽte de J217, les indications chronologiques sur la vie de François sont assez nom- breuses pour rendre les erreurs presque impossibles. 1. On fixe d'ordinaire soit Ă  1217 soit Ă  1219 le commencement des grandes missions et Tinstitution des ministres provinciaux, mais ces dates prĂ©sentent toutes deux de grosses difficultĂ©s. J'avoue ne rien comprendre Ă  la violence avec laquelle les partisans de l'une et de l'autre dĂ©fendent leur opinion. Le texte le plus important est un passage des 3 Soc. 62 Expletis itaque undecim annis ah in- religionis, et muUiplicatis numĂ©ro et meriio fratribus, electi fuerunt ministri, et ynissi cwn aliquot fratribus quasi pcr iiniversas mundi provincias in quibus fides catholica colitur et servaticr. Que dĂ©signe ce terme inceptio religionis? au premier abord on y voit sans hĂ©siter la fondation de l'ordre, qui eut lieu en avril 1209, par la rĂ©ception des premiers frĂšres ; mais en ajoutant onze annĂ©es complĂštes Ă  cette date, on tombe Ă  l'Ă©tĂ© de 1220. Celle-ci est manifestement trop tardive, car les 3 Soc. disent que les frĂšres partis furent persĂ©cutĂ©s dans la plupart des contrĂ©es d'outre-monts, comme n'ayant aucune lettre pontificale pour les accrĂ©diter or la bulle Cum dilecti porte la date du 11 juin 1219. On est ainsi amenĂ© Ă  penser que les onze annĂ©es ne doivent pas ĂȘtre comptĂ©es de la rĂ©ception des premiers frĂšres, mais de la con- version de François, que les auteurs ont bien pu qualifier de incep- tio religionis, en employant peut-ĂȘtre un peu improprement ces mots , or 1206 -j- 11 = 1217. L'emploi de cette expression pour dĂ©signer la conversion n'est pas tout Ă  fait sans exemple Glass- berger dit {An. fr., p, 9 Ordinem minorum incepit anno 1206. Ceux qui admettent 1219, sont obligĂ©s comme les BoUandistes par exemple d'attribuer au texte des 3 Soc. une inexactitude, celle 226 VIE DE s. FIIANÇOIS Il n'en est malheureusement pas de mĂȘme pour les dix-huit mois qui prĂ©cĂšdent automne 12 j 5 — Pente- cĂŽte 1217. Pour cette pĂ©riode on en est rĂ©duit Ă  des hypothĂšses ou peu s'en faut. Gomme François n'entreprit alors aucune mission Ă  l'Ă©tranger, il employa sans doute ce temps Ă  Ă©vangĂ©- liser l'Italie centrale et a consolider les bases de son d'avoir comptĂ© onze annĂ©es Ă©coulĂ©es, lĂ  oĂč il s'agissait seulement de dix. Il est Ă  noter que dms les deux autres indications chrono- logiques donnĂ©es par les 3 Soc. 27 et 62, ils comptent Ă  partir de la conversion, c'est-Ă -dire 1206, ainsi que Thomas de Gelano 88, 105, 119, 97, 88, 57, 55, 21. Chose curieuse, les ConformitĂ©s re- produisent le passage des 3 Soc. 118 bl, m^is avec le chmgement Nono anno ah inceptione religionis. Jourdain de Giano ouvre la porte Ă  bien des scrupules Anno vero Domini 1219 et anno con- versionis ejus decimo frater Franciscus . . . misit fratres in Franciam, inTheutoniam, in Hungariam, in Hispaniam, Jord. 3. Comme un peu plus loin le mĂȘme auteur fait avec raison concor- der 1219 avec la seiziĂšme annĂ©e de la conversion de François, tout le monde s'accorde Ă  reconnaĂźtre que le passage citĂ© a besoin d'une correction ; nous n'avons malheureusement qu'un seul manuscrit de cette chronique. Glassberger, qui en avait sans doute un autre sous les yeux, substitue 1217, mais il a pu tirer cette date de quel- que autre document. Il est Ă  noter que frĂšre Jourdain donne comme simultanĂ© le dĂ©part des frĂšres pour l'Allemagne, la Hongrie et la France ; or, pour ce dernier pays, il eut certainement lieu en 1217. De mĂȘme le SpĂ©culum 44 a. La Chronique des XXIV gĂ©nĂ©raux et Marc de Lisbonne Ă©d. Diola, t. T, p. 82 tiennent aussi pour 1217, si bien que sans ĂȘtre dĂ©finiti- vement Ă©tablie , cette date paraĂźt cependant devoir ĂȘtre acceptĂ©e jusqu'Ă  nouvel ordre. Partis de prĂ©misses un peu diffĂ©rentes, les savants Ă©diteurs des Analecta arrivent Ă  la mĂȘme conclusion t. II, p. XXV-XXXVI. Cf. Evers, Analecta ad Fr. Minorum historiam. Leipzig 1882, in-4o, p. 7 et 11. Ce qui me paraĂźt faire nettement pencher la balance en faveur de 1217, c'est le fait que les frĂšres en mission ont Ă©tĂ© persĂ©cutĂ©s parce qu'ils n'avaient aucune piĂšce de lĂ©gitimation , or en 1219 ils auraient eu la bulle Cum dilecti du 11 juin de cette annĂ©e. Les Bollandistes qui tiennent pour 1219 ont si bien vu l'argument qu'ils ont dĂ» nier l'authenticitĂ© de la bulle ou tout au moins la supposer mal datĂ©e. A. SS., p. 839. CHAPITRE GÉNÉRAL DE 1217 227 institution. Sa prĂ©sence Ă  Rome, pendant le concile de Latran 11-30 novembre 1215, est possible, mais n'a laissĂ© aucune trace dans les biographies primitives. Le concile s'occupa certainement de l'Ordre nouveau^, mais ce fut pour lui renouveler Tinvitation dĂ©jĂ  faite par le souverain pontife, cinq ans auparavant, de choisir une des rĂšgles dĂ©jĂ  approuvĂ©es par l'Église 2. Saint Domi- nique qui Ă©tait alors Ă  Rome, pour solliciter la confir- mation de son institut, reçut le mĂȘme avis, et s'y con- forma aussitĂŽt. Le Saint-SiĂšge aurait volontiers concĂ©dĂ© aux FrĂšres Mineurs des constitutions particuliĂšres, s'ils avaient adoptĂ© comme base la rĂšgle de saint BenoĂźt c'est ainsi que les G tarisses, sauf celles de Saint-Damien, tout en conservant leur nom et un cer- tain nombre de leurs coutumes, durent professer la rĂšgle bĂ©nĂ©dictine. MalgrĂ© toutes les sollicitations, François s'obstina Ă  garder sa RĂšgle. On est tentĂ© de croire que c'est pour confĂ©rer de ces questions, qu'il se trouvait Ă  PĂ©rouse, en juillet 1216, lorsque mourut Innocent IIP. 1. V. A. SS. p. 604. Cf. Angelo Glareno, Tribul. Archiv I, p. 559. A 'papa Innocentio fuit omnibus annuntiatum in concilio gene- rali...., sicut sanctus vir fr. LĂ©o scribit et fr. Johannes de Celano. Ces lignes n'ont peut-ĂȘtre pas la portĂ©e qu'on serait tentĂ© de leur attribuer Ă  premiĂšre vue, leur auteur ayant pu confondre consilium et consistorium. Le SpĂ©culum 20b dit Eam {Regulam Inno- centius approbavit et concessit et postea in consistorio omnibus annuntiavit. 2. Ne nimia Religionum diversitas gravem in Ecclesia Iei confusionem inducĂ ty firmiter prohibemus, ne quis de ccetero novam Religionem inveniat sed quicumqu Ă©voluer it ad Religionem converti f unam de approbatis asswtiat, LabbĂ© et Cossart Sacrosancta concilia. Paris 1672. T. XI, col. 165. 3. Eccl. 15 {An. franc, t. I, p. 253..* InMocenfium in cujus obitu fuit presentialiter S. Franciscus. 228 VIE DE s. FRANÇOIS Quoi qu'il en soit, vers cette Ă©poque les chapitres prirent une grande importance. L'Église qui avait assistĂ© avec des sentiments assez mĂ©langĂ©s Ă  la fonda- tion de l'Ordre, ne pouvait plus se contenter d'ĂȘtre le simple spectateur d'un si profond mouvement; il fallait l'utiliser. Hugolin Ă©tait merveilleusement prĂ©parĂ© pour cette besogne Jean de Saint-Paul, Ă©vĂȘque de la Sabine, chargĂ© par Innocent III de s'occuper des FrĂšres, Ă©tant mort en 4216, il n'hĂ©sita pas Ă  offrir sa protection Ă  François qui accepta avec reconnaissance. Cette offre extraordinaire est longuement racontĂ©e par les Trois Compagnons^. Il faut sans doute la fixer Ă  TĂ©tĂ© de 1216 2 , immĂ©diatement aprĂšs la mort de Jean de Saint-Paul. Il est bien possible que le 29 mai 1216, ait eu lieu le premier chapitre tenu en prĂ©sence de ce car- dinal. Par une erreur fort commune en histoire, la plupart des auteurs franciscains ont reportĂ© Ă  une seule 1. 3 Soc. 61; Cf. An. Perus. A, SS. p. 606 s. 2. Thomas de Celano doit faire erreur lorsqu'il dĂ©clare que François ne connaissait pas le cardinal Hugolin avant la visite qu'il lui fit Ă  Florence Ă©tĂ© de 1217 ; Nondum alter alteri erat prƓcipua familiaritate co'iijunctus 1 Gel. 74 et 75. Le biographe francis- cain n'avait pas un but historique; les indications chronologiques sont donnĂ©es par surcroĂźt; ce qu'il recherche c'est Vapiajunc- tura. La tradition a conservĂ© le souvenir d'un chapitre tenu Ă  la Portioncule, en prĂ©sence d'Hugolin, pendant un sĂ©jour de la curie Ă  PĂ©rouse Spec. 137 b; Fior. 18; Conform, 207a; 3 Soc. 61. Or la curie n'est plus revenue Ă  PĂ©rouse entre 1216 et la mort de François. Il faut noter aussi que d'aprĂšs Angelo Clareno, Hugolin aurait Ă©tĂ© dĂšs 1210 Ă  cĂŽtĂ© de saint François, pour l'appuyer auprĂšs d'Innocent III. V. plus haut p. CVI. Enfin la bulle Sacrosancta, du 9 dĂ©c. 1219, tĂ©moigne que dĂ©jĂ  durant sa lĂ©gation de Florence 12 17 Hugolin s'occupait des Clarisses. CHAPITRE GÉNÉRAL DE 1217 229 date tous les traits Ă©pars concernant les premiĂšres assises solennelles de l'Ordre^ et l'on a appelĂ© cette assemblĂ©e-type Chapitre des nattes. En rĂ©alitĂ©, pendant de longues annĂ©es, toutes les rĂ©unions des FrĂšres Mineurs mĂ©ritĂšrent ce nom^. Se rassemblant au moment des plus fortes chaleurs, ils couchaient Ă  la belle Ă©toile ou s'abritaient dans des huttes de roseaux ; ne les plaignons pas rien n^Ă©gale la glorieuse transparence des nuits d'Ă©tĂ© en Ombrie; parfois en Provence on peut en savourer un avant-goĂ»t, mais si aux Baux, sur le rocher des Doms ou Ă  la Sainte-Baume, le spectacle est aussi solennel et gran- diose, il lui manque une douceur caressante, des effluves de vie qui lĂ -bas lui donnent un charme ensorcelant. Les habitants des villages et des bourgs des environs venaient en foule Ă  ces rendez-vous, Ă  la fois pour voir les cĂ©rĂ©monies, assister Ă  la prise d'habit de leurs pa- rents ou de leurs amis, Ă©couter les appels du Saint, et fournir aux FrĂšres toutes les provisions dont ils pou- vaient avoir besoin. Tout cela n'est pas sans quelque analogie avec les camp meeting si chers aux AmĂ©ricains quant aux chiffres de quelques milliers d'assistants, donnĂ©s dans les lĂ©gendes et qui ont fourni, mĂȘme Ă  un Franciscain, le P. Papini, l'occasion de plaisanteries d'un goĂ»t dou- teux, il n'est peut-ĂȘtre pas aussi Ă©tonnant qu'on pour- rait le croire-. 1. Voir par exemple la description du Chapitre de 1221 par frĂšre Jourdain. Jord. 16. 2. A I ropos du chiffre de 5000 assistants donnĂ© par Bonaventure Bon. 52, le P. Papini s'Ă©crie lo non credo stato capace alcuno di dare ad intenderc al S. Dcttore simil fanfaluca, ne capace 2J 230 VIE DE s. FRANÇOIS Ces premiĂšres rĂ©unions, oĂč accouraient tous les frĂšres, et qui avaient lieu en plein vent, en prĂ©sence de foules venues de fort loin, n'avaient donc rien de commun avec les chapitres gĂ©nĂ©raux postĂ©rieurs, vĂ©ritables conclaves oĂč se rendaient un petit nombre de mandataires, et dont la plupart des travaux, tenus secrets, ne concernaient que les affaires de l'Ordre. Du vivant de François le but de ces assemblĂ©es Ă©tait essentiellement religieux. On s'y rendait non pour parler affaires, ou procĂ©der Ă  la nomination du ministre gĂ©- nĂ©ral, mais pour se fortifier dans la communion des joies, des exemples et des douleurs des autres frĂšres^. Les quatre annĂ©es qui suivent la PentecĂŽte de 1216, forment une Ă©tape dans l'Ă©volution du mouvement om- brien celle durant laquelle François lutta pour l'auto- nomie. Il y a ici des nuances passablement dĂ©licates, qui ont Ă©tĂ© mĂ©connues par les Ă©crivains ecclĂ©siastiques aussi bien que par leurs adversaires, car si François tenait Ă  ne pas se poser en rĂ©voltĂ©, il ne voulait pas compromettre son indĂ©pendance et sentait, avec une divination exquise, que tous les privilĂšges dont la cour de Rome pourrait le combler ne valaient pas la libertĂ©. lui di crederla. ... la somma il numĂ©ro quinque millia et ultra non Ăš del Santo^ incapace di scrivere una casa tanto itnprobabile e relativamente impossibile. Storia di S. Fr. I, p. 181 et 183. Ce chiffre de cinq mille se trouve indiquĂ© aussi par Eccl. 6. Tout s'explique et devient possible, en admettant la prĂ©sence des FrĂšres de la PĂ©nitence, et il semble bien difficile de la contester puisque dans l'Ordre des HumiliĂ©s qui ressemblait beaucoup Ă  celui des FrĂšres Mineurs composĂ© Ă©galement de trois rameaux, approuvĂ© par trois bulles donnĂ©es dĂšs juin 1201, les chapitres gĂ©nĂ©raux tenus annuellement Ă©taient frĂ©quentĂ©s par les frĂšres des trois Ordres. Tiraboschi t. II, p. 144. Cf. ci-dessus p. 181. 1. V. 2 Gel. 3, 121 ; S^ec. 42 b 127 b. CHAPITRE GÉNÉRAL DE 1217 231 HĂ©las, il dut bientĂŽt se rĂ©signer Ă  ces liens dorĂ©s, contre lesquels il ne cessa pourtant de protester jusqu'Ă  son dernier souffle^ ; mais on se condamnerait Ă  ne rien comprendre Ă  son Ɠuvre, si on fermait les yeux Ă  la violence morale que lui fĂźt en cela la papautĂ©. Un coup d'Ɠil jetĂ© sur le recueil des bulles adressĂ©es aux Franciscains, suffit Ă  montrer avec quelle ardeur il lutta contre les faveurs si avidement recherchĂ©es d'or- dinaire par les ordres monastiques 2. Une foule de traits de la lĂ©gende mettent ce dĂ©dain de François pour les privilĂšges en pleine lumiĂšre. Ses intimes eux-mĂȘmes ne comprenaient pas toujours ses scrupules Ne vois -tu pas, lui dirent-ils un jour, que souvent les Ă©vĂȘques ne nous permettent pas de prĂȘcher, et nous font rester plusieurs jours sans rien faire, avant que nous 1. Prcezipio firmiter per ohedientiam fratribus universis quod uhicunque sunt, non audeant petere aliquam litteram in Curia Romana. Test. B. Fr. 2. La comparaison avec le BuUaire des FrĂšres PrĂȘcheurs est surtout instructive lors de leur premier Gh ipitre Ă  N. D. de Prouille en 1216 ils sont une quinzaine; il n'y a donc lĂ , Ă  ce mo- ment, absolument rien qui puisse ĂȘtre comparĂ© au mouvement franciscain qui agitait dĂ©jĂ  l'Italie presque entiĂšre. Or, tandis que la premiĂšre bulle en faveur des Franciscains porte la date du 11 juin 1219, et l'approbation proprement dite celle du 29 nov. 1223, on voit Honorius III dĂšs la fin de 1216 prodiguer aux Dominicains les marques de son affection 22 dĂ©c. 1216 Religiosam vitam. Cf. Pressuti J regesti, del Pontefice Onorio III ^ Roma 1884. t. I, n» 175 ; mĂȘme date Nos attendentes ibid. n» 176; 21 janvier 1217, gratiarum omnium ibid, n^ 243. V. 284, 1039, 1156, 1208. Il est inutile de continuer cette Ă©numĂ©ration. On pourrait en faire .d'Ă  peu prĂšs semblables pour les autres ordres; d'oĂč la conclusion, que si les FrĂšres Mineurs sont seuls oubliĂ©s dans cette pluie de faveurs, c'est qu'ils l'ont bien voulu. Il est vrai que, sitĂŽt aprĂšs la mort de- François, ils rattrapĂšrent le temps perdu. 232 VIE DE s, FRANÇOIS puissions annoncer la parole de Dieu. Il vaudrait mieux obtenir dans ce but un privilĂšge du pape, et ce serait pour le bien des Ăąmes. » C'est par l'humilitĂ© et le respect, leur rĂ©pondit-il vivement, que je veux convertir d'abord les prĂ©lats, car lorsqu'ils nous auront vus humbles et respectueux Ă  leur Ă©gard, ce sont eux qui nous prieront de prĂȘcher et de convertir le peuple.... Quant Ă  moi je ne demande Ă  Dieu aucun privilĂšge, sinon celui de ne point en avoir, d'ĂȘtre plein de respect pour tous les hommes, et de les convertir, comme le veut notre RĂšgle, plus par nos exemples que par nos discours i. » La question de savoir si François avait tort ou raison dans son antipathie pour les privilĂšges de la curie, n'est pas du domaine de l'histoire ; il est Ă©vident que cette attitude ne pouvait se prolonger l'Église ne connaĂźt que des fidĂšles ou des rĂ©voltĂ©s. Mais c'est sou- vent Ă  des compromis de ce genre que s'arrĂȘtent les plus nobles cƓurs; ils voudraient que l'avenir sortĂźt du passĂ© sans secousses et sans crise. Le chapitre de 1217 fut marquĂ© par l'organisation dĂ©finitive des missions franciscaines l'Italie et les autres contrĂ©es Ă  Ă©vangĂ©liser furent divisĂ©es en un cer- tain nombre de provinces ayant chacune son ministre provincial. DĂšs les premiers jours de son avĂšnement 18 juillet 1216, Honorius III avait cherchĂ© Ă  rani- mer le zĂšle populaire pour la croisade. Il ne se conten- tait pas de la prĂȘcher, il en appelait Ă  des prophĂ©ties assurant que sous son pontificat la Terre-Sainte serait 1. L'authenticitĂ© de ce passage est mise hors de doute par la cita- tion qu'en fait Ubertin de Gasal, Archiv, III, p. 53. Cf. Spec. 30 a, Conform. 111 b 1; 118 bl ; Ubertin, Arhor vitƓ crue. III, 3. CHAPITRE GÉxNÉRAL DE 1217 233 reconquise^. Le renouveau de ferveur qui s'ensuivit et se rĂ©percuta jusqu'en Allemagne, eut sur les FrĂšres Mineurs une profonde influence. Cette fois François, peut-ĂȘtre par humilitĂ©, ne se mit pas Ă  la tĂȘte des frĂšres chargĂ©s de la mission en Syrie; il leur donna pour conducteur le fameux Élie, auparavant Ă  Florence, oĂč il avait eu l'occasion de montrer ses hautes qualitĂ©s -. Ce frĂšre, qui dĂ©sormais sera au premier plan de cette histoire, sortait des rangs les plus humbles de la sociĂ©tĂ©; on ignore la date et les circonstances de son entrĂ©e dans l'Ordre, ce qui m'a amenĂ© Ă  l'hypothĂšse de voir en lui cet ami de la grotte, *qui servit de confident Ă  François, un peu avant sa conversion dĂ©finitive. Quoiqu'il en soit, pendant sa jeunesse, il avait gagnĂ© sa vie Ă  Assise, en faisant des matelas et en enseignant Ă  lire Ă  quelques enfants; puis il avait passĂ© un certain temps Ă  Bologne comme scriptor, et on le trouve tout Ă  coup parmi les FrĂšres Mineurs chargĂ© des plus difficiles missions. Ses adversaires proclament Ă  l'envi qu'il fut la plus belle intelligence de tout son siĂšcle; mais on a malheu- reusement beaucoup de peine, dans l'Ă©tat actuel des documents, Ă  se prononcer sur ses actes instruit et Ă©nergique, dĂ©sireux de jouer le premier rĂŽle dans l'Ɠuvre de la rĂ©formation religieuse, et ayant son plan arrĂȘtĂ© d'avance sur la façon de la rĂ©aliser, il alla droit 1. Burchardi chronicon ann. 1217, loc. cit., p. 377. Voir aussi les bulles indiquĂ©es par Potthast 5575, 5585-92. 2. Avant 1217 la charge de ministre existait -virtuellement, quoi- que son institution dĂ©finitive ne remonte qu'Ă  1217. Fr. Bernard, dans sa mission Ă  Bologne par exemple 1212?, exerça bien en quelque sorte la charge de ministre. 234 VIE DE s. FRANÇOIS Ă  son but, mi-polilique, mi-religieux. Plein d'admiration et de reconnaissance pour François, il voulait disci- pliner et consolider le mouvement de rĂ©novation. Dans le cĂ©nacle franciscain oĂč LĂ©on, JunipĂšre, Égide et tant d'autres reprĂ©sentent l'esprit de libertĂ©, la religion des simples et des humbles, la poĂ©sie ensoleillĂ©e de l'Ombrie, frĂšre Elie reprĂ©sente l'esprit scientifique et ecclĂ©sias- tique, la prudence et la raison. Il eut de grands succĂšs en Syrie, et reçut dans l'Ordre un des disciples les plus chers Ă  François, GĂ©saire de Spire, celui qui devait plus tard conquĂ©rir en moins de deux annĂ©es toute l'Allemagne du Sud 1221 — 1223, et qui finit, par sceller de son sang sa fidĂ©litĂ© Ă  la stricte observance, qu'il dĂ©fendait contre les entreprises de frĂšre Elie lui-mĂȘme ^. GĂ©saire de Spire offre un brillant exemple de ces Ăąmes en peine, altĂ©rĂ©es d'idĂ©al, si nombreuses au treiziĂšme siĂšcle, qui couraient de tous cĂŽtĂ©s, cherchant d'abord dans la science, puis dans la vie religieuse, de quoi Ă©tancher la soif mystĂ©rieuse qui les tourmentait disciple de l'Ă©colĂątre Gonrad , il s'Ă©tait senti entraĂźnĂ© par le dĂ©sir de rĂ©former l'Eglise; encore laĂŻque, il avait prĂȘchĂ© ses idĂ©es, non sans quelque succĂšs, puis- qu'un certain nombre de dames de Spire commencĂšrent Ă  mener une vie nouvelle; mais leurs maris s'Ă©tant fĂąchĂ©s, le prĂ©dicateur, pour Ă©chapper Ă  leur vengeance, dut se rĂ©fugier Ă  Paris, et partit de lĂ  pour l'Orient oĂč il retrouva, dans la prĂ©dication des FrĂšres Mineurs, ses 1. IncarcĂ©rĂ© par ordre d'Élie, il serait mort Ă  la suite des coups qu'on lui donna un jour qu'il s'Ă©tait promenĂ© hors de sa prison. Tribul. 24 a. f CHAPITRE GÉNÉRAL DE 1217 235 aspirations et ses rĂȘves. Cet exemple montre combien Ă©tait gĂ©nĂ©ral l'Ă©tat d'altente des Ăąmes, lorsqu'Ă©clata l'Évangile franciscain, et combien les voies lui Ă©taient partout prĂ©parĂ©es. Mais il est temps de revenir au chapitre de 1217 les frĂšres partis pour l'Allemagne , sous la conduite de Jean de Penna, furent loin d'avoir le mĂȘme succĂšs qu'Élie et ses compagnons; ils ignoraient complĂštement la langue des pays qu'ils allaient Ă©vangĂ©liser. Peut-ĂȘtre François ne s'Ă©tait-il pas rendu compte que si l'italien pouvait suffire, Ă  la rigueur, dans tous les pays baignĂ©s par la MĂ©diterranĂ©e, il ne pouvait en ĂȘtre de mĂȘme dans l'Europe centrale^. Le sort du groupe parti pour la Hongrie ne fut pas plus heureux. Bien souvent, il arriva aux missionnaires de se dĂ©pouiller de tous leurs vĂȘtements, et de les donner aux paysans et aux bergers qui les maltraitaient, pour tĂącher de les apaiser ainsi. Mais incapables de com- prendre ce qu'on leur disait, aussi bien que de se faire entendre, ils durent bientĂŽt songer Ă  retourner en Italie. Il faut savoir grĂ© aux auteurs franciscains de nous avoir conservĂ© le souvenir de ces Ă©checs, et de n'avoir pas cherchĂ© Ă  montrer les frĂšres sachant tout d'un coup toutes les langues par inspiration divine, comme on le raconta si souvent plus tard 2. Ceux qui avaient Ă©tĂ© envoyĂ©s en Espagne eurent aussi bien des persĂ©cutions Ă  subir. Ce pays Ă©tait, comme le midi de la France, ravagĂ© par l'hĂ©rĂ©sie; mais elle y Ă©tait rĂ©primĂ©e dĂšs lors avec vigueur. Les Francis- 1. Jord. 5 et 6; 3 Soc. 62. 2. De Jean de de Clareno, d'Antoine de Padoue, etc. 236 VIE DE s. FRANÇOIS cains soupçonnĂ©s d'ĂȘtre de faux catholiques et pour- chassĂ©s en consĂ©quence, trouvĂšrent un refuge auprĂšs de la reine Urraque de Portugal, qui leur perniit de s'Ă©tablir Ă  GoĂŻmbre, Guimarrens, Alenquer et Lis- bonne^. François lui-mĂȘme se prĂ©para Ă  partir pour la France 2. Notre pays exerçait sur lui un attrait parti- culier, Ă  cause de sa ferveur pour le Saint-Sacrement. Peut-ĂȘtre aussi Ă©tait-il poussĂ© Ă  son insu vers cette terre Ă  laquelle il devait son nom, les songes chevaleresques de son adolescence, tout ce qui dans sa vie Ă©tait poĂ©sie, chant, musique, rĂȘve dĂ©licieux. Un peu de l'Ă©motion dont il Ă©tait pĂ©nĂ©trĂ© au moment d'inaugurer cette nouvelle mission a passĂ© dans les rĂ©cits des biographes ; on y sent un tressaillement Ă  la fois doux et angoissant^ le battement de cƓur du brave chevalier qui sort tout Ă©quipĂ© aux premiĂšres lueurs de l'aurore, interroge l'horizon, anxieux de l'inconnu et pourtant dĂ©bordant de joie, car il sait que cette journĂ©e sera consacrĂ©e Ă  la justice et Ă  l'amour. Le poĂšte italien a nommĂ© pĂšlerinages d'amour les chevauchĂ©es chevaleresques, aussi bien que les voyages entrepris par les rĂȘveurs, les artistes ou les saints Ă  ces coins de terre qui miroitent sans cesse devant leur ima- gination et restent leur patrie d'Ă©lection^. C'Ă©tait bien un de ces pĂšlerinages que François entreprenait 1. Marc de Lisbonne, t. I, p. 82 ; Cf. p. 79, t. II, p. 86; Glass- berger, ann. 1217. An. fr. II, p. 9 ss. ; Chron. XXIV gen. iMs. d'Assise, no 328, ÂŁ*> 2 b. 2. Spec. Ubl; Conform. 119 a 2 ; 135 a; 181b 1; 1 Gel. 74 et 75. 3. 2 Cel. 3, 129 Diligebat Franciam... volebat in ea morĂź. CHAPITRE GÉNÉRAL CE 1217 237 Allez, dit- il aux frĂšres qui l'accompagnaient, et marchez deux Ă  deux, humbles et doux, gardant le silence jusqu'aprĂšs tierce, priant Dieu en vos cƓurs, Ă©vitant avec soin toute parole vaine ou inutile. Soyez aussi recueillis pendant ce voyage, que si vous Ă©tiez enfermĂ©s dans un ermitage ou dans votre cellule, car partout oĂč nous sommes, partout oĂč nous allons, nous portons notre cellule avec nous frĂšre corps est notre cellule et l'Ăąme est l'ermite qui l'habite, pour y prier le Seigneur et mĂ©diter.» ArrivĂ© Ă  Florence, il y trouva le cardinal Hugolin, envoyĂ© par le pape comme lĂ©gat en Toscane, pour y prĂȘcher la croisade et prendre toutes les mesures propres Ă  en assurer le succĂšs ^. Il Ă©tait sans doute bien loin de s'attendre Ă  l'ac- cueil que lui fit le prĂ©lat. Celui-ci, au lieu de l'en- courager, l'amena Ă  renoncer Ă  son projet Je ne veux pas, mon frĂšre, que tu ailles au delĂ  des monts ; il y a beaucoup de prĂ©lats qui ne demandent qu'Ă  te crĂ©er des difficultĂ©s en cour de Rome. Mais moi et les autres cardinaux qui aimons ton Ordre, nous dĂ©si- rons te protĂ©ger et t'aider, Ă  la condition, cependant, que tu ne t'Ă©loignes pas de cette province. » Mais, Monseigneur, c'est une grande confusion pour moi d'envoyer mes frĂšres au loin, et de rester pares- seusement ici, sans partager toutes les tribulations qu'ils vont subir. » Pourquoi aussi as-tu envoyĂ© tes frĂšres si loin, et les i. V. Bulle du 23 janv. 1217 Tempus acceptĂ bile, Potthast no 5430 donnĂ©e dans Horoy, t. Il col. 205 ss.; Cf. Pressuti I p. 71. Cette bulle et les suivantes fixent d'une façon certaine TĂ©poque du passage Ă  Florence; Potthast 5488, 5487, et page 495. 238 VIE DE s. FRANÇOIS as-tu exposĂ©s ainsi Ă  mourir de faim, et Ă  toutes sortes de pĂ©rils?» Pensez-vous, rĂ©pliqua François avec chaleur, et comme saisi de l'inspiration prophĂ©tique, que ce soit seulement pour ces pays-ci que Dieu ait suscitĂ© les FrĂšres? En vĂ©ritĂ©, je vous le dis. Dieu les a suscitĂ©s pour le rĂ©veil et le salut de tous les hommes, et ils gagneront des Ăąmes non seulement dans les pays des croyants, mais jusqu'au milieu des InfidĂšles*.» L'Ă©tonnement et radmiration que ces paroles exci- tĂšrent chez Hugolin ne parvinrent pas Ă  le faire changer d'avis. Il insista si bien que François reprit le chemin de la Portioncule l'inspiration mĂȘme de son Ɠuvre n'Ă©tait pas en jeu. Qui sait si la joie qu'il aurait eue de voir la France ne le confirma pas dans l'idĂ©e qu'il de- vait y renoncer les Ăąmes tourmentĂ©es du besoin de sacrifice ont souvent de ces scrupules; elles refusent les joies les plus licites pour les offrir Ă  Dieu. Nous ignorons si c'est de suite aprĂšs cette entrevue ou seulement l'annĂ©e suivante, que François mit frĂšre Pacifique Ă  la tĂȘte des missionnaires envoyĂ©s en France-. PoĂšte de talent, Pacifique avait Ă©tĂ© surnommĂ© avant sa conversion, Prince de la poĂ©sie, et couronnĂ© au Ga- pitole par l'empereur. Un jour qu'il Ă©tait allĂ© voir une de ses parentes, religieuse Ă  San-Severino, dans la Marche d'AncĂŽne, François arriva aussi Ă  ce monastĂšre, et prĂȘcha avec tant de sainte violence que le poĂšte se i. II est superflu de faire remarquer Terreur de texte des Bollan- distes dans la phrase Monuit {Cardinalis Franciscum cƓptum non perficere iter, oĂč le non est omis, A. SS. p. 704, Cf. p. 607 et 835, ce qui a entraĂźnĂ© Suysken Ă  plusieurs autres erreurs. 2. Bon. 51. Cf. Glassberger ann. 1217; Spcc. 45 b. CHAPITRE GÉNÉRAL DE 1217 239 sentit transpercĂ© de TĂ©pĂ©e dont parle la Bible, qui pĂ©nĂštre jusque dans les jointures et les moelles et juge les sentiaients et les pensĂ©es du cƓur^. Le lendemain, il prenait l'habit et recevait son symbolique surnom -, Il fut accompagnĂ© en France par frĂšre Agnello de Pise qui, en 1224, devait ĂȘtre mis Ă  la tĂȘte de la pre- miĂšre mission en Angleterre ^^. François, en les envoyant, n'avait pu songer que de ce pays qui exerçait sur lui une sorte de fascination allait sortir l'influence qui compromettrait son rĂȘve, que Paris perdrait Assise; ces temps n'Ă©taient pourtant pas bien Ă©loignĂ©s encore quelques annĂ©es, et le Poverello devait voir une partie de sa famille spirituelle oublier l'humilitĂ© de son nom, de ses origines et de ses vƓux, pour courir aprĂšs les Ă©phĂ©mĂšres lauriers Ăźle la science. On se rappelle l'habitude qu'avaient Ă  cette Ă©poque les Franciscains d'Ă©lire domicile Ă  portĂ©e des grandes villes Pacifique et ses compagnons s'Ă©tablirent Ă  Saint- Denis ^. Nous n'avons aucun dĂ©tail sur leur activitĂ©; 1. Heb. 4, 12; 2 Gel. 3, 49; Bon. 50 et 51. 2. FrĂšre Pacifique nous intĂ©resse particuliĂšrement comme pre- mier ministre de l'Ordre en France; les renseignements sur lui surabondent Bon. 79; 2 Gel. 3, 63; Spec. 41. b; Conform. 38 a 1 ; 43 a 1; 71 b; 173 b 1 et 176; 2 Gel. 8, 27; Spec, 38 b ; Cotiform. 181 b; 2 Gel. 3, 76; Fior. 46; Conform. 70 a. Je n'in- dique pas les rĂ©fĂ©rences gĂ©nĂ©rales qu'on trouvera dans la Bio- bibliographie Ghevalier. Les Miscellanea, t. II 1887 p. 158 con- tiennent une colonne fort prĂ©cise et intĂ©ressante sur lui. GrĂ©goire IX parle de lui dans la bulle Magna sicut dicitur du 12 aoĂ»t 1227. Sbaralea, Bull. fr. I. p. 33 Potthast 8007. Thomas de Toscane, socius de saint Bonaventure, le connut et le r.ppelle dans ses Gesla ĂŻmperatorum {Mon, gcrm, hist. script.., t. 22, p. 492. 3. Eccl. 1 ; Conform, 113 b. 1. 4. Vers 1224, les FrĂšres Mineurs voulurent se rapprocher et construisirent prĂšs des murs de Paris dans les terrains appelĂ©s 240 VIE DE s. FRANÇOIS elle fut singuliĂšrement fĂ©conde, puisqu'elle leur permit d'attaquer, peu d'annĂ©es plus tard, l'Angleterre avec un plein succĂšs. François passa l'annĂ©e suivante 1218 Ă  des tour- nĂ©es d'Ă©vangĂ©lisation dans la PĂ©ninsule il est natu- rellement impossible de le suivre dans ces voyages, dont l'itinĂ©raire Ă©tait fixĂ© d'aprĂšs ses inspirations journaliĂšres, ou sur des indications aussi fantaisistes que celle qui l'avait jadis dĂ©terminĂ© k aller Ă  Sienne. Bologne, ^ l'Al- verne, la vallĂ©e de Rieti, le Sacro-Speco de saint BenoĂźt Ă  Subiaco^, GaĂ«te^, Saint-Michel au mont Gargano^ l'ont peut-ĂȘtre reçu Ă  cette Ă©poque ; mais les indications sur sa prĂ©sence dans ces endroits, sont trop Ă©parses et trop vagues pour qu'on puisse les faire entrer dans un cadre historique. II est bien possible aussi qu'il ait fait alors un sĂ©jour a Rome ses rapports avec Hugolin ont Ă©tĂ© bien plus Vauvert ou Valvert aujourd'hui jardin du Luxembourg un vaste couvent Eccl. 10 Cf. Top. hist. du vieux Paris par Berty et Tisse- rand, t. IV, p. 70. En 1230 ils reçurent Ă  Paris, des BĂ©nĂ©dictins de Saint-Germain-des-PrĂ©s, un certain nombre de maisons in paroc- chia SS. CosmƓ et Damiani infra muros domini rĂ©gis prope portam de Gibardo {Chartularium Universitatis Parisiensis, n° 76. Cf. Topographie historique du vieux Paris RĂ©gion occid. de Vuniv. p. 95; FĂ©libien, Histoire de la ville de Paris, I, p. 115. Enfin saint Louis les installa dans le cĂ©lĂšbre couvent des Gordeliers, dont le rĂ©fectoire existe encore, transformĂ© en musĂ©e Dupuytren. Les Dominicains, arrivĂ©s Ă  Paris le 12 sept. 1217, allĂšrent droit au centre de la ville, en l'Ile, prĂšs de l'Ă©vĂȘchĂ©, et le 6 aoĂ»t 1218 s'ins- tallĂšrent au couvent Saint-Jacques. 1. Fior. 27 ; Spec. 148 b; Conform. 71 a et 113 a 2; Bon. 182. 2. Les traces du passage de François y sont nombreuses. Un frĂšre Eudes y peignit son portrait. 3. Bon. 177. 4. V. A. SS., p. 855 et 856. Cf. 2 Gel. 3, 126. CHAPITRE GÉNÉRAL DE 1217 241 frĂ©quents qu'on ne se Timagine d'ordinaire. Il ne faut pas que les rĂ©cits des biographes nous fassent illusion Ă  cet Ă©gard c'est une tendance naturelle que celle de rapporter Ă  trois ou quatre dates particuliĂšrement frap- pantes tout ce que nous savons d'un homme. Nous oublions des annĂ©es entiĂšres de la vie de ceux que nous avons le mieux connus et le plus aimĂ©s, pour grouper nos souvenirs autour de quelques faits saillants, qui brillent avec d'autant plus d'Ă©clat que l'obscuritĂ© se fait plus complĂšte autour d'eux. Les paroles de JĂ©sus prononcĂ©es dans cent occasions diffĂ©rentes ont fini par se rejoindre pour former un seul discours, le sermon sur la montagne. C'est alors que la critique a besoin d'ĂȘtre dĂ©licate, de mĂȘler Ă  la grosse artillerie des argu- ments scientifiques, un peu de divination. Les textes sont sacrĂ©s, mais il ne faut pas en faire des fĂ©tiches ; personne aujourd'hui , malgrĂ© saint Matthieu, ne songe Ă  reprĂ©senter JĂ©sus prononçant tout d'une haleine le sermon sur la montagne. De mĂȘme, dans les narrations qui nous sont faites des relations de saint François et d'Hugolin, on se trouve Ă  chaque instant enfermĂ© dans des impasses, butĂ© Ă  des indica- tions contradictoires, si on veut les faire tenir en deux ou trois rencontres, comme on en est tentĂ© au premier abord. Avec une simple mise au point, ces difficultĂ©s dispa- raissent, et l'on voit chacune des narrations diverses nous apporter des lambeaux qui, en se rejoignant, fournissent un rĂ©cit organique, vivant, psychologiquement vrai. A partir du moment oĂč nous sommes arrivĂ©s, il faut faire Ă  Hugolin une place encore plus grande que par le passĂ© la lutte s'ouvre dĂ©finitivement entre l'idĂ©al 942 VIE DE S. FRANÇOIS franciscain, chimĂ©rique peut-ĂȘtre, mais sublime, et la politique ecclĂ©siastique, jusqu'au jour oĂč moitiĂ© par humilitĂ©, moitiĂ© par dĂ©couragement, François, la mort dans l'Ăąme, abdiquera la direction de sa famille spi- rituelle. Hugolin revint Ă  Rome Ă  la fin de 1217. Durant l'hiver qui suit, on trouve son contre-seing au bas des bulles les plus importantes^; il consacra ce temps Ă  Ă©tudier surtout la question des ordres nouveaux, et manda François auprĂšs de lui. On a vu avec quelle franchise il lui avait dĂ©clarĂ©, Ă  Florence que beaucoup de prĂ©lats feraient tout pour lui nuire auprĂšs du pape^ ; il est Ă©vident que le succĂšs de l'Ordre, ses allures qui malgrĂ© toutes les protestations contraires faisaient songer Ă  l'hĂ©rĂ©sie, l'indĂ©pendance de François qui, sans s'occuper de faire confirmer l'autorisation verbale et toute provisoire accordĂ©e par Innocent III, dispersait ses frĂšres aux quatre coins du monde, tout cela devait effrayer le clergĂ©. Hugolin, qui connaissait mieux que personne l'Om- brie, la Toscane, l'Emilie, la Marche d'AncĂŽne, toutes ces contrĂ©es oĂč la prĂ©dication franciscaine avait eu ses plus beaux succĂšs, avait pu se rendre compte par lui- mĂȘme de la puissance du mouvement nouveau et de l'impĂ©rieuse nĂ©cessitĂ© de le diriger il sentait que le meilleur moyen de faire tomber les prĂ©ventions que le 1. Entre autres celles du 5 dĂ©c. 1217. Potthast 5629; 8 fĂ©vrier, 30 mars, 7 avril 1218. Potthast 5695, 5739, 5747. 2. 1 Gel. 74 0 quanti maxime in principio cum hƓj ageren- tur novellƓ plantationi ordinis insidiabantur ut perderent. Cf. 2 Gel. 1, 16 Videbat Franciscus luporum more sevire quam- plures. CHAPITRE GÉxNÉRAL DE 1217 243 pape et le sacrĂ© collĂšge pouvaient avoir contre François, Ă©tait de le prĂ©senter Ă  la curie. Celui-ci fut d'aborJ bien intimidĂ© Ă  la pensĂ©e de pro- noncer un discours devant le vicaire de JĂ©sus-Christ, mais sur les instances de son protecteur, il se dĂ©cida, et pour plus de sĂ»retĂ© apprit par cƓur ce qu'il devait dire. Hugolin n'Ă©tait cepen lant pas tout Ă  fait rassurĂ© sur l'issue de cette dĂ©marche Thomas de Celano nous le montre dĂ©vorĂ© d'inquiĂ©tude ; il souffrait pour François dont la naĂŻve Ă©loquence pouvait courir bien des risques dans les salles du palais de Latran; il n'Ă©tait pas non plus sans quelques prĂ©occupations plus person- nelles, car l'Ă©chec de son protĂ©gĂ© aurait pu lui nuire beaucoup. Il fut d'autant plus en peine qu'arrivĂ© aux pieds du pontife, François oublia tout ce qu'il devait dire, mais il l'avoua ingĂ©nument, et deman- dant Ă  son inspiration un nouveau discours, parla avec tant de chaleur et de simplicitĂ© que l'assemblĂ©e fut subjuguĂ©e ^. Les biographes sont muets sur le rĂ©sultat pratique de cette audience; on ne saurait s'en Ă©tonner ils n'ont d'autre but que l'Ă©dification. Ils Ă©crivaient aprĂšs l'apo- thĂ©ose de leur maĂźtre, et auraient eu mauvaise grĂące Ă  4. 1 Gel. 73 Cf. 2 Gel. 1, 17 ; Spec. 102 a]; 3 Soc. 64; Bon. 78. La fixation de cette scĂšne Ă  l'hiver de 1217 — 1218 ne paraĂźt guĂšre pou- \oir ĂȘtre contestĂ©e le rĂ©cit de Jourdain 14 dĂ©termine en effet la date Ă  laquelle Hugolin devint officiellement prolecteur de r-Ordre fin de 1220, et il suppose des relations antĂ©rieures entre Honorius, François et Hugolin. On est donc amenĂ© Ă  recher- cher une date Ă  laquelle ces trois personnages aient pu se ren- contrer Ă  et on arrive ainsi Ă  1 1 pĂ©riode qui va de dĂ©c 1217 Ă  avril 1218. 2U VIE DE S. FRiVNÇOIS insister sur les difficultĂ©s rencontrĂ©es par lui durant les premiĂšres annĂ©es ^. Le Saint-SiĂšge devait se trouver fort perplexe devant cet homme Ă©trange, dont la foi et l'humilitĂ© s'imposaient, mais auquel on ne pouvait inculquer l'obĂ©issance ecclĂ©- siastique. Saint Dominique se trouvait Ă  Rome Ă  la mĂȘme Ă©poque 2, et y Ă©tait comblĂ© de faveurs par le pape. On sait qu'Innocent III l'ayant invitĂ© Ă  choisir l'une des rĂšgles dĂ©jĂ  approuvĂ©es par l'Eglise, il Ă©tait allĂ© retrou- ver ses frĂšres Ă  Notre-Dame de Prouille, et aprĂšs en avoir confĂ©rĂ© avec eux, avait adoptĂ© celle de saint Au- gustin; aussi Honorius ne lui mirchanda-t-il pas les privilĂšges. Il ne paraĂźt guĂšre possible qu'Hugolin n'ait pas cherchĂ© Ă  influer par lui sur saint François. La curie sentait bien qu'il n'y avait pas en Dominique, dont Tordre comptait Ă  peine quelques douzaines de membres, une des puissances morales de l'Ă©poque, mais elle n'avait pas devant lui les sentiments si mĂ©langĂ©s qu'elle Ă©prouvait devant François. RĂ©unir les deux ordres, jeter sur les Ă©paules des Dominicains la robe brune des pauvres d'Assise, et faire 1. Un mot de frĂšre Jourdain permet cependant de hasarder quel- ques conjectures Seigneur, dit François en 1220 Ă  Honorius III, vous m'avez donnĂ© beaucoup de pipes, donnez m'en un seul au- quel je puisse m'adresser pour les affaires de mon Ordre. » ^Jord. 14. Multos mihi papas deĂąisti da unum,.. etc. Est-ce que cela ne suggĂšre pas l'idĂ©e que le pontife avait peut- ĂȘtre nommĂ© une commission cardinalice pour s'occuper des FrĂšres Mineurs? Les dĂ©libĂ©rations de celle-ci et les Ă©vĂ©nements qui seront racontĂ©s au chapitre suivant auraient motivĂ© la bulle Cum dVectx du 11 juin 1219 qui ne fut pis une approbation proprement dite, mais un sauf-conduit en faveur des Franciscains. 2. Le 28 fĂ©vrier 1218 il prit possession de Sainte-Sabine. CHAPITRE GENERAL DE 1217 245 ainsi rejaillir sur eux un peu de la popularitĂ© des FrĂšres Mineurs; laisser Ă  ces derniers leur nom, leur habit et mĂȘme leur semblant de RĂšgle, mais en la complĂ©tant par celle de saint Augustin, Ă©tait un projet qui devait singuliĂšrement plaire a Hugolin, et qui avec l'humilitĂ© de François pouvait avoir quelques chances de succĂšs. Un jour, Dominique, Ă  force de ‱ pieuse insis- tance avait dĂ©terminĂ© François Ă  lui donner sa corde et s'en Ă©tait ceint aussitĂŽt FrĂšre, ajouta-t-il, je souhaiterais vivement que ton ordre et le mien s'unissent pour ne former dans l'Eglise qu'un seul et mĂȘme institut^.» Mais le FrĂšre Mineur voulait rester ce qu'il Ă©tait, et dĂ©clina cette proposition ; il Ă©tait si bien inspirĂ© des besoins de son siĂšcle et de l'Eglise que, moins de trois ans aprĂšs, Dominique Ă©tait amenĂ© par un courant irrĂ©sistible Ă  transformer son ordre de chanoines de saint Augustin en un ordre de moines mendiants, dont les constitutions furent calquĂ©es sur celles des Franciscains -, 1. 2 Gel. 3, 87. Le sens littĂ©ral de la phrase est un peu ambigu. Voici le texte Vellem, frater Franciscej unam fieri religionem titam et meam et in Ecclesia pari forma nos vivere ; Spec. 27 b; l'Ă©cho de cette dĂ©marche se retrouve dans Thierry d'Apolda, Vie de S. Dominique A. SS. Augusti, t. I, p. 572 d S. Dominicus in oscula sancta ruens et sinceros amplexus, dixit Tu es socius meus, tu curres pariter mecum, stemus simul, nullus adversarius prƓvalehit. Bernard de Besse dit B. Dominicus tanta B. Fran- cisco devotione cohesit ut optatam ah eo cordam sub inferiori tunica devotissime cingeret, cujus et suam Religionem unam velle fieri diceret, ipsumque pro sanctitate cƓteris sequendum religiosis assereret. Man. de Turin 102 b. 2. Au chapitre tenu Ă  Bologne Ă  la PentecĂŽte de 1220. La bulle Religiosam vitam PrivilĂšge de N. D. de Prouille du 30 mars 1218 Ă©numĂšre les possessions des Dominicains RipoUi Bull. PrƓd. t. I, p. 6. Horoy, Honorii opĂ©ra, t. II, col. 684. 24 246 VIE DE s. FRANÇOIS Quelques annĂ©es plus tard, les Dominicains prirent pour ainsi dire leur revanche et obligĂšrent les FrĂšres Mineurs Ă  faire dans leurs travaux une large part Ă  la science. C'est ainsi qu'Ă  peine adolescentes, les deux familles religieuses rivalisaient, se pĂ©nĂ©traient, influ- aient l'une sur l'autre, jamais cependant assez pour perdre toute trace de leur origine, rĂ©sumĂ©e pour l'une dans la pauvretĂ© et dans la prĂ©dication laĂŻque, pour l'autre dans la science et dans la prĂ©dication clĂ©ricale. CHAPITRE XIII Saint Dominique et saint François. Mission d'Egypte. ÉtĂ© 1218 — automne 1220. L'art et la poĂ©sie ont eu raison d'associer insĂ©para- blement saint Dominique et saint François la gloire du premier n'est qu'un reflet de celle du second, et c'est en les rapprochant qu'on arrive le mieux Ă  caractĂ©riser le eĂ©nie du Poverello. Si François est l'homme de l'inspiration, Domi- nique est celui de l'obĂ©issance au mot d'ordre, et l'on peut dire que sa vie se passa sur les chemins de Rome oĂč il allait sans cesse demander des instruc- tions. Aussi sa lĂ©gende fut-elle bien lente Ă  se former^ quoique rien ne l'empĂȘchĂąt de s'Ă©panouir librement ; mais ni le zĂšle de GrĂ©goire IX pour sa mĂ©moire, ni la science de ses disciples n'ont pu faire pour le Marteau des hĂ©rĂ©tiques, ce que l'amour des peuples avait fait pour le PĂšre des pauvres. Sa lĂ©gende a les deux dĂ©fauts qui lassent si rapidement les lecteurs des Ă©crits hagio- graphiques, quand il s'agit de saints dont l'Église a 248 VIE DE s. FRANÇOIS imposĂ© le culte ^ elle est encombrĂ©e d'un surnaturel de mauvais aloi, et de traits empruntĂ©s Ă  tort et Ă  travers aux lĂ©gendes antĂ©rieures. Le peuple italien, qui avait saluĂ© en François Tange de toutes ses espĂ©rances, et qui se montrait si avide de reliques, ne songea mĂȘme pas Ă  relever le cadavre du fondateur de l'Ordre des FrĂšres PrĂȘcheurs, et le laissa attendre douze ans les gloires de la canonisation 2. On a vu plus haut les tentatives du cardinal Hugolin pour rĂ©unir les deux ordres, et les raisons qu'il avait pour cela. Il se rendit au chapitre gĂ©nĂ©ral de la Pente- cĂŽte, rĂ©uni Ă  la Portioncule 3 juin 1218, auquel saint Dominique vint assister aussi avec quelques-uns des siens. Le cĂ©rĂ©monial de ces solennitĂ©s semble avoir Ă©tĂ© Ă  peu prĂšs toujours le mĂȘme depuis 1216 les FrĂšres Mineurs se rendaient processionnellement Ă  la rencontre du cardinal, qui descendait aussitĂŽt de sa monture et leur prodiguait toutes les marques de son affection. Un autel Ă©tait dressĂ© en plein air, auquel il chantait la messe, et François remplissait les fonctions de diacre ^. 1. Une preuve de l'obscuritĂ© dans laquelle resta Dominique, tant que Rome n'eut pas fait son apothĂ©ose, c'est que Jacques de Vitry qui consacre aux FrĂšres PrĂȘcheurs tout un chapitre de son Historia Occidentalis 27, p. 333 ne nomme mĂȘme pas le fondateur. Ceci est d'autant plus significatif qu'Ă  quelques pages de distance, le chapitre consacrĂ© aux FrĂšres Mineurs est presque entiĂšrement rempli par la personne de saint François ; aussi ce silence sur saint Dominique a-t-il Ă©tĂ© remarquĂ© et relevĂ© par Moschus, qui n'a pas trouvĂ© de moyen pour l'expliquer. V. Vitam J. de Vitriaco, en tĂȘte de l'Ă©dition de Douai 1597. 2. François mort en 1226 est canonisĂ© en 1228 ; Antoine de Padoue, 1231 et 1233 ; Elisabeth deThuringe, 1231 et 1235, Domi- nique, 1221 et 1234. 3. 3 Soc. 61. ^c s. DOMINIQUE ET S. FRANÇOIS 249 Il est facile de s'imaginer l'Ă©motion qui s'emparait des assistants, lorsqu'Ă©clatait dans ce cadre de paysage ombrien, cet office de la PentecĂŽte, le plus enivrant, le plus apocalyptique de la liturgie catholique l'antienne AllĂ©luia, AllĂ©luia, Emitte Spiritum tuum et creahuntur, et renovabis faciem terrƓ. AllĂ©luia ^, ne renfermait-elle pas tout le rĂȘve franciscain? Mais ce qui Ă©merveilla surtout Dominique, ce fut l'absence de prĂ©occupations matĂ©rielles. François avait recommandĂ© Ă  ses frĂšres de ne s'inquiĂ©ter de rien pour le boire ou le manger; il savait par expĂ©rience qu'il pouvait sans crainte s'en remettre Ă  l'amour des popu- lations voisines. Cette insouciance avait vivement Ă©tonnĂ© Dominique, qui la trouvait exagĂ©rĂ©e; il put se rassurer, le moment du repas venu, en voyant les habitants de la contrĂ©e, accourus en foule, apporter bien plus de pro- visions qu'il n'en fallait pour les quelques milliers de frĂšres, et tenir Ă  honneur de les servir. La joie des Franciscains, la sympathie du peuple pour eux, la pauvretĂ© des huttes de la Portioncule, tout cela l'impressionna vivement ; il en fut si Ă©mu que dans un Ă©lan d'enthousiasme, il annonça sa rĂ©solution d'em- brasser la pauvretĂ© Ă©vangĂ©lique 2. Hugolin, quoique touchĂ©, lui aussi, jusqu'aux larmes^, 1. RĂ©pandez, Seigneur, votre Esprit, et tout sera créé, et vous re- nouvellerez la face de la terre. 2. 2 Gel. 3, 87 ; Spec. 132 b; Conform. 207 a, 112 a; Fior. 18. Les historiens de saint Dominique n'ont pas fait bon accueil Ă  ces dĂ©tails, mais un point incontestablement acquis par des documents diplomatiques, c'est qu'en 1218, Dominique, Ă  Rome, se faisait don- ner des privilĂšges oĂč les propriĂ©tĂ©s de son Ordre Ă©taient indiquĂ©es, et qu'en 1220 il amenait ses FrĂšres Ă  professer la pauvretĂ©. 3. 2 Gel. 3,9; Spec. 17 a. 250 VIE DE s. FRANÇOIS n'oubliait pas ses prĂ©occupations l'Ordre Ă©tait trop nombreux pour ne pas compter un groupe de mĂ©con- tents ; quelques frĂšres qui avant leur conversion avaient Ă©tudiĂ© dans les universitĂ©s, commençaient Ă  blĂąmer l'extrĂȘme simplicitĂ© dont on leur faisait un devoir. A des hommes que l'enthousiasme ne soutenait plus, les courts prĂ©ceptes de la RĂšgle paraissaient une charte bien insuffisante pour une vaste association ; aussi se tournaient-ils avec envie vers les monuuientales abbayes des BĂ©nĂ©dictins, des Chanoines rĂ©guliers, des Cisterciens, et vers les antiques lĂ©gislations monastiques. Ils n'eurent pas de peine Ă  deviner en Hugolin un puissant alliĂ©, et Ă  lui faire part de leurs remarques. Celui-ci crut le moment propice venu, et dans une conversation particuliĂšre, suggĂ©ra Ă  François quelques idĂ©es Ne devrait-il pas faire Ă  ses disciples, surtout Ă  ceux qui Ă©taient instruits, une plus grande part dans les charges? les consulter, s'inspirer de leur avis? n'y aurait-il pas lieu de profiter de l'expĂ©rience des anciens ordres? Quoique tout cela eĂ»t Ă©tĂ© dit comme en passant, et avec tout le tact possible, François se sentit blessĂ© au vif et, entraĂźnant sans rĂ©pondre le cardinal en plein Chapitre Mes FrĂšreS; dit-il avec feu, le Seigneur m'a appelĂ© par la voie de la simplicitĂ© et de l'humilitĂ©. En elles, il m'a montrĂ© la vĂ©ritĂ© pour moi et pour ceux qui veulent me croire et m'imiter ; ne venez donc pas me parler de la RĂšgle de saint BenoĂźt, de saint Augustin, de saint Bernard, ni d'aucune autre, mais seulement de celle que Dieu, dans sa misĂ©ricorde, a voulu me montrer, et dont il m'a dit qu'il voulait, en elle, faire un nouveau pacte avec le monde, et il n'a pas voulu que nous en ayons s. DOMINIQUE ET S. FRANÇOIS 251 aucune autre. Mais par votre science et votre sagesse Dieu vous confondra. Au reste j'ai confiance que Dieu vous chĂątiera; bon grĂ© mal grĂ©, vous serez forcĂ©s de venir Ă  rĂ©sipiscence, et il ne vous restera que de la confusion ^» Cette ardeur Ă  dĂ©fendre et Ă  affirmer ses idĂ©es, Ă©tonna profondĂ©ment Hugolin qui n'ajouta pas une parole. Quant Ă  Dominique, ce qu'il venait de voir k la Portioncule fut pour lui une rĂ©vĂ©lation. Il sentait bien que son zĂšle pour l'Église ne pouvait pas grandir, mais il s'apercevait aussi que par quelques change- ments dans ses armes, il pourrait la servir avec beau- coup plus de succĂšs. Hugolin ne fit sans doute que l'encourager dans cette voie, et Dominique, obsĂ©dĂ© de prĂ©occupations nouvelles, prenait, quelques mois aprĂšs, le chemin de l'Espagne. On n'a pas assez remarquĂ© la profondeur de la crise qui se produisit alors en lui ; les Ă©crivains religieux racontent longuement son sĂ©jour dans la grotte de SĂ©govie, mais ils ne voient que les pratiques ascĂ©tiques, les oraisons, les gĂ©nuflexions, et ne songent pas Ă  rechercher la cause de tout cela. A partir de cette Ă©poque, on pourrait dire qu'il est sans cesse occupĂ© Ă  copier saint François, si ce mot n'avait un sens quelque peu dĂ©plaisant ; arrivĂ© Ă  SĂ©govie, il fonde comme les FrĂšres Mineurs un ermitage hors de la ville, perdu dans les rochers qui la dominent, et d'oĂč il descend de temps en temps pour prĂȘcher au peuple. La transformation de sa maniĂšre de vivre fut si Ă©vidente que plusieurs de 1. Spec. 49 a; Trihul. Man. Laur. lla-12 b ; Spec. 183 a; Conform. d35 b 1. 252 VIE DE s. FRANÇOIS ses compagnons s'en Ă©murent, et refusĂšrent de le suivre dans la nouvelle voie. Le sentiment populaire a parfois comme des intui- tions une lĂ©gende se fit autour de cette grotte de SĂ©govie, et l'on raconta que saint Dominique y avait reçu les stigmates. N'y a-t-il pas lĂ  un effort inconscient pour traduire, par une image Ă  la portĂ©e de tous, ce qui s'Ă©tait vĂ©ritablement passĂ© dans cet antre de la Sierra de Guaderrama^? Saint Dominique arrivait ainsi, lui aussi, Ă  la pauvretĂ© Ă©vangĂ©lique ; mais le chemin par lequel il y venait Ă©tait bien diffĂ©rent de celui qui avait Ă©tĂ© suivi par saint François; tandis que ce dernier s'y Ă©tait Ă©levĂ© d'un coup d'aile, y avait vu l'affranchissement dĂ©finitif des prĂ©occupations qui avilissent la vie, saint Dominique ne la considĂ©rait que comme un moyen ; elle Ă©tait pour lui une arme de plus dans l'arsenal de la milice chargĂ©e de dĂ©fendre l'Eglise. Il ne faut pas penser ici Ă  un calcul vulgaire ; son admiration pour celui qu'il imitait ainsi et suivait de loin, Ă©tait sincĂšre et profonde, mais on ne copie pas le gĂ©nie. Cette maladie sacrĂ©e, il ne l'avait pas; il a transmis a ses fils spirituels un sang robuste et sain, grĂące auquel ils n'ont pas connu ces accĂšs de fiĂšvre chaude, ces Ă©lans sublimes, ni ces retours subits qui font de l'histoire des Franciscains, l'histoire de la sociĂ©tĂ© la plus tourmentĂ©e qu'il y ait eu sur la terre, et oĂč les chapitres glorieux sont entremĂȘlĂ©s de pages triviales et grotesques, parfois grossiĂšres. Au chapitre de 1218, François eut bien d'autres 1. Les principales sources sont indiquĂ©es A. SS. Augusti, t. I, p. 470 SS. s. DOMINIQUE ET S. FRANÇOIS 253 sujets de tristesse que les murmures d'un groupe de mĂ©contents; les missionnaires envoyĂ©s l'annĂ©e prĂ©cĂ©- dente en Allemagne et en Hongrie, Ă©taient revenus complĂštement dĂ©couragĂ©s. Le rĂ©cit des souffrances qu'ils avaient endurĂ©es produisit un si grand effet que, dĂšs lors, beaucoup de frĂšres ajoutaient Ă  leurs priĂšres la formule Seigneur prĂ©servez-nous de l'hĂ©rĂ©sie des Lombards, et de la fĂ©rocitĂ© des Allemands^.» Ceci nous explique comment Hugolin finit par con- vaincre François du devoir qu'il y avait Ă  prendre les mesures nĂ©cessaires, pour ne plus exposer les FrĂšres Ă  ĂȘtre pourchassĂ©s comme hĂ©rĂ©tiques. Il fut dĂ©cidĂ© qu'a l'issue du prochain chapitre, les missionnaires se muniraient d'un bref papal, qui leur servirait de passe-port ecclĂ©siastique. Voici la traduction de ce document Honorius Ă©vĂȘque, serviteur des serviteurs de Dieu, aux archevĂȘques, Ă©vĂȘques, abbĂ©s, doyens, archidiacres et autres supĂ©rieurs ecclĂ©siastiques, salut et bĂ©nĂ©diction apostolique. Nos chers fils, le frĂšre François et ses compagnons de la vie et de l'Ordre des FrĂšres Mineurs ayant renoncĂ© aux vanitĂ©s de ce monde, pour choisir un genre de vie qui a mĂ©ritĂ© d'ĂȘtre approuvĂ© par l'Eglise romaine, et s'en aller, Ă  l'exemple des ApĂŽtres, jetant dans des rĂ©gions diverses la semence de la parole de Dieu, nous vous prions tous et vous exhortons, par ces lettres aposto- liques, de recevoir comme bons catholiques les FrĂšres de la susdite sociĂ©tĂ©, porteurs des prĂ©sentes, lorsqu'ils se prĂ©senteront devant vous, vous avertissant de leur ĂȘtre 1. Jord. 18; 3 Soc. 62. 254 VIE DE s. FRANÇOIS favorables et de les traiter avec bontĂ© pour l'honneur de Dieu et par considĂ©ration pour nous. DonnĂ© Ă  Rieti le 3^ jour des ides de juin 11 juin 1219 l'an troisiĂšme de notre pontificat ^ » On voit que tout dans cette bulle avait Ă©tĂ© calculĂ© pour Ă©viter d'Ă©veiller les susceptibilitĂ©s de François. Pour comprendre jusqu'Ă  quel point elle diffĂšre des premiĂšres lettres accordĂ©es d'ordinaire aux ordres nouveaux, il faut l'en rapprocher celle qui avait instituĂ© les Dominicains avait Ă©tĂ©, comme les autres, un vĂ©ritable privilĂšge ^ ; ici rien de semblable. L'assemblĂ©e qui s'ouvrit Ă  la PentecĂŽte de 1219 26 mai fut d'une extrĂȘme importance^. Elle termina la sĂ©rie de ces chapitres primitifs, oĂč l'inspiration et la fantaisie de François se donnaient libre carriĂšre. Les suivants, prĂ©sidĂ©s par les vicaires, n'ont plus ni la mĂȘme gaietĂ©, ni le mĂȘme charme la clartĂ© crue du grand jour a chassĂ© les teintes diaprĂ©es de l'aurore et les indicibles ardeurs de la nature Ă  son rĂ©veil. L'Ă©tĂ© de 1219 Ă©tait l'Ă©poque fixĂ©e par Honorius III pour tenter un nouvel effort en Orient, et diriger vers l'Egypte toutes les forces des CroisĂ©s^. François crut 1. Sbaralea, Bull. fr. t. I, p. 2 ; Potthast 6081 ; Wadding, ann. 1219, 11° 28, indique les ouvrages oĂč on en trouve le texte. Cf. A. SS., p. 839. 2. Le titre en indique assez le contenu Domenico priori S. Ro- mani tolosani ejusque fratribus, eos in protectionem recipit eoriim- que Ordinem cum bonis et privilegiis confirmĂąt. Religiosam vitam 22 dĂ©c. 1216. Pressuli t. I, 175; texte dans Horoy, t. II, col. 141-144. 3. V. A. SS., p. 608 ss., et 838 ss.. 4. V. Bulle, Multi divinƓ du 13 aoĂ»t 1218. Horoy, t. III, col. 12; Potthast 5891. s. DOMINIQUE ET S. FRANÇOIS 255 le moment venu de rĂ©aliser le projet qu'il n'avait pu exĂ©cuter en 12d2. Chose Ă©trange, Hugolin qui, deux ans auparavant, l'avait empĂȘchĂ© d'aller en France, lui laissa libertĂ© entiĂšre pour accomplir cette nouvelle expĂ©dition ^. Quelques auteurs ont pensĂ© que François, ayant trouvĂ© en lui un vrai pro- tecteur, se sentait rassurĂ© pour l'avenir de l'Ordre ; il a dĂ» en effet penser cela^ mais l'histoire des troubles qui Ă©clatĂšrent de suite aprĂšs son dĂ©part, le stupĂ©fiant rĂ©cit du bon accueil fait par la cour de Rome Ă  quelques brouillons qui profitĂšrent de son absence pour mettre son Ɠuvre en pĂ©ril, suffiraient Ă  montrer combien l'Église Ă©tait embarrassĂ©e de lui, et avec quelle ardeur elle souhaitait la transformation de son Ɠuvre. On trouvera plus loin le rĂ©cit dĂ©taillĂ© de ces faits. II paraĂźt qu'un Romagnol, frĂšre Christophe, fut nommĂ© Ă  ce mĂȘme chapitre, provincial de Gascogne; il y vĂ©cut en Franciscain de la premiĂšre heure, travaillant de ses mains, habitant une Ă©troite cellule de branchages et de terre glaise ^. Égide partit pour Tunis avec plusieurs frĂšres, mais une grande dĂ©ception les y attendait les chrĂ©tiens de ce pays, dans la crainte d'ĂȘtre compromis par leur zĂšle 4. La contradiction est si frappante, que les Bollandistes en ont fait le principal argument pour dĂ©fendre l'erreur de leur manus- crit 1 Gel. 75, et prĂ©tendre envers et contre tous que François avait poursuivi son voyage. A. SS. 607. 2. 11 mourut Ă  Gahors le 31 oct. 1272. Sa lĂ©gende se trouve dans le M an. Riccardi 279, f» 69 a. Jncipit vita /'. Cristo'phori quam compilavit fr. Bernardus de Bcssa custodiƓ Caturcensis Quasi vas auri solidum. Cf. Marc de Lisbonne, t. II, p. 106-113, t. III, p. 212 et Glassberger, An. fr., t. II, p. 14. 256 VIE DE s. FRANÇOIS missionnaire, les jetĂšrent sur un bateau et les contrai- gnirent Ă  repasser la mer^. Si la date de 1219, pour ces deux missions, ne repose guĂšre que sur des conjectures, il n'en est pas de mĂȘme pour le dĂ©part des frĂšres qui se dirigĂšrent vers l'Espagne et le Maroc. Cinq d'entre eux subirent le martyre, le 16 janvier 1220. On a retrouvĂ© rĂ©cemment le rĂ©cit de leurs derniĂšres prĂ©dications et de leur fm tragique, par un tĂ©moin oculaire 2. Ce document est d'autant plus prĂ©cieux qu'il confirme les lignes gĂ©nĂ©rales du rĂ©cit bien plus long fait par Marc de Lisbonne. Il serait hors de propos de le rĂ©sumer ici, puisqu'il ne concerne que fort indirectement la vie de saint François; mais il faut noter que ces acta ont, outre leur valeur historique, une portĂ©e psychologique, il faudrait presque dire patholo- gique, vraiment remarquable jamais la folie du martyre n'a Ă©tĂ© mieux caractĂ©risĂ©e que dans ces longues pages oĂč l'on voit les frĂšres forcer les MahomĂ©tans Ă  les pour- suivre et Ă  leur faire gagner la palme cĂ©leste. La longa- nimitĂ© que montra d'abord le Miramolin, ainsi que ses coreligionnaires, donne une idĂ©e d'autant plus haute de la civilisation et des qualitĂ©s de ces InfidĂšles, que des sentiments fort diffĂ©rents seraient naturels chez les vaincus des plaines de Tolosa. Il est impossible d'appeler prĂ©dications, les collections de grossiĂšres apostrophes que les missionnaires adres- 1. A. SS. Aprilis t. III, p. 224 ; Conform. 118 b 1 ; 54 a ; Marc de Lisbonne, t. II, p. 1. — FrĂšre Luc avait Ă©tĂ© envoyĂ© Ă  Constan- tinople en 1219 au plus tard. V. Constitutus du 9 dĂ©c. 1220 Sba- ralea. Bull, fr., t. I, p. 6; Potthast 6431. 2. C'est Ă  M. MĂ» lier {AnfĂ nge, p. 207 que revient l'honneur de cette publication faite d'aprĂšs un manuscrit de la Gottoniana. s. DOMINIQUE ET S. FRANÇOIS 257 saient Ă  ceux qu'ils voulaient convertir Ă  ce paroxysme, la soif du martyre devient la folie du suicide. Est-ce Ă  dire que les frĂšres Bernard, Pierre, Adjutus, Accurse et Othon n'aient pas droit k Tadmiration et au culte dont on les a entourĂ©s? Qui oserait le dire ? Le dĂ©voue- ment n'est-il pas toujours aveugle? Pour qu'un sillon soit fĂ©cond, il y faut du sang, il y faut des larmes, de ces larmes que saint Augustin appelle le sang de l'Ăąme. Ah! c'est une grande duperie que de s'immoler, car le sang d'un seul homme ne saurait sauver ni le monde, ni mĂȘme une nation; mais c'est une duperie plus grande encore que de ne pas s'immoler, car alors on laisse perdre les autres, et on se perd soi-mĂȘme le premier. Recevez donc mon salut, Martyrs du Maroc, vous ne regrettez pas, j'en suis sĂ»r, votre folie, et si jamais quelque raisonnable pĂ©dant, fourvoyĂ© dans les bosquets du paradis, est venu vous dĂ©montrer doctement qu'il aurait mieux valu rester dans votre pays, y faire souche d'une honnĂȘte famille de laboureurs vertueux, je me figure que Miramolin, devenu la-haut voire meilleur ami, aura pris soin de le confondre. Vous fĂ»tes fous, mais d'une folie que j'envie, car vous sentiez que l'essentiel, ici-bas, n'est pas de servir tel ou tel idĂ©al, mais de servir de toute son Ăąme celui qu'on a choisi. Lorsque, quelques mois aprĂšs, le rĂ©cit de cette fin glorieuse arriva Ă  Assise, François surprit chez ses compagnons un mouvement d'orgueil et leur en fit de vifs reproches; lui, qui aurait tant enviĂ© le sort des martyrs, se sentait humiliĂ© de n'avoir pas Ă©tĂ© jugĂ© par Dieu digne de le partager. Gomme le rĂ©cit Ă©tait entremĂȘlĂ© de quelques phrases d'Ă©loge Ă  l'adresse du 258 VIE DE s. FRANÇOIS fondateur de l'Ordre, il dĂ©fendit d'en continuer la lecture 1. Au lendemain du chapitre, il avait lui-mĂȘme entre- pris une mission du genre de celle qu'il avait confiĂ©e aux frĂšres du Maroc, mais il avait procĂ©dĂ© d'une maniĂšre toute diffĂ©rente on ne retrouve pas chez lui ce zĂšle aveugle qui court Ă  la mort avec une sorte de frĂ©nĂ©sie, et fait oublier tout le reste; peut-ĂȘtre sentait-il dĂ©jĂ  que l'effort continu vers le mieux, l'immolation de tous les instants Ă  la vĂ©ritĂ© est le martyre des forts. Cette expĂ©dition qui dura plus d'un an n'est men- tionnĂ©e qu'en quelques lignes par les biographes 2. Par bonheur, nous avons sur elle une foule d'autres rĂ©cits ; mais ce silence suffirait Ă  prouver la sincĂ©ritĂ© des au- teurs franciscains primitifs s'ils avaient voulu faire Ɠuvre d'amplification, quel thĂšme plus merveilleux et plus facile auraient-ils pu trouver? François quitta la Portioncule Ă  la mi-juin et se dirigea vers AncĂŽne, d'oĂč les CroisĂ©s devaient partir pour l'Egypte, le jour de la Saint-Jean 2i juin. Beaucoup de frĂšres s'Ă©taient joints Ă  lui, ce qui n'Ă©tait pas sans inconvĂ©nient pour un voyage par mer, oĂč l'on Ă©tait obligĂ© de s'en remettre Ă  la charitĂ© des patrons de bateaux, ou Ă  celle des com- pagnons de voyage. On comprend l'embarras de François arrivĂ© Ă  AncĂŽne, et obligĂ© d'y abandonner une partie de ceux qui souhaitaient si fort d'aller avec lui. Les ConformitĂ©s racontent Ă  ce propos un trait pour lequel on pourrait dĂ©sirer une autoritĂ© plus ancienne, mais qui est bien 1. Jord. 8. 2. 1 Gel. 57 ; Bon. 133-138 ; 154 et 155 ; 2 Gel. 2, 2 ; Conform. 113 b 2 ; 114 a 2 ; Spec, 55 b ; Fior. 24. s. DOMINIQUE ET S. FRANÇOIS 259 dans la maniĂšre de François il conduisit tous ses amis au port et leur exposa ses perplexitĂ©s Les gens du bateau, leur dit-il, refusent de nous prendre tous, et je n'ai guĂšre le courage de faire un choix parmi vous, vous pourriez croire que je ne vous aime pas tous Ă©ga- lement, nous allons donc tĂącher de connaĂźtre la volontĂ© de Dieu. » En mĂȘme temps il appela un enfant qui jouait prĂšs de lĂ , et celui-ci se prĂȘtant avec joie au rĂŽle providentiel qu'on lui demandait, dĂ©signa du doigt les onze frĂšres qui devaient partir^. Nous ignorons l'itinĂ©raire suivi. Un seul souvenir de ce voyage nous est parvenu celui du chĂątiment infligĂ© dans l'Ăźle de Chypre Ă  frĂšre Barbaro, qui s'Ă©tait rendu coupable d'une faute que le maĂźtre dĂ©testait par-dessus tout, la mĂ©disance. I Ă©tait implacable pour les lĂąchetĂ©s de langage si coutumiĂšres aux gens pieux, et qui souvent font un enfer des maisons religieuses en apparence les plus paisibles. La vilenie lui parut cette fois d'autant plus grave qu'elle avait Ă©tĂ© dite en prĂ©sence d'un Ă©tranger, un chevalier de la contrĂ©e. Celui-ci eut un instant de stupeur, lorsqu'il entendit François ordonner au coupable de prendre et de manger un crottin d'Ăąne qui Ă©tait lĂ  et ajouter Il faut que la bouche qui a distillĂ© le venin de la haine contre mon frĂšre, mange cet excrĂ©ment. » Une telle indignation, aussi bien que l'obĂ©issance du malheureux, le remplirent d'admi- ration 2. Il est bien probable, comme l'a pensĂ© Wadding, que les missionnaires dĂ©barquĂšrent Ă  Saint-Jean d'Acre. Ils 1. Conform. 113 b 2. Cf. A. SS., p. 611. 2. 2 Gel. 3,92; Spec. 30 b; Cf. 2 Gel. 3,115; Conform. 142 bl. Cet Ă©pisode pourrait Ă  la rigueur se rattacher au retour. 260 VIE DE s. FRANÇOIS y arrivĂšrent vers le milieu de juillet^ C'est sans doute aux environs de cette ville que frĂšre Elie s'Ă©tait Ă©tabli depuis un ou deux ans. François s'y sĂ©para de quelques-uns de ses compagnons qu'il envoya prĂȘcher de divers cĂŽtĂ©s, et lui-mĂȘme, peu de jours aprĂšs, se ren- dit en Egypte, oĂč tous les efforts des CroisĂ©s se concen- traient autour de Damiette. DĂšs l'abord il fut navrĂ© de l'Ă©tat moral de l'armĂ©e chrĂ©tienne. MalgrĂ© la prĂ©sence de nombreux prĂ©lats et du lĂ©gat apostolique, elle Ă©tait dĂ©sorganisĂ©e par l'indis- cipline. Il en fut si affectĂ© que comme on parlait de bataille il crut devoir la dĂ©conseiller, annonçant que les chrĂ©tiens seraient infailliblement battus. On se mo- qua de lui, et le 29 aoĂ»t, les CroisĂ©s ayant attaquĂ© les Sarrasins, essuyĂšrent une terrible dĂ©route 2. Ses prĂ©dications eurent un merveilleux succĂšs. Le terrain Ă©tait, il faut le dire, mieux prĂ©parĂ© que tout autre pour recevoir la semence nouvelle ; non pas certes que la piĂ©tĂ© y fut vivante, mais dans ce ramassis d'hommes, venus lĂ  des quatre coins de l'Europe, les inquiets, les voyants, les illuminĂ©s, les altĂ©rĂ©s de justice et de vĂ©ritĂ©, coudoyaient les coquins, les aventuriers, les affamĂ©s d'or et de pillage. Capables de beaucoup de bien ou de beaucoup de mal, au grĂ© d'impulsions mo- mentanĂ©es, dĂ©gagĂ©s de ces liens de la famille, de la propriĂ©tĂ©, des habitudes qui enlacent d'ordinaire la vo- lontĂ© et ne permettent qu'exceptionnellement un complet 1. Avec la maniĂšre de naviguer Ă  cette Ă©poque, le voyage exigeait de vingt Ă  trente jours. On trouvera le diarium d'une traversĂ©e semblable dans Huillard-BrĂ©holles, Hist. DipL, t. I, 898-901. Cf. Ibid. Introd., p. GGGXXXI. 2. 2 Gel. % 2 ; Bon. 154 et 155 ; Gf. A. SS., p. 612. s. DOMIxNIQLE ET S. FRANÇOIS 261 changement de vie, ceux d'entre eux qui Ă©taient sin- cĂšres et venus lĂ  avec de gĂ©nĂ©reuses illusions, Ă©taient pour ainsi dire prĂ©destinĂ©s Ă  entrer dans la pacifique armĂ©e des FrĂšres Mineurs. François devait conquĂ©rir dans cette mission les collaborateurs qui assureraient le succĂšs de son Ɠuvre dans les pays du nord de l'Europe. Notre compatriote Jacques de Vitry, dans une lettre adressĂ©e quelques jours aprĂšs Ă  des amis, raconte ainsi l'impression que lui produisit François Je vous annonce que MaĂźtre Reynier prieur de Saint-Michel est entrĂ© dans l'Ordre des FrĂšres Mineurs, Ordre qui se multiplie beaucoup de tous cĂŽtĂ©s, parce qu'il imite la primitive Eglise et suit en tout la vie des apĂŽtres. Le MaĂźtre de ces FrĂšres s'appelle frĂšre Fran- çois ; il est si aimable qu'il se fait vĂ©nĂ©rer do tous. Étant venu dans notre armĂ©e, il n'a pas craint d'aller, par zĂšle pour la foi, Ă  celle de nos ennemis. Durant de longs jours il a annoncĂ© aux Sarrasins la parole de Dieu, mais avec peu de succĂšs ; alors le Soudan, roi d'Egypte, lui a demandĂ© en secret de supplier Dieu de lui rĂ©vĂ©ler par quelque prodige quelle est la meilleure religion. Colin l'anglais, notre clerc, est entrĂ© dans le mĂȘme Ordre ainsi que deux autres de nos compagnons, Michel et Dom Matthieu, auquel j'avais confiĂ© la cure de la Sainte- Chapelle. Cantor et Henri ont fait de mĂȘme et d'autres encore dont j'oublie le nom*.» Le long et enthousiaste chapitre consacrĂ© aux FrĂšres Mineurs par le mĂȘme auteur, dans son grand ouvrage 1. Jacques de Vitry ne parle ici de François qu'incidemment, au milieu des salutations, ce qui au point de vue critique ne fait qu'aug- menter la valeur de ces paroles. Voir l'Ă©tude des sources p. GXXII. 25 2G2 VIE DE s. FRANÇOIS sur rOccident, est trop dĂ©veloppĂ© pour trouver place ici. C'est un tableau vivant et exact des premiers temps de l'Ordre, oĂč la prĂ©dication de François devant le Soudan est de nouveau racontĂ©e. Il fut tracĂ© Ă  une Ă©poque oĂč les FrĂšres n'avaient encore ni monastĂšres ni Ă©glises, et oĂč les chapitres se tenaient une ou deux fois par an; cela nous reporte Ă  une date antĂ©rieure Ă  1223 et mĂȘme probablement Ă  1221, Nous avons donc lĂ  une contre- Ă©preuve des rĂ©cits de Thomas de Gelano et des Trois Compagnons, et ils y trouvent leur confirmation ponc- tuelle. Pour les entrevues de François et du Soudan, il est prudent de s'en tenir Ă  ce que racontent Jacques de Vitry et le Continuateur de Guillaume de Tyr^. Quoique celui-ci ait Ă©crit Ă  une Ă©poque relativement tardive entre 1275 et 1295, il a fait Ɠuvre d'historien, et travaillĂ© sur des documents authentiques or, pas plus que Jacques de Vitry, il ne connaĂźt l'offre qu'aurait faite François, de passer Ă  travers le feu si les prĂȘtres de Mahomet voulaient en faire autant, et d'Ă©tablir par ce prodige la supĂ©rioritĂ© du christianisme. On a vu combien cet appel Ă  des signes est peu dans le caractĂšre de saint François. Peut-ĂȘtre ce rĂ©cit, fait par Bonaventure, est-il nĂ© d'un malentendu. Le Soudan, comme un nouveau Pharaon, a pu mettre l'Ă©trange prĂ©dicateur en demeure de prouver sa mission par des miracles. Quoi qu'il en soit, François et son compagnon furent traitĂ©s avec beaucoup d'Ă©gards, chose d'autant plus mĂ©ritoire que les hostilitĂ©s Ă©taient Ă  leur comble. De retour au camp des CroisĂ©s, ils y demeurĂšrent 1. Y. plus haut la critique des sources p. GXXIV. s. DOMINIQUE ET S. FRANÇOIS 263 jusqu'aprĂšs la prise de Damiette 5 novembre i2l9. Cette fois les chrĂ©tiens Ă©taient victorieux, mais le cƓur de y homme Ă©vangĂ©lique saigna peut-ĂȘtre plus de cette victoire que de la dĂ©faite du 29 aoĂ»t. L'Ă©pouvantable spectacle de la ville que les vainqueurs trouvĂšrent remplie de monceaux de cadavres, les querelles pour le partage du butin, la vente des malheureux qui n'avaient pas succombĂ© Ă  la peste ^, toutes ces scĂšnes de terreur, de cruautĂ©, de convoitise, lui causĂšrent une horreur profonde. La bĂȘte humaine Ă©tait lĂąchĂ©e, la voix de l'apĂŽtre ne pouvait pas plus se faire entendre au milieu de ces clameurs de fauves, que celle d'un sauveteur sur un ocĂ©an dĂ©ferlĂ©. Il partit pour la Syrie ^ et les Saints-Lieux. Combien n'aimerait-on pas pouvoir le suivre dans ce pĂšlerinage, l'accompagner par la pensĂ©e en JudĂ©e et en GalilĂ©e, Ă  BethlĂ©hem, Ă  Nazareth, Ă  GethsĂ©manĂ©. Que lui dit l'Ă©table oĂč naquit le fils de Marie, l'atelier oĂč il tra- vailla, le bois d'olivier oĂč il s'immola ? HĂ©las ! les docu- ments nous abandonnent tout Ă  coup complĂštement. Parti de Damiette fort peu de jours aprĂšs la fin du siĂšge 5 novembre 1219, il aurait pu aisĂ©ment se trouver Ă  BethlĂ©hem pour NoĂ«l. Mais nous ne savons 1. Tout cela est racontĂ© longuement dans la lettre de Jacques de Vitry. 2. Cil hom qui comença l'ordre des FrĂšres Menors, si ot nom frĂšre François ... vint en l'ost de Damiate, e i fist moult de bien, et demora tant que la ville fut prise. Il vit le mal et le pĂ©chĂ© qui comença Ă  croistre entre les gens de l'ost, si li desplot, par quoi il s'en parti, e fu une piĂšce en Surie, et puis s'en rĂąla en son paĂŻs. » Historiens des Croisades, t. II. VEst de Evades Empereur, liv. XXXII, chap. XV. Cf. Sanuto Secrcta fid. crue, lib. III, p. XI, cap. 8 dans Bong'.rs. 264 VIE DE s. FRANÇOIS rien, absolument rien, sinon que son sĂ©jour se prolongea plus longtemps qu'on ne s'y attendait. Des frĂšres qui avaient assistĂ© Ă  la Portioncule, au chapitre gĂ©nĂ©ral de 1220 PentecĂŽte, 17 mai eurent le temps de venir en Syrie et d'y trouver encore François^ ; ils ne purent guĂšre y arriver que vers la fin de juin. Qu'avait-il fait pendant ces huit mois? Pourquoi n'Ă©tait-il pas allĂ© prĂ©sider le chapitre? Avait-il Ă©tĂ© malade ^ ? S'Ă©tait-il attardĂ© Ă  quelque mission ? Les renseignements que nous avons sont trop peu de chose pour qu'on ose hasarder mĂȘme de simples conjectures. Angelo Glareno raconte que le Soudan d'Egypte, touchĂ© par ses prĂ©dications, ordonna que lui et tous ses frĂšres auraient libre accĂšs au Saint-SĂ©pulcre, sans avoir Ă  verser aucun tribut^. BarthĂ©lĂ©my de Pise^ de son cĂŽtĂ©, dit incidemment que François Ă©tant allĂ© prĂȘcher Ă  Antioche et dans les envi- rons, les BĂ©nĂ©dictins de l'abbaye de la Montagne-Noire ^\ Ă  huit milles de cette ville, se firent en bloc recevoir dans l'Ordre, et rendirent leurs propriĂ©tĂ©s au Patriarche. On voit que ces deux indications sont bien pauvres, bien isolĂ©es. Encore la seconde ne doit-elle ĂȘtre acceptĂ©e que sous bĂ©nĂ©fice d'inventaire. Par contre, nous avons 1. Jord. chron. 11-14. 2. L'Ă©pisode des murmures de fr. LĂ©onard racontĂ© plus loin, donne quelque probabilitĂ© Ă  cette hypothĂšse. 3. Trihul. Man. Laur. 9 b. Cf. 10 b. SepuĂŻcro Domini visitato festinat ad Christianorum terram. 4. Sur ce monastĂšre voir une lettre ad familiares de Jacques de Vitry, Ă©crite en 1216 et publiĂ©e en 1847 par le baron Jules de S. GĂ©nois au t. XIII des MĂ©moires de V AcadĂ©mie royale des sciences et des beaux-arts de Bruxelles 1849. Conform. 106 b 2 ; 114 a 2 ; Spec. 184. s. DOMINIQUE ET S. FRANÇOIS 265 les renseignements dĂ©taillĂ©s sur ce qui se passait en Italie durant l'absence de François. La chronique de rĂšre Jourdain, rĂ©cemment retrouvĂ©e et publiĂ©e, jette tout le jour dĂ©sirable sur le complot tramĂ© prĂ©cisĂ©ment par ceux qu'il avait chargĂ©s de le remplacer Ă  la Portion- cule ; et cela, sinon de connivence avec Rome et le car- dinal protecteur, du moins sans leur opposition. Ces pĂ©ripĂ©ties avaient bien Ă©tĂ© racontĂ©es par AngeloGlareno, mais l'Ă©motion non dĂ©guisĂ©e que respirent tous ses Ă©crits et leur manque de prĂ©cision, suffisaient Ă  les faire tenir en quarantaine par les critiques avisĂ©s. Comment penser que, du vivant mĂȘme de saint François, les vicaires qu'il avait instituĂ©s, profitaient de son Ă©loigne- ment pour bouleverser son Ɠuvre? Comment le pape, qui durant cette pĂ©riode fut en sĂ©jour Ă  Rieti, puis Ă  Viterbe, comment Hugolin qui Ă©tait encore plus prĂšs, Ă  PĂ©rouse, n'auraient-ils pas imposĂ© silence aux agi- tateurs ^? Aujourd'hui que tous ces faits reparaissent non plus dans un rĂ©cit oratoire et passionnĂ©, mais datĂ©s, brefs, prĂ©cis, tranchants, avec des allures de notes prises au jour le jour, il faut bien se rendre Ă  l'Ă©vidence. Y a-t-il lieu de condamner bruyamment Hugolin et le pape? Je ne le crois pas ils jouĂšrent un rĂŽle qui n'est pas Ă  leur honneur, mais leurs intentions Ă©taient Ă©videmment excellentes. Si le fameux aphorisme que la fin justifie les moyens est criminel quand on examine sa propre conduite, il est le premier devoir quand on juge celle des autres voici donc ces Ă©vĂ©nements. DĂšs le 25 juillet, un mois environ aprĂšs le dĂ©part de 1. A. SS. p. 619-620, 848, 851, 638. . 266 VIE DE s. FRANÇOIS François pour la Syrie, Hugolin qui Ă©tait Ă  PĂ©rouse, octroyait aux Glarisses de Monticelli Florence, Sienne, PĂ©rouse et Lucques, ce que son ami avait si obstinĂ©- ment refusĂ© pour les FrĂšres, la rĂšgle bĂ©nĂ©dictine^. En mĂȘme temps, saint Dominique, revenu d'Espagne plein d'une ardeur nouvelle Ă  la suite de sa retraite dans la grotte de SĂ©govie, et dĂ©cidĂ© Ă  adopter pour son Ordre la rĂšgle de la pauvretĂ©, Ă©tait vivement encouragĂ© dans cette voie et comblĂ© de faveurs 2. Honorius III voyait en lui l'homme providentiel du moment, le rĂ©for- mateur de l'Ă©tat monastique ; aussi eut-il pour lui des prĂ©venances inouĂŻes, et alla par exemple jusqu'Ă  lui adjoindre un groupe de moines appartenant Ă  d'autres ordres, qui Ă©taient destinĂ©s Ă  ĂȘtre comme ses lieu- tenants dans les tournĂ©es de prĂ©dications qu'il croirait devoir entreprendre, et Ă  faire sous sa direction l'ap- prentissage de la prĂ©dication populaire^. Qu'Hugolin ait Ă©tĂ© l'inspirateur de tout cela, les bulles sont lĂ  pour en tĂ©moigner. Diriger les deux ordres nouveaux est si bien alors sa pensĂ©e dominante qu'il Ă©lit domicile en consĂ©quence et qu'on le retrouve sans cesse Ă  PĂ©rouse, c'est-Ă -dire Ă  trois lieues de la Portioncule, ou Ă  Bologne, le boulevard des Domi- nicains. Il devient Ă©vident maintenant que si la fraternitĂ© instituĂ©e par François fut vĂ©ritablement le fruit de ses i. V. Bulle. Sacrosancta du 9 dĂ©c. 1219, cf. celles du 19 sept. 1222 Sbaralea I, p. 3; 11 ss. ; Potthast 6179, 6879 a. b. c. 2. V. Potthast 6155, 6177, 6184, 6199, 6214, 6217, 6218, 6220, 6246. Voir aussi Chartularium Universitatis Par., t. I, p. 487. 3. Bulle Quia qui seminant du 12 mai 1220. RipoUi Bull. PrƓd., 1. 1, p. 10 Potthast 6249. s. DOMINIQUE ET S. FRANÇOIS 207 entrailles, la chair de sa chair, l'Ordre des FrĂšres PrĂȘcheurs Ă©mane de la papautĂ©, et que saint Dominique n'en est guĂšre que le pĂšre putatif. Ce caractĂšre a Ă©tĂ© exprimĂ© d'un mot par un des annalistes contemporains les plus autorisĂ©s, Burchard d'Ursperg {f 1226. Le pape, dĂŻi'ĂŻl, institua etconfirma l'Ordre des PrĂȘcheurs^.» François, s'acheminant vers l'Orient, avait pris pour compagnon spĂ©cial un frĂšre que nous n'avons pas encore rencontrĂ©, Pierre de Gatane ou dei Cattani. Était-il originaire de la ville de Catane? Rien ne l'indique d'une façon prĂ©cise. Il semble plus probable qu'il ait appartenu Ă  la noble famille dei Cattani bien connue dĂ©jĂ  Ă  Fran- çois, et dont Orlando, comte de Ghiusi en ]asenlin, qui lui avait donnĂ© l'Alverne, Ă©tait un des membres. Quoi qu'il en soit, on ne peut le confondre avec le frĂšre Pierre qui prit l'habit dĂšs avril 1209, en mĂȘme temps que Bernard de Quintavalle, et qui mourut peu de temps aprĂšs. La tradition, en faisant de ces deux hommes un seul et mĂȘme personnage, n'y Ă©tait pas amenĂ©e seulement I. Mo7t. Germ. hist. Script., t. 23, p. 376. Ce passage est d'une importance extrĂȘme, car il rĂ©sume en quelques lignes la politique ecclĂ©siastique d'Honorius III. AprĂšs avoir parlĂ© des pĂ©rils dont les Hwniliati menaçaient l'Eglise, Burchard ajoute QuƓ volens corri- gere dominus papa ordinem Predicatorum instituit et conflr- mavit. Or, ces Humiliati Ă©taient un Ordre approuvĂ©, mais Burchard, en les mettant au rang des hĂ©rĂ©tiques Ă  cĂŽtĂ© des Pauvres de Lyon, exprimait d'un mot les sentiments de la papautĂ© Ă  leur Ă©gard ; elle avait pour eux une invincible rĂ©pugnance et ne voulant pas les frapper directement, elle cherchait Ă  crĂ©er un dĂ©rivatif. On suivit vis-Ă -vis des FrĂšres Mineurs une tactique semblable, avec le surplus de prĂ©cautions qu'inspirait la saintetĂ© du fondateur et le prodigieux succĂšs de l'Ordre. Tout cela devint inutile lorsqu'en 1221 frĂšre Élie devint vicaire de François, et surtout lorsqu'aprĂšs la mort de celui-ci, il eut toute la libertĂ© nĂ©cessaire pour diriger l'Ordre suivant les vues d'Hugolin devenu GrĂ©goire IX. 268 VIE DE s. FRANÇOIS par la similitude des noms, mais aussi par le penchant bien naturel d'augmenter le prestige de celui qui, de 1220 — 1221, devait jouer un grand rĂŽle dans la direc- tion de l'Ordre^. Lors de son dĂ©part pour l'Orient, François avait laissĂ© deux vicaires pour le remplacer, les frĂšres Matthieu de Narni et GrĂ©goire de Naples. Le premier Ă©tait spĂ©ciale- ment chargĂ© de rester Ă  la Portioncule^ pour admettre les postulants 2. GrĂ©goire de Naples devait au contraire parcourir l'Italie, pour consoler les FrĂšres^. Les deux vicaires commencĂšrent aussitĂŽt Ă  tout bou- leverser. On ne s'explique pas comment des hommes encore sous l'impression de leur premiĂšre ferveur pour une rĂšgle qu'ils avaient promis d'observer dans la plĂ©- nitude de leur libertĂ©, auraient pu songer Ă  innover, s'ils n'avaient Ă©tĂ© poussĂ©s et soutenus en haut lieu. Mitiger le vƓu de pauvretĂ©, multiplier les obser- 1. 1 Gel. 25; Cf. A. SS., p. 581 ; Pierre de Catane avait le titre de docteur es lois, Jord. 11, ce qui ne cadre absolument pas avec ce qui est racontĂ© de fr. Pierre, 3 Soc. 28 et 29. Cf. Bon. 28 et 29. Spec. 5 b. ; Fior 2; Conform. 47; 52 b2. Petrus vir litteratus erat et nobilis. Jord. 12. 2. Nous ne savons rien d'autre sur lui sinon qu'il eut aprĂšs sa mort le don des miracles. Jord. 11 ; Conform. 62 a 1. 3. Ce n'Ă©tait pas un homme ordinaire; orateur et administrateur remarquable Eccl. 6, il fut ministre de France dĂšs avant 1224, et l'Ă©tait encore en 1240, grĂące au zĂšle avec lequel il avait adoptĂ© les idĂ©es de frĂšre Élie. Il Ă©tait neveu de GrĂ©goire IX, ce qui ne laisse pas de jeter un jour sur les menĂ©es qui vont ĂȘtre racontĂ©es; aprĂšs avoir Ă©tĂ© emportĂ© par la disgrĂące d'Élie, et condamnĂ© Ă  la prison perpĂ©tuelle, il devint sur la fin de sa vie Ă©vĂȘque de Bayeux. Je note pour les fureteurs qu'Ă  la Nationale de Paris se trouve le ma- nuscrit de deux de ses sermons. L'auteur n'y Ă©tant indiquĂ© que comme fr. Gr. min. on ne savait jusqu'ici de qui il s'agissait. Ces sermons ont Ă©tĂ© prĂȘches Ă  Paris, le Jeudi et le Samedi saint. Ms. nouv. acq. lat. 338 f^s 148 v», 159. s. DOMINIQUE ET S. FRAxNGOIS 269 vances, tels furent les deux points sur lesquels se porta tout leur effort. En apparence, c'Ă©tait lĂ  bien peu de chose, en rĂ©alitĂ© c'Ă©tait beaucoup, car c'Ă©tait une premiĂšre tentative de l'esprit ancien contre Fesprit nouveau. C'Ă©tait l'effort d'hommes faisant de la religion, inconsciemment, je veux le croire, une affaire d'observances et de rite, au lieu d'y voir, comme saint François, la conquĂȘte de cette libertĂ© qui nous affranchit de tout et de tous, et qui dĂ©cide chaque Ăąme Ă  obĂ©ir Ă  ce je ne sais quoi de divin et de mystĂ©rieux, qu'adorent les fleurs des champs, que bĂ©nissent les oiseaux du ciel, que loue la symphonie des astres et que JĂ©sus de Nazareth appelait Abba c'est-Ă -dire PĂšre. La premiĂšre RĂšgle Ă©tait excessivement simple en ce qui concernait les jeĂ»nes. Les frĂšres devaient faire maigre le mercredi et le vendredi ; ils pouvaient ajouter, mais seulement sur une autorisation spĂ©ciale de Fran- çois, le maigre du lundi et du samedi. Les vicaires et leurs adhĂ©rents compliquĂšrent cela d'une façon Ă©ton- nante. Au chapitre gĂ©nĂ©ral cĂ©lĂ©brĂ© en l'absence de François J7 mai 1220, ils dĂ©cidĂšrent 1° qu'en temps de gras, les frĂšres ne chercheraient pas Ă  se procurer de viande, mais que si on leur en offrait spontanĂ©ment, ils la mangeraient; 2** que tous jeĂ»neraient le lundi, outre le mercredi et le samedi; 3° que le lundi et le samedi, on s'abstiendrait de laitage, Ă  moins que par hasard les fidĂšles ne vinssent Ă  en donner^. Ces tentatives tĂ©moignent aussi d'un effort pour imiter les anciens ordres, qui n'allait pas sans le vague espoir 1 Jord. 11. Cf. Spec. 34 b ; Fior. 4; Conform. 184 a 1. 270 VIE DE S. FRANÇOIS de se substituer Ă  eux. FrĂšre Jourdain ne nous a conservĂ© que cette dĂ©cision du chapitre de 1220, mais les expressions dont il se sert montrent assez qu'elle fut loin d'ĂȘtre la seule, et que les mĂ©contents avaient voulu, tout comme les chapitres de Giteaux ou du Mont-Cassin, Ă©dicter de vĂ©ritables constitutions. Ces modifications de la RĂšgle ne passĂšrent cependant pas sans provoquer l'indignation d'une partie du cha- pitre un frĂšre lai s'en fit le messager Ă©mu, et partit pour l'Orient supplier François de revenir au plus tĂŽt prendre les mesures rĂ©clamĂ©es par les circonstances. Il y avait eu aussi d'autres causes de trouble FrĂšre Philippe, zĂ©lateur des Glarisses, s'Ă©tait hĂątĂ© de leur faire octroyer par Hugolin les privilĂšges dont il a Ă©tĂ© dĂ©jĂ  question ^. Un certain frĂšre Jean de Conpello^ avait rĂ©uni un grand nombre de lĂ©preux des deux sexes, et Ă©crit une rĂšgle pour fonder avec eux un ordre nouveau. Il s'Ă©tait ensuite prĂ©sentĂ©, avec un cortĂšge de ces malheureux, au souverain pontife, pour obtenir son approbation. Bien d'autres tristes symptĂŽmes s'Ă©taient manifestĂ©s 1. Jord. 12. Cf. Bulle Sacrosancta du 9 dĂ©c. 1219. 2. Jord. 12. Faudrait-il lire peut-ĂȘtre de Campello? Il y a, Ă  moitiĂ© chemin entre Foligno et SpolĂšte, une localitĂ© de ce nom. D'autre part, les 3 Soc. 35 indiquent l'entrĂ©e dans l'Ordre d'un Jean de Gapella qui devint dans la lĂ©gende le Judas franciscain. Invenit abusum capelle et ab ipsa denominatus est ab ordinc recedens factus leprosus laqueo ut Judas se suspendit. Conform. 104 a 1. Cf. Bernard de Besse, 96 a ; Spec. 2 ; Fior. 1. Tout cela est bien embrouillĂ©. Peut-ĂȘtre faut-il penser que Jean de Campello mourut bientĂŽt aprĂšs, et que, plus tard, lorsque les rĂ©cits de ces temps troublĂ©s furent oubliĂ©s, quelque frĂšre ingĂ©nieux expliqua la note d'infamie attachĂ©e Ă  son souvenir, par une hy{ othĂšse Ă©cha- faudĂ©e sur son nom mĂȘme. s. DOMINIQUE ET S. FRANÇOIS 271 sur lesquels frĂšre Jourdain n'insiste pas; le bruit de la mort de François s'Ă©tait mĂȘme rĂ©pandu, si bien que tout l'Ordre Ă©tait troublĂ©, divisĂ©, et courait les plus grands pĂ©rils. Les sombres pressentiments que François semble avoir eus, Ă©taient donc dĂ©passĂ©s par la rĂ©alitĂ©^. Le mes- sager qui lui apporta ces tristes nouvelles, le trouva en Syrie, probablement Ă  Saint- Jean d'Acre. Il s'embarqua aussitĂŽt avec Élie, Pierre de Galane, CĂ©saire de Spire et quelques autres, pour revenir en Italie, sur un bateau qui faisait voile sur Venise, oĂč il put aisĂ©ment se trouver vers la fin de juillet. 4. Jord. 12, 13 et 14. CHAPITRE XIV La crise de l'Ordre i, Automne 1220. DĂšs son arrivĂ©e Ă  Venise, François se renseigna encore plus exactement sur tout ce qui s'Ă©tait passĂ© et convoqua le chapitre gĂ©nĂ©ral Ă  la Portioncule pour la Saint-Michel 29 septembre J2202. Son premier soin fut sans doute de rassurer son amie de Saint-Damien un court fragment de lettre qui nous a Ă©tĂ© conservĂ© porte la trace des tristes prĂ©occu- pations dont il Ă©tait rempli Moi, petit frĂšre François, je veux suivre la vie et la pauvretĂ© de JĂ©sus-Christ, notre trĂšs haut Seigneur, et de sa trĂšs sainte MĂšre, et persĂ©vĂ©rer en elle jusqu'Ă  la fin ; et je vous supplie toutes et vous exhorte de persĂ©- vĂ©rer toujours dans cette trĂšs sainte vie et pauvretĂ©. Et prenez bien garde de ne vous en Ă©carter jamais sur les conseils ou sur les enseignements de qui que ce soit ^. i. Jord. 14; Tribul.,fo 10. 2. Toute autre date est impossible, puisque François renonça en plein chapitre Ă  la direction de l'Ordre, au profit de Pierre de Ga- tane, et que celui-ci mourut le 10 mars 1221. 3. Ce trop court fragment se trouve au § VI de la RĂšgle des Damianites 9 aoĂ»t 1253 SpĂ©culum Morin, Tract. III, 226 b. LA CRISE DE l'ORDRE 273 Il y eut un long cri d'allĂ©gresse Ă  travers toute l'Italie quand on connut ce retour; beaucoup de frĂšres zĂ©lĂ©s dĂ©sespĂ©raient dĂ©jĂ , car dans bien des provinces on avait commencĂ© Ă  les persĂ©cuter ; aussi, lorsqu'ils apprirent que leur pĂšre spirituel Ă©tait vivant et qu'ils allaient le revoir eurent-ils une immense joie. De Venise, François se dirigea vers Bologne. Ce voyage fut marquĂ© par un incident oĂč se dĂ©note encore une fois sa malicieuse et fine bontĂ©. BrisĂ© par les Ă©motions autant peut-ĂȘtre que par les fatigues, il dut un jour renoncer Ă  faire le trajet Ă  pied. Il cheminait montĂ© sur un Ăąne, suivi de frĂšre LĂ©onard d'Assise, lorsqu'un regard lui fit deviner ce qui se passait dans le cƓur de son compagnon Mes parents, pensait le frĂšre, se seraient bien gardĂ©s de frayer avec Bernardone, et voilĂ  que maintenant je suis obligĂ© de suivre Ă  pied son fils. On juge de son Ă©tonnement, lorsqu'il entendit Fran- çois lui dire^ en descendant vivement de sa monture Prends vite ma place, il est fort inconvenant que tu me suives Ă  pied, toi qui es issu d'un noble et puis- sant lignage. » Le pauvre LĂ©onard, bien confus, se jeta Ă  ses pieds implorant son pardon^. A peine arrivĂ© Ă  Bologne, François fut obligĂ© de sĂ©vir contre les relĂąchĂ©s. On se rappelle que l'Ordre ne devait rien possĂ©der, ni directement, ni indirectement. Les monastĂšres donnĂ©s aux FrĂšres ne devenaient pas leur propriĂ©tĂ© ; dĂšs que le propriĂ©taire les dĂ©sirait ou que toute autre personne cherchait Ă  s'en emparer, on devait les cĂ©der sans la moindre rĂ©sistance or en ap- 1. 2 Gel. 2, 3 ; Bon. 162 ; Cf. Conform. 184 b 2 et G2 b 1. 274 VIE DE s. FRANÇOIS prochant de Bologne, il apprit la construction d'une maison qu'on appelait dĂ©jĂ  la maison des frĂšres. Il en ordonna l'Ă©vacuation immĂ©diate, sans mĂȘme faire excep- tion pour les malades qui s'y trouvaient. Les frĂšres eurent alors recours Ă  Hugolin qui Ă©tait prĂ©cisĂ©ment dans cette ville oĂč il venait de consacrer Notre-Dame de Rheno ^ il expliqua longuement Ă  François que cette maison n'appartenait pas Ă  l'Ordre, lui-mĂȘme s'en Ă©tant dĂ©clarĂ© le propriĂ©taire par des actes publics, et finit par le convaincre 2. La piĂ©tĂ© des Bolonais rĂ©servait a François un ac- cueil enthousiaste dont l'Ă©cho est parvenu jusqu'Ă  nous J'Ă©tudiais Ă  Bologne, moi Thomas de Spalato, archi- diacre de l'Ă©glise cathĂ©drale de cette ville, lorsqu'en l'an 1220, le jour de l'Assomption, je vis saint François qui prĂȘchait sur la place du Petit-Palais devant presque tous les gens de la citĂ©. Le thĂšme de son discours fut le sui- vant les anges, les hommes, les dĂ©mons. Il en parla avec tant de justesse et d'Ă©loquence que beaucoup de gens instruits qui Ă©taient lĂ , furent remplis d'admiration pour les paroles de cet homme si simple. Il n'avait cepen- dant pas les maniĂšres d'un prĂ©dicateur, ses allures Ă©taient plutĂŽt celles de la conversation le fond de son allocution tendait essentiellement Ă  l'abolition des ini- mitiĂ©s et Ă  la nĂ©cessitĂ© de conclure de pacifiques alliances. Ses vĂȘtements Ă©taient pauvres \ sa personne n'avait rien qui imposĂąt ; son visage rien de beau ; mais Dieu donna une si grande efficacitĂ© Ă  ses paroles qu'il amena Ă  la paix et Ă  la concorde beaucoup de nobles dont la sauvage fureur ne s'arrĂȘtait pas mĂȘme devant 1. Sigonius OpĂ©ra, t. III, col. 220 ; Cf. Potthast 5516 et 6086. 2. 2 Gel. 3, 4; Spec, Il a ; Tribxil. 13 a ; Cojiform, 169 b 2. LA CRISE DE l'orDRE 275 l'effusion du sang. On eut pour lui une si grande dĂ©vo- tion qu'hommes et femmes couraient en foule aprĂšs lui, et qu'heureux s'estimait celui qui parvenait Ă  toucher le bord de son vĂȘtement. » Est-ce alors que le cĂ©lĂšbre Accurse le Glossateur ^, chef de cette fameuse dynastie de jurisconsultes qui durant tout le treiziĂšme siĂšcle illustra l'UniversitĂ© de Bologne, accueillit les FrĂšres Mineurs dans sa villa de la Ricardina, Ă  proximitĂ© de la ville 2? Nous ne savons. Il paraĂźt qu'un autre professeur, Nicolas dei Pepoli, entra aussi dans l'Ordre ^. Les Ă©lĂšves ne restaient naturellement pas en arriĂšre, et un certain nombre d'entre eux demandĂšrent l'habit. Tout cela constituait cependant un danger cette citĂ©, qui Ă©tait en Italie comme un autel consacrĂ© Ă  la science du droit, allait exercer sur l'Ă©volution de l'Ordre la mĂȘme influence que Paris ; les FrĂšres Mineurs ne pouvaient pas plus s'y soustraire qu'on ne peut se soustraire Ă  celle de l'air ambiant. François n'y sĂ©journa cette fois que fort peu de temps. Une antique tradition, dont ses biographies ne nous ont conservĂ© aucune trace, mais qui paraĂźt cependant tout Ă  fait vraisemblable, raconte qu'Hugolin le conduisit passer un mois aux Gamaldules dans la retraite habitĂ©e jadis par saint Romuald, au milieu de ces forĂȘts du Gasentin qui sont au nombre des plus belles de l'Eu- rope, Ă  quelques heures de marche de l'Alverne, 1. Mort en 1229. Cf. Mazzetti, Eepertorio di tutti i profcssori di Bologna, Bologne 1847, p. 11. 2. Voir Mon. Germ. hist. Script., t. 28, p. 635 et les notes. 3. Wadding, ann. 1220, n» 9. Cf. A. SS., p. 823. 276 VIE DE s. dont la croupe se dresse gigantesque, dominant tout l'horizon. On a vu combien François avait besoin de repos ; nul doute qu'il n'aspirĂąt aussi au recueillement, afin de bien arrĂȘter d'avance sa ligne de conduite au milieu des tristes conjonctures qui avaient provoquĂ© son retour^. Cependant le dĂ©sir de lui procurer un repos bien nĂ©cessaire, n'Ă©tait pour Hugolin qu'un but accessoire. Le moment d'agir avec vigueur lui paraissait venu. On peut se figurer aisĂ©ment ses rĂ©ponses aux plaintes de François Ne l'avait-on pas engagĂ© avec insistance Ă  profiter des conseils du passĂ©, de l'expĂ©rience de ces fondateurs d'ordres qui n'ont pas Ă©tĂ© seulement des saints, mais d'habiles conducteurs d'hommes ; Hugolin lui-mĂȘme n'Ă©tait-il pas son meilleur ami, son dĂ©fenseur- nĂ©, et n'avait-il pas dĂ» cependant renoncer Ă  cette influence Ă  laquelle son amour pour les frĂšres, sa posi- tion dans l'Église et son grand Ăąge lui donnaient cepen- dant tant de titres ? Mais non^ il avait fallu le laisser exposer inutilement ses disciples Ă  tous les dan- gers, dans des missions aussi pĂ©rilleuses que sans rĂ©sultats ; et tout cela pourquoi ? Pour le plus futile des points d'honneur, parce que les FrĂšres Mineurs ne vou- laient pas avoir le plus petit privilĂšge. Ils n'Ă©taient pas hĂ©rĂ©tiques, mais ils troublaient l'Église autant que des hĂ©rĂ©tiques. Que de fois ne lui avait-on pas rappelĂ© qu'une grande association a besoin, pour subsister, de rĂšglements prĂ©cis et dĂ©taillĂ©s? Tout cela avait Ă©tĂ© peine perdue ! Certes, son humilitĂ© ne faisait de doute pour personne, mais pourquoi ne pas la manifester, non 1. Sur ce sĂ©jour V. les autoritĂ©s indiquĂ©es par les A. SS., p. 847. LA CRISE DE L ORDRE 277 seulement dans le vĂȘtement et la maniĂšre de vivre, mais dans tous ses actes? Il croyait obĂ©ir Ă  Dieu en dĂ©fendant son inspiration, mais l'Église ne parle-t-elle pas au nom de Dieu ? les paroles de ses reprĂ©sentants ne sont-elles pas la parole de JĂ©sus se perpĂ©tuant sur la terre? il voulait ĂȘtre un homme Ă©vangĂ©lique, un homme apostolique, mais le meilleur moyen d'y parve- nir, n'Ă©tait-ce pas d'obĂ©ir au pontife romain ? au suc- cesseur de Pierre ? — Par un excĂšs de condescendance, on l'avait laissĂ© faire, et le rĂ©sultat Ă©tait la plus triste des leçons. Mais la situation n'Ă©tait pas dĂ©sespĂ©rĂ©e, il Ă©tait temps encore d'y apporter remĂšde ; pour cela il n'avait qu'Ă  aller se jeter aux pieds du pontife, implorer sa bĂ©nĂ©diction, ses lumiĂšres et ses conseils. De pareils reproches entremĂȘlĂ©s des effusions d'amour et d'admiration de ce prĂ©lat, qui eut Ă  un degrĂ© inouĂŻ le pathĂ©tique don des larmes, devaient jeter un trouble profond dans le cƓur dĂ©licat de François. Sa conscience lui rendait bon tĂ©moignage, mais modeste comme le sont les esprits supĂ©rieurs, il n'Ă©tait pas loin de penser qu'il avait eu bien des torts. Ce serait peut-ĂȘtre ici le lieu de rechercher le secret de l'amitiĂ© de ces deux hommes, qui reste si Ă©trange par certains cĂŽtĂ©s. Comment put- elle durer sans ombre jusqu'Ă  la mort de saint François, alors que nous trouvons toujours Hugolin comme inspirateur du groupe qui compromet l'idĂ©al franciscain ? La rĂ©ponse Ă  cette question est impossible. Le mĂȘme problĂšme se pose pour frĂšre Élie, sans qu'on aperçoive davantage une rĂ©ponse satisfaisante. Les hommes qui ont le cƓur trĂšs aimant ne sauraient avoir l'intelligence tout Ă  fait claire. Souvent ils se sentent fascinĂ©s par ceux qui sont 86 278 VIE DE s. FRANÇOIS le plus diffĂ©rents d'eux-mĂȘmes, et dans la poitrine des- quels ils ne sentent pas ces faiblesses fĂ©minines, ces rĂȘves bizarres, cette pitiĂ© presque maladive des ĂȘtres et des choses, cette soif mystique de la douleur qui est Ă  la fois leur bonheur et leur tourment. Le sĂ©jour aux Gamaldules se prolongea jusqu'Ă  la mi-septembre, et se termina Ă  la satisfaction du cardinal. François Ă©tait dĂ©cidĂ© Ă  aller tout droit trouver le pape, alors en sĂ©jour Ă  Orvieto, et Ă  lui demander Hugolin comme protecteur ofĂŻiciel destinĂ© Ă  diriger l'Ordre. Un rĂȘve qu'il avait fait jadis lui revenait en mĂ©moire il avait vu une petite poule noire, qui malgrĂ© ses efforts ne pouvait abriter sous ses ailes toute sa couvĂ©e. La pauvre poule, c'Ă©tait lui; les poussins c'Ă©taient les frĂšres. Ce songe Ă©tait une indication providentielle lui ordonnant de leur chercher une mĂšre, sous les ailes de laquelle tous trouveraient place, et qui les dĂ©fendrait contre les oiseaux de proie. Il le crut du moins ^. Il se rendit Ă  Orvieto, sans passer par Assise oĂč il aurait Ă©tĂ© obligĂ© de prendre des mesures quel- conques Ă  l'Ă©gard des fauteurs de trouble, tandis qu'il devait s'en remettre purement et simplement au pape. Sa profonde humilitĂ© jointe au sentiment de culpabi- litĂ© qu'Hugolin avait Ă©veillĂ© en lui, suffit-elle Ă  expli- quer son attitude devant le pape, ou faut-il croire qu'il eut le vague sentiment d'abdiquer? Qui sait si sa con- science ne lui murmurait pas dĂ©jĂ  un reproche et ne lui 1. 2 Gel. 1. -16 ; Spec. 100 a-iOl b. LA GRISE DE l'ORDRE 279 rĂ©vĂ©lait pas l'inanitĂ© de tous les sophismes par lesquels on l'avait enlacĂ©. N'osant se prĂ©senter dans les appartements d'un si grand prince, il resta dehors devant la porte et attendit patiemment que le pape vĂźnt Ă  sortir. Quand il sortit, saint François lui fit la rĂ©vĂ©rence et lui dit PĂšre Pape, que Dieu vous donne la paix. » — Que Dieu te bĂ©nisse, mon fils, rĂ©pondit-il ». — Seigneur, lui dit alors saint François, vous ĂȘtes grand et souvent absorbĂ© par de grandes affaires; de pauvres frĂšres ne peuvent pas venir vous trouver et vous parler aussi souvent qu'ils en au- raient besoin ; vous m'avez donnĂ© beaucoup de papes, donnez-m'en un seul auquel je puisse m'adresser quand besoin sera, et qui Ă  votre place Ă©coute et discute mes afi'aires et celles de mon Ordre. » — Qui veux-tu donc que je te donne, mon fils?» — L'Ă©vĂȘque d'Ostie ». Et il le lui donna ^. Les confĂ©rences avec Hugolin recommencĂšrent donc; il accorda tout de suite Ă  François quelques satisfac- tions le privilĂšge octroyĂ© aux Clarisses fut rapportĂ© ; Jean de Gonpello fut avisĂ© qu'il n'avait rien Ă  espĂ©rer de la curie ; enfin on laissait Ă  François la libertĂ© de composer lui-mĂȘme la RĂšgle de son Ordre. On ne lui Ă©pargna naturellement pas les conseils Ă  ce sujet, mais il fut un point sur lequel la curie ne pouvait* pas attendre, et dont elle exigea l'application immĂ©diate l'obligation pour les postulants d'un an de noviciat. En mĂȘme temps fut lancĂ©e une bulle qui n'Ă©tait pas seulement destinĂ©e Ă  publier cette ordonnance, mais surtout Ă  marquer d'une façon solennelle le commence- 1. Jord. 14; Cf. 2 Gel. 1, 17; Spec, 102 ; 3 Soc. 63 et 56. 280 VIE DE S. FRANÇOIS ment d'une Ăšre nouvelle dans les rapports de l'Eglise et des Franciscains. La fraternitĂ© des PĂ©nitents ombriens devenait un ordre dans le sens le plus Ă©troit du mot. Honorius Ă©vĂȘque, serviteur des serviteurs de Dieu, Ă  frĂšre François et aux autres prieurs ou custodes des FrĂšres Mineurs, salut et bĂ©nĂ©diction apostolique. Dans presque tous les ordres religieux il a Ă©tĂ© prudem- ment ordonnĂ© que ceux qui se prĂ©senteraient pour ob- server la vie rĂ©guliĂšre, feraient un essai d'un certain temps, durant lequel ils seraient, eux aussi, mis Ă  rĂ©preuve, afin de ne laisser ni place ni prĂ©texte Ă  des dĂ©marches inconsidĂ©rĂ©es. A ces causes, nous vous ordon- nons par les prĂ©sentes de n'admettre personne Ă  faire profession avant une annĂ©e de noviciat ; nous dĂ©fendons qu'aprĂšs la profession aucun frĂšre puisse sortir de l'Ordre, ni que personne puisse retenir celui qui en sortirait. Nous dĂ©fendons aussi que sous votre habit on circule çà et lĂ  sans obĂ©dience, et que l'on corrompe la puretĂ© de votre pauvretĂ©. Si quelques frĂšres avaient cette audace, vous auriez Ă  leur infliger les censures ecclĂ©siastiques jusqu'Ă  rĂ©sipiscence ^ 11 faut certes un euphĂ©misme bien caractĂ©risĂ© pour traiter de privilĂšge une pareille bulle. C'Ă©tait en rĂ©alitĂ© la mainmise de la papautĂ© sur les FrĂšres Mineurs. DĂ©sormais, par la force mĂȘme des choses, le maintien de François comme ministre gĂ©nĂ©ral devenait impossible. 1. Cum secundum. L'original est Ă  Assise avec Datum apud Urbem Veterem X Kal. Oct. pont, nostri anno quinto 22 sept. 1220. C'est donc Ă  tort que Sbaralea et Wadding la font dater de Viterbe, ce qui s'explique d'autant moins que toutes les bulles de cette Ă©poque sont datĂ©es d'Orvieto. Wadding, ann. 1220, 57. Sba- ralea, t. I, p. 6. Potthast 6361. LA CRISE DE L ORDRE 281 Il le sentait lui-mĂȘme. Le cƓur brisĂ©, l'Ăąme malade, il aurait, malgrĂ© tout, trouvĂ© dans la vigueur de son amour ces paroles, ces regards qui jadis tenaient lieu de rĂšgle, de constitutions, et donnaient Ă  ses premiers compagnons l'intuition de ce qu'ils devaient faire et la force de l'accomplir; mais maintenant, Ă  la tĂȘte de cette famille qu'il retrouvait tout Ă  coup si diffĂ©rente de ce qu'elle avait Ă©tĂ© quelques annĂ©es auparavant, il fallait un administrateur, et il s'avouait tristement qu'il ne l'Ă©tait lui-mĂȘme Ă  aucun degrĂ© ^. Ah ! dans son for intĂ©rieur, il sentait bien que l'an- cien idĂ©al Ă©tait le vrai, le bon ; mais il chassait ces pensĂ©es comme des tentations de l'orgueil. Les derniers Ă©vĂ©nements n'avaient pas Ă©tĂ© sans entamer quelque peu sa personnalitĂ© morale Ă  force d'entendre parler d'obĂ©is- sance, de soumission, d'humilitĂ©, un certain obscur- cissement s'Ă©tait fait dans cette Ăąme si lumineuse; l'ins- piration ne lui arrivait plus avec la mĂȘme certitude qu'autrefois; le prophĂšte se prenait Ă  trembler, Ă  douter presque de lui-mĂȘme et de sa mission. Il cherchait anxieusement si dans son initiative il n'y aurait pas eu quelque vaine complaisance. Il se reprĂ©sentait par avance le chapitre qui allait s'ouvrir, les attaques, les critiques dont il serait l'objet, et s'efforçait de se persuader que s'il ne les subissait pas avec joie, il ne serait pas un vrai FrĂšre Mineur 2. Les plus belles vertus sont sujettes au scrupule, l'humilitĂ© parfaite plus que toute autre, et c'est ainsi que des hommes excellents, 1. 2 Gel. 3, 118; Ubertin, Arbor, V, 2; Spec. 26; 50; 130 b; CĂ»nform. 136 a 2 ; 143 a 2. 2. 2 Gel. 3, 83 ; Bon. 77. Il faut lire ce rĂ©cit dans les Conform. d'aprĂšs VAntiqua Legenda 142 a 2; 31 a 1 ; Spec. 43 b. 282 VIE DE s. FRANÇOIS pour Ă©viter de s'affirmer, trahissent saintement leurs convictions. Il rĂ©solut donc de remettre la direction de l'Ordre entre les mains de Pierre de Gatane. On voit que cette dĂ©cision n'eut rien de spontanĂ©, et le fait que ce frĂšre, docteur es lois, appartenait Ă  la noblesse, accuse bien nettement la transformation de l'institut franciscain. On ignore si Hugolin assista au chapitre du 29 sep- tembre 1220, mais s'il n'y fut pas en personne, il s'y fĂźt sĂ»rement remplacer par quelque prĂ©lat chargĂ© de surveiller les dĂ©bats^. La bulle donnĂ©e huit jours aupa- ravant fut communiquĂ©e aux FrĂšres^ auxquels François annonça aussi qu'il allait Ă©laborer une rĂšgle nouvelle. 11 y eut Ă  ce propos des confĂ©rences oĂč seuls les mi- nistres semblent avoir eu voix dĂ©libĂ©rative. On y arrĂȘta en principe les points essentiels de la nouvelle RĂšgle, en laissant Ă  François le soin de leur donner Ă  loisir la forme convenable. Rien ne rĂ©vĂšle mieux l'Ă©tat de dĂ©mo- ralisation auquel il Ă©tait arrivĂ©, que la dĂ©cision qui fut prise de laisser tomber un des passages essentiels de l'ancienne RĂšgle, un de ses trois fragments fondamen- taux, celui qui commençait par ces mots N'emportez rien avec vous^. De quelle maniĂšre s'y prit-on pour obtenir de François cette concession qu'il eiit regardĂ©e quelque temps au- paravant comme un reniement, comme le refus d'ac- cepter dans son intĂ©gritĂ© le message que JĂ©sus lui avait 1. Tribul, Man. Laur. 42b; man. Magl. 71 b. 2. Luc 9, 1-6. Tribul. 12 b Et fecerunt de rĂ©gula prima ministri rcmovere... Il faut que cela ait eu lieu au chapitre du 29 sept. 1220, puisque la suppression est faite dans la RĂšgle de 1221. LA, CRISE DE L ORDRE 283 adressĂ©? C'est le secret de l'histoire, mais on peut penser qu'il y eut alors dans sa vie une de ces tempĂȘtes morales qui enlĂšvent aux plus forts toutes leurs facultĂ©s, et ne laissent dans les cƓurs meurtris qu'une inĂ©nar- rable souffrance. Quelque chose de ces douleurs a passĂ© dans l'Ă©mou- vant rĂ©cit que les biographes nous ont laissĂ© de son ab- dication. DĂ©sormais, dit-il aux frĂšres, je suis mort pour vous ; mais voici frĂšre Pierre de Catane, auquel vous et moi nous obĂ©irons tous. » Et se prosternant devant lui, il lui promit obĂ©issance et soumission. Les frĂšres ne pou- vaient retenir leurs larmes et leurs gĂ©missements en se voyant en quelque sorte devenir orphelins, mais Fran- çois se leva et joignant les mains, les yeux levĂ©s au ciel Seigneur, dit-il, je vous rends cette famille que vous m'aviez confiĂ©e. Maintenant vous le savez, trĂšs doux JĂ©sus, je n'ai plus la force et les qualitĂ©s pour continuer Ă  en prendre soin ; je la confie donc aux ministres. Qu'ils soient responsables devant Vous au jour du jugement, si quelque frĂšre par leur nĂ©gligence ou leur mauvais exemple, ou par un trop dur chĂątiment, venait Ă  s'Ă©garer *. Les fonctions de Pierre de Gatane devaient durer fort peu de temps; il mourut le 10 mars 12'21*-. Sur cette pĂ©riode de quelques mois, les renseigne- 1. 2 Gel. 3, 81 ; Spec. 26; Conform, 175 b 1 ; 53 a ; Bon. 76 ; A. SS., p. 620. 2. L'Ă©pitaphe de son tombeau, qui existe encore Ă  N. D. des Anges, porte cette date Voir Portioncula^ von P. Barnabas aus- dem Elsass. Rixheim 1884, p. 111. Cf. A. SS., p. 630. 284 VIE DE s. FRANÇOIS ments surabondent rien de plus naturel, puisque Fran- çois resta Ă  la Portioncule pour s'acquitter de la tĂąche qui lui avait Ă©tĂ© confiĂ©e, et qu'il y vĂ©cut entourĂ© de frĂšres qui devaient plus tard se rappeler tous les traits dont ils furent tĂ©moins. Quelques-uns rĂ©vĂšlent la lutte dont son Ăąme Ă©tait le théùtre. DĂ©sireux de se montrer soumis, il se trouvait pourtant harcelĂ© du besoin de secouer toutes les chaĂźnes et de s'envoler comme autre- fois, pour ne vivre et ne respirer qu'en Dieu seul. Voici un souvenir bien naĂŻf, mais qui mĂ©riterait, semble-t-il, d'ĂȘtre plus connu ^. Un jour, un novice qui pouvait, mais non sans quelque peine, lire le psautier, obtint du ministre gĂ©nĂ©ral, c'est-Ă -dire du vicaire de saint François, la permission d'en avoir un. Cependant, comme il avait appris que saint François ne voulait pas que les FrĂšres eussent ni la cupiditĂ© de la science, ni celle des livres, il ne voulait avoir son psautier qu'avec son assentiment. Or, saint François Ă©tant venu au monastĂšre oĂč. Ă©tait le novice Mon PĂšre, lui dit-il, ce me serait une grande consolation d'avoir un psautier ; mais quoique le ministre gĂ©nĂ©ral m'y ait autorisĂ©, je ne voudrais pas l'avoir Ă  votre insu.» — Regarde l'empereur Charles, lui rĂ©pondit saint François avec feu, Roland et Olivier et tous les Paladins, les valeureux hĂ©ros et les preux chevaliers, c'est en combattant les InfidĂšles, en peinant et en travaillant jusqu'Ă  la mort qu'ils ont remportĂ© leurs fameuses victoires ! Les saints martyrs, eux aussi, ont voulu mourir pour la foi du Christ en pleine bataille ! Mais maintenant il y a beaucoup de gens qui prĂ©tendent, 1. Spec. 9 b; Arbcr. V, 3; Conform, 170 a 1 ; 2 Gel. 3, 124. Cf Ubertin, Archiv III, p. 75 et 177. LA CRISE DE l'ORDRE 285 en racontant simplement leurs prouesses, mĂ©riter la gloire et les honneurs. Oui, parmi nous aussi, il y en a beau- coup qui prĂ©tendent, en rĂ©citant et en prĂȘchant les Ɠuvres des saints, recevoir gloire et honneur, comme s'ils les avaient faites eux-mĂȘmes ! » Quelques jours aprĂšs, saint François Ă©tait assis devant le feu, et le novice s'approcha de lui pour lui parler de nouveau de son psautier. Quand tu auras ton psautier, lui dit celui-ci, tu voudras avoir un brĂ©- viaire, et quand tu auras un brĂ©viaire, tu t'assiĂ©ras dans une chaire comme un grand prĂ©lat, et tu feras signe Ă  ton compagnon Apportez-moi mon brĂ©viaire ! » Saint François avait dit cela avec beaucoup de vivacitĂ©, et prenant de la cendre, il la rĂ©pandit sur la tĂȘte du novice en rĂ©pĂ©tant VoilĂ  le brĂ©viaire, voilĂ  le brĂ©viaire» Plusieurs jours aprĂšs, saint François Ă©tait Ă  la Por- tioncule et se promenait non loin de sa cellule prĂšs de la maison, sur le bord de la route, lorsque ce mĂȘme frĂšre revint l'entretenir de son psautier. Eh bien ! va, lui rĂ©pondit-il, tu n'as qu'Ă  faire ce que te dira ton ministre.» AprĂšs ces paroles le novice s'en allait, mais François se mit Ă  rĂ©flĂ©chir sur ce qu'il avait dit et tout Ă  coup, appelant le frĂšre, il lui cria Attends-moi ! Attends- moi!» Lorsqu'il l'eut rejoint Reviens un peu sur tes pas, je te prie. OĂč Ă©tais-je lorsque je t'ai dit de faire pour le psautier ce que te dirait ton ministre?». Alors s'age- nouillant Ă  l'endroit dĂ©signĂ© par le frĂšre, il se prosterna Ă  ses pieds Pardon, mon frĂšre, pardon ! car celui qui veut ĂȘtre FrĂšre Mineur ne doit avoir rien d'autre que ses vĂȘtements.» Ce long rĂ©cit n'est pas seulement prĂ©cieux parce qu'il nous montre, jusque dans les plus petites choses, le conflit entre le François des premiĂšres annĂ©es, ne rele- 286 VIE DE s. FRANÇOIS vant que de Dieu et de sa conscience, et le François de 1220 devenu un moine soumis, dans un ordre approuvĂ© par l'Eglise romaine, mais aussi parce que c'est une de ces rares pages oĂč son style se marque avec un rĂ©alisme naĂŻf. Ces allusions aux romans de chevalerie et cette libertĂ© d'allures qui firent une partie de son succĂšs sur les masses, s'Ă©liminĂšrent de sa lĂ©gende avec une in- croyable rapiditĂ©. Ses fils spirituels n'ont peut-ĂȘtre pas eu honte de leur pĂšre Ă  cet Ă©gard, mais ils s'attachent tellement Ă  relever ses autres qualitĂ©s qu'ils oublient un peu trop le poĂšte, le troubadour, \ejoculator Domini. Des fragments, postĂ©rieurs de plus d'un siĂšcle Ă  Thomas de Gelano, qui relatent des traits de ce genre, portent par cela mĂȘme un cachet d'authenticitĂ©. Il est assez difficile de se rendre un compte exact de la part que François prit encore Ă  la direction de l'Ordre. Pierre de Gatane, et plus tard frĂšre Élie, sont qualifiĂ©s tantĂŽt de ministres gĂ©nĂ©raux, tantĂŽt de vicaires, souvent aussi les deux termes se suivent comme dans le rĂ©cit prĂ©cĂ©dent. Il est bien probable que cette confusion dans les mots correspond Ă  une confusion Ă©gale dans les faits. Peut-ĂȘtre mĂȘme a-t-elle Ă©tĂ© voulue. AprĂšs le chapitre de septembre 1220, les affaires de l'Ordre passent entre les mains de celui que François avait nommĂ© ministre gĂ©nĂ©ral, tandis que les frĂšres, ainsi que la papautĂ©, ne lui donnaient que le titre de vicaire. Il Ă©tait urgent pour la popularitĂ© des FrĂšres Mineurs que François conservĂąt une apparence d'autoritĂ©, mais la rĂ©alitĂ© du gouvernement lui avait Ă©chappĂ©. La pensĂ©e qu'il avait portĂ©e dans son sein jusqu'en J209, et enfantĂ©e alors dans la douleur, prenait main- tenant son vol, oubliant son berceau, comme ces fils de L V CRISE DE L ORDRE 287 nos entrailles que nous voyons tout Ă  coup s'Ă©loigner de nous, sans que nous puissions nous y opposer, car c'est la la vie, mais non sans qu'il se produise en notre cƓur une sorte de dĂ©chirement. Mater dolorosa! Ah! ils reviendront sans doute s'asseoir avec piĂ©tĂ© au foyer paternel, peut-ĂȘtre mĂȘme auront-ils besoin, Ă  une heure de dĂ©tresse morale, de venir se blottir comme autrefois dans le giron maternel, mais ces retours fugitifs, enfiĂ©- vrĂ©s, ne feront qu'aviver la blessure des pauvres parents, lorsqu'ils verront repartir d'un pas pressĂ© celui qui porte leur nom, mais ne leur appartient plus. CHAPITRE XV La RĂšgle de 12211. L'hiver de 1220—1221 fut surtout utilisĂ© par Fran- çois pour fixer par Ă©crit sa pensĂ©e. Jusque-lĂ  il avait Ă©tĂ© trop homme d'action pour avoir pu songer beaucoup Ă  se servir d'autre chose que de la parole vivante, mais dĂšs lors, ses forces Ă©puisĂ©es l'obligeaient de satisfaire, autrement que par des tournĂ©es d'Ă©vangĂ©lisation, son besoin de conquĂ©rir les Ăąmes. On a vu que le chapitre 1. Texte dans Firmamentum 10; Spec. 189; Spec. Morin. Tract. III, 2 b. M. Miiller {An/Ă nge a fait une Ă©tude de la RĂšgle de 1221, qui est un chef-d'Ɠuvre de flair exĂ©gĂ©tique. Cependant s'il avait collationnĂ© mĂ©ticuleuseraent les divers textes, il serait arrivĂ© Ă  des rĂ©sultats encore plus frappants, grĂące aux variantes qu'il aurait pu constater. Je n'en citerai qu'un exemple Texte adoptĂ© par Omnes fratres ubicunque sunt vel va- dunt, caveant sibi a malo vUu et frequen- lia muĂźierum et nullus cum eis cousilietur solus. Sacerdos honeste loqiiatur cum eis dando penitentiam vel aĂźiud spirituale consilium. Texte du SpĂ©culum 189 ss. Omnes /rates ubicunque sunt et vadunt, caveant se a malo visu et frequentia mu- Ăźierum et nullus cum eis concilietur aut per viam vadat solus aut ad viensam in una paropside comedat // Sacerdos hO' neste loquatur cum eis dando, ., etc. Ce passage suffit Ă  montrer la supĂ©rioritĂ© du texte du SpĂ©culum qui s'impose aussi Ă  d'autres Ă©gards, mais ce n'est pas ici le lieu d'entrer dans ces dĂ©tails. 11 est Ă©vident que cette phrase oĂč nous voyons les premiers frĂšres partager quelquefois le repas de leurs amies et manger dans leur Ă©cuelle n'est pas une interpolation pos- tĂ©rieure. LX KÈGLE DE 1221 289 du 29 septembre 1220 d'une part, et la bulle Cum se- cundum de l'autre, avaient par avance fixĂ© un certain nombre de points. Pour le reste, libertĂ© complĂšte lui avait Ă©tĂ© donnĂ©e, non pour faire une rĂ©daction dĂ©finitive et immuable, mais pour proposer ses idĂ©es. La rĂ©alitĂ© du pouvoir lĂ©gislatif avait passĂ© entre les mains des ministres ^. Ce que nous appelons la RĂšgle de 1221 n'est donc pas autre chose qu'une proposition de loi, soumise par un gouvernement reprĂ©sentatif Ă  son parlement. Le chef du pouvoir la promulguera un jour, si bien modifiĂ©e et bouleversĂ©e que son nom en tĂȘte d'un pareil document ne prĂ©juge que dans une faible mesure, et d'une maniĂšre tout Ă  fait indirecte, son opinion personnelle. Jamais homme n'a Ă©tĂ© moins capable que François de faire une rĂšgle. En rĂ©alitĂ©, celle de 1210, et celle qui fut solennellement approuvĂ©e par le pape le 29 novembre 1223, n'avaient guĂšre de commun que le nom. Dans la premiĂšre tout est vivant, libre, spontanĂ©; elle est un point de dĂ©part, une inspiration ; elle se rĂ©sume en deux phrases l'appel de JĂ©sus Ă  l'homme Toi, viens et suis-moi^ » l'acte de l'homme ce il quitta tout et le suivit. » A la parole de l'amour divin, l'homme rĂ©pond par le don joyeux de lui-mĂȘme, et cela tout naturellement, par une sorte d'instinct. A ce degrĂ© de mysticisme, toute rĂ©gle- mentation n'est pas seulement inutile, elle est presque une profanation ; elle est tout au moins le symptĂŽme d'un doute. MĂȘme dans les amours terrestres, quand on s'aime vraiment, on ne se demande et on ne se promet rien. 1. Trihul. 12 b ; Spec. 54 b ; Arhor. V, 3 ; Spec. 8 b. 290 VIE DE S. FRANÇOIS La RĂšgle de j223 au contraire, est un contrat synal- lagmatique. Du cĂŽtĂ© divin, l'appel est devenu un ordre ; du cĂŽtĂ© humain, l'Ă©lan d'amour est devenu un acte de soumission, par lequel sera mĂ©ritĂ©e la vie Ă©ternelle. Il y a au fond de tout cela l'antinomie de la loi et de l'amour. Sous le rĂ©gime de la loi, nous sommes les mercenaires de Dieu, astreints Ă  un travail pĂ©nible, mais rĂ©munĂ©rĂ© au centuple, et dont le salaire constitue un vĂ©ritable droit. Sous le rĂ©gime de l'amour, nous sommes les fils de Dieu, et ses collaborateurs; nous nous donnons Ă  lui, sans calcul, sans espoir; nous suivons JĂ©sus, non parce que cela est bien, mais parce que nous ne pouvons pas faire autrement, parce que nous avons senti qu'il nous a aimĂ©s, et que nous l'aimons Ă  notre tour. Une flamme intĂ©rieure nous entraĂźne irrĂ©sistiblement vers lui Et Spiritus et Sponsa dicunt Veni. Il Ă©tait nĂ©cessaire d'insister un peu sur l'antithĂšse de ces deux rĂšgles celle de 1210 seule est vraiment franciscaine. Celle de 1223 est indirectement l'Ɠuvre de l'Église, essayant de s'assimiler le mouvement nou- veau qu'elle transforme du mĂȘme coup et fait dĂ©vier complĂštement. Celle de 1221 marque une Ă©tape intermĂ©diaire. C'est la rencontre des deux principes, ou plutĂŽt des deux esprits; ils se rapprochent, ils se cĂŽtoient, mais ne se confondent pas; çà et lĂ  il y a mĂ©lange, mais jamais combinaison, si bien que l'on peut sans peine sĂ©parer les divers Ă©lĂ©ments. Cette rencontre mĂȘme est le reflet exact de ce qui se passait dans l'Ăąme de François et de la rapide Ă©volution de l'Ordre. Il s'adjoignit, pour l'aider dans son travail, frĂšre LA RÈGLE DE 1221 291 GĂ©saire de Spire, qui devait lui servir surtout par sa connaissance approfondie des textes sacrĂ©s. Ce qui frappe tout d'abord, quand on jette les yeux sur celte RĂšgle de 12!21, c'est sa longueur extraordi- naire elle ne compte pas moins de dix pages d'in-folio, alors que celle de 1223 n'en aura plus que trois. En- levez-en les passages qui proviennent de la papautĂ© et ceux qui avaient Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s au chapitre prĂ©cĂ©dent par les ministres assemblĂ©s, vous l'aurez diminuĂ©e Ă  peine d'une colonne, et il vous reste, non plus une rĂšgle, mais une sĂ©rie d'appels Ă©mus, oii le cƓur du pĂšre parle, non pour ordonner, mais pour convaincre, pour toucher, pour Ă©veiller au fond du cƓur de ses enfants l'instinct de l'amour. Tout cela est chaotique ou mĂȘme contradictoire*, sans aucun ordre, entremĂȘlĂ© de rayons de joie, de san- glots douloureux, d'espĂ©rances et de regrets. Ce sont des stances, oĂč la passion des Ăąmes parcourt tous les tons, passe par toutes les gammes, depuis les plus douces jusqu'aux plus viriles, depuis celles qui sont joyeuses et entraĂźnantes comme un coup de clairon, jusqu'Ă  celles qui sont troublantes, Ă©touffĂ©es, comme une voix d'outre-tombe. Par le saint amour qui est Dieu, je prie tous les FrĂšres, tant les ministres que les autres, de mettre de cĂŽtĂ© tout obstacle, tout souci, toute prĂ©occupation, afin qu'ils puissent se consacrer entiĂšrement Ă  servir, aimer et honorer le Seigneur Dieu, d'un cƓur pur, d'une intention sincĂšre, ce qu'il demande par -dessus tout. Ayons toujours en nous un tabernacle et une demeure i. Cf. cap. 17 et 21. 292 VIE DE s. FRANÇOIS pour celui qui est le Seigneur Dieu tout-puissant, PĂšre, Fils et Saint-Esprit, qui dit Veillez et priez en tout temps, afin que vous soyez trouvĂ©s dignes d'Ă©chapper Ă  toutes ces choses qui arriveront, et de paraĂźtre debout devant le Fils de Thomme. » Tenons donc la vraie voie, la vie et la vĂ©ritĂ© et le saint Évangile de Celui qui a daignĂ©, pour nous, quitter son PĂšre, afin de nous manifester son nom, disant PĂšre, j'ai manifestĂ© votre nom Ă  ceux que vous m'avez donnĂ©s, et les paroles que vous m'avez donnĂ©es, je les leur ai donnĂ©es. Ils les ont reçues et ils ont connu que je suis venu de vous, et ils ont cru que vous m'avez envoyĂ©. Je vous prie pour eux, non pour le monde, mais pour ceux que vous m'avez donnĂ©s, afin qu'ils soient un, comme nous ne sommes qu'un. Je dis ces choses Ă©tant encore dans le monde, afin qu'ils aient la joie en eux. Je leur ai donnĂ© vos paroles, et le monde les a haĂŻs, parce qu'ils ne sont pas du monde. Je ne vous demande pas de les enlever du monde, mais de les prĂ©server du mal. Sanctifiez-les par la vĂ©ritĂ©, votre parole est la vĂ©ritĂ©. Comme vous m'avez envoyĂ© dans le monde, je les ai aussi envoyĂ©s dans le monde, et je me sanctifie pour eux, afin qu'ils soient eux-mĂȘmes sanctifiĂ©s dans la vĂ©ritĂ©. Et je ne vous prie pas seulement pour eux, mais pour ceux qui, par leurs paroles, croiront en moi, afin qu'ils soient tous unis, et que le monde connaisse que vous m'avez envoyĂ©, et que vous les avez aimĂ©s comme vous m'avez aimĂ©. Je leur ferai connaĂźtre votre nom, afin que l'amour dont vous m'avez aimĂ© soit en eux, et que je sois en eux. » PkiĂȘke ; Dieu tout-puissant, trĂšs haut et souverain. PĂšre saint, Seigneur juste, roi du ciel et de la terre, nous vous LA. RÈGLE DE 1221 293 rendons grĂące Ă  cause de vous-jnĂȘme, de ce que, par votre sainte volontĂ©, et par votre Fils unique et votre Saint-Esprit, vous avez créé toutes les choses spiri- tuelles et corporelles, et de ce qu'aprĂšs nous avoir faits Ă  votre image et Ă  votre ressemblance, vous nous aviez placĂ©s dans le paradis que nous avons perdu par notre pĂ©chĂ©. Et nous vous rendons grĂące de ce que, aprĂšs nous avoir créés par votre Fils, par cet amour qui est vĂŽtre et que vous avez eu pour nous, vous l'avez fait naĂźtre, vrai Dieu et vrai homme, de la glorieuse et bienheureuse Marie, toujours Vierge, et de ce que, par sa croix, son sang et sa mort, vous avez voulu nous racheter, nous pauvres captifs. Et nous vous rendons grĂące de ce que votre Fils doit revenir dans sa glorieuse majestĂ© pour envoyer au feu Ă©ternel les maudits, ceux qui n'ont point fait pĂ©nitence et ne vous ont point connu, et pour dire Ă  tous ceux qui vous ont connu et vous ont adorĂ© et vous ont servi dans la pĂ©nitence Venez, vous qui ĂȘtes les bĂ©nis de mon PĂšre, recevez en partage ce royaume qui vous a Ă©tĂ© prĂ©parĂ© dĂšs la fondation du monde. » Et puisque nous, misĂ©rables et pĂ©cheurs, ne sommes pas dignes de vous nommer, nous demandons humblement Ă  Notre Seigneur JĂ©sus-Christ, votre Fils bien aimĂ©, en qui vous avez mis votre bon plaisir, qu'il vous rende grĂące pour tout, en mĂȘme temps que le Saint-Esprit, le Paraclet, comme il vous plaira et comme il leur plaira ; nous l'en supplions lui qui peut tout devant vous, et par lequel vous avez fait pour nous de si grandes choses. AllĂ©luia. Et nous prions la glorieuse MĂšre', la bienheureuse Marie toujours Vierge, saint Michel, Gabriel, RaphaĂ«l et tous les chƓurs des Esprits bienheureux, les SĂ©ra- phins, les ChĂ©rubins, les TrĂŽnes, les Dominations, les PrincipautĂ©s et les Puissances, les Vertus et les Anges, 27 294 VIE DE s. FRANÇOIS les Archanges, Jean-Baptiste, Jean Ă©vangĂ©liste, Pierre, Paul, et les saints patriarches, les prophĂštes, les saints Innocents, les ApĂŽtres, les EvangĂ©listes, les Disciples, les Martyrs, les Confesseurs, les Vierges, les bienheu- reux, Elie et Enoch, et tous les saints qui furent, qui seront et qui sont, nous les prions humblement, pour Tambour de vous, de vous rendre grĂące, comme il vous plaĂźt, pour ces choses, Ă  vous Dieu souverain, vrai, Ă©ternel et vivant, ainsi qu'Ă  votre Fils, notre trĂšs saint Seigneur JĂ©sus-Christ, et Ă  l'Esprit Saint, le consolateur, durant les siĂšcles des siĂšcles. Amen. AllĂ©luia. Et nous supplions tous ceux qui veulent servir le Seigneur Dieu, dans le sein de l'Eglise catholique et apostolique, tous les prĂȘtres, les diacres, les sous-diacres, les acolytes et les exorcistes, les lecteurs, les porliers, tous les clercs, tous les religieux et toutes les religieuses ; tous les enfants et les petits, les pauvres et les exilĂ©s, les rois et les princes, les ouvriers et les laboureurs, les serviteurs et les maĂźtres; les vierges, les continents et les mariĂ©s, les laĂŻques hommes et femmes, tous les en- fants, les adolescents, les jeunes gens et les vieillards, les malades et les bien portants, les petits et les grands, les peuples de toute tribu et de toute langue et de toute nation, tous les hommes de quelque partie de la terre que ce soit, qui sont ou qui seront, nous les prions et supplions, nous tous FrĂšres Mineurs, serviteurs inutiles, que tous ensemble, d'un commun accord nous persĂ©vĂ©- rions dans la vraie foi et dans la pĂ©nitence^ car en dehors de cela personne ne peut ĂȘtre sauvĂ©. Aimons tous, de tout notre cƓur, de toute notre Ăąme, de toute notre pensĂ©e, de toute notre force, de toute notre intelligence, de toute notre vigueur, de tout notre effort, de toute notre affection, de toutes nos entrailles, de tous nos dĂ©sirs et de. toutes nos volontĂ©s, le Seigneur LA RÈGLE DE 1221 295 Dieu qui nous a donnĂ© tout son corps, toute son Ăąme, toute sa vie, et nous les donne encore Ă  tous, chaque jour. Il nous a créés, il nous a sauvĂ©s par sa seule misĂ©ri- corde il a Ă©tĂ© et il est encore plein de bontĂ© pour nous, pour nous mĂ©chants et misĂ©rables, pourris et fĂ©tides, in- grats, ignorants, mauvais. Ne dĂ©sirons donc rien d'autre, ne veuillons rien d'autre, que rien d'autre ne nous plaise ou n'ait d'attrait pour nous, sinon le CrĂ©ateur, le RĂ©- dempteur, le Sauveur, seul et vrai Dieu, qui est plein de bien, qui est tout bien, qui est le vrai et le souverain bien, qui seul est bon, pieux et dĂ©bonnaire, suave et doux, qui seul est saint, juste, vrai, droit, qui seul a la bĂ©nignitĂ©, l'innocence et la puretĂ©; de qui, par qui et en qui est tout le pardon, toute la grĂące, toute la gloire de tous les pĂ©nitents, de tous les justes et de tous les saints qui se rĂ©jouissent dans le ciel. Que plus rien donc n'empĂȘche, que plus rien ne sĂ©pare, que plus rien ne retarde, et que tous, tant que nous sommes, en tout lieu, Ă  toute heure, en tout temps, chaque jour et sans cesse, nous croyions vĂ©ritablement et humblement. Ayons dans le cƓur, aimons, adorons, servons, louons, bĂ©nissons, glorifions, exaltons, magni- fions, remercions le Dieu trĂšs haut, souverain, Ă©ternel, TrinitĂ© et UnitĂ©, PĂšre et Fils et Saint-Esprit, CrĂ©ateur de tous et de ceux qui croient et espĂšrent en lui, et de ceux qui l'aiment. Il est sans commencement et sans fin, immuable et invisible, inexprimable, ineffable, incomprĂ©- hensible, insaisissable, bĂ©ni, louĂ©, glorieux, exaltĂ©, sublime, trĂšs haut, suave, aimable, dĂ©lectable et toujours digne d'ĂȘtre dĂ©sirĂ© par- dessus tout dans tous les siĂšcles des siĂšcles. Amen. Ces naĂŻves rĂ©pĂ©titions n'ont-elles pas un charme mystĂ©rieux qui s'insinue dĂ©licieuSiement jusqu'au fond 296 VIE DE s. FRANÇOIS du cƓur? N'y a-t-il pas lĂ  une sorte de sacrement dont les paroles ne sont que le vĂ©hicule grossier? François se rĂ©fugie en Dieu, comme l'enfant va se jeter dans le sein de sa mĂšre et dans l'incohĂ©rence de sa faiblesse et de sa joie, lui balbutie tous les mots qu'il sait, et par lesquels il ne veut que rĂ©pĂ©ter l'Ă©ternel je suis Ă  toi» de l'amour et de la foi. Il y a lĂ  aussi quelque chose qui rappelle, non seule- ment par les citations, mais surtout par l'inspiration mĂȘme de la pensĂ©e, ce qu'on a nommĂ© la priĂšre sacer- dotale du Christ. L'apĂŽtre de la pauvretĂ© y apparaĂźt comme soulevĂ© entre ciel et terre par la violence de son amour, consacrĂ© sacrificateur d'un culte nouveau par l'onction intĂ©rieure et irrĂ©sistible de l'Esprit. Il n'immole pas, comme le prĂȘtre du passĂ©, il s'immole, et porte dans son cƓur toutes les douleurs de l'humanitĂ©. Autant ces paroles sont belles au point de vue mys- tique, autant elles correspondent peu Ă  ce qu'on attend d'une rĂšgle; elles n'en ont ni la prĂ©cision, ni les formes brĂšves et impĂ©ratives. Les transformations qu'elles allaient subir, pour devenir le code de 1223, Ă©taient donc fatales, Ă©tant donnĂ© l'intervention dĂ©finitive de l'Eglise de Rome pour diriger le mouvement franciscain. Il est probable que ce projet de rĂšgle, tel que nous l'avons aujourd'hui, est celui qui a Ă©tĂ© distribuĂ© au chapitre de la PentecĂŽte de 1221. Les variantes, parfois capitales, que l'on trouve entre les divers textes, peuvent n'ĂȘtre que la trace de corrections proposĂ©es par les ministres provinciaux. Une fois admise l'idĂ©e de considĂ©rer ce document comme un projet, on est bien vite amenĂ© Ă  penser qu'il avait dĂ©jĂ  subi une premiĂšre rĂ©vision rapide, une sorte d'Ă©lagage, oii l'autoritĂ© LA IIÈGLE DE 1221 297 ecclĂ©siastique aura fait disparaĂźtre les dispositions en contradiction flagrante avec ses projets sur l'Ordre. Si l'on se demande qui a pu faire ces retranchements, un nom vient aussitĂŽt aux lĂšvres, celui d'Hugolin. Il en critiqua les proportions exagĂ©rĂ©es, le manque d'unitĂ© et de prĂ©cision. Plus tard, on raconta que François avait vu en songe une multitude de frĂšres affamĂ©s venir Ă  lui, sans qu'il fĂ»t capable de les rassasier, parce qu'il ne trouvait autour de lui que d'innombrables miettes de pain qui se perdaient entre ses doigts. Alors une voix vint du ciel lui disant François, de toutes ces miettes fais une hostie avec laquelle tu nourriras ces affamĂ©s^.» Il n'est guĂšre hasardĂ© de penser que c'est lĂ  l'Ă©cho imagĂ© des confĂ©rences qui eurent lieu alors entre François et le cardinal ; celui-ci put lui suggĂ©rer, par cette comparaison, les dĂ©fauts essentiels de son projet. Tout cela se passa sans doute pendant le sĂ©jour de François Ă  Rome, au commencement de J22i. Avant d'y arriver, il faut jeter un coup d'Ɠil sur les analogies d'inspiration et mĂȘme de style, qui unissent la RĂšgle de 1221 Ă  une autre des Ɠuvres de saint Fran- çois, celle qui est connue sous le titre d'Admonitions^, C'est une sĂ©rie d'avis spirituels sur la vie religieuse, intimement unis, pour le fond et pour la forme, Ă  l'Ɠuvre qui vient d'ĂȘtre examinĂ©e. Le son de voix 1. 2 Gel. 3, 136. 2. Voir ci-dessus p. XXXIX, texte dans le Firmamcntum 19 ss. ; SpĂ©culum Morin, tract. III, 214 a ss. ; Cf. Conform. 137 ss. 298 VIE DE s, FRANÇOIS y est si parfaitement le mĂȘme qu'on est tentĂ© d'y voir des lambeaux du projet original, retranchĂ©s comme Ă©tant des longueurs, peu Ă  leur place dans une rĂšgle. Quoi qu'il en soit de cette hypothĂšse, nous retrouvons dans les Admonitions toutes les prĂ©occupations dont l'Ăąme de François Ă©tait assaillie Ă  cette heure incertaine et troublĂ©e. Quelques-uns de ces avis ressemblent Ă  des fragments de journal intime. On l'y voit chercher, avec la naĂŻvetĂ© de l'humilitĂ© parfaite, des raisons pour se soumettre, pour renoncer Ă  ses idĂ©es, sans qu'il puisse y parvenir tout Ă  fait. Il s'y rĂ©pĂšte Ă  lui-mĂȘme les exhortations qu'on lui faisait; on y sent l'effort pour comprendre et admirer le moine idĂ©al qu'Hugohn et l'Église lui proposaient en exemple. Le Seigneur dit dans l'Evangile Celui qui ne renoncera pas Ă  tout ce qu'il possĂšde, ne peut ĂȘtre mon disciple. Et celui qui aura sauvĂ© sa vie la perdra.» On renonce Ă  tout ce qu'on possĂšde, et on perd sa vie quand on se remet entiĂšrement entre les mains de son supĂ©- rieur pour lui obĂ©ir.... Et quand l'infĂ©rieur voit des choses qui seraient meilleures ou plus utiles pour son Ăąme que celles que le supĂ©rieur lui ordonne, qu'il fasse Ă  Dieu le sacrifice de sa volontĂ©. » On pourrait croire, en lisant cela, que François va se ranger du cĂŽtĂ© de ceux pour lesquels la soumission Ă  l'autoritĂ© ecclĂ©siastique est l'essence mĂȘme de la religion. Mais non; ici mĂȘme son vrai sentiment ne parvient pas a s'effacer, il entremĂȘle ses paroles de parenthĂšses et d'incidentes bien timides, mais qui rĂ©vĂšlent le fond de sa pensĂ©e et finissent toujours par dĂ©signer la LA RÈGLE DE 1221 299 conscience individuelle comme juge en dernier res- sorte Tout ceci dit assez comment il faut se reprĂ©senter les instants oĂč son Ăąme blessĂ©e soupira aprĂšs l'obĂ©issance passive, dont la formule perinde ac cadaver. remonte paraĂźt-il bien au delĂ  de la Compagnie de JĂ©sus. Ce furent les instants de dĂ©faillance oĂč l'inspiration se taisait. Un jour il Ă©tait assis avec ses compagnons, lorsqu'il se mit Ă  gĂ©mir et Ă  dire Il y a Ă  peine un religieux sur toute la terre qui obĂ©isse parfaitement Ă  son supĂ©- rieur. » Ses compagnons trĂšs Ă©tonnĂ©s lui dirent Expli- quez-nous donc, PĂšrC; quelle est la parfaite et souve- raine obĂ©issance.» Alors comparant celui qui obĂ©it Ă  un cadavre, il rĂ©pondit Prenez un corps mort, et posez- le oĂč vous voudrez, il ne fera aucune rĂ©sistance ; quand il sera Ă  une place, il ne murmurera pas ; quand vous l'en enlĂšverez, il ne rĂ©clamera pas; mettez-le sur une chaire, il ne regarde pas au-dessus, mais au-dessous de lui ; enveloppez le de pourpre, il en pĂąlira double- ment 2. » Ce soupir vers l'obĂ©issance cadavĂ©rique tĂ©moigne de quels ravages son Ăąme avait Ă©tĂ© dĂ©solĂ©e; c'est, dans le domaine moral, l'analogue de l'appel au nĂ©ant des grandes douleurs physiques. 1. Cum facit subditus voluntatem {prƓlati dummodo hene- facit vera obedientia est. Admon. Illy Conform. 139 a 2. — Si vero prƓlatus subdito aliquid contra animam prƓnpiat licet ei non obediat tamen ipsum non dimittat. Ibid. — Nullus tenetur ad obedientiam in eo ubi committitur delictum vel peccatum. Epist. 11. 2. 2 Gel. 3, 83 ; Spec. 29 b ; Conform. 176 b 1 ; Bon. 77. 300 VIE DE S. FRANÇOIS Il est du reste absolument isolĂ©. Partout ailleurs l'obĂ©issance franciscaine est l'obĂ©issance vivante, active, joyeuse^. Il allait jusqu'au bout dans cette voie et considĂ©- rait comme saintes les rĂ©voltes dictĂ©es par la con- science. Un jour, dans les derniĂšres annĂ©es de sa vie, un frĂšre d'Allemagne vint le voir, et aprĂšs s'ĂȘtre longuement entretenu avec ‱ lui de la pure obĂ©issance Je te demande une grĂące, lui dit-il, c'est que, si les FrĂšres venaient Ă  ne plus vivre selon la RĂšgle, tu me permettes de me sĂ©parer d'eux, seul ou avec quelques autres, pour l'observer dans sa plĂ©nitude. » A ces mots, François eut une grande joie Sache, dit-il, que le Christ autorise aussi bien que moi ce que tu viens de demander, » et lui imposant les mains ; Tu es prĂȘtre pour l'Ă©ternitĂ©, ajouta-t-il, selon l'ordre de Melchi- sĂ©dech ! » ^ Nous avons un souvenir encore plus touchant de sa sollicitude Ă  sauvegarder l'indĂ©pendance spirituelle de ses disciples c'est un billet a frĂšre LĂ©on^. Celui-ci, trĂšs alarmĂ© du nouvel esprit qui rĂ©gnait dans l'Ordre, s'en Ă©tait ouvert Ă  son maĂźtre, et lui avait sans doute de- mandĂ© Ă  peu prĂšs la mĂȘme autorisation que le frĂšre d'Allemagne. AprĂšs un entretien oĂč il lui avait rĂ©pondu 1. Per caritatem spiritus voluntarii serviant et obediant invicem. Et hƓc est vera et sancta obedientia. Reg. 1221, V. 2. Tribut. Man. Laur. 14 b ; Spec. 125 a ; Conform. 107 b 1 ; 184 bl. 3. Wadding le donne {epist. XVI d'aprĂšs l'autographe conservĂ© dans le trĂ©sor des Conventuels de SpolĂšte. L'authenticitĂ© de ce morceau est Ă©vidente. LA RÈGLE DE 1221 301 de vive voix, François, pour ne laisser subsister aucune espĂšce de doute ou d'hĂ©sitation dans l'esprit de celui qu'il avait surnommĂ© sa petite brebis du bon DieUj pecorella di Dio, lui Ă©crivit encore FrĂšre LĂ©oD, ton frĂšre François te souhaite paix et salut. Je te rĂ©ponds oui, mon fils, comme une mĂšre Ă  son enfant. Ce mot rĂ©sume tout ce que nous avons dit en cheminant, ainsi que tous mes conseils. Si tu as besoin de venir me trouver pour me demander conseil, je suis d'avis que tu le fasses. Quelle que soit la maniĂšre dont tu penses pouvoir plaire au Seigneur Dieu, suivre ses traces, et vivre dans la pauvretĂ©, faites-le *, Dieu vous bĂ©nira, et je vous j autorise. Et s'il Ă©tait nĂ©cessaire, pour ton Ăąme ou pour ta consolation, que tu vinsses me voir ou si tu le dĂ©sirais, mon LĂ©on, viens. A toi dans le Christ. Nous voilĂ , certes, bien loin du cadavre de tout Ă  l'heure. Il serait superflu de nous arrĂȘter aux autres admoni- tions. Ce sont pour la plupart des rĂ©flexions inspirĂ©es par les circonstances. Les conseils sur l'humilitĂ© y re- viennent, avec une frĂ©quence qu'expliquent Ă  la fois les prĂ©occupations personnelles de l'auteur et la nĂ©cessitĂ© de rappeler Ă  ses frĂšres l'essence mĂȘme de leur pro- fession. Le sĂ©jour de saint François Ă  Rome, lorsqu'il alla, dans les premiers mois de 1221, prĂ©senter son projet Ă  1. Ce jiluriel qui a Ă©tonnĂ© Wadding montre bien que frĂšre LĂ©on avait parlĂ© au nom d'un groupe. 302 VIE DE s. FRANÇOIS Hugolin, fut marquĂ© par un nouvel effort de ce dernier pour le rapprocher de saint Dominique ^. Le cardinal Ă©tait alors Ă  l'apogĂ©e de ses succĂšs. Tout lui avait rĂ©ussi. Sa voix n'Ă©tait pas toute-puissante seu- lement dans les affaires de l'Église, mais aussi dans celles de l'Empire. FrĂ©dĂ©ric II qui avait l'air de cher- cher sa voie, et dans les pensĂ©es duquel germaient des rĂȘves de rĂ©formation religieuse et le dĂ©sir de mettre son pouvoir au service de la vĂ©ritĂ©, le traitait en ami, et parlait de lui avec une admiration sans bornes 2. Dans ses rĂ©flexions sur les remĂšdes Ă  apporter aux maux de la chrĂ©tientĂ©, le cardinal en vint Ă  penser que l'un des plus efficaces serait la substitution d'Ă©vĂȘques pris dans les deux ordres nouveaux Ă  l'Ă©piscopat fĂ©odal, recrutĂ© presque toujours sur place, dans des familles oĂč les dignitĂ©s ecclĂ©siastiques Ă©taient, pour ainsi dire, hĂ©rĂ©di- taires. De pareils Ă©vĂȘques manquaient d'ordinaire des deux qualitĂ©s essentielles d'un bon prĂ©lat, aux yeux d'Hugolin le zĂšle religieux et le zĂšle ecclĂ©siastique. 1. Cette date, pour de nouveaux rapports entre eux, ne paraĂźt pas pouvoir ĂȘtre contestĂ©e, quoiqu'elle n'ait jamais Ă©tĂ© proposĂ©e ; il s'agit, en effet, de trouver une Ă©]oque oĂč ils aient pu se rencontrer tous les trois Ă  Rome 2 G2I. 3, 86 ; Spec. 27 a, entre le 22 dĂ©c. 1216 approbation des Dominicains, et le 6 aoĂ»t 1221 mort de Do- minique. Il ne reste que deux pĂ©riodes possibles les premiers mois de 1218 Potthast 5739 et 5747 et l'hiver de 1220-1221. A tout autre moment, l'un des trois interlocuteurs se trouve loin de Rome. On sait au contraire qu'Hugolin Ă©tait Ă  Rome dans l'hiver de 1220-1221 lluillard-BrĂ©holles, Hist. dipl. Il, p. 48, 123, 142. Cf. Potthast 6589. — Pour Dominique V. A. SS. Aug. t. I, p. 503. — La date la plus tardive s'impose, car Hugolin ne pouvait offrir des prĂ©latures aux FrĂšres Mineurs avant leur approbation explicite 11 juin 1219 ; et cette offre n'avait de sens vis-Ă -vis des Domini- cains qu'aprĂšs l'essor dĂ©finitif de leur Ordre. 2. Voir les lettres impĂ©riales du 10 fĂ©vrier 1221 Huillard- BrĂ©holles, t. II, p. 122-127. LV RÈGLE DE 1221 303 Il pensait donc que les FrĂšres PrĂȘcheurs et les FrĂšres Mineurs n'auraient pas seulement les vertus qui man- quaient aux autres, mais qu'ils seraient entre les mains de la papautĂ©, une hiĂ©rarchie fortement centralisĂ©e, vrai- ment catholique, toute dĂ©vouĂ©e aux intĂ©rĂȘts gĂ©nĂ©raux de l'Église. Les difficultĂ©s que l'on aurait du cĂŽtĂ© des chapitres qui Ă©lisaient les Ă©voques, ainsi que du cĂŽtĂ© du haut clergĂ© sĂ©culier, seraient balancĂ©es par l'enthou- siasme du peuple pour des pasteurs dont la pauvretĂ© rappellerait la primitive Eglise. A la fin des entreliens qu'il eut avec François et Dominique, il leur communiqua quelques-unes de ces idĂ©es, et leur demanda leur avis sur l'Ă©lĂ©vation de leurs frĂšres aux prĂ©latures. Il y eut une pieuse contestation entre les deux saints pour savoir lequel rĂ©pondrait le premier. Enfin Domi- nique dit simplement qu'il prĂ©fĂ©rait voir ses compagnons rester tels qu'ils Ă©taient. Son tour venu, François montra que le nom mĂȘme de son institut rendait la chose impossible Si mes frĂšres ont Ă©tĂ© appelĂ©s Minores, dit-il, ce n'est pas pour devenir Majores, Si vous voulez qu'ils fructifient dans l'Eglise de Dieu, laissez-les, et maintenez-les dans l'Ă©tat dans lequel Dieu les a appelĂ©s. Je vous prie, mon PĂšre, ne faites pas que leur pauvretĂ© leur devienne un motif d'orgueil, et ne les Ă©levez pas Ă  des prĂ©latures qui les porteraient Ă  l'insolence vis-Ă -vis des autres^.» La politique ecclĂ©siastique suivie par les papes devait rendre cet avis des deux fondateurs tout Ă  fait inutile 2. 1. 2 Gel. 3, 86; Bon. 78; Spec. 27 b. 2. V. K. Eubel Die BischOfe^ Cardinale und Pupstc, aus dem Minoritenorden bis 1305. In-8", 1889. 304 VIE DE s. FRANÇOIS François et Dominique se sĂ©parĂšrent pour ne plus se revoir. Le MaĂźtre des FrĂšres PrĂȘcheurs se mit peu de temps aprĂšs en route pour Bologne oĂč il succomba le 6 aoĂ»t suivant, et François regagna la Portioncule oĂč Pierre de Gatane venait de mourir 10 mars 1221. ]1 le remplaça Ă  la tĂȘte de l'Ordre par frĂšre Elie. Hugolin n'Ă©tait sans doute pas Ă©tranger Ă  ce choix. EmpĂȘchĂ© par ses fonctions de lĂ©gat, il ne put se rendre au chapitre de la PentecĂŽte 30 mai 1221 ^. Il y fut remplacĂ© par le cardinal Reynerio^, qui vint accompagnĂ© par plusieurs Ă©vĂȘques et par des moines de divers ordres^. Il s'y trouva environ trois mille frĂšres, mais l'empressement des gens des environs Ă  apporter des provisions fut si grand, qu'aprĂšs sept jours de session, il fallut en rester encore deux, pour consommer tout ce qui avait Ă©tĂ© donnĂ©. Les sĂ©ances furent prĂ©si- dĂ©es par frĂšre Élie, aux pieds duquel Ă©tait assis Fran- çois qui le tirait par la tunique quand il avait quelque chose Ă  faire dire aux frĂšres. FrĂšre Jourdain de Giano, qui Ă©tait au nombre des assistants, nous a gardĂ© le souvenir de tous ces dĂ©tails et du dĂ©part d'un groupe de frĂšres pour l'Allemagne. Ils furent placĂ©s sous la direction de GĂ©saire de Spire, dont la mission rĂ©ussit au delĂ  de toute attente. Dix- huit mois aprĂšs, lorsqu'il revint en Italie, dĂ©vorĂ© du dĂ©sir de revoir saint François, les villes de Wurzbourg, 1. 11 Ă©tait dans l'Italie du Nord. V. Begistri Doc. 17-28. 2. Reynerius , cardinal-diacre du titre de s! M. in Cosmedin, Ă©vĂȘque de Viterbe Cf. Innocent III, OpĂ©ra, Ă©d. Migne, I, col GCXIII 1 Gel. 125. Il avait Ă©tĂ© nommĂ© le 3 aoĂ»t 1220 recteur du duchĂ© de SpolĂšte. Potthast 6319. 3. Jord. 16. La prĂ©sence de Dominique Ă  un chapitre prĂ©cĂ©dent avait donc Ă©tĂ© toute naturelle. LA RÈGLE DE 1221 305 Mayence, Worms, Spire, Strasbourg, Cologne, Salz- bourg, Ratisbonne Ă©taient devenues des centres francis- cains, d'oĂč les idĂ©es nouvelles rayonnaient sur toute l'Allemagne mĂ©ridionale. C'est aussi Ă  l'annĂ©e 1221 que l'on rattache d'or- dinaire la fondation du Tiers Ordre ou troisiĂšme Ordre, appelĂ© d'ordinaire FraternitĂ© de la PĂ©nitence dans les plus anciens documents ; mais on a vu plus haut que cette date est beaucoup trop rĂ©cente, ou plutĂŽt qu'il n'y a pas Ă  fixer de date, car ce qu'on a appelĂ© plus tard, d'une maniĂšre tout arbi- traire, le troisiĂšme Ordre, est Ă©videmment contempo- rain du premier^. François et ses compagnons ont voulu ĂȘtre les apĂŽtres de leur temps, mais pas plus que les apĂŽtres de JĂ©sus, ils n'ont souhaitĂ© que tous les hommes entrassent dans leur association, forcĂ©ment un peu restreinte, et qui, suivant la parole Ă©vangĂ©lique, devait ĂȘtre le levain du reste de l'humanitĂ©. En consĂ©quence, leur vie Ă©tait la vie apostolique suivie au pied de la lettre. 1. Cette maniĂšre de voir concorde de tout point avec le tĂ©moi- gnage de 1 Gel. 36 et 37 qui montre le Tiers Ordre naissant tout naturellement de l'enthousiasme qu'excitĂšrent les prĂ©dications de François, de suite aprĂšs le retour de Rome 1210 ; Cf. Aucior vit. sec. A. SS., p. 593 b. Riendans les autres documents ne le con- tredit, tout au contraire. V. 3 Soc. 60. Cf. Anon. Perus. A. SS., p. 600; Bon 25 ; 46. Cf. A. SS., p. 631-634. La premiĂšre bulle qui concerne les FrĂšres de la PĂ©nitence sans les nommer est du 16 dĂ©c. 1221, Significatum est. Si elle les vise rĂ©ellement, comme le pense Sbaralea, et tous ceux qui s'en sont occupĂ©s jusqu'Ă  M. MĂčUer inclusivement, — mais ce qui pourrait, semble-t-il, ĂȘtre contestĂ©, — c'est que dĂšs 1221, ils en auraient appelĂ© au pape contre les podestats de Faenza et des citĂ©s voisines. Ceci suppose Ă©videm- ment une association qui n'est pas nĂ©e de la veille. Sbaralea, Bull, fr., I, p. 8; Horoy, t. IV, col. 49; Potthast 6736. 306 VIE DE s. FRANÇOIS mais l'idĂ©al qu'ils prĂȘchaient Ă©tait la vie Ă©vangĂ©lique, que JĂ©sus avait annoncĂ©e. Pas plus que JĂ©sus, saint François n'a condamnĂ© la famille ou la propriĂ©tĂ© ; il a simplement vu en elles des liens dont V apĂŽtre, mais l'apĂŽtre seul, doit ĂȘtre dĂ©gagĂ©. Si bientĂŽt des esprits maladifs ont cru interprĂ©ter sa pensĂ©e en faisant de l'union des sexes un mal, et de tout ce qui constitue l'activitĂ© physique de l'homme, une chute ; si des dĂ©sĂ©quilibrĂ©s se sont autorisĂ©s de son nom, pour Ă©chapper Ă  tous les devoirs; si des Ă©poux se sont imposĂ© le ridicule martyre de la virginitĂ© du lit conju- gal, il ne faut vraiment pas l'en rendre responsable. Ces traces d'ascĂ©tisme contre nature proviennent de l'influence des idĂ©es dualistes des Cathares, et non du poĂšte inspirĂ© qui a chantĂ© la nature et sa fĂ©conditĂ©, qui faisait aux colombes des nids, oĂč il les invitait Ă  se multiplier sous le regard de Dieu, et qui imposait Ă  ses frĂšres le travail manuel comme un devoir sacrĂ©. Les bases de la corporation des FrĂšres et des SƓurs de la PĂ©nitence furent trĂšs simples François n'apportait pas au monde une nouvelle doctrine; la nouveautĂ© de son message Ă©tait tout entiĂšre dans son amour, dans son appel direct Ă  la vie Ă©vangĂ©lique, Ă  un idĂ©al de vigueur morale, de travail et d'amour. Il s'est naturellement bien vile trouvĂ© des hommes qui n'ont pas compris cette vraie et simple beautĂ©; ils sont tombĂ©s dans les pratiques et les dĂ©votions, ont imitĂ© par le dehors la vie des cloĂźtres dans lesquels, pour une cause ou pour une autre, ils ne pouvaient se retirer; mais il serait injuste de se reprĂ©senter d'aprĂšs eux les FrĂšres de la PĂ©nitence. Reçurent-ils une RĂšgle de saint François? On ne LV RÈGLE DE 1221 307 saurait le dire. Celle qui leur fut donnĂ©e ^ en 1289 par le pape Nicolas IV, est simplement la refonte et Tamalgame de toutes les rĂšgles de confrĂ©ries laĂŻques qui existaient Ă  la fm du treiziĂšme siĂšcle. L'attribution de ce document Ă  saint François n'est autre chose que l'ajustement dans l'Ă©difice nouveau de quel- ques pierres vĂ©nĂ©rĂ©es d'une construction ancienne. C'est une affaire de façade et d'ornementation, rien de plus. MalgrĂ© cette absence d'une rĂšgle Ă©manant de François lui-mĂȘme, on peut voir claitenient ce que devait ĂȘtre, dans sa pensĂ©e, cette association. L'Évangile, avec ses conseils et ses exemples, devait en ĂȘtre la vĂ©ritable RĂšgle. La grande nouveautĂ© visĂ©e par le Tiers Ordre fut la concorde celte fraternitĂ© Ă©tait une union de paix, et apportait Ă  l'Europe Ă©tonnĂ©e une nouvelle trĂȘve de Dieu. Que le refus absolu de porter les armes ^ ait Ă©tĂ© un idĂ©al tout chimĂ©rique et Ă©phĂ©mĂšre, les documents sont lĂ  pour le prouver, mais il est dĂ©jĂ  bien beau d'avoir eu la puis- sance de le susciter pour quelques annĂ©es. La seconde obligation essentielle des FrĂšres de la PĂ©nitence semble avoir Ă©tĂ© celle de rĂ©duire le plus pos- sible leurs besoins, et tout en conservant leur fortune. 1. BuUe Supra montem du 17 aoĂ»t 1289. Potthast 23044. M. MĂčller a fait sur les origines de cette bulle une Ă©tude lumineuse, qui peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e, dans les points essentiels, comme dĂ©fini- tive {AvfĂ nge, p. 117-171. Par cette bulle, Nicolas IV, — ministre gĂ©nĂ©ral des FrĂšres Mineurs avant de devenir pape, — chercha Ă  atti- rer entre les mains de son Ordre la direction de toutes les asso- ciations laĂŻques pieuses Tiers Ordre de saint Dominique, des "Gaudentes, des HumiliĂ©s, etc.. Il voulut aussi par lĂ  donner un essor plus grand Ă  ces confrĂ©ries qui dĂ©pendaient directement de la cour de Rome, et augmenter leur puissance en les unifiant. 2. Y. Bulle Significatum est dn 16 dĂ©c. 1221. Cf. Supra mon- tenif cap. VII. 308 VIE DE s. FRANÇOIS de distribuer aux pauvres, Ă  intervalles rĂ©guliers, la part de revenu restĂ©e disponible, aprĂšs s'ĂȘtre contentĂ© du strict nĂ©cessaire^. Accomplir avec joie les devoirs de son Ă©tat; donner aux moindres actions une inspiration sainte ; retrouver dans les infiniment petits de l'existence, en apparence la plus banale, les parcelles d'une Ɠuvre divine; rester pur de toute prĂ©occupation avilissante; user des choses comme ne les possĂ©dant pas, comme les serviteurs de la parabole qui auront bientĂŽt Ă  rendre compte des talents qui leur ont Ă©tĂ© confiĂ©s; fermer son cƓur Ă  la haine, et l'ouvrir tout grand aux pauvres, aux malades, Ă  tous les abandonnĂ©s, tels Ă©taient les autres devoirs essentiels des FrĂšres et des SƓurs de la PĂ©nitence. Pour les jeter dans cette voie royale de libertĂ©, d'amour, de responsabilitĂ©, François faisait quelquefois appel aux terreurs de l'enfer et aux joies du paradis, mais l'amour intĂ©ressĂ© Ă©tait si peu dans sa nature, que ces considĂ©rations et d'autres du mĂȘme genre occupent une place tout Ă  fait secondaire dans les pages qui nous sont restĂ©es de lui, comme aussi dans ses biographies. La vie Ă©vangĂ©lique, pour lui, est naturelle Ă  l'Ăąme. Quiconque la connaĂźtra, la prĂ©fĂ©rera; elle n'a pas plus besoin d'ĂȘtre prouvĂ©e que le grand air et la lumiĂšre. Il suffit d'y conduire les prisonniers, pour leur ĂŽter toute envie de retourner dans les cachots de l'avarice, de la haine ou de la futilitĂ©. François et ses vrais disciples font donc la pĂ©nible ascension des grandes cimes, uniquement, mais irrĂ©- 1. La RĂšgle du Tiers Ordre des HumiliĂ©s, qui date de 1201 con- tient une clause semblable. Tiraboschi, t. II, p. 132. LA RÈGLE DE 1221 309 sistiblenient poussĂ©s par la voĂźk intĂ©rieure. Le seul se- cours Ă©tranger qu'ils acceptent, c'est le souvenir de JĂ©sus les prĂ©cĂ©dant sur les hauteurs et revivant mystĂ©rieuse- ment sous leurs yeux par le sacrement de l'Eucharistie. La lettre Ă  tous les chrĂ©tiens oĂč ces idĂ©es dĂ©bordent, nous est un vivant souvenir des allocutions de saint François aux Tertiaires. Pour nous reprĂ©senter ces derniers sous une forme tout Ă  fait concrĂšte, nous pouvons recourir Ă  la lĂ©gende du B. Lucchesiodont la tradition a fait le premier FrĂšre de la PĂ©nitence^. Originaire d'une petite ville de Toscane, il la quitta pour se soustraire ^ des haines politiques, et vint s'Ă©ta- blir Ă  Poggibonsi, non loin de Sienne, oĂč il continua a faire le commerce des grains. DĂ©jĂ  riche, il ne lui fut pas difficile d'accaparer les blĂ©s pour les revendre en temps de disette, et rĂ©aliser d'Ă©normes bĂ©nĂ©fices. Mais bientĂŽt, bouleversĂ© par les prĂ©dications de François, il rentra en lui-mĂȘme, distribua tout son superflu aux pauvres, et ne garda que sa maison avec un petit jardin et un Ăąne. On le vit dĂšs lors, s'adonner Ă  la culture de ce coin dĂ©terre, et faire de sa maison une sorte d'hĂŽtellerie, oĂč les pauvres et les malades affluaient ; non seulement il les accueillait, mais il allait Ă  leur recherche jusque dans les Maremmes infectĂ©es par la malaria, et revenait 1. Dans les A. SS. Aprilis t. II, p. 600-616. Orlando de Ghiusi reçut aussi l'habit des mains de François. V. Instrument um etc. ci-dessus p. XG. La FraternitĂ© franciscaine, sous l'influence des autres tiers ordres, perdit rapidement ses caractĂšres spĂ©cifiques. Quant Ă  cette appellation de troisiĂšme ordre, elle a eu sĂ»rement Ă  l'origine un sens hiĂ©rarchique, auquel s'est superposĂ© peu Ă  peu un sens chronologique. Toutes ces questions deviennent singuliĂšrement plus claires quand on les rapproche de ce qu'on sait sur les HumiliĂ©s. 28 310 VIE DE S. FRANÇOIS souvent avec un malade Ă  califourchon sur les Ă©paules, et prĂ©cĂ©dĂ© de son Ăąne chargĂ© d'un fardeau semblable. Les ressources du jardin Ă©tant forcĂ©ment trĂšs limitĂ©es^ lorsqu'il n'y avait plus moyen de faire autrement, Lucchesio prenait une besace et s'en allait mendier de porte en porte, mais la plupart du temps c'Ă©tait inutile, car les pauvres, le voyant si laborieux et si bon, Ă©taient plus contents des quelques maigres lĂ©gumes qu'il man- geait avec eux que du plus copieux repas. Devant leur bienfaiteur si joyeux dans son dĂ©nĂ»ment, ils oubliaient leur misĂšre, et les murmures habituels de ces malheu- reux se transformaient en paroles d'admiration et de reconnaissance. La conversion n'avait pas tuĂ© en lui les liens de la famille Bona Donna, sa femme, Ă©tait devenue le meil- leur des collaborateurs, et lorsqu'en 1260, il la vit s'Ă©teindre peu Ă  peu, sa douleur fut trop forte pour ĂȘtre supportĂ©e Tu sais, chĂšre compagne, lui dit-il au moment oĂč elle venait de recevoir les derniers sacre- ments, combien nous nous sommes aimĂ©s pendant que nous servions Dieu ensemble, pourquoi ne resterions- nous pas unis pour nous en aller aux joies ineffables ? Attends-moi. Je veux recevoir, moi aussi, les sacrements et m'en aller au ciel avec toi. » Il dit et rappela le prĂȘtre pour ĂȘtre administrĂ©, puis aprĂšs avoir tenu dans ses mains celles de sa compagne qui agonisait, et l'avoir rĂ©confortĂ©e par de douces paroles, lorsqu'il vit que son Ăąme s'Ă©tait envolĂ©e, il lit sur lui le signe de la croix, s'Ă©tendit, et appelant avec amour JĂ©sus, Marie et saint François, il s'endormit pour l'Ă©ternitĂ©. CHAPITRE XVI Les FrĂšres Mineurs et la science. Automne 1221 — dĂ©cembre 1223. A partir du chapitre de 1221 , l'Ă©volution de l'Ordre se prĂ©cipite avec une rapiditĂ© contre laquelle plus rien ne devait avoir la force de rĂ©agir. La crĂ©ation des ministres fit faire un pas Ă©norme de ce cĂŽtĂ© ceux-ci en vinrent, par la force mĂȘme des choses, Ă  avoir une rĂ©sidence lorsqu'on commande, on veut avoir ses subordonnĂ©s sous la main, savoir Ă  chaque instant oĂč ils sont; les FrĂšres ne pouvaient donc continuer Ă  se passer de couvents proprement dits. Ce changement devait en amener bien d'autres jusque-lĂ  on n'avait pas eu d'Ă©glises. Sans Ă©glises, les FrĂšres n'Ă©taient que des prĂ©dicateurs, et leur but ne pouvait ĂȘtre que parfaitement dĂ©sintĂ©ressĂ©, ils Ă©taient, comme l'avait voulu François, les auxiliaires bĂ©nĂ©voles du clergĂ©. Avec des Ă©glises, ils devaient fatalement aspirer Ă  y prĂȘcher d'abord et Ă  y attirer la foule, puis Ă  les Ă©riger en quelque sorte en contre-paroisses^. 1. Tout cela s'est fait avec une prodigieuse rapiditĂ©. Les dimen- sions de la basilique d'Assise, dont les plans ont Ă©tĂ© faits dĂšs 1228, ne permettent pas de la considĂ©rer comme une chapelle con- ventuelle, pas plus que Santa-Croce de Florence, San-Francesco de 312 VIE DE S. FRANÇOIS La bulle du 22 mars 1222^ nous montre la papautĂ© activant de toutes ses forces ces transformations. Le pontife accorde Ă  frĂšre François et aux autres frĂšres le privilĂšge de pouvoir cĂ©lĂ©brer dans leurs Ă©glises les saints mystĂšres en temps d'interdit, k la condition, naturellement, de ne pas sonner les cloches, de fermer les portes, et de faire sortir au prĂ©alable les gens frappĂ©s d'excommunication. Par une Ă©tonnante inconsĂ©quence, la bulle elle-mĂȘme porte le tĂ©moignage de son inutilitĂ©, du moins pour le moment oĂč elle fut donnĂ©e Nous vous accordons, dit-elle, de pouvoir cĂ©lĂ©brer en temps d'interdit dans vos Ă©glises, si vous venez Ă  en avoir, » VoilĂ  donc une nouvelle preuve que l'Ordre n'en avait point encore en 4222; mais on n'aura pas de peine Ă  voir prĂ©cisĂ©ment dans ce document une invitation pressante Ă  changer de maniĂšre de faire et Ă  ne pas laisser ce privilĂšge sans objet. Un autre document de la mĂȘme Ă©poque manifeste des Sienne ou la basilique Sant-Antonio Ă  Padoue, monuments com- mencĂ©s entre 1230 et 1240. DĂšs avant 1245, une partie de l'Ă©pisco- pat jeta un cri d'alarme dans lequel il ne parle de rien moins que de fermer la porte des Ă©glises sĂ©culiĂšres devenues inutiles. 11 se plaint avec une incroyable amertume que les FrĂšres Mineurs et PrĂȘcheurs aient absolument supplantĂ© le clergĂ© paroissial On trouve cette lettre, adressĂ©e Ă  la fois Ă  FrĂ©dĂ©ric II et au concile de Lyon, dans Pierre de la Vigne EpistolƓ, Baie, 1740, 2 vol. t. 1, p. 220— 222. Il serait bien Ă  dĂ©sirer qu'on en donnĂąt un texte critique Voir aussi la satire, contre les deux ordres nouveaux, rimĂ©e vers 4242 par Pierre de la Vigne, et dont, malgrĂ© les exagĂ©rations possibles, la plupart des traits n'ont pas pu ĂȘtre inventĂ©s E. du MĂ©ril PoĂ©siea pop. lat. p. 153—177 Paris, in 8°, 1847. 1. Et non du 29 comme le veut Sbaralea {Bull. fr. t. I, n. 10; Horoy, t. IV col. 129; l'original encore aux archives d'Assise porte Datum Anagnic ii Kalendas Aprilis pontificatus nostri anno sexto. LES FRERES MINEURS ET LA SCIENCE 313 prĂ©occupations analogues, mais s'exerçant d'un tout autre cĂŽtĂ©. Par la bulle Ex parte du 29 mars 1222, Honorius III chargeait conjointement les prieurs des PrĂȘcheurs et des Mineurs de Lisbonne d'une mission singuliĂšrement dĂ©licate il leur donnait ses pleins pou- voirs pour agir contre l'Ă©vĂȘque et le clergĂ© de cette ville, qui exigeaient que les fidĂšles leur laissassent par testament le tiers de leurs biens, et refusaient aux rĂ©- calcitrants la sĂ©pulture ecclĂ©siastique ^. Le fait que le pape donnait aux frĂšres le soin de choi- sir eux-mĂȘmes les mesures Ă  prendre, prouve combien on Ă©tait pressĂ© Ă  Rome d'oublier le but dans lequel ils avaient Ă©tĂ© créés, pour les transformer en chargĂ©s d'af- faires du Saint-SiĂšge. Jl n'est donc pas besoin de faire remarquer que la mention du nom de François, en tĂȘte de la premiĂšre de ces deux bulles, n'a aucune portĂ©e. On ne se reprĂ©sente pas le Poverello allant demander un privilĂšge pour des circonstances qui n'existaient pas encore! On devine ici l'influence d'Hugolin^ qui avait trouvĂ©, dans la personne d^Élie, le FrĂšre Mineur selon son cƓur. 1. Polthast 6809; Horoy, t. IV coL 129. Voir aussi la bulle Ecce venit Deus du 14 juillet 1227 L. Auvray Registres de GrĂ©goire IX n. 129 Cf. 153. Polthast 8027 et 8028, 8189. 2. Il avait terminĂ© sa mission de lĂ©gat en Lombardie, vers la fin de septembre 1221 V. son Registre. Cf. BĂŽhmer, Acta imp. sel. doc. 951. Au printemps de 1222, on le retrouve sans cesse aux cĂŽtĂ©s du pape Ă  Anagni, Veroli, Alatri Potthast 6807, 6812, 6849. Le Saint- SiĂšge avait encore alors une prĂ©dilection marquĂ©e pour les PrĂȘ- cheurs le privilĂšge essentiellement banal de pouvoir cĂ©lĂ©brer les offices en tem[ s d'interdit leur avait Ă©tĂ© accordĂ© le 7 mars 1222, mais au lieu de la formule ordinaire en pareil cas, on fit une rĂ©- daction tout exprĂšs pour eux, avec un bel Ă©loge. Ripolli, Bull. PrƓd., t. I, p. 15. 314 VIE DE S. FRANÇOIS Que faisait donc François pendant ce temps? On l'ignore, mais l'absence mĂȘme de renseignements — si nombreux pour la pĂ©riode qui a prĂ©cĂ©dĂ©, comme pour celle qui suit — nous dit assez qu'il quitta la Portioncule pour s'en aller dans la solitude et vivre dans ces ermitages de l'Ombrie qui eurent toujours pour lui un si puissant attrait ^. Il n'est presque pas une colline de l'Italie centrale qui n'ait conservĂ© quel- que souvenir de son passage. Entre Florence et Rome, on marcherait difficilement une demi-journĂ©e dans les montagnes, sans rencontrer, sur les sommets, des cabanes portant son nom ou celui d'un de ses disciples. Il y eut un moment oĂč elles furent habitĂ©es et oii, dans des huttes de branchages, Égide, Masseo, Bernard, Sylvestre, JunipĂšre, et bien d'autres dont l'histoire tait le nom, reçurent la visite de leur pĂšre spirituel venant les consoler 2. Ils lui rendaient amour pour amour et consolation pour consolation. Sa pauvre Ăąme en avait grand besoin, car dans ses longues nuits d'insomnie, il lui arrivait parfois d'entendre au fond de son cƓur de bien Ă©tranges voix; la fatigue et les regrets le gagnaient, et regar- dant en arriĂšre, il se prenait Ă  douter de lui-mĂȘme, de sa Dame la PauvretĂ© et de tout. Entre Chiusi et Radicofani, Ă  une heure dĂ©marche du village de Sartiano, quelques frĂšres avaient arrangĂ© un abri qui leur servait d'ermitage, et prĂ©parĂ© pour 1. 2 Gel. 3, 93. Subtrahebat se a consortio fratrum. 2. Il va sans dire que les traditions locales, dans ce cas, ne doivent ĂȘtre acceptĂ©es qu'avec la plus grande rĂ©serve dans le dĂ©tail, mais dans Tensemble elles sont sĂ»rement vraies. La gĂ©ographie de la vie de saint François est encore Ă  faire. LES FRÈRES MINEURS ET LA SCIENCE 315 François une petite cabane un peu Ă  l'Ă©cart. C'est lĂ  qu'il passa une des nuits les plus douloureuses de sa vie. Assailli par la pensĂ©e qu'il exagĂ©rait l'ascĂ©tisme et ne comptait pas assez sur la bontĂ© de Dieu, il en vint tout Ă  coup Ă  regretter l'emploi de son existence. Le tableau de ce qu'il aurait pu ĂȘtre, de la vie de famille tranquille et heureuse, qui aurait pu ĂȘtre la sienne^ se prĂ©senta Ă  lui sous des couleurs si vives, qu'il se sen- tait faiblir. ArmĂ© de sa corde, il avait beau se donner la discipline jusqu'Ă  se blesser, la vision ne s'Ă©vanouis- sait pas. On Ă©tait en plein hiver une Ă©paisse couche de neige couvrait le sol ; il se jeta dehors sans vĂȘtement et, pre- nant la neige Ă  pleines mains, se mit Ă  faire un cor- tĂšge de personnages. Regarde, dit-il alors, celle-ci est ta femme, puis derriĂšre elle, viennent deux fils et deux filles, suivis du serviteur et de la domestique portant tout le bagage. » Cette naĂŻve image de la tyrannie des soucis matĂ©riels qu'il avait bannis dissipa enfin la tentation^. Faut-il rattacher Ă  la mĂȘme Ă©poque un autre trait de la lĂ©gende qui se passe aussi Ă  Sartiano? Rien ne l'indique. Un jour, un frĂšre auquel il demanda ce D'oĂč viens-tu?» rĂ©pondit ce Je reviens de ta cellule. » Cette simple parole en fut assez pour que le farouche amant de la PauvretĂ© n'y voulĂ»t plus rentrer. Les renards ont des taniĂšres, aimait-il Ă  rĂ©pĂ©ter, et les oiseaux du ciel ont leurs nids, mais le Fils de l'homme n'a pas eu un lieu oĂč reposer sa tĂȘte. Quand le Seigneur s'en alla prier et jeĂ»ner dans le dĂ©sert quarante jours et quarante nuits, 1. 2 CeL 3, 59 ; Bon. 60; Conform. 122 b 2. 316 VIE DE S. FRANÇOIS il ne s'y fit faire ni cellule, ni maison, mais s'abrita sous un pan de rocher^. » Il ne faudrait donc pas croire, comme on l'a fait, qu'avec le temps, François ait changĂ© de point de vue. Quelques Ă©crivains ecclĂ©siastiques ont pensĂ© que puis- qu'il voulait la multiplication de son Ordre, il en a acceptĂ© par lĂ  mĂȘme la transformation. L'idĂ©e est spĂ©cieuse, mais on n'en est pas rĂ©duit Ă  cet Ă©gard Ă  des conjectures Ă  peu prĂšs tout ce qui se fait dans rOrdre depuis i221, se fait tantĂŽt Ă  linsu de François, tantĂŽt contre son grĂ©. Si l'on Ă©tait tentĂ© d'en douter, on n'aurait qu'Ă  jeter un coup d'Ɠil sur le ma- nifeste le plus solennel et aussi le plus adĂ©quat de sa* pensĂ©e, son Testament. On l'y voit dĂ©livrĂ© de toutes les suggestions qui avaient fait flĂ©chir l'expression de ses idĂ©es, se redresser courageusement pour rappeler l'idĂ©al primitif, et l'opposer Ă  toutes les concessions arrachĂ©es Ă  sa faiblesse. Le Testament n'est pas un appendice Ă  la RĂšgle de 4223, il en est presque la rĂ©vocation. Mais on se tromperait en y voyant la premiĂšre tentative faite pour rĂ©agir. Les cinq derniĂšres annĂ©es de sa vie ne furent qu'un effort incessant pour protester par son exemple et par ses paroles. En 1222, il adressa aux frĂšres de Bologne une lettre remplie des plus tristes pressentiments. Dans cette ville oĂč les Dominicains, comblĂ©s de prĂ©venances, Ă©taient en train de se faire une grande situation dans l'enseignement, les FrĂšres Mineurs Ă©taient plus tentĂ©s que partout ailleurs d'abandonner la voie de la simplicitĂ© et de la pauvretĂ©. d. 2 Gel. 3, 5 ; Spec. 12 a; Conform. 169 b 2. LES FRÈRES MINEURS ET LA SCIENCE 317 Les avertissements de François avaient revĂȘtu des couleurs si sombres et si menaçantes, qu'aprĂšs le fa- meux tremblement de terre du 23 dĂ©cembre 1222, qui jeta l'Ă©pouvante dans toute l'Italie septentrionale, on n'hĂ©sita pas Ă  croire qu'il avait prĂ©dit la catastrophe ^. Il en avait prĂ©dit une, qui pour ĂȘtre toute morale n'en Ă©tait pas moins horrible, et dont la vision lui arrachait les plus amĂšres imprĂ©cations Seigneur JĂ©sus, vous avez jadis choisi vos apĂŽtres au nombre de douze, et si Tun d'eux vous a trahi, les autres, restant unis Ă  vous, ont prĂȘchĂ© le saint Evangile, remplis d'une seule et mĂȘme inspiration; et voici que maintenant, vous rappelant les jours d'autrefois, vous avez suscitĂ© la Religion des FrĂšres, afin de soutenir la foi et afin que par eux le mystĂšre de votre Evangile s'accomplisse. Qui les remplacera si, au lieu d'accomplir leur mission et d'ĂȘtre pour tous de lumineux exemples, on les voit s'abandonner aux Ɠuvres des tĂ©nĂšbres? Ah! que par vous. Seigneur, et par toute la cour cĂ©leste et par moi, votre indigne serviteur, soient maudits ceux qui par leur mauvais exemple renversent et dĂ©truisent tout ce que vous avez fait au commencement, et ce que vous ne cessez de faire par les saints frĂšres de cet Ordre 2. » Ce passage de Thomas de Gelano, c'est-Ă -dire du plus modĂ©rĂ© des biographes, montre Ă  quel diapason de vĂ©hĂ©- mence et d'indignation a pu s'Ă©lever le doux François. MalgrĂ© les efforts bien naturels, faits pour jeter un 1. Ecd. 6. V. le texte de Liebermann. Mon, Germ. hist. Script., t. 28, p. 663. 2. 2 Gel. 3, 93 ; Bon. 104 et 105 Conform. 101 a 2. 318 VIE DE S. FRANÇOIS voile discret sur ces angoisses du fondateur concernant l'avenir de sa famille spirituelle, on en retrouve Ă  chaque pas la trace Le temps viendra, dit-il un jour, oĂč notre Ordre aura si bien perdu tout bon renom que ses membres auront honte de se montrer au grand jour ^. » Il avait vu en songe une statue dont la tĂȘte Ă©tait d'or pur, la poitrine et les bras d'argent, le ventre de cristal, les jambes de fer. Il pensa que c'Ă©tait un prĂ©sage de l'avenir rĂ©servĂ© Ă  son institut 2. Il trouvait ses fils atteints de deux maladies, infidĂšles Ă  la fois Ă  la pauvretĂ© et Ă  l'humilitĂ© ; mais peut-ĂȘtre redoutait-il plus pour eux le dĂ©mon de la science que la tentation des richesses. Que pensait-il de la science? Il est vraisemblable qu'il n'a jamais examinĂ© la question au point de vue gĂ©nĂ©ral, mais il n'avait pas de peine Ă  voir qu'il y aurait toujours assez d'Ă©lĂšves dans les universitĂ©s, et que si l'effort scientifique est un culte rendu Ă  Dieu, les adorateurs de cette catĂ©gorie ne risquaient pas de lui manquer; mais il avait beau regarder de tous cĂŽtĂ©s, il ne trouvait personne pour accomplir la mission d'humi- litĂ© et d'amour rĂ©servĂ©e Ă  son Ordre, si les frĂšres venaient Ă  lui ĂȘtre infidĂšles. Aussi y a-t-il dans son angoisse quelque chose de plus que la douleur de voir ses espĂ©rances confondues. La dĂ©route d'une armĂ©e n'est rien Ă  cĂŽtĂ© de la dĂ©route d'une idĂ©e ; et en lui une idĂ©e s'Ă©tait incarnĂ©e, celle de 1. 2 Gel. 3, 93 ; Spec. 49 b ; 182 a ; Conform. 182 a 1 ; TribuL f-Sa; 2 Gel. 3, 98; 113; 115; 1 Gel. 28; 50; 96; 103; 104; 108; 111; 118. 2. 2 Gel. 3, 27; Spec. 38 b; Conform. 181 b 1 ; Trihiil 7 b; Gf. Spec. 220 b; Conform. 103 b. LES FRERES MINEURS ET SCIENCE 319 la paix et du bonheur rendus Ă  rhumanitĂ©, par la libertĂ© reconquise sur les entraves matĂ©rielles et par l'amour. Par un ineffable mystĂšre, il se sentait l'Homme de son siĂšcle, celui dans le sein duquel se rĂ©sumaient les efforts, les dĂ©sirs, les aspirations des peuples; avec lui, en lui, par lui, l'humanitĂ© voulait se renouveler et, pour parler avec l'Évangile, naĂźtre de nouveau. C'est lĂ  que gĂźt sa vĂ©ritable beautĂ©. Par lĂ , bien plus que par de vaines conformitĂ©s extĂ©rieures et factices, il est un Christ. Lui aussi porte les douleurs du monde, et si Ton veut aller jusqu'au fond de son Ăąme, il faut, pour lui comme pour JĂ©sus, donner Ă  ce mot de douleurs sa signification la plus Ă©tendue. Par leur pitiĂ©, ils ont portĂ© les souf- frances physiques de l'humanitĂ©, mais ce qui les accable, ce sont des douleurs bien autrement angoissantes celles de Tenfantement du divin. Ils souffrent, parce qu'en eux le Verbe se fait chair, et Ă  GethsĂ©manĂ© comme sous les oliviers de Greccio, ils agonisent parce que les leurs ne les ont point reçus. » Oui, saint François a senti l'incessant travail de trans- formation qui s'accomplit au sein de l'humanitĂ© marchant vers sa destination divine, et il s'est offert, hostie vivante, pour qu'en lui eĂ»t lieu la mystĂ©rieuse palingĂ©nĂ©sie. Comprend-on maintenant sa douleur? Il tremble pour le mystĂšre de l'Évangile. Il y a chez lui quelque chose qui rappelle le spasme de la vie lorsqu'elle aperçoit la mort, spasme d'autant plus douloureux qu'il s'agit ici de vie morale. Ceci explique comment l'homme qui courait aprĂšs les brigands, pour en faire ses disciples, a pu ĂȘtre impi- toyable pour des collaborateurs, sans doute bien inten- 320 VIE DE s. FRVNGOIS lionnes, mais qui, par un zĂšle indiscret, oubliaient leur vocation et auraient transformĂ© l'Ordre en un institut scientifique. Sous prĂ©texte de mettre la science au service de Dieu et delĂ  religion, l'Eglise a excitĂ© le pire des vices, l'or- gueil. C'est son titre de gloire, suivant les uns, mais ce sera son suprĂȘme opprobre. Faut-il renoncer, dit-elle, Ă  enlever cette arme aux adversaires de la foi ? Mais vous figurez- vous JĂ©sus allant se mettre Ă  l'Ă©cole des rabbins sous prĂ©texte d'apprendre Ă  leur rĂ©pondre, Ă©nervant sa pensĂ©e parles subtilitĂ©s de leur dialectique et les fantasmagories de leur exĂ©gĂšse? Il aurait peut-ĂȘtre Ă©tĂ© un grand docteur, mais serait-il devenu le Sauveur du monde? Vous sentez bien que non. Quand on entend les prĂ©dicateurs s'extasier sur la diffusion merveilleuse de l'Évangile, prĂȘchĂ© par douze pauvres pĂȘcheurs de GalilĂ©e, ne pourrait-on pas leur faire remarquer que le miracle est Ă  la fois plus et moins stupĂ©fiant qu'ils ne disent. Plus — car sur les douze, plusieurs retournĂšrent sur les bords du lac enchanteur, et, oublieux du filet mystique, s'ils se rappelĂšrent le CrucifiĂ©, ce fut pour le regretter et non pour le res- susciter en continuant son Ɠuvre aux quatre coins du monde ; moins — car si aujourd'hui mĂȘme, dans ces journĂ©es mourantes du dix-neuviĂšme siĂšcle, des prĂ©di- cateurs s'en allaient ivres d'amour, s'immolant pour tous et pour chacun, comme jadis le MaĂźtre, le miracle se renouvellerait. Mais non, la thĂ©ologie a tuĂ© la religion. Les clergĂ©s rĂ©pĂštent Ă  satiĂ©tĂ© qu'il ne faut pas les confondre, qu'im- porte, si dans la pratique on ne les distingue pas. LES FRÈRES MIxXELRS ET LA SCIENCE 321 Jamais la science n'a Ă©lĂ© l'objet de plus de convoi- lises qu'au treiziĂšme siĂšcle. L'Empire et l'Eglise lui demandaient anxieusement des arguments pour dĂ©fendre leurs prĂ©tentions rĂ©ciproques. Innocent III envoie Ă  l'UniversitĂ© de Bologne la collection de ses DĂ©crĂ©tales et la comble de faveurs. FrĂ©dĂ©ric II fonde celle de Naples, et les Patarins eux-mĂȘmes envoient leurs fils Ă©tudier Ă  Paris, depuis la Toscane et la Lombardie. On se rappelle le succĂšs des prĂ©dications de François Ă  Bologne^, en aoĂ»t 1220 ; Ă  cette mĂȘme Ă©poque il avait vivement rĂ©primandĂ© Pierre Stacia, le ministre provin- cial qui Ă©tait docteur es lois, non seulement pour avoir installĂ© les FrĂšres dans une maison qui avait l'air de leur appartenir, mais il l'avait surtout blĂąmĂ© d'y avoir organisĂ© une sorte de collĂšge. Il paraĂźt que le ministre ne tint pas compte de ces reproches. Lorsque François apprit son endurcissement, il le maudit avec une effrayante vĂ©hĂ©mence ; son indignation Ă©tait si grande que plus tard, Ă  l'Ă©poque de sa mort, les nombreux amis de Pierre Stacia vinrent le supplier de rĂ©voquer sa malĂ©diction, mais tous leurs efforts furent inutiles-. 1. Les successeurs de François furent Ă  peu prĂšs sans exception des Ă©lĂšves de Bologne Pierre de Catane Ă©tait docteur es lois ainsi que Jean Parenti Jord. 51. — Élie avait Ă©tĂ© scriptor Ă  Bologne. — Albert de Pise y avait Ă©tĂ© ministre Eccl. 6. — Aymon y avait Ă©tĂ© lecteur Eccl. 6. — Grescentius fit des ouvrages de jurisprudence. Conform. 421 b 1 etc. etc. 2. Ce nom ne saurait ĂȘtre garanti il s'appelle Johannes de Las- chaccia, dans un passage des ConformitĂ©s {\0^ a 1 ; Pietro Schiaccia dans le man. italien des Tribulations f* 75 a ; Petrus Stacia dans le man. de la Laurentienne 13 b; Cf. Archiv, II, p. 258. Tribut. 13 b ; Spec. 184 b. Ce rĂ©cit a subi dans d'autres endroits beau- coup d'amplifications Spec. 126 a ; Conform. 104 b 1. 322 VIE DE s. FRiNGOIS Devant cette attitude du fondateur, il est bien diffi- cile de croire Ă  l'authenticitĂ© du billet qui aurait Ă©tĂ© adressĂ© Ă  Antoine de Padoue. A mon trĂšs cher Antoine, frĂšre François, salut en Christ. Il me plaĂźt que vous interprĂȘtiez aux frĂšres les saintes lettres et la thĂ©ologie, de telle sorte cependant conformĂ©ment Ă  notre RĂšgle que, ni chez vous ni chez les autres, ne s'Ă©teigne l'esprit de la sainte oraison, ce que je dĂ©sire vivement. Salut. » Faut-il voir lĂ  autre chose qu'une pieuse supercherie, pour attĂ©nuer les dĂ©clarations si nettes et si nombreuses de François contre la science? Il est difficile de se figurer la rivalitĂ© qu'il y avait, dĂšs cette Ă©poque, entre Dominicains et Franciscains, pour tĂącher d'attirer dans leur ordre respectif les maĂźtres les plus illustres. On organisait de petites intrigues oĂč les dĂ©votes avaient leur rĂŽle, pour amener tel ou tel docteur fameux Ă  prendre l'habit ^. Si le but de saint François eut Ă©tĂ© scientifique, les frĂšres de Bologne, de Paris et d'Oxford n'auraient pas pu faire mieux 2. Le courant Ă©tait si fort que les anciens ordres furent entraĂźnĂ©s bon grĂ© mal grĂ© une vingtaine d'annĂ©es plus tard, les Cisterciens voulurent eux aussi devenir lĂ©gistes, thĂ©ologiens, dĂ©crĂ©talistes et le reste. Peut-ĂȘtre François n'avait-il pas aperçu dĂšs l'abord la gravitĂ© du danger, mais l'illusion n'Ă©tait plus possible, 1. V. Eccl, 3 ; Histoire de l'entrĂ©e dans l'Ordre d'Adam d'Oxford. Cf. Chartiilarium Univ. Par., t. I, n»* 47 et 49. 2. Toute la chronique d'Eccleston en est le vivant tĂ©moignage. LES FRÈRES MINEURS ET LA SCIENCE 323 et par la suite il se montra, comme on l'a vu, d'une implacable fermetĂ©. Si plus tard on a travesti sa pensĂ©e, il a fallu aux coupables, — les papes et la plupart des premiers ministres gĂ©nĂ©raux, — des tours de prestidigi- tation exĂ©gĂ©tique qui ne sont pas a leur honneur Supposez, disait-il, que vous ayez assez de subtilitĂ© et de science pour tout savoir, que vous connaissiez toutes les langues, le cours des astres et tout le reste, qu'y a-t-il lĂ  pour vous enorgueillir? Un seul dĂ©mon en sait plus lĂ -dessus que tous les hommes de la terre rĂ©unis^. Mais il y a une chose dont le dĂ©mon est in- capable et qui est la gloire de l'homme ĂȘtre fidĂšle Ă  Dieu 2. On manque d'indications prĂ©cises sur les chapitres de d222 et 1223. Les modifications apportĂ©es au projet de J22i y furent discutĂ©es par les ministres^, et arrĂȘtĂ©es dĂ©finitivement ensuite par le cardinal Hugo- lin. Celui-ci eut Ă  ce sujet de longues confĂ©rences avec 1. Admonitio \, Cf. Conform. 141 a. Rapprocher les Constitutiones antiquƓ {SpĂ©culum^ Morin, III, fo 495 b-206 de la RĂšgle. DĂšs les premiers chapitres la contradic- tion saute aux yeux Ordinaynus quod nullus recipiatur in ordine nostro nisi sit talis clericus qui sit competenter instructus in grammatica vel logica\ aut nisi sit talis laicus de cujus ingressu esset valde celebris et edificatio in populo et in clerc. Nous voilĂ  certes bien loin de l'esprit de celui qui avait dit Et quicumque venerit amicus vel aduersarius fuv vel latro bĂ©nigne recipiatur. RĂšgle de 1221, cap. VII. Voir aussi l'Exposition de la RĂšgle de Bo- naventure. SpĂ©culum Morin, III, f» 21-40. 2. Sur l'attitude de François vis-Ă -vis de la science. Voir Tribut. Laur. 14 b; Spec. 184 a; 2 Gel. 3, 8; 48; 100; 116; 119; 120-124. Le chapitre Bon. 152 n'exprime naturellement que les vues de Bona- venture. Voir surtout RĂšgle de 1221, cap. XVII; de 1223 cap. X. 3. Spec. 7 b Fecit Franciscus regulam quam papa Honorius conflrmavit cum bulla, de qua rĂ©gula multa fuerunt extrada per ministros contra voluntatem b. Francisai. Cf. 2 Gel. 3, 136. 32i VIE DE S. FRANÇOIS François, dont il nous a lui-mĂȘme conservĂ© le sou- venir^. Elles eurent pour rĂ©sultat la RĂšgle de 1223. Il se forma bientĂŽt autour de l'origine de ce document toute une poussĂ©e de rĂ©cits merveilleux qu'il serait oiseux d'examiner par le menu ; ce qu'il faut en retenir, c'est le souvenir qu'ils gardent des luttes soutenues par François contre les ministres pour le maintien de son idĂ©al. Avant d'aller Ă  Rome demander l'approbation dĂ©fini- tive, il s'Ă©tait longuement recueilli dans la solitude de Monte-Colombo, prĂšs de Rieti. Cette colline fut bientĂŽt reprĂ©sentĂ©e comme un nouveau SinaĂŻ, et les disciples dĂ©peignirent leur maĂźtre recevant lĂ -haut, des mains de JĂ©sus mĂȘme, un autre DĂ©calogue-. Angelo Clareno, un des narrateurs les plus complai- sants de ces traditions, se charge lui-mĂȘme d'en indi- quer le peu de valeur il nous montre Honorius IIÏ modifiant au dernier moment un passage essentiel du projet^. J'ai dĂ©jĂ  caractĂ©risĂ© assez exactement cette RĂšgle pour n'avoir plus besoin d'y revenir ici. Elle fut approuvĂ©e le 25 novembre .1223^. Plusieurs souvenirs semblent devoir ĂȘtre rattachĂ©s Ă  ce dernier voyage de François Ă  Rome. Un jour, le cardinal Hu- golin, dont il avait acceptĂ© l'hospitalitĂ©, fut bien Ă©tonnĂ©^ ainsi que ses convives, en s'apercevant de son absence i. Bulle Quo elongati du 28 sept. 1230 Sbaralea, t. I, p. 56. 2. Bon. 55 et 56; [3 Soc. 62]; Spec. 76; 124 a; Tribul. Laur. 17 b-19 b; Ubertin, Arbor 7. 5; Conform. 88 a 2. 3. TribHl., Laur. 19 a; Archiv, t. III, p. 601. Cf. A. SS.„ p. 638 e. 4 Potthast 7108. L'Ɠuvre de cette bulle fut complĂ©tĂ©e par celle du 18 dĂ©c. 1223 L'original du Sacro-Convento porte Datiim La- terani XV Kal. jan., Fratrum Minorum Potthast 7123. LES FRÈRES MINEURS ET LA SCIENCE 325 au moment oĂč l'on se mettait Ă  table, mais ils le virent bientĂŽt arriver, chargĂ© d'une provision de morceaux de pain bis qu'il distribua tout joyeux Ă  la noble assis- tance. Son hĂŽte, un peu confus, ayant essayĂ© de lui faire quelques reproches aprĂšs le repas, François lui expliqua qu'il ne devait pas oublier pour un somptueux festin le pain de l'aumĂŽne dont il se nourrissait tous les jours, et qu'il voulait aussi montrer Ă  ses frĂšres, que la table la plus riche ne vaut pas, pour les pauvres spirituels, cette table du Seigneur^. On a vu que, durant les premiĂšres annĂ©es, les FrĂšres Mineurs avaient l'habitude de gagner leur vie en s'en- gageant comme domestiques. Quelques-uns avaient continuĂ©, mais en bien petit nombre. Peu Ă  peu, de ce cĂŽtĂ© aussi, tout s'Ă©tait transformĂ©. Sous couleur de ser- vir, les frĂšres entraient chez les plus hauts personnages de la cour pontificale et devenaient leurs hommes de confiance au lieu d'ĂȘtre soumis Ă  tous, comme dit la RĂšgle de 1221, ils Ă©taient au-dessus de tous. Perdant complĂštement de vue la vie apostolique, ils devenaient des courtisans d'un genre spĂ©cial ; leur carac- tĂšre, moitiĂ© ecclĂ©siastique, moitiĂ© laĂŻque, les rendait capables de remplir une foule de missions dĂ©licates, et de jouer un rĂŽle dans les intrigues variĂ©es pour lesquelles ont toujours semblĂ© vivre la plupart des prĂ©lats romains 2. Pour protester, François n'avait qu'une arme, son exemple. Un jour, raconte le SpĂ©culum, le B. François vint Ă  Rome pour voir l'Ă©vĂȘque d'Ostie Hugolin, et aprĂšs 1. 2 CeL 3, 19 ; Bon. 95; Spec. 18 b. ; Conform. 171 a 1. 2. 2 CeL 3, 61 et 62. Cf. EccL 6 le souvenir de Rod. de Rosa. 29 326 VIE DE s. FRANÇOIS ĂȘtre restĂ© quelque temps chez lui, il rendit aussi visite au cardinal LĂ©on qui avait pour lui une grande dĂ©votion. On Ă©tait en hiver ; le froid, le vent, la pluie, ren- daient tout voyage impossible, aussi le cardinal le pria- t-il de passer quelques jours dans sa maison et d'y prendre sa nourriture, comme les autres pauvres qui ve- naient manger chez lui Je te donnerai, ajouta-t-il, un bon gĂźte bien Ă  l'Ă©cart, oĂč tu pourras, si tu le veux, prier et manger.» Alors frĂšre Ange, l'un des douze premiers disciples, qui demeurait chez le cardinal, dit Ă  François Il y a prĂšs d'ici, une grande tour Ă©cartĂ©e et tranquille, tu y seras comme dans un ermitage. » Fran- çois alla la voir, et elle lui plut. Alors revenant vers le cardinal Monseigneur, lui dit-il, il est possible que je passe quelques jours chez vous. » Celui-ci fut bien joyeux, et frĂšre Ange alla prĂ©parer la tour pour le B. François et pour son compagnon. Mais dĂšs la'premiĂšre nuit, quand il voulut dormir, les dĂ©mons arrivĂšrent pour le frapper. Appelant alors son compagnon FrĂšre, lui dit il, les dĂ©mons sont venus me frapper avec violence ; reste prĂšs de moi, je te prie, car j'ai peur seul ici.» Il tremblait de tous ses membres, comme quelqu'un qui a la fiĂšvre. Ils passĂšrent la nuit tous les deux sans dormir Les dĂ©mons sont chargĂ©s des chĂątiments de Dieu, disait François ; comme un podestat envoie son bourreau pour punir le criminel, ainsi Dieu envoie les dĂ©mons, qui sont en cela ses ministres Pourquoi me les a-t-il envoyĂ©s? En voici la raison peut-ĂȘtre le car- dinal a voulu ĂȘtre bon pour moi, et j'ai vraiment grand besoin de repos, mais les frĂšres qui vont par le monde, souffrant de la faim et de mille tribulations, ainsi que tous les autres qui sont dans des ermitages ou dans de pauvres maisons, lorsqu'ils apprendront mon sĂ©jour chez 4 LES FRERES MLNEURS ET LA SCIENCE 327 un cardinal auront un motif de murmure Nous endu- rons toutes les privations, diront-ils, tandis que lui a tout ce qu'il peut dĂ©sirer; je dois pourtant leur donner le bon exemple; lĂ  est ma vraie mission » De grand matin, il quitta donc la tour et, ayant tout racontĂ© au cardinal, prit congĂ© de lui pour retourner Ă  l'ermitage de Monte-Colombo prĂšs de Rieti On me croit un saint homme, lui dit-il, et voilĂ  qu'il a fallu les dĂ©mons pour me jeter hors de prison *.» Ce rĂ©cit, malgrĂ© ses couleurs Ă©tranges, montre assez combien il avait l'instinct de l'indĂ©pendance. Comparer l'hospitalitĂ© d'un cardinal Ă  un emprisonnement ! Il ne croyait pas si bien dire, et caractĂ©riser d'un mot toute l'histoire des rapports de l'Eglise et de son Ordre. L'alouette n'Ă©tait pas morte; malgrĂ© le froid et la bise, elle prit gaiement son vol vers le val de Rieti. On Ă©tait Ă  la mi-dĂ©cembre. Un ardent dĂ©sir de cĂ©- lĂ©brer au naturel les souvenirs de NoĂ«l s'Ă©tait emparĂ© de François. Il s'en ouvrit Ă  un de ses amis, le chevalier Jean de Greccio, qui se chargea de prĂ©parer le nĂ©ces- saire. Imiter JĂ©sus a Ă©tĂ© de tout temps le centre mĂȘme de la vie chrĂ©tienne ; mais il faut ĂȘtre singuliĂšrement spiri- tualiste pour pouvoir se contenter de l'imitation intĂ©- rieure. Pour la plupart des hommes celle-ci a besoin d'ĂȘtre prĂ©cĂ©dĂ©e et soutenue par l'imitation extĂ©rieure. C'est bien l'esprit qui vivifie; mais au pays des anges seulement, on peut dire que la chair ne sert de rien. Pour le moyen Ăąge, une fĂȘte religieuse Ă©tait avant tout une reprĂ©sentation, plus ou moins fidĂšle, du souvenir 1 1. S/3CC. 47 b ss. ; 2 Gel. 3, 61 ; Bon. 84 et 85. 328 VIE DE s. FRANÇOIS qu'elle rappelait de lĂ  les santons de la Provence^ les processions du Palmesel, les cĂ©nacles du Jeudi saint, les chemins de croix du Vendredi saint, le drame de la RĂ©surrection le jour de PĂąques, et les Ă©toupes enflammĂ©es de la PentecĂŽte. François Ă©tait trop italien pour ne pas aimer ces fĂȘtes oĂč tout ce qu'on voit parle de Dieu et de son amour. Les populations des environs de Greccio furent donc convoquĂ©es ainsi que les frĂšres des monastĂšres voisins. Au soir de la vigile de NoĂ«l, on vit sur tous les sen- tiers les fidĂšles se hĂąter vers l'ermitage, des torches Ă  la main, et faisant retentir les forĂȘts de leurs joyeux cantiques. Tous Ă©taient dans la joie, François plus que per- sonne le chevalier avait prĂ©parĂ© une crĂšche avec de la paille, et amenĂ© un bƓuf et un Ăąne qui de leur haleine semblaient vouloir rĂ©chauffer le pauvre bambino tout transi de froid. Le Saint, Ă  cette vue, sentait des larmes de pitiĂ© inonder son visage ; il n'Ă©tait plus Ă  Greccio, son cƓur Ă©tait Ă  BethlĂ©hem. Enfin on se mit Ă  chanter matines, puis la messe commença oĂč, comme diacre, François lut l'Evangile. Le simple rĂ©cit de la lĂ©gende sacrĂ©e, dit par une voix si douce et si ardente, touchait dĂ©jĂ  les cƓurs, mais quand il prĂȘcha, son Ă©motion gagna bien vite l'audi- toire sa voix avait une tendresse si indicible que les assistants oubliaient tout, eux aussi, pour revivre les sentiments des bergers de la JudĂ©e qui allĂšrent jadis adorer le Dieu fait homme, naissant dans une Ă©table ^. Au dĂ©clin du treiziĂšme siĂšcle, l'auteur du Stabat Mater 1. 1 Gel. 84-87; Bon. 149. LES FRÈRES MINEURS ET LA SCIENCE 329 dolorosa, Jacopone de Todi, ce franciscain de gĂ©nie qui passa dans les cachots une partie de sa vie, composa, inspirĂ© par le souvenir de Greccio, un autre Stabat, celui de la joie, Stabat Mater speciosa. Cette hymne de Marie, prĂšs de la crĂšche, n'est pas moins belle que celle de Marie au pied de la croix. Le sentiment y est encore plus intime, et Ton ne s'explique guĂšre son oubli que par un injuste caprice de la destinĂ©e. Stabat Mater speciosa Juxta fƓnum gaudiosa, Dum jacebat parvulus. Quse gaudebat et ridebat Exsultabat cum videbat Nati partum inclyti. Fac me vere congaudere, Jesulino cohserere Donec ego vixero * . 1. Ce petit poĂšme a Ă©tĂ© publiĂ© intĂ©gralement par M. Ozanam dans le t. V de ses Ɠuvres, p. 184. CHAPITRE XVII Les Stig mates, 1224. La vallĂ©e supĂ©rieure de TArno forme, au centre mĂȘme de l'Italie, un pays Ă  part, le Gasentin, qui durant des siĂšcles a vĂ©cu de sa vie propre, un peu comme une Ăźle au milieu de l'OcĂ©an. Le fleuve en sort au sud par un Ă©troit dĂ©filĂ©, et de tous les autres cĂŽtĂ©s l'Apennin l'enserre d'une ceinture de montagnes inaccessibles^. Cette plaine, d'une dizaine de lieues de diamĂštre, est Ă©gayĂ©e de jolis villages, bien campĂ©s sur des monti- cules, au pied desquels coule la riviĂšre voici Bibbiena, Poppi, Tantique Romena chantĂ©e par Dante, les Camal- dules, et lĂ -haut sur une crĂȘte Chiusi, jadis la capitale du pays, avec les ruines du chĂąteau du comle Orlando. La population est aimable et fine les montagnes l'ont tenue Ă  l'abri des guerres, et l'on n'aperçoit de tous cĂŽtĂ©s que des symptĂŽmes de travail, d'aisance, de douce gaietĂ©. On pourrait se croire Ă  chaque instant trans- portĂ© dans quelque vallĂ©e du Vivarais ou de la Provence. 1. Les cols qui conduisent dans le Gasentin sont tous Ă  environ 1000 mĂštres d'altitude. Jusqu'Ă  ces derniĂšres annĂ©es il n'y avait aucune route proprement dite. LES STIGMATES 331 Sur les bords de l'Arno la vĂ©gĂ©tation est toute mĂ©ri- dionale l'olivier et le mĂ»rier se marient avec la vigne. Sur les premiĂšres pentes sont des champs de blĂ© cou- pĂ©s par des prairies ; puis viennent les chĂątaigniers et les chĂȘnes ; plus haut encore, le pin, l'Ă©picĂ©a, le mĂ©lĂšze, et enQn le rocher nu. Parmi toutes les cimes, il en est une qui attire parti- culiĂšrement l'attention ; au lieu d'avoir un sommet arrondi et comme comprimĂ©, elle se dresse svelte, fiĂšre, isolĂ©e, c'est l'Alverne^. On dirait une immense pierre tombĂ©e du ciel ; c'est en effet un bloc erratique, posĂ© lĂ  un peu comme une arche de NoĂ© pĂ©trifiĂ©e au sommet du mont Ararat. La masse basaltique, taillĂ©e Ă  pic de tous cĂŽtĂ©s, porte Ă  son sommet un plateau plantĂ© de pins et de hĂȘtres gigan- tesques, accessible par un seul sentier 2. Telle Ă©tait la solitude qu'Orlando avait donnĂ©e Ă  François, et Ă  laquelle celui-ci Ă©tait venu demander dĂ©jĂ  bien des fois le repos et le recueillement. Assis sur les quelques pierres de la Penna^, il n'en- tendait plus que le bruissement du vent dans les arbres; mais dans les splendeurs de l'aurore ou du couchant, il pouvait apercevoir la plupart des contrĂ©es sur les- 1. En France, le mont Aiguille, une des sept merveilles du Dau- phinĂ©, prĂ©sente le mĂȘme aspect et la mĂȘme formation gĂ©ologique. Sainte-Odile rappelle aussi l'Alverne mais en beaucoup plus petit. 2. Le sommet est Ă  1269 mĂštres d'altitade. En italien on l'ap- pelle la Verna^ en latin Alvernus. L'Ă©tymologie qui a exercĂ© la saga- citĂ© des savants paraĂźt ĂȘtre fort simple, le verbe vernare, employĂ© par Dante, signifie faire froid, geler. 3. Nom du point le plus Ă©levĂ© du plateau. A trois quarts d'heure Ă  peine du monastĂšre, et non Ă  deux heures et demie comme le croient ces bons anachorĂštes. Ceci soit dit au x^rofit des touristes... et deg pĂšlerins. 332 VIE DE s. FRANÇOIS quelles il avait jetĂ© la semence de l'Évangile la Romagne et la Marche d'AncĂŽne, qui se perdent Ă  l'ho- rizon dans les flots de l'Adriatique ; l'Ombrie et plus loin la Toscane, qui disparaissent dans ceux de la MĂ©diterranĂ©e. L'impression lĂ -haut n'est pas Ă©crasante comme celle que Ton a dans les Alpes quelque chose d'infiniment doux et calmant vous envahit ; vous ĂȘtes assez Ă©levĂ© pour juger les hommes de haut, vous ne l'ĂȘtes pas assez pour oublier leur existence. Outre les grands horizons, François y trouvait d'autres sujets d'enchantement; dans cette forĂȘt, une des plus belles de TEurope, vivent des lĂ©gions d'oiseaux qui, n'ayant jamais Ă©tĂ© traquĂ©s, sont d'une Ă©tonnante familiaritĂ©^. De subtils parfums montent du sol, oĂč au milieu des bourraches et des lichens, s'Ă©pa- nouissent en nombre fantastique de dĂ©licieux et frĂȘles cyclamens. Il voulut y retourner aprĂšs le chapitre de 1224. Cette rĂ©union tenue au commencement de juin fut la derniĂšre Ă  laquelle il assista. La nouvelle RĂšgle y fut remise aux ministres, et la mission d'Angleterre dĂ©cidĂ©e. C'est dans les premiĂšres journĂ©es d'aoĂ»t que Fran- çois s'achemina vers TAlverne. Il n'avait avec lui que quelques frĂšres, Masseo, Ange et LĂ©on. Le premier avait Ă©tĂ© chargĂ© de diriger la petite troupe et de 1. La forĂȘt a Ă©tĂ© conservĂ©e comme une relique, Alexandre IV fulmina l'excommunication contre quiconque abattrait les sapins de l'Alverne. Quant aux oiseaux, il suffit d'avoir passĂ© une journĂ©e au monastĂšre pour ĂȘtre Ă©merveillĂ© de leur nombre et de leurs variĂ©tĂ©s. M. G. BĂ©ni, a entrepris Ă  Stia en Gasentin une collec- tion ornithologique qui comprend dĂ©jĂ  plus de 550 variĂ©tĂ©s. LES STIGMATES 333 lui Ă©viter toute autre prĂ©occupation que celle de la priĂšre ^. Oq Ă©tait en route depuis deux jours, lorsqu'il fallut s'enquĂ©rir d'un Ăąne pour François, trop affaibli pour continuer le chemin Ă  pied. Les frĂšres, en demandant ce service, n'avaient pas cachĂ© le nom de leur maĂźtre ; aussi le paysan auquel ils s'Ă©taient adressĂ©s se mit-il en devoir de conduire lui- mĂȘme sa bĂȘte. AprĂšs un certain temps de marche Est-il vrai, dit-il, que vous soyez frĂšre François d'Assise?» — Eh bien ! ajouta-t-il, sur sa rĂ©ponse affir- mative, appliquez-vous Ă  ĂȘtre aussi bon que les gens le disent, afin qu'ils ne soient pas trompĂ©s dans leur attente, c'est un conseil que je vous donne.» AussitĂŽt François descendit de sa monture et, se prosternant devant lui, le remercia avec effusion 2. Cependant les heures les plus chaudes de la journĂ©e Ă©taient venues. Le paysan, excĂ©dĂ© de fatigue, oubliait peu Ă  peu sa surprise et sa joie pour cheminer Ă  cĂŽtĂ© d'un saint, on n'en ressent pas moins les ardeurs de la soif. Il commençait Ă  regretter son obligeance, lorsque François lui dĂ©signa du doigt une source inconnue jus- qu'alors et qu'on n'a plus revue ^. Ils arrivĂšrent enfin au pied du dernier escarpement. Avant de le gravir, on s'arrĂȘta pour se reposer un peu sous un grand chĂȘne, et aussitĂŽt des bandes d'oiseaux accoururent tĂ©moigner leur joie par leurs chants et leurs battements d'ailes. Voltigeant autour de François, 1. i Gel. 91; Bon. 188; Fior. I consid. 2. Fior. I consid. \ Conform. 176 b. 1. 3. 2 Gel. 2, 15 ; Bon. 100 ; Fior. I consid. 33i VIE DE s. FRANÇOIS ils se posaient sur sa tĂȘte, sur ses Ă©paules ou sur ses bras. Je vois, dit-il tout joyeux Ă  ses compagnons, qu'il plaĂźt Ă  notre Seigneur JĂ©sus-Christ que nous habi- tions sur ce mont solitaire, puisque nos frĂšres et nos sƓurs les oiseaux ont manifestĂ© une si grande allĂ©gresse de notre venue . ^» Cette montagne a Ă©tĂ© tout Ă  la fois son Thabor et son Calvaire ; il ne faut donc pas s'Ă©tonner que les lĂ©gendes aient fleuri ici, encore plus nombreuses que pour toutes les autres Ă©poques de sa vie; la plupart d'entre elles ont le charme exquis des fleurettes rosĂ©es et odorantes pudiquement blotties aux pieds des sapins de l'Alverne. Les soirĂ©es d'Ă©tĂ© ont lĂ -haut une beautĂ© sans pa- reille ; la nature, comme Ă©touffĂ©e par les ardeurs du soleil, semble respirer de nouveau. Dans les arbres, derriĂšre les rochers, sur le gazon, mille voix s'Ă©veillent et s'harmonisent doucement avec le murmure des grands bois, mais parmi toutes ces voix, il n'en est aucune qui s'impose ou force l'attention, c'est une mĂ©lodie, dont vous jouissez sans l'entendre. Vous laissez votre regard errer sur l'horizon que l'astre disparu illumine, pen- dant de longues heures, de teintes hiĂ©ratiques, et les cimes des Apennins, tout irisĂ©es de lumiĂšre, font des- cendre dans votre Ăąme ce que le poĂšte franciscain appe- lait la nostalgie des collines Ă©ternelles 2. François la ressentait plus que personne. DĂšs le soir de leur arrivĂ©e, assis sur un tertre, au milieu de ses frĂšres, il leur fĂźt ses recommandations pour le sĂ©jour. Le recueillement de la nature aurait suffi Ă  jeter dans i. Bon. 118; Fior. I consid. 2. Gel. 100. LES STIGxMATES 335 les cƓurs des germes de tristesse, et la voix du maĂźtre s'Ă©tait harmonisĂ©e avec l'Ă©motion des derniĂšres lueurs du jour il leur parla de sa mort prochaine, avec ces regrets de l'ouvrier surpris par l'ombre du soir avant l'achĂšvement de sa tache, avec ces soupirs du pĂšre qui tremble pour l'avenir de ses enfants^. Pour lui, il voulait dĂ©sormais se prĂ©parer Ă  la mort par la priĂšre et la contemplation ; aussi leur demanda- t-il de le prĂ©server absolument des importuns. Orlando ^ qui s'Ă©tait dĂ©jĂ  rendu auprĂšs d'eux pour leur souhaiter la bienvenue et leur offrir ses services, avait, sur sa demande, fait arranger Ă  la hĂąte une hutte de bran- chages au pied d'un grand hĂȘtre. C'est lĂ  qu'il voulait se tenir, Ă  un jet de pierre des cellules habitĂ©es par ses compagnons. FrĂšre LĂ©on Ă©tait chargĂ© de lui apporter chaque jour ce dont il aurait besoin. Il s'y retira aussitĂŽt aprĂšs cette conversation mĂ©mo- rable, mais quelques jours plus tard, gĂȘnĂ© sans doute par la pieuse curiositĂ© des frĂšres qui Ă©piaient tous ses mouvements, il s'enfonça plus avant dans les bois, et y commença, le jour de l'Assomption, le carĂȘme qu'il voulait cĂ©lĂ©brer en l'honneur de l'archange Saint Michel et de la milice cĂ©leste. Le gĂ©nie a sa pudeur comme Tamour. Le poĂšte, l'artiste, le saint, ont besoin d'ĂȘtre seuls quand l'Esprit vient les agiter. Tout effort de pensĂ©e, d'imagination ou de volontĂ© est une priĂšre on ne prie pas en public. Malheur Ă  l'homme qui n'a pas au fond du cƓur 1. Fior, II y consid. 2. Les ruines du chĂąteau de Chiusi sont Ă  trois quarts d'heure de l'Alverne. 336 VIE DE s. FRANÇOIS quelques-uns de ces secrets qui ne se disent pas, parce qu'ils ne peuvent se dire, et parce que, les dirait-on, ils ne pourraient se comprendre. Segretum meum miiii ! JĂ©sus l'avait bien senti les enivrements du Thabor sont courts; ils ne doivent pas se raconter. Devant ces mystĂšres de l'Ăąme, les matĂ©rialistes et les dĂ©vots se rencontrent souvent, et s'accordent Ă  rĂ©cla- mer de la prĂ©cision dans les choses qui en supportent le moins. Le croyant demande dans quel coin de TAlverne François reçut les stigmates ; si le sĂ©raphin qui lui apparut Ă©tait JĂ©sus ou un esprit cĂ©leste; ce qu'il lui dit en les lui imprimant ^, et il ne comprend pas plus cette heure, oĂč François se pĂąma de douleur et d'amour, que le matĂ©rialiste, qui demande Ă  voir de ses yeux et Ă  toucher de ses mains la plaie bĂ©ante. TĂąchons d'Ă©viter ces excĂšs. Écoutons ce que les docu- ments donnent, et ne cherchons point Ă  leur faire vio- lence, pour leur arracher ce qu'ils ne racontent point, ce qu'ils ne peuvent raconter. Ils nous montrent François tourmentĂ© pour l'avenir de rOrdre, et par un immense besoin de faire de nou- veaux progrĂšs spirituels. Il Ă©tait dĂ©vorĂ© par la fiĂšvre des saints, ce besoin d'immolation qui arrachait Ă  sainte ThĂ©rĂšse le cri pas- sionnĂ© ou souffrir, ou mourir!» Il se reprochait amĂšrement de n'avoir pas Ă©tĂ© trouvĂ© digne du martyre 1. Fior, IV et V consid. Ces deux considĂ©rations paraissent ĂȘtre le rĂ©sultat d'un remaniement opĂ©rĂ© sur un document primitif. Celui-ci comprenait sans doute les trois premiĂšres que le continua- teur aura interpolĂ©es et allongĂ©es. Cf. Conform. 231 a 1. Spec. 91 b, 92 a, 97; A. SS., p. 863 ss. LES STIGMATES 337 et de n'avoir pu se donner pour Celui qui s'est donnĂ© pour nous. Nous touchons ici Ă  un des Ă©lĂ©ments les plus puissants et les plus mystĂ©rieux de la vie chrĂ©tienne. On peut fort bien ne pas le comprendre, il ne faut pas pour cela le nier. Il est la racine du vrai mysticisme^. La grande nouveautĂ©, apportĂ©e par JĂ©sus au monde, a Ă©tĂ© que se sentant en parfaite union avec le PĂšre cĂ©leste, il a appelĂ© tous les hommes Ă  s'unir Ă  lui, et par lui Ă  Dieu Je suis le cep et vous ĂȘtes les sarments celui qui demeure en moi et en qui je demeure porte beaucoup de fruits, car hors de moi vous ne pouvez rien faire. » Le Christ n'a pas seulement prĂȘchĂ© cette union, il en a donnĂ© la sensation. Au soir de sa derniĂšre journĂ©e, il en a instituĂ© le sacrement, et il n'est peut-ĂȘtre pas de secte pour nier que la communion soit tout Ă  la fois le symbole, le principe et la fin de la vie religieuse. Depuis dix-huit siĂšcles, les chrĂ©tiens opposĂ©s sur tout le reste, ne peuvent s'empĂȘcher de regarder tous vers celui qui, dans la chambre haute, a instituĂ© le rite des temps nouveaux La veille de sa mort, il prit le pain, il le rompit et le leur distribua en disant Prenez et mangez, car CECI est mon corps. » 1. Dans le langage courant, on comprend souvent sous le nom de mysticisme, toutes les tendances, parfois peu chrĂ©tiennes, qui font prĂ©dominer dans la vie religieuse les Ă©lĂ©ments vagues, poĂ©tiques, les Ă©lans du cƓur. Le mot de mystiques ne devrait s'appliquer qu'Ă  ceux des chrĂ©tiens pour lesquels les relations immĂ©diates avec JĂ©sus forment le fond delĂ  vie religieuse. Dans ce sens, saint Paul dont le systĂšme thĂ©ologico-philosophique est un des plus puissants efforts de l'esprit humain pour expliquer le pĂ©chĂ© et la rĂ©demption est en mĂȘme temps le prince des mystiques. 338 VIE DE s. FRANÇOIS JĂ©sus, en prĂ©sentant l'union avec lui comme le fond mĂȘme de la vie nouvelle^, eut soin de marquer Ă  ses frĂšres que cette union Ă©tait avant tout la participation Ă  ses travaux, Ă  ses luttes et Ă  ses souffrances; Que celui qui veut ĂȘtre mon disciple se charge de sa croix et me suive. » Saint Paul entra si bien Ă  cet Ă©gard dans la pensĂ©e du MaĂźtre, qu'il poussait, quelques annĂ©es aprĂšs, ce cri d'un mysticisme qui n'a jamais Ă©tĂ© atteint J'ai Ă©tĂ© crucifiĂ© avec Christ et je vis... ou plutĂŽt ce n'est plus moi qui vis, c'est Christ qui vit en moi. » Cette parole n'est pas chez lui une exclamation isolĂ©e, c'est le centre mĂȘme de sa conscience religieuse, et il ira jusqu'Ă  dire, au risque de scandaliser bien des chrĂ©tiens J'achĂšve en ma chair ce qui manque aux souffrances du Christ pour son corps qui est l'Église. » Peut-ĂȘtre n'Ă©tait-il pas inutile d'entrer dans ces dĂ©- tails, pour montrer jusqu'Ă  quel point François, durant les derniĂšres annĂ©es de sa vie, oii il renouvelle dans son corps la passion du Christ, se rattache Ă  la tradition apostolique. Dans les solitudes de l'Alverne, comme autrefois Ă  Saint-Damien, JĂ©sus se prĂ©sentait Ă  lui sous sa figure de crucifiĂ©, d'homme de douleur^. Que ces effusions nous aient Ă©tĂ© rapportĂ©es sous une forme poĂ©tique et inexacte, il n'y a lĂ  rien de surpre- 1. Il n'a pas voulu instituer une religion, car il sentait la vanitĂ© des observances et des dogmes. Les apĂŽtres continuĂšrent Ă  frĂ©- quenter le temple juif Actes 11,46; III, 1; V, 25; XXI, 26. lia voulu inoculer au monde une vie nouvelle. 2. 2 Gel. 3, 29. Cf. 1 Gel. 115; 3 Soc. 13 et 14; 2 Gel. 1, 6; 2 Gel. 3, 123; 131; Bon. 57; 124; 203; 204; 224; 225; 309; 310 et 311. Conform. 229 b. ss. LES STIGMATES 339 nant, c'est le contraire qui devrait Ă©tonner. Il y a dans le paroxysme de l'amour divin, des ineffabilia que loin de pouvoir raconter ou faire comprendre, l'on peut Ă  peine se rappeler h soi-mĂȘme. François se trouva Ă  l'Alverne encore plus absorbĂ© que de coutume par son ardent dĂ©sir de souffrir pour JĂ©sus et avec lui. Ses journĂ©es se passaient, partagĂ©es entre les exercices de piĂ©tĂ© dans l'humble sanctuaire bĂąti sur la montagne, et la mĂ©ditation au milieu des forĂȘts. Il lui arrivait mĂȘme d'oublier TĂ©glise, et de rester plusieurs journĂ©es, seul, dans quelque antre de rocher, Ă  repasser dans son cƓur les souvenirs de Gol- gotha. D'autres fois, il demeurait de longues heures au pied de l'autel, lisant et relisant l'Evangile et suppliant Dieu de lui montrer la voie qu'il devait suivre^. Le livre s'ouvrait presque toujours au rĂ©cit de la Passion, et cette simple coĂŻncidence, bien explicable pourtant, suffisait dĂ©jĂ  Ă  le troubler. La vision du CrucifiĂ© s'emparait d'autant mieux de toutes ses facultĂ©s, qu'on approchait de l'Exaltation de la Sainte-Croix 14 septembre, fĂȘte aujourd'hui relĂ©guĂ©e Ă  l'arriĂšre- plan, mais cĂ©lĂ©brĂ©e au treiziĂšme siĂšcle avec une ardeur et un zĂšle bien naturels pour une solennitĂ© que l'on pourrait qualifier de fĂȘte patronale de la croisade. François redoublait ses jeĂ»nes et ses priĂšres, tout transformĂ© en JĂ©sus par amour et par compassion, dit une des lĂ©gendes. Il passa la nuit qui prĂ©cĂ©da la fĂȘte, seul, en oraison, non loin de Termitage. Le matin venu, il eut une vision. Dans les chauds -1. 1 Gel. 91- 94; Bon. 189 et 190. 340 VIE DE s. FRANÇOIS rayons du soleil levant qui, aprĂšs le froid de la nuit, ve- nait ranimer son corps, il distingua tout Ă  coup une forme Ă©trange. Un sĂ©raphin, les ailes Ă©ployĂ©es, volait vers lui des confins de l'horizon et l'inondait de voluptĂ©s indicibles. Au centre de la vision apparaissait une croix, et le sĂ©ra- phin Ă©tait clouĂ© sur elle. Quand la vision disparut, il sentit aux dĂ©lices du premier moment se mĂȘler de poignantes douleurs. BouleversĂ© jusqu'au plus profond de son ĂȘtre, il cherchait anxieusement le sens de tout cela, lorsqu'il aperçut sur son corps les stigmates du CrucifiĂ©^. 1. Voir les annotations de frĂšre LĂ©on Ă  l'autographe de saint François Introd. p. XLII et 1 Gel. 94, 95; Bon. 191, 192, 193. 3 Soc. 69, 70. Fior. III consid. Cf. Auct. vit. sec A. SS. p. 649. Il est Ă  noter que Thomas de Gelano 1 Gel. 95, ainsi que tous les documents primitifs, dĂ©crivent les stigmates comme Ă©tant des excroissances charnues, rappelant, par la forme et la couleur, les clous dont furent percĂ©s les membres de JĂ©sus. Personne ne parle de ces blessures bĂ©antes et sanguinolentes qui ont Ă©tĂ© imaginĂ©es plus tard. Seule, la plaie du cĂŽtĂ© Ă©tait une blessure d'oĂč suintait un peu de sang. Enfin Thomas de Gelano dit qu'aprĂšs la \ision sĂ©ra- phique commencĂšrent Ă  apparaĂźtre, cƓperunt apparere signa cĂźavorum. V. appendice Étude sur les stigmates» CHAPITRE XVIII Le cantique du soleil. Automne 1224 — automne 1225. Le lendemain de la Saint-Michel 30 septembre 1224, François quitta l'Alverne pour se diriger vers la Por- tioncule. Il Ă©tait trop Ă©puisĂ© pour songer Ă  faire le trajet Ă  pied ; aussi le comte Orlando avait-il mis un cheval Ă  sa disposition. On devine l'Ă©motion du StigmatisĂ© disant adieu Ă  la montagne sur laquelle s'Ă©tait dĂ©roulĂ© le drame d'amour et de douleur qui avait consommĂ© l'union de son ĂȘtre tout entier avec le CrucifiĂ©. Amor^ amor^ Gesu desideroso, Amor voglio morire. Te abrazando Amor dolce Gesu meo sposo, Amor^ amor, la morte te domando^ Amor, amor, Gesu si pietoso Tu me te dai in te transformato Pensa ch'io vo spasmando Non so 0 io me sia Gesu speranza mia Ormai va^ dormi in amore. 30 342 VIE DE s. FRANÇOIS Ainsi chantait Jacopone de Todi dans l'ivresse des mĂȘmes ardeurs^. S'il faut en croire un document qui vient d'ĂȘtre pu- bliĂ©, frĂšre Masseo, un de ceux qui restĂšrent Ă  l'Alverne, aurait consignĂ© par Ă©crit les souvenirs de cette journĂ©e 2. On se mit en route de bon matin. François, aprĂšs avoir fait ses recommandations aux frĂšres, avait eu un regard et une parole pour tout et pour tous; pour les rochers, pour les fleurs, pour les arbres, pour le frĂšre faucon, un privilĂ©giĂ© qui eut toujours l'autorisation d'entrer dans sa cellule et qui, chaque matin, Ă©tait venu, dĂšs les premiĂšres lueurs de l'aurore, lui rappeler l'heure de l'office ^. Puis la petite troupe prit le sentier de Monte-Acuto. ArrivĂ© au col d'oĂč l'on peut jeter un dernier regard sur l'Alverne, François descendit de sa monture et s'age- nouillant par terre, tournĂ© vers lui Adieu, dit-il, montagne de Dieu, montagne sainte, nions coagulatus, mons pinguis, mons in quo bene placitum est Deo habi- tare; adieu, mont Alverne, que Dieu te bĂ©nisse, le PĂšre, le Fils et le Saint-Esprit, reste en paix, jamais plus nous ne nous re verrons. » 1. Trente-sixiĂšme et derniĂšre strophe du cantique Amor de cari- tade Perche rrChai si feritol qu'on trouve dans les recueils des Ɠuvres de saint François. 2. Par l'abbĂ© Amoni, Ă  la suite de son Ă©dition des Fioretti, Rome, 1 vol in 12, 1889 p. 390 — 392 On ne peut que regretter, une fois de plus, le silence de cet Ă©diteur sur le manuscrit d'oĂč il a tirĂ© ces charmantes pages. Certaines indications semblent s'opposer Ă  ce que l'auteur l'ait Ă©crit avant la seconde moitiĂ© du treiziĂšme siĂšcle ; d'autre part on ne voit pas le but qu'aurait poursuivi un faussaire. Une piĂšce apocryphe se dĂ©cĂšle toujours par quelque thĂšse intĂ©res- sĂ©e, or ici le rĂ©cit est d'une enfantine simplicitĂ©. 3. 2. Gel. 3, 104; Bon. 119; Fiov. II consid. LE CANTIQUE DU SOLEIL 343 Cette scĂšne si naĂŻve n'a-t-elle pas une douceur dĂ©li- cieuse et poignante? Ces paroles oii l'italien tout Ă  coup ne suffit plus Ă  François et oĂč il est obligĂ© de recourir au langage mystique du brĂ©viaire pour exprimer ses sen- timents ont dii vĂ©ritablement ĂȘtre prononcĂ©es par lui^. Quelques minutes aprĂšs, le rocher de l'extase avait disparu. La descente dans la vallĂ©e se fait rapidement. Les frĂšres avaient dĂ©cidĂ© d'aller coucher le soir Ă  Monte- Casale, le petit ermitage au-dessus de Borgo San-Sepol- cro. Tous, mĂȘme ceux qui devaient rester Ă  l'Alverne, suivaient encore leur maĂźtre. Quant Ă  lui, absorbĂ© par le songe intĂ©rieur, il Ă©tait devenu tout Ă  fait Ă©tranger Ă  ce qui se passait, et ne s'apercevait mĂȘme pas du bruyant enthousiasme qu'excitait son passage dans les villages devenus nombreux aux environs du Tibre. A Borgo San-Sepolcro, on lui fit une vĂ©ritable ovation, sans qu'il revĂźnt Ă  lui-mĂȘme; puis, quand on fut dĂ©jĂ  bien loin de cette ville, comme s'il se fĂ»t rĂ©veillĂ©, il demanda Ă  son compagnon si l'on n'y arriverait pas bientĂŽt 2. La premiĂšre soirĂ©e passĂ©e Ă  Monte-Casale fut marquĂ©e par un miracle. François guĂ©rit un frĂšre qui Ă©tait possĂ©dĂ©^. Le lendemain matin, s'Ă©tant dĂ©cidĂ© Ă  passer quelques jours dans cet ermitage, il renvoya les frĂšres de l'Alverne et le cheval du comte Orlando. Dans un des villages traversĂ©s la veille, une femme 1. Parti san Francesco per Monte- Acuto prendendo la via di Monte Arcoppe e del Foresto. Ce chemin pour aller de l'Alverne Ă  Borgo San-Sepolcro est loin d'ĂȘtre le plus court ou le plus facile, mais au lieu de gagner immĂ©diatement la plaine on reste encore de longues heures sur les cimes. Tout François n'est-ii pas dans ce choix? 2. 2. Gel. 3, 41; Bon. 141; Fior. IV consid. 3. 1 Gel. 63 et 64; Fior. IV consid. 344 VIE DE s. FRANÇOIS Ă©tait depuis plusieurs jours entre la vie et la mort, ne parvenant pas Ă  mettre son enfant au monde. Son entourage avait appris le passage du Saint, lors- qu'il Ă©tait dĂ©jĂ  beaucoup trop loin pour courir aprĂšs lui. On juge la joie de ces pauvres gens lorsque le bruit se rĂ©pandit qu'il allait repasser. Ils allĂšrent Ă  sa ren- contre et furent affreusement déçus en ne trouvant que des frĂšres. Tout Ă  coup une idĂ©e leur vint prenant la bride du cheval sanctifiĂ©e par le con- tact des mains de François, ils la portĂšrent Ă  la mal- heureuse qui, l'ayant placĂ©e sur son corps, accoucha aussitĂŽt sans aucune souffrance ^. Ce miracle, Ă©tabli par des rĂ©cits tout Ă  fait autorisĂ©s, montre assez Ă  quel degrĂ© d'enthousiasme on en Ă©tait venu parmi le peuple pour la personne de François. Pour lui, aprĂšs quelques jours passĂ©s Ă  Monte-Gasale, il partit avec frĂšre LĂ©on pour Gitta di Gastello. Il y guĂ©rit une femme atteinte de troubles nerveux effrayants, et resta tout un mois Ă  prĂȘcher dans cette ville et dans les environs. Lorsqu'il se remit en route, l'hiver Ă©tait presqu'arrivĂ©. Un paysan lui prĂȘta son Ăąne, mais les chemins furent si peu praticables que le soir il fut impossible d'arriver Ă  un gĂźte quelconque. Les pauvres voyageurs durent passer la nuit sous un rocher ; l'abri Ă©tait plus que rudimentaire. la neige s'y engouffrait, poussĂ©e par le vent et glaçait le malheureux paysan qui profĂ©rait d'abominables jurons et maudissait François; mais celui-ci parla avec tant de gaietĂ©, qu'il finit par lui faire oublier le froid et sa mauvaise humeur 2. 1. 1 Cel. 70. Fior. IV consid. 2. Bon. 198 et 199. Fior. IV consid. LE CANTIQUE DU SOLEIL 345 Le lendemain, le Saint arriva Ă  la Portioncule. Il semble n'y avoir fait qu'une courte apparition et ĂȘtre reparti Ă  peu prĂšs aussitĂŽt pour aller Ă©vangĂ©liser le sud de rOmbrie. On ne peut songer Ă  le suivre dans cette mission. FrĂšre Élie l'accompagnait, ne lui cachant plus les inquiĂ©- tudes qu'il avait pour sa vie, tant il le voyait extĂ©nuĂ© ^. Depuis le retour de Syrie aoĂ»t 1220 il n'avait cessĂ© de s'affaiblir, mais son ardeur redoublait de jour en jour. Rien ne l'arrĂȘtait, ni ses souffrances, ni les solli- citations des frĂšres ; montĂ© sur un Ăąne il parcourait parfois trois ou quatre villages en une journĂ©e. Un labeur si excessif amena une infirmitĂ© plus pĂ©nible encore que les prĂ©cĂ©dentes, il fut menacĂ© de perdre la vue 2. Sur ces entrefaites, une sĂ©dition avait contraint Hono- rius III Ă  quitter Rome fin avril 1225. AprĂšs quelques semaines passĂ©es Ă  Tivoli, il vint se fixer Ă  Rieti, oĂč son sĂ©jour devait se prolonger jusqu'Ă  la fin de 1226^. L'arrivĂ©e du pape avait amenĂ© dans cette ville, avec la cour pontificale tout entiĂšre, plusieurs mĂ©decins renommĂ©s ; aussi le cardinal Hugolin qui avait suivi le pontife, apprenant la maladie de François, l'appela-t-il Ă  Rieti pour l'y faire soigner. Mais malgrĂ© les instances de frĂšre Élie, celui-ci hĂ©sitait beaucoup Ă  se rendre Ă  cette invitation^. 11 lui semblait qu'Un malade n'a qu'une chose Ă  faire s'en remettre purement et simplement 1. 1 Gel. 109; 69; Bon. 208. Peut-ĂȘtre faut-il rattacher Ă  cette tournĂ©e le passage Ă  Celano 2 Gel. 3,30. Spec. 22; Bon. 156 et 157. 2. 1 Gel. 97 et 98; 2 Gel. 3, 137; Bon. 205 et 206. 3. Richard de S. Germano ann. 1225. Cf. Potthast 7400 ss. 4. 1 Gel. 98 et 99; 2 Gel. 3, 137 ; Fior. 19. 346 VIE DE s. FRANÇOIS entre les mains du PĂšre cĂ©leste. Qu'est-ce que la souf- france pour une Ăąme qui est fixĂ©e en Dieu ^ ? Elie finit cependant par le convaincre, et le dĂ©part fut dĂ©cidĂ©; mais auparavant François voulait aller prendre congĂ© de sainte Glaire et se reposer un peu auprĂšs d'elle. Il s'arrĂȘta Ă  Saint-Damien bien plus longtemps qu'il ne l'avait projetĂ©^ fin juillet — commencement de sep- tembre 1225. Son arrivĂ©e dans le cher monastĂšre avait Ă©tĂ© marquĂ©e par une recrudescence terrible de ses maux. Pendant quinze jours, sa cĂ©citĂ© fut si complĂšte qu'il ne distinguait mĂȘme pas la lumiĂšre. Les soins qu'on lui donnait n'amenaient aucun rĂ©sultat, depuis qu'il passait chaque jour de longues heures Ă  pleurer. Larmes de pĂ©nitence, disait-il, mais aussi de regret^. Ah! qu'elles Ă©taient diffĂ©rentes de ces larmes des instants d'inspira- tion et d'Ă©motion qui coulaient sur son visage tout illu- minĂ© de joie. On l'avait vu, dans ces moments, ramasser deux morceaux de bois, et s'accompagnant sur ce violon rustique^ improviser en français des cantiques, oĂč il dĂ©versait le trop plein de son cƓur^. Mais ce rayonnement de gĂ©nie et d'espĂ©rance avait disparu. Rachel pleure ses enfants et ne veut pas ĂȘtre consolĂ©e, car ils ne sont plus. Il y a dans les larmes de François ce mĂȘme quia non sunt pour ses fils spirituels. Mais s'il y a des douleurs irrĂ©mĂ©diables, il n'y en a point qui ne puissent Ă  la fois s'exalter et s'adoucir, 1. 2 Gel 3, 110; RĂšgle de 1221 cap. 10. 2. Voir aprĂšs le Cantique du soleil l'indication des sources. 3. 2 Gel. 3, 138. 4. Ce trait a paru si original aux auteurs qu'ils l'ont soulignĂ© d'un ut oculis vidimus 2 Gel. 3, 67 ; Spec. 119 a. LE CANTIQUE DU SOLEIL 347 lorsque nous les endurons tout prĂšs de ceux qui nous aiment. A cet Ă©gard, ses compagnons ne pouvaient lui ĂȘtre d'un grand secours. Les consolations morales ne sont possibles que de pair Ă  Ă©gal, ou lorsque deux cƓurs sont unis par une passion mystique si grande qu'ils se com- prennent et se confondent. Ah! si les frĂšres savaient tout ce que je souffre, disait saint François quelques jours avant l'impression des stigmates, de quelle pitiĂ© et de quelle compassion ils seraient Ă©mus! » Mais eux, en voyant celui qui leur avait fait de la gaietĂ© un devoir devenir de plus en plus triste et se tenir Ă  l'Ă©cart, s'imaginaient qu'il Ă©tait tourmentĂ© par des tentations diaboliques^. Glaire devina l'inexprimable. A Saint-Damien, son ami revoyait tout le passĂ© ; que de souvenirs revĂ©cus d'un seul coup d'Ɠil! Ici, l'olivier auquel, brillant cavalier, il attachait sa monture; lĂ , le banc de pierre, oĂč s'asseyait son ami, le prĂȘtre de la pauvre chapelle; plus loin, la cachette oĂč il s'Ă©tait rĂ©fugiĂ© pour Ă©chapper Ă  la colĂšre paternelle, et surtout le sanctuaire avec le crucifix mys- tĂ©rieux de l'heure dĂ©cisive. En ravivant ces images du lointain radieux, François exaspĂ©rait encore sa douleur; mais tout ne parlait pas seulement de mort et de regret. Glaire Ă©tait lĂ , aussi dĂ©ci- dĂ©e, aussi ardente que jamais. TransfigurĂ©e jadis par l'ad- miration, elle l'Ă©tait maintenant par la compassion. Assise aux pieds de celui qu'elle aimait plus qu'on n'aime sur la terre, elle sentait les meurtrissures de son Ăąme et 1. Spec. 123 a; 2 Gel. 3, 58. 348 VIE DE s. FRANÇOIS l'effondrement de son cƓur. Qu'importe aprĂšs Ɠla que les sanglots de François aient redoublĂ© au point de le rendre aveugle pendant quinze jours! L'apaisement venait, la vierge consolatrice allait lui rendre la sĂ©rĂ©nitĂ©. Tout d'abord, elle le retint, et se mettant elle-mĂȘme Ă  la besogne, lui fit avec des roseaux une grande cellule dans le jardin du monastĂšre, afin qu'il eĂ»t l'entiĂšre libertĂ© de ses mouvements. Comment refuser une hospitalitĂ© si franciscaine? Elle ne le fut que trop; des lĂ©gions de souris et de rats infes- taient ce recoin ; la nuit, ils se promenaient jusque sur le lit de François avec un vacarme infernal, si bien qu*au milieu de ses souffrances, il ne pouvait trouver aucun repos. Mais il oubliait bien vite tout cela auprĂšs de son amie. Une fois de plus elle lui rendait la foi et le cou- rage. Un rayon de soleil, disait-il, suffit Ă  dissiper bien des tĂ©nĂšbres ! Cependant l'homme des anciens jours se rĂ©veillait peu Ă  peu en lui et parfois les sƓurs entendaient, se mĂȘlant au murmure des pins et des oliviers, l'Ă©cho de cantiques inconnus, qui semblaient venir de la cellule de roseaux. Un jour, il s'Ă©tait assis Ă  la table du monastĂšre aprĂšs une longue conversation avec Claire. On avait Ă  peine commencĂ© Ă  manger, lorsque tout Ă  coup il sem- bla ravi en extase. Laudato sia lo Signore ! s'Ă©cria-t-il en revenant Ă  lui. Il venait de composer le Cantique du soleil ^. 1. J'ai combinĂ© le rĂ©cit de Celano et celui des ConformitĂ©s. Les dĂ©tails donnĂ©s par ce second document me paraissent absolument dignes de foi. On voit trĂšs bien pourquoi Celano les a omis, et on ne s'expliquerait pas comment ils auraient Ă©tĂ© inventĂ©s tardivement. 2 Cel. 3, 138; Conform. 42 b 2 ; 119 b 1 ; 184 b 2 ; 239 a 2; Spec. 123 a ss ; Fior. 19. LE CANTIQUE DU SOLEIL 349 Texte^ INCIPIUNT LAUDES CREATURARUM QUAS FECIT BEATUS FRANCISCUS AD LAUDEM ET HONOREM DEI CUM ESSET INFIRMUS AD SANCTUM DAMIANUM. Altissimu, onnipotente, bon signore, tue so le laude la gloria e l'onore et onne benedictione. Ad te solo, altissimo_, se konfano et nullu homo ene dignu te mentovare. Laudato sie^ mi signore, cum tucte le tue crĂ©ature spetialmente messor lo frate sole, lo quale jorna_, et illumini per lui; Et ellu Ăš bellu e radiante cum grande splendore; de te, altissimOj porta signifĂźcatione. Laudato si, mi signore, per sora luna e le stelle^ in celu 1' ai formate clarite et pretiose et belle. Laudato si, mi signore, per frate vento et per aĂšre et nubilo et sereno et onne tempo, per le quale a le tue crĂ©ature dai sustentamento. Laudato si, mi signore, per sor acqua, la quale Ăš multo utile et humele et pretiosa et casta. Laudato si_, mi signore, per frate focu, per lo quale ennallumini la nocte, ed ello Ăš bello et jucundo et robustoso et forte. 1. D'aprĂšs le manuscrit 338 d'Assise f° 33 a. V. p. XXXVIII. Il a Ă©tĂ© dĂ©jĂ  publiĂ© d'aprĂšs ce manuscrit par le P. Panfilo da Magliano Storia compendiosa di San Francesco. Rome 2 vol. in-18, 1874- 1876. Les ConformitĂ©s 202 b 2-203 a 1 en donnent une leçon qui ne s'Ă©carte de celle-ci que par des variantes insignifiantes. Le savant philologue Monaci en a Ă©tabli un texte critique fort remar- quable, dans sa Crestomazia italiana dei primi secoli. Gitta di Castello, fascicule I, 1889 in-8o, p. 29-31. Ce travail tout Ă  fait scrupuleux me dispense d'indiquer plus au long les manuscrits ou les Ă©ditions. 350 VIE DE S. FRANÇOIS Laudato si^ mi signore, per sora noslra matre terra, la quale ne sustenta et governa et produce diversi fructi con coloriti flori et herba. Laudato si, mi signore, per quilli ke perdonano per lo tuo et sostengo infirmitate et tribulatione. [amore beati quilli ke sosterrano in pace, ka da te, altissimo, sirano incoronati. Laudato si, mi signore, per sora nostra morte corporale, da la quale nullu homo vivente po skappare ; guai a quilli ke morrano ne le peccata mortali ; beati quilli ke se trovarĂ  ne le tue sanctissime voluntati, ka la morte secunda nol farrĂ  maie. Laudate et benedicete mi signore et rengratiate et serviteli cum grande humilitate. LK CANTIQUE DU SOLEIL 351 TRADUCTION JUXTALINEAIRE — TrĂšs-haut, tout-puissant, bon Seigneur, VĂŽtres sont les louanges^ la gloire et l'honneur et toute bĂ©nĂ©- A vous seul, TrĂšs-Haut, elles sont dues [diction et aucun homme n'est digne de vous nommer. — Soyez louĂ©, Seigneur, avec toutes vos crĂ©atures spĂ©cialement monseigneur frĂšre soleil qui donne le jour et par lui vous montrez votre lumiĂšre. Il est beau et rayonnant avec grande splendeur, de vous, TrĂšs-Haut, il est le symbole. — Soyez louĂ©. Seigneur, pour sƓur lune et les Ă©toiles, dans le ciel vous les avez formĂ©es claires, prĂ©cieuses et belles. — Soyez louĂ©. Seigneur, pour frĂšre vent et pour l'air et le nuage, pour le ciel pur et pour tout temps par lequel vous donnez Ă  vos crĂ©atures la vie et le soutien. — Soyez louĂ©, Seigneur, pour sƓur eau laquelle est si utile, humble, prĂ©cieuse et chaste — Soyez louĂ©. Seigneur, pour frĂšre feu par lequel vous illuminez la nuit, il est beau et gai , courageux et fort. — Soyez louĂ©. Seigneur, pour sƓur notre mĂšre la terre qui nous soutient et nous nourrit et produit divers fruits avec les fleurs aux mille couleurs et [l'herbe. — Louez et bĂ©nissez le Seigneur et rendez-lui grĂąces et servez-le avec grande humilitĂ© *, 1. V. p. 378 et 381 les deux derniĂšres strophes de ce cantique Cf. Ozanam, PoĂštes franscicains, Paris, 1882, p. 77 et 361. Les Miscellanea t. II 1887, p. 190; t. III 1888, p. 3, reproduisent sept textes de ce document Cf. t. IV 1889, p. 87 ss. 352 VIE DE s. FRANÇOIS La joie de François Ă©tait revenue, aussi grande qu'autrefois. Pendant toute une semaine, il oublia le brĂ©viaire et passa ses journĂ©es Ă  rĂ©pĂ©ter le Cantique du soleil. Durant une nuit d'insomnie, il avait entendu une voix lui dire Si tu avais de la foi, gros comme un grain de moutarde, tu dirais Ă  cette montagne, enlĂšve-toi de lĂ , et elle s'enlĂšverait. » Cette montagne n'Ă©tait-elle pas celle de ses souffrances, la tentation du murmure et du dĂ©sespoir? Qu'il soit fait, Seigneur, selon votre pa- role d, avait-il rĂ©pondu de toute son Ăąme, et aussitĂŽt il s'Ă©tait senti comme dĂ©livrĂ©^. ĂŻl dut s'apercevoir bientĂŽt que la montagne n'avait guĂšre changĂ© de place, mais pendant quelques jours il en avait dĂ©tournĂ© les yeux, il avait pu en oublier l'existence. Un moment, il avait eu l'idĂ©e de mander auprĂšs de lui frĂšre Pacifique, le Roi des Vers, pour remanier le cantique ; il aurait voulu lui adjoindre un certain nombre de frĂšres, qui seraient allĂ©s avec lui prĂȘcher de ville en ville. AprĂšs la prĂ©dication, ils auraient chantĂ© l'hymne du soleil, et auraient terminĂ© en disant Ă  la foule rassemblĂ©e autour d'eux sur les places publiques Nous sommes les jongleurs de Dieu. Nous dĂ©sirons ĂȘtre rĂ©compensĂ©s pour notre sermon et notre chanson. Notre paiement sera que vous persĂ©vĂ©riez dans la pĂ©ni- tence 2. » G Les serviteurs de Dieu, ajoutait-il, ne sont-ils pas en effet comme des jongleurs destinĂ©s Ă  relever les 1. 2. Gel. 3,58; Spec. 123 a. 2. Spec. 124 a. Cf. Miscellanea 1889, IV p. 88. LE CANTIQUE DU SOLEIL 353 cƓurs des hommes et Ă  les porter Ă  la joie spiri- tuelle?» Le François des anciennes ivresses Ă©tait revenu, le laĂŻque, le poĂšte, l'artiste. Le Cantique des crĂ©atures est fort beau il lui manque pourtant une strophe, mais si elle ne fut pas sur les lĂšvres de saint François elle fut certainement dans son cƓur Soyez louĂ©j Seigneur^ pour sƓur Glaire ; vous l'avez faite silencieuse, active et subtile, et par elle votre lumiĂšre brille dans nos coeurs. CHAPITRE XIX La derniĂšre annĂ©e. Septembre 1225 - fin septembre 122G Que pensa Hugolin lorsqu'on lui raconta que Fran- çois voulait envoyer ses frĂšres transformĂ©s en Jocula- tores Domini, chanter partout le Cantique de frĂšre soleil ? Peut-ĂȘtre ne le sut-il jamais. Son protĂ©gĂ© se dĂ©cida enfin Ă  se rendre Ă  son invitation et quitta Saint- Damien dans le courant du mois de septembre. Le paysage qui s'offre aux. yeux du voyageur arri- vant d'Assise, lorsqu'il dĂ©bouche tout Ă  coup dans la plaine de Rieti, est un des plus beaux de l'Europe. A partir de Terni, le chemin suit le cours sinueux du Velino, passe non loin des fameuses cascades dont on aperçoit les nuages d'Ă©cume, puis s'engage dans des dĂ©filĂ©s au fond desquels le torrent roule avec un fracas Ă©pouvantable, tout embarrassĂ© d'une vĂ©gĂ©tation aussi luxuriante que celle d'une forĂȘt vierge. De tous cĂŽtĂ©s surgissent des parois de rochers perpendiculaires, et Ă  leur cime, Ă  quelques centaines de mĂštres au-dessus de votre tĂȘte, des forteresses fĂ©odales, entre autres le chĂą- teau de Miranda, plus vertigineux, plus fantastique que ceux que rĂȘva l'imagination de Gustave DorĂ©. AprĂšs quatre heures de marche, le dĂ©filĂ© s'arrĂȘte, et L\ DERNIÈRE ANNÉE 355 l'on se trouve sans transition dans une grande vallĂ©e toute Ă©tincelante de lumiĂšre. Rieti, la seule citĂ© bĂątie dans cette plaine de quel- ques lieues, Ă©merge lĂ -bas, Ă  l'autre extrĂ©mitĂ©, avec ses tours et ses clochers, dominĂ©e de collines d'un aspect tout mĂ©ridional, derriĂšre lesquelles se dressent les masses de l'Apennin presque toujours couvert de neige. La route va droit sur cette ville, passant entre des lacs minuscules ; Ă  chaque instant s'en dĂ©tachent des chemins conduisant Ă  de petits villages que l'on aperçoit bĂątis Ă  mi-cĂŽte, au-dessus des terrains cultivĂ©s, h la lisiĂšre des forĂȘts voici Stroncone, Greccio, Cantalice, Poggio-Buscone et dix autres bourgs infimes, qui ont donnĂ© Ă  TEglise plus de saints que toute une province de France. Entre les habitants du pays et leurs voisins de TOmbrie proprement dite, la diffĂ©rence est extrĂȘme ils ont tous le type si accusĂ© des paysans de la Sabine et restent encore aujourd'hui tout Ă  fait Ă©trangers aux mƓurs nouvelles. On y naĂźt capucin, comme ailleurs on naĂźt militaire, et le voyageur a besoin de quelque attention, pour ne pas traiter de RĂ©vĂ©rend PĂšre tous les hommes qu'il rencontre. François avait souvent parcouru cette contrĂ©e dans tous les sens. Comme sa voisine, la montueuse Marche d'AncĂŽne, elle Ă©tait particuliĂšrement bien prĂ©parĂ©e pour recevoir l'Ă©vangile nouveau. Dans ces ermitages d'une simplicitĂ© invraisemblable, perchĂ©s de tous cĂŽtĂ©s Ă  proxi- mitĂ© des villages, sans aucun souci de l'agrĂ©ment matĂ©- riel, mais toujours sur les points oĂč la vue s'Ă©tend sur le plus vaste horizon, devait se perpĂ©tuer une race de FrĂšres Mineurs passionnĂ©s, fiers, obstinĂ©s, presque 356 VIE DE s. FRANÇOIS sauvages, qui n'ont pas compris leur maĂźtre tout entier, qui n'ont pas saisi sa bonhomie exquise, son impuis- sance Ă  haĂŻr, ses rĂȘves de rĂ©novation politique et sociale, sa poĂ©sie et sa dĂ©licatesse, mais qui ont compris l'amant de la nature et de la pauvretĂ©^. Ils ont fait plus que de le comprendre, ils ont vĂ©cu de sa vie, et depuis cette fĂȘte de NoĂ«l cĂ©lĂ©brĂ©e dans les bois de Greccio jusqu'Ă  aujourd'hui, ils sont restĂ©s les reprĂ©sentants naĂŻfs et populaires de l'Ă©troite Observance. C'est de lĂ  que nous est venue avec la LĂ©gende des Trois Compagnons, le portrait le plus vivant et le plus vrai du Poverello, et c'est lĂ , dans une cellule de trois pas de long, que Jean de Parme alla achever ses apocalyptiques visions. La nouvelle de l'arrivĂ©e de François s'Ă©tait trĂšs vite rĂ©pandue, et bien avant qu'il atteignĂźt Rieti, la popula- tion sortait Ă  sa rencontre. Pour se dĂ©robar Ă  ce bruyant accueil, il alla deman- der l'hospitalitĂ© au prĂȘtre de Saint-Fabien. Cette petite Ă©glise, connue aujourd'hui sous le nom de Notre-Dame de la ForĂȘt, se trouve un peu Ă  l'Ă©cart de la route, sur un verdoyant mamelon Ă  peu prĂšs Ă  une lieue de la citĂ©. Il y fut bien accueilli et dĂ©sira s'y arrĂȘter un peu, si bien que les jours suivants, prĂ©lats et dĂ©vots com- mencĂšrent Ă  affluer. On Ă©tait au temps des premiers raisins. Il est facile de deviner l'Ă©moi du prĂȘtre en s'apercevant des ravages que les visiteurs faisaient Ă  sa vigne, la source la plus 1. Voici la liste des monastĂšres qui, d'aprĂšs Rodolphe de Tos- signano, acceptĂšrent vers la fin du treiziĂšme siĂšcle les idĂ©es d'An- gelo Clareno Fermo, SpolĂšte, Gamerino, Ascoli, Rieti, Foligno, Nursie, Aquila, Amelia Historiarum seraphicƓ rcligionis libri trĂšs. Venise 1586. 1 vol. in f^, 155 a. LA DERNIERE ANNEE 357 claire de ses revenus, mais il s'exagĂ©rait sans doute les dĂ©gĂąts. François l'entendit un jour exhaler sa mauvaise humeur Mon PĂšre, lui dit-il, il est inutile de vous tourmenter de ce que nous ne pouvons empĂȘcher, mais dites-moi, combien recueillez-vous de vin en moyenne? » — Quatorze mesures, dit le prĂȘtre.» — Eh bien! si vous en avez moins de vingt, je me charge de vous procurer la diffĂ©rence.» Cette promesse rassura le pauvre homme, et lorsque la vendange venue, il recueillit vingt mesures, il n'hĂ©- sita pas Ă  croire Ă  un miracle^. Cependant François, sur les instances d'Hugolin, avait acceptĂ© l'hospitalitĂ© Ă  l'Ă©vĂȘchĂ© de Rieti Thomas de Gelano s'Ă©tend avec complaisance sur les marques de dĂ©votion que ce prince de l'Église lui prodigua. Mal- heureusement tout cela est Ă©crit dans ce style pompeux et confus dont les diplomates et les ecclĂ©siastiques semblent avoir naturellement le secret. François passait de son vivant Ă  l'Ă©tat de relique. Autour de lui s'Ă©talait, dans tout son excĂšs^ la manie des amulettes. On se disputait non seulement ses vĂȘtements, mais jusqu'Ă  ses cheveux et Ă  ses rognures d'ongles 2. Ces dĂ©monstrations purement extĂ©rieures lui rĂ©pu- gnaient-elles? Pensait-il quelquefois au contraste qu'il y avait entre ces honneurs rendus Ă  son corps, qu'il avait pittoresquement surnommĂ© frĂšre Ăąne, et la dĂ©route 1. Spec. 129 b; Fior. 19. Dans quelques-uns des rĂ©cits sur celte pĂ©riode on voit jusqu'Ă  l'Ă©vidence comment certains faits se sont peu Ă  peu transformĂ©s en miracles. Comparer par exemple le mi- racle de Saint-Urb ;in dans Bon. 68, et 1 Gel. 61. Voir aussi 2 Gel. 2, 10; Bon. 158 et 159. 2. 1 Gel. 87 ; 2 Gel. 2, 11; Conform, 148 a 2; Bon. 99. Sur le' sĂ©jour V. 2 Gel. 2, 10; Bon. 158 et 159; 2 Gel. 2, 11; 2, Gel. 3, 36. 31 358 VIE DE s. FRANÇOIS de son idĂ©al? Nous ne savons. S'il a eu des sentiments de ce genre, ceux qui l'entouraient n'Ă©taient pas gens Ă  les comprendre, et il serait naĂŻf d'en attendre l'ex- pression sous leur plume. BientĂŽt aprĂšs, il eut une rechute et demanda Ă  ĂȘtre transportĂ© Ă  Monte-Colombo^, ermitage Ă  une heure de la ville, perdu au milieu des arbres et d'un fouillis de rochers. Il s'y Ă©tait retirĂ© dĂ©jĂ  plusieurs fois, notamment lors- qu'il prĂ©parait la RĂšgle de 1223. Les mĂ©decins, aprĂšs avoir Ă©puisĂ© l'arsenal thĂ©- rapeutique de l'Ă©poque, dĂ©cidĂšrent de recourir aux cautĂ©risations il s'agissait de promener une tige de fer chauffĂ©e Ă  blanc sur son front. Lorsque le pauvre patient vit apporter le rĂ©chaud avec les instruments, il eut un instant de frayeur, mais aussitĂŽt faisant sur le fer incandescent le signe de la croix FrĂšre feu, dit-il, tu es beau entre toutes les crĂ©atures, sois-moi propice en cette heure; tu sais combien je t'ai toujours aimĂ©, sois-moi donc courtois aujourd'hui. » Un instant aprĂšs, lorsque ses compagnons qui n'a- vaient pas eu le courage de rester revinrent 0 gens pusillanimes, leur fit-il en souriant, pourquoi avez- vous fui, je n'ai ressenti aucune douleur. FrĂšre mĂ©decin, si cela est nĂ©cessaire, vous pouvez recommencer. » Cette tentative ne rĂ©ussit pas plus que les autres remĂšdes. On eut beau aviver les plaies du front, en y appliquant des emplĂątres, des collyres, et mĂȘme en y 1. Nom italien actuel du monastĂšre qu'on a appelĂ© aussi Monte- Rainerio et Fonte-Palumho. LA DERNIÈRE ANNEE 359 pratiquant des incisions, le seul rĂ©sultat fut d'accroĂźtre encore les souffrances du malade ^. Un jour, Ă  Rieti oĂč on l'avait de nouveau transportĂ©, il pensa qu'un peu de musique allĂ©gerait ses douleurs. Appelant un frĂšre jadis habile Ă  pincer de la guitare, il le pria d'en emprunter une, mais celui-ci eut peur du scandale que cela pourrait donner et François se rĂ©signa. Le bon Dieu eut pitiĂ© de lui; la nuit suivante, il en- voya un ange invisible lui donner un concert tel qu'on n'en entend pas sur la terre 2. François en perdait, ajoutent les Fioretti, tout sentiment corporel et, Ă  un moment, la mĂ©lodie se fit tellement douce et pĂ©nĂ©trante, que si l'ange eĂ»t donnĂ© un coup d'archet de plus, l'Ăąme du malade aurait quittĂ© son corps ^. Il semble qu'il y eut quelque amĂ©lioration dans son Ă©tat lorsque les mĂ©decins l'abandonnĂšrent on le re- trouve durant les mois de cet hiver J225 — 1226 dans les ermitages les plus Ă©cartĂ©s de la contrĂ©e, car dĂšs qu'il avait un peu de force, il voulait se remettre Ă  prĂȘcher. Il alla passer les fĂȘtes de NoĂ«l Ă  Poggio Buscone^ oĂč on se rendit en foule de tous les environs pour 1. 1 Gel. 101; 2 Gel. 3, 102; Bon. 67; Spec. 134 a. 2. 2 Gel. 3, 66 ; Bon. 69. 3. Fior. II consid. Gf. Roger Bacon Opus tertium {ap. Mon. Germ. hist. Script, t. 28, p. 577. B. Franciscus jussit fratri cythariste ut dulcius personaret, quatenus mens excitaretur ad harmonias cƓlestes quas pluries audivit. Mira enim musicƓ super omnes scientias et spectanda potestas. 4. Village Ă  trois heures de marche au nord de Rieti. La cellule de François y subsiste encore sur la montagne, Ă  trois quarts d'heure de la localitĂ©. 360 VIE DE S. FRANÇOIS le voir et l'entendre Vous accourez ici, dit-il, croyant y trouver un grand saint, que penserez-vous quand vous saurez que j'ai fait gras pendant tout l'Avent^? » A Saint-ÉleuthĂšre^, au moment des plus grands froids qui l'Ă©prouvaient beaucoup, il avait cousu sur sa tu- nique et sur celle de son compagnon des morceaux d'Ă©toffe, de façon Ă  rendre ces vĂȘtements un peu plus chauds. Un jour son compagnon revint avec une peau de renard dont il voulait, Ă  son tour, doubler la tunique de son maĂźtre. François en fut bien joyeux, mais ne permit cet excĂšs de complaisance pour son corps qu'Ă  la condition qu'un morceau de la fourrure serait placĂ© ostensiblement sur la poitrine. Tous ces traits, presque insignifiants au premier abord, montrent combien jusque dans les plus petites choses, il dĂ©testait l'hypocrisie. Nous ne le suivrons pas Ă  son cher Greccio^, ni mĂȘme Ă  l'ermitage de Saint-Urbain, perchĂ© sur une des cimes les plus Ă©levĂ©es de la Sabine^. Les rĂ©cits que nous avons sur la courte apparition qu'il y fit alors, n'apprennent rien de nouveau sur son caractĂšre ou sur l'histoire de 1. 2 Gel. 3, 71. Cf. Spec. 43 a. 2. Chapelle encore debout Ă  quelques minutes de Rieti. 2 Gel. 3, 70; Spec. 15 a; 43 a. 3. 2 Gel. 2, 14; Bon. 167 ; 2 Gel. 3, 10; Bon. 58, Spec. 122 b. 4. Wadding, ann. 1213, n. 14, place avec raison Saint-Urbain dans le comtĂ© de Narni. L'Eremo di S. Urbano se trouve Ă  une demi-heure du village du mĂȘme nom, sur le mont S. Pancrazio, 1026 m. Ă  trois heues au sud de Narni. Le panorama est un des plus beaux de Tltalie centrale. Les Bollandistes se sont laissĂ© induire en erreur par une affirmation intĂ©ressĂ©e, lorsqu'ils placent Saint-Urbain, prĂšs de Jesi p. 623 f. et 024 a. 1 Gel. 61 ; Bon. 68 V. Bulle Cum aliqua du 15 mai 1218 oĂč il est fait mention de- Saint-Urbain. L\ DERNIÈJIE ANNÉE 361 sa vie. Tls montrent seulement que Timagination de son entourage Ă©tait extraordinairement surchauffĂ©e ; les moindres incidents prenaient aussitĂŽt des couleurs miraculeuses^. Les documents ne disent pas comment il se dĂ©cida Ă  partir pour Sienne. Dans cette ville se trouvait, paraĂźt-il, un mĂ©decin trĂšs connu comme oculiste. Le traitement prescrit par lui ne rĂ©ussit pas mieux que les autres ; mais avec le retour du printemps, François avait fait un nouvel effort pour rentrer dans la vie active. On le trouve dĂ©crivant le monastĂšre franciscain idĂ©al 2, et un autre jour, expliquant Ă  un Dominicain un passage de la Bible. Celui-ci, docteur en thĂ©ologie, avait-il voulu ridicu- liser l'ordre rival, en montrant son fondateur incapable d'interprĂ©ter un verset un peu difficile? Gela paraĂźt fort possible Mon bon pĂšre, lui dit-il, comment comprenez-vous cette parole du prophĂšte EzĂ©chiel Si vous ne dĂ©noncez pas au mĂ©chant son impiĂ©tĂ©, je vous redemanderai son Ăąme. » Je connais bien des hommes que je sais ĂȘtre en Ă©tat de pĂ©chĂ© mortel, et cependant je ne suis pas toujours Ă  leur reprocher leurs vices. Suis-je donc responsable de leur Ăąme ? » François s'excusa d'abord, allĂ©guant son ignorance, mais pressĂ© par son interlocuteur, il finit par dire < Oui, le vrai serviteur reprend sans cesse le mĂ©chant, mais il le fait surtout par sa conduite, par la vĂ©ritĂ© qui 1. On peut en dire autant de l'apparition des trois vierges entre Campilia et San-Quirico. 2 Gel. 3, 37 ; Bon, 93. 2. Spec. 12 b; Coiiform 169 a 1. 362 VIE DE s. FRANÇOIS resplendit dans ses paroles, par la lumiĂšre de son exemple, par tout le rayonnement de sa vie^.» Il eut bientĂŽt une rechute tellement grave que les frĂšres crurent sa fin arrivĂ©e. Ils avaient Ă©tĂ© effrayĂ©s surtout par des vomissements de sang qui le mirent dans un Ă©tat de prostration extrĂȘme. FrĂšre Elie accou- rut. A son arrivĂ©e, le malade Ă©prouva une telle amĂ©lio- ration qu'on put acquiescer Ă  son dĂ©sir de le ramener en Ombrie. Vers la mi-avril on se mit en route dans la direction de Gortone, C'Ă©tait la voie la plus facile, et le dĂ©licieux ermitage de cette ville Ă©tait un des mieux appropriĂ©s pour qu'il pĂ»t y avoir quelque repos. Il y resta sans doute assez peu de temps; il avait hĂąte de revoir l'horizon de la terre natale, la Portioncule, Saint- Damien, les Garceri, tous ces sentiers et ces hameaux que l'on aperçoit des terrasses d'Assise, et qui lui rappe- laient tant de doux souvenirs. Au lieu d'y aller par le plus court chemin, on fit un long dĂ©tour par Gubbio et Nocera, pour Ă©viter PĂ©rouse, de peur de quelque tentative des habitants pour s'em- parer du Saint. Une relique telle que le corps de Fran- çois n'Ă©tait pas loin de valoir le saint clou ou la sainte lance 2. On se battait pour moins que cela. Ils firent un petit sĂ©jour prĂšs de Nocera, Ă  l'ermitage de Bagnara, adossĂ© au Monte-Pennino^. Ses compagnons y furent de nouveau trĂšs inquiets. L'enflure qui s'Ă©tait 1. 2 Gel. 3, 46; Bon. 153; Spec. 31 b ; Ézech. 33, 9. 2. Deux ans aprĂšs, le roi de France et toute la cour baisa et vĂ©nĂ©ra l'oreiller dont François malade s'Ă©tait servi 1 Gel. 120. 3. Bagnara se trouve prĂšs des sources du Topino, Ă  une heure environ Ă  l'est de Nocera. Ges deux localitĂ©s dĂ©pendaient alors d'Assise. LX DERNIÈRE ANNÉE 363 manifestĂ©e aux membres infĂ©rieurs gagnait rapidement le haut du corps. Les Assisiates l'apprirent, et voulant parer Ă  toutes les Ă©ventualitĂ©s, envoyĂšrent leurs gens d'armes pour protĂ©ger et hĂąter le retour du Saint. Ils s'arrĂȘtĂšrent en ramenant François au hameau de Balciano^ pour y manger, mais ils priĂšrent inutilement les habitants de leur vendre des provisions. Comme ils faisaient part de leur dĂ©convenue aux frĂšres, François qui connaissait ces bons paysans dit Si vous aviez demandĂ© Ă  manger sans offrir de payer, vous auriez trouvĂ© tout ce que vous auriez voulu. Il avait raison, car ayant suivi son avis, ils reçurent pour rien tout ce qu'ils dĂ©siraient 2. L'arrivĂ©e du cortĂšge Ă  Assise fut saluĂ©e par une joie frĂ©nĂ©tique. Cette fois les compatriotes de François Ă©taient sĂ»rs que leur Saint n'irait pas mourir ailleurs ^. Les mƓurs Ă  cet Ă©gard ont trop changĂ© pour que nous comprenions tout Ă  fait le bonheur de possĂ©der un corps saint. Ayez le malheur de nommer saint AndrĂ© devant un habitant d'Amalfi, aussitĂŽt vous le voyez se mettre Ă  crier Evviva S. AndrĂ©a! Evviva S, AndrĂ©a! puis avec une volubilitĂ© extraordinaire il vous raconte la lĂ©gende du Grande Protettore, ses miracles passĂ©s et prĂ©sents, ceux qu'il pourrait faire, s'il voulait, mais qu'il s'interdit par charitĂ©, parce que saint Janvier de Naples ne pourrait en faire autant. Il s'agite, se dĂ©mĂšne 1. Et non Sarliano; Balciano existe encore, Ă  peu prĂšs Ă  moitiĂ© chemin entre Nocera et Assise. 2. 2 Gel. 3, 23 ; Bon. 98 ; Spec. 17 b ; Conform. 239 a 2 f . 3. 2 Gel. 3, 33 ; 1 Gel. 105 est encore plus explicite La multi- tude espĂ©rait qu'il mourrait bientĂŽt, et lĂ  Ă©tait le sujet de sa joie. » 364 VIE DE s. FRANÇOIS et VOUS secoue, plus enthousiaste de sa relique et plus exaspĂ©rĂ© de votre froideur qu'un soldat de la vieille garde devant un ennemi de l'Empereur. Au XIIP siĂšcle, toute l'Europe en Ă©tait lĂ . On trouvera ici plusieurs traits qu'on pourrait ĂȘtre tentĂ© d'estimer choquants ou mĂȘme ignobles, si on ne faisait effort pour remettre tout cela dans son milieu. François fut installĂ© Ă  l'Ă©vĂȘchĂ© ; il aurait prĂ©fĂ©rĂ© ĂȘtre portĂ© Ă  la Portioncule, mais les frĂšres durent obĂ©ir aux injonctions de la foule, et pour comble de sĂ»retĂ© des gardes furent placĂ©s aux abords du palais. Le sĂ©jour du Saint y fut beaucoup plus long qu'on ne l'avait prĂ©sumĂ©. Peut-ĂȘtre dura-t-il plusieurs mois juillet Ă  septembre. Cet agonisant ne se dĂ©cidait pas Ă  mourir. Il se rebellait contre la mort au centre de l'Ɠuvre, ses prĂ©occupations pour l'avenir de l'Ordre, lointaines quelques jours auparavant, Ă©taient revenues plus angoissantes et plus terribles. Il faut recommencer, pensait-il; crĂ©er une nouvelle famille qui n'oubliera pas l'humilitĂ©, aller servir les lĂ©- preux, et, comme jadis, se mettre toujours non seule- ment en paroles, mais en rĂ©alitĂ©, au-dessous de tous les hommes^. » Sentir s'accomplir l'implacable travail de la destruc- tion, contre lequel les plus soumis ne peuvent s'em- pĂȘcher de protester Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi? pourquoi m'avez-vous abandonnĂ©? » Devoir contempler la dĂ©composition plus redoutable encore de son Ordre. Lui, l'alouette, ĂȘtre guettĂ© par des soldats veillant sur Cel. 103 et 104. L\ DERNIERE ANNEE 365 son cadavre ; il y avait bien lĂ  de quoi le rendre mor- tellement triste. Pendant ces derniĂšres semaines, tous ses soupirs ont Ă©tĂ© notĂ©s. La disparition de la plus grande partie de la LĂ©gende des Trois Compagnons, nous prive certaine- ment de quelques touchants rĂ©cits, mais la plupart des traits nous ont Ă©tĂ© cependant conservĂ©s dans des docu- ments de seconde main. Quatre frĂšres avaient Ă©tĂ© spĂ©cialement chargĂ©s de lui prodiguer leurs soins LĂ©on, Ange, Rufin et Masseo. Nous les connaissons dĂ©jĂ  ils Ă©taient de ces intimes de la premiĂšre heure qui avaient regardĂ© l'Ă©vangile francis- cain, comme un appel Ă  l'amour et Ă  la libertĂ©. Aussi commençaient-ils Ă  se plaindre de tout et de tous^. Un jour, l'un d'eux dit au malade a PĂšre, vous par- tirez, et vous nous laisserez ; indiquez donc, si vous le connaissez, celui auquel on pourrait en toute sĂ©curitĂ© confier le fardeau du gĂ©nĂ©ralat. » HĂ©las ! François ne le connaissait pas le frĂšre idĂ©al capable d'assumer une pareille tĂąche; mais il profita de la question pour esquisser le portrait du ministre gĂ©nĂ©ral accompli^. Nous avons deux Ă©preuves de ce portrait, celle qui a Ă©tĂ© retouchĂ©e par Gelano, et l'Ă©preuve originale, bien plus courte et plus vague, mais qui nous montre Fran- çois ne voulant pour son successeur qu'une seule arme un inaltĂ©rable amour. C'est probablement cette question qui lui suggĂ©ra l'idĂ©e de laisser pour ses successeurs, les gĂ©nĂ©raux de Gel. 102. Spec. 83 b. '2. 2 Gel. 3, 116; Spec. 67 a. Conform. 143 b 1 et 225 b 2; 2 Gel." 3, 117 ; Spec. 130 a. 366 VIE DE s. FRANÇOIS l'Ordre, une lettre qu'ils se transmettraient, et oii ils trouveraient, non des directions pour des cas particu- liers, mais l'inspiration mĂȘme de leur activitĂ©*. Au RĂ©vĂ©rend PĂšre en Christ N.... Ministre GĂ©nĂ©ral de tout l'Ordre des FrĂšres Mineurs. Que Dieu te garde et te maintienne dans son saint amour. La patience en tout et partout, voilĂ , mon frĂšre, ce que je te recommande essentiellement. Si mĂȘme on te fait de l'opposition, si on te frappe, tu dois en ĂȘtre reconnaissant et dĂ©sirer qu'il en soit ainsi et non autrement. En ceci se manifestera ton amour pour Dieu, et pour moi, son serviteur et le tien, s'il n'est pas un seul frĂšre au monde, qui ayant pĂ©chĂ©, autant qu'on peut pĂ©cher, et venant devant toi, puisse s'en retourner sans avoir reçu ton pardon. Et si lui ne l'implore pas, toi, demande-lui s'il ne le veut pas. Et reviendrait-il encore mille fois devant toi, aime-le plus que moi-mĂȘme, afin de l'amener au bien. Aie tou- jours pitiĂ© de ces frĂšres. Ces paroles indiquent assez comment François avait jadis dirigĂ© l'Ordre ce rĂŽle de pure affection, de tendre dĂ©vouement qu'il rĂȘvait pour les ministres gĂ©nĂ©raux, Ă©tait-il possible Ă  la lĂȘte d'une famille Ă©tendant ses ra- meaux sur le monde entier? Il serait tĂ©mĂ©raire de se prononcer, car parmi ses successeurs, les esprits dis- tinguĂ©s et les cƓurs d'Ă©lite n'ont pas manquĂ©; mais, sauf pour Jean de Parme et deux ou trois autres, cet idĂ©al contraste violemment avec la rĂ©alitĂ© saint Bonaventure lui-mĂȘme traĂźnera son maĂźtre et ami, ce mĂȘme Jean de Parme, devant un tribunal ecclĂ©siastique, l'y fera con- 1. Pour le texte V. Conform. 136 b 2 ; 138 b 2; 142 b 1. LA DERNIERE ANNEE 367 damner Ă  la prison perpĂ©tuelle, et il faudra l'intervention d'un cardinal Ă©tranger Ă  l'Ordre pour faire commuer cette peine ^. Les cris de douleur poussĂ©s par François mourant sur la chute de TOrdre seraient moins poignants s'ils ne se compliquaient du reproche de lĂąchetĂ© qu'il s'adres- sait Ă  lui-mĂȘme. Pourquoi avait-il dĂ©sertĂ© son poste, abandonnĂ© la direction de sa famille, sinon par paresse et par Ă©goĂŻsme? Et voilĂ  qu'il Ă©tait trop tard pour rĂ©agir, et dans des heures d'affreuse angoisse il se deman- dait si Dieu ne le rendrait pas responsable de cette dĂ©route. Ah ! si je puis encore aller au chapitre gĂ©nĂ©ral, sou- pirait-il, je leur montrerai quelle est ma volontĂ©. » On le vit mĂȘme, brisĂ© par la fiĂšvre, se dresser tout Ă  coup dans son lit, criant avec une violence dĂ©ses- pĂ©rĂ©e OĂč sont-ils, ceux qui m'ont ravi mes frĂšres? OĂč sont-ils, ceux qui m'ont volĂ© ma famille?» HĂ©las! les vrais coupables Ă©taient bien plus prĂšs qu'il ne le pensait. Les ministres provinciaux, auxquels il semble avoir surtout songĂ© dans ces paroles, n'Ă©taient que des instruments entre les mains de l'habile frĂšre Elie; et celui-ci, que faisait-il autre chose que mettre son intelligence et son savoir-faire au service du cardinal Hugolin? Bien loin de trouver quelques consolations autour de lui, François Ă©tait sans cesse tourmentĂ© par les confi- dences de ses compagnons qui poussĂ©s par un zĂšle maladroit, avivaient sa douleur au lieu de la calmer 2. 1. Tribul. Archiv, t. II p. 285 ss. 2. 2 Gel. 3, 118. 368 VIE DE s. FRANÇOIS Pardonnez-moi, mon PĂšre, lui dit un jour l'un d'entre eux, mais ce que je veux vous dire, beaucoup l'ont dĂ©jĂ  pensĂ© vous savez comment jadis, par la grĂące de Dieu, l'Ordre tout entier marchait dans le sentier de la perfection; pour ce qui regarde la pauvretĂ© et l'amour, comme pour tout le reste, les FrĂšres n'Ă©taient qu'un cƓur et qu'une Ăąme. Mais depuis quelque temps tout cela a bien changĂ© il est vrai qu'on excuse souvent les FrĂšres en disant que l'Ordre s'est trop agrandi pour maintenir les anciennes observances; on va mĂȘme jusqu'Ă  prĂ©tendre que les infidĂ©litĂ©s Ă  la RĂšgle, telles que la construction do grands monastĂšres, sont une source d'Ă©dification pour le peuple, si bien que la simplicitĂ© et la pauvretĂ© primi- tives ne sont tenues pour rien. Evidemment tous ces abus vous dĂ©plaisent; mais alors, on se demande pourquoi vous les tolĂ©rez?» — Que Dieu te pardonne, mon frĂšre, rĂ©pondit Fran- çois. Pourquoi m'accuser ainsi de choses auxquelles je ne peux rien? Tant que j'ai eu la direction de l'Ordre et que les FrĂšres ont persĂ©vĂ©rĂ© dans leur vocation, j'ar- rivais malgrĂ© ma faiblesse Ă  faire le nĂ©cessaire; mais lorsque j'ai vu que, sans souci de mes exhortations ni de mes exemples, ils marchaient dans la voie dont tu as parlĂ©, je les ai confiĂ©s au Seigneur et aux ministres. Il est vrai que lorsque j'ai renoncĂ© Ă  leur direction, allĂ©guant pour motif mon incapacitĂ©, s'ils avaient marchĂ© selon mes dĂ©sirs, je n'aurais pas voulu qu'avant ma mort ils eussent un autre ministre que moi malade, alitĂ© mĂȘme, j'aurais trouvĂ© la force de remplir les devoirs de ma charge. Mais cette charge est toute spirituelle, je ne veux pas devenir un bourreau pour frapper et punir comme les gouverneurs politiques *. » 1. Ces paroles sont empruntĂ©es Ă  un long fragment citĂ© par liber- tin de Casai, comme venant de frĂšre LĂ©on Arbor vit. crue. lib. V. LA DERNIERE ANNEE 369 Les plaintes de François devenaient si vives et si amĂšres que, pour Ă©viter le scandale, on ne laissa pĂ©nĂ©- trer auprĂšs de lui qu'avec la plus grande prudence^. Le dĂ©sordre Ă©tait partout et chaque journĂ©e apportait son contingent de sujets de tristesse. Le trouble jetĂ© dans les idĂ©es sur la pratique de la RĂšgle Ă©tait extrĂȘme ; les influences occultes, qui avaient agi depuis quelques annĂ©es, Ă©taient parvenues Ă  voiler l'idĂ©al franciscain, non seulement pour des frĂšres Ă©loignĂ©s ou nouveaux, mais pour ceux-lĂ  mĂȘme qui avaient vĂ©cu dans l'entou- rage du fondateur 2. C'est dans ces circonstances que François dicta la lettre Ă  tous les membres de l'Ordre, qui, dans sa pen- sĂ©e, Ă©tait destinĂ©e Ă  ĂȘtre lue Ă  l'ouverture des chapitres et Ă  y perpĂ©tuer sa prĂ©sence spirituelle ^. Il y reste parfaitement fidĂšle Ă  lui-mĂȘme ; comme par le passĂ©, il veut entraĂźner les frĂšres, non par des cap. 3. C'est sĂ»rement un morceau de la LĂ©gende des Trois Com- pagnons On le retrouve textuellement dans les Tribulations. Laur. fo 16 b avec quelques phrases en plus Ă  lĂ  fin. Cf. Conform, 136 a 2; 143a2; 50 a; 130b; 2 Cel. 3, 118. 1. Tribul. Laur. 17 b. 2. Voir par exemple la question de frĂšre Richer sur les livres Ubertin, Loc. cit. Cf. Ai^chiv ĂźlĂź p. 75 et -177; Con- form, 71 b 2. Voir aussi Ubertin, Archiv. III p. 75 et 177 ; Tribul. 13 a; Spec. 9 a; Conform. 170 a 1. 11 est curieux de rap- procher le rĂ©cit tel qu'il se trouve dans ces documents de la version qu'en donne 2 Cel. 3, 8. 3. Man. 338 d'Assise f» 28 a - 31 a avec la rubrique De lictera et ammonitione hcatissimi patris nostri Francisci quam misit fra- tribus ad capitulum quando erat infinnus. Cette lettre a Ă©tĂ© sĂ©- parĂ©e Ă  tort en trois par Rodolphe de Tossignano f'' 237, qui a Ă©tĂ© suivi par Wadding Epistolae X, XI, XII. Le texte se trouve, sans cette sotte division, dans le manuscrit citĂ© et dans Firmamentum P 21; Spec. Morin, III, 217 a; Ubertin, Arbor vit. crue. V, 7. 370 VIE DE s. FRANÇOIS reproches, mais eQ fixant leurs regards sur la saintetĂ© parfaite. A tous les vĂ©nĂ©rĂ©s et trĂšs aimĂ©s FrĂšres Mineurs, Ă  frĂšre A****, ministre gĂ©nĂ©ral, son Seigneur, et aux autres ministres gĂ©nĂ©raux qui seront aprĂšs lui, et Ă  tous les ministres, aux custodes et aux prĂȘtres de cette frater- nitĂ©, humbles en Christ, et Ă  tous les frĂšres simples et obĂ©issants, les plus anciens et les plus rĂ©cents, frĂšre François, homme vil et caduc, votre petit serviteur, salut ! Ecoutez, mes Seigneurs, vous qui ĂȘtes mes fils et mes frĂšres, prĂȘtez Foreille Ă  mes paroles. Ouvrez vos cƓurs, et obĂ©issez Ă  la voix du Fils de Dieu. Gardez de tout votre cƓur ses commandements et observez parfaitement ses conseils. Louez-le, car il est bon, et glorifiez-le par vos Ɠuvres. Dieu vous a envoyĂ©s par tout le monde, afin que par la parole et par l'exemple vous rendiez tĂ©moignage de lui, et que vous appreniez Ă  tous qu'il est seul tout-puis- sant. PersĂ©vĂ©rez dans la discipline et dans l'obĂ©issance, et tenez ce que vous lui avez promis avec une bonne et ferme volontĂ©. AprĂšs cette entrĂ©e en matiĂšre, François passe aussitĂŽt Ă  la recommandation essentielle de sa lettre, celle de Tamour et du respect dus au Sacrement de l'autel; 1. Cette initiale donnĂ©e seulement par le iVIan. d'Assise, n'est pas sans exciter l'Ă©tonnement. Il semble qu'il aurait dĂ» y avoir un simple N***. Cette lettre a pu ĂȘtre ainsi remplacĂ©e par un copiste qui aurait employĂ© l'initiale du ministre gĂ©nĂ©ral en charge au moment oĂč il Ă©crivait. Si cette hypothĂšse a quelque valeur, elle aiderait Ă  fixer la date exacte du manuscrit Albert de Pise ministre de 1239— 1240; Aimon de Faversham de 1240—1244. LA DERNIÈRE ANNEE 371 la foi en ce mystĂšre d'amour lui apparaissait en effet comme le salut de l'Ordre. Avait-il tort? Un homme qui croit vĂ©ritablement Ă  la prĂ©sence rĂ©elle de THomme-Dieu entre les doigts du prĂȘtre qui Ă©lĂšve l'hostie, pourrait-il ne pas consacrer sa vie Ă  ce Dieu et Ă  la saintetĂ©? On aura quelque peine Ă  le penser. Il est vrai que des lĂ©gions de dĂ©vots professent la foi la plus absolue en ce dogme, et l'on ne voit pas qu'ils en soient moins mauvais ; mais la foi pour eux est d'ordre intellectuel, c'est l'abdication du raisonnement, et en immolant Ă  Dieu leur intelligence, ils sont fort heureux de lui offrir un instrument qu'ils prĂ©fĂšrent bien ne pas employer. Pour François, la question se prĂ©sentait tout autre- ment la pensĂ©e qu'il pĂ»t y avoir du mĂ©rite Ă  croire ne pouvait mĂȘme pas lui venir Ă  l'esprit le fait de la prĂ©- sence rĂ©elle Ă©tait pour lui d'une Ă©vidence presque concrĂšte. Aussi, sa foi en ce mystĂšre Ă©tait-elle un effort de son cƓur, pour que la vie du Dieu, mystĂ©rieusement prĂ©sent sur l'autel, devĂźnt la sĂšve de toutes ses actions. A la transsubstantiation eucharistique opĂ©rĂ©e par les paroles du prĂȘtre, il en ajoutait une autre, celle de son cƓur. Dieu s'offre Ă  nous comme Ă  ses enfants. C'est pour- quoi, je vous prie, vous tous mes frĂšres, en vous baisant les pieds, et avec tout l'amour dont je suis capable, d'avoir pour le corps et le sang de notre Seigneur JĂ©sus- Christ tout le respect et tout l'honneur que vous pourrez. » Plus loin s'adressant aux prĂȘtres en particulier 372 VIE DE s. FRANÇOIS Ecoutez, mes frĂšres, si la bienheureuse Vierge Marie est honorĂ©e Ă  juste titre pour avoir portĂ© JĂ©sus dans son sein, si Jean-Baptiste a tremblĂ© parce qu'il n'osait pas toucher la tĂȘte du Seigneur, si le sĂ©pulcre dans lequel il a reposĂ© un peu de temps est entourĂ© d'un si grand culte, oh! combien saint, pur et digne doit ĂȘtre le prĂȘtre qui touche de ses mains, qui reçoit dans sa bouche et dans son cƓur^ et qui distribue aux autres JĂ©sus vi- vant, glorifiĂ©, celui dont la vue rĂ©jouit les anges! Com- prenez votre dignitĂ©, frĂšres prĂȘtres, et soyez saints, car il est saint. Oh ! quelle grande misĂšre et quelle affreuse infirmitĂ©, si vous l'aviez lĂ  prĂ©sent devant vous, et que vous ayez souci de quelque autre chose. Que tout homme soit dans le saisissement, que le monde entier tremble, que le ciel tressaille de joie, lorsque, sur l'autel, entre les mains du prĂȘtre, descend le Christ, le Fils du Dieu vivant. 0 profondeur admirable ! ĂŽ Ă©tonnante faveur ! ĂŽ triomphe de l'humilitĂ©! voilĂ  que le maĂźtre de toutes choses. Dieu, et le Fils de Dieu s'humilie pour notre salut, jusqu'Ă  se dissimuler sous l'apparence d'un peu de pain. Eegardez, mes frĂšres, cette humilitĂ© de Dieu et rĂ©pandez vos cƓurs devant lui ; humiliez-vous, vous aussi, afin que vous soyez, vous aussi, relevĂ©s par lui. Ne gardez pour vous rien de vous, afin qu'il vous reçoive tout entiers, celui qui se donne Ă  vous tout entier. » On voit avec quelle vigueur d'amour, le cƓur de François avait saisi l'idĂ©e de la communion. Il termine par de longs conseils donnĂ©s aux frĂšres, et aprĂšs les avoir conjurĂ©s de garder fidĂšlement leurs pro- messes, tout son mysticisme s'exhale et se rĂ©sume en une priĂšre d'une admirable simplicitĂ©. L'A DERNIÈRE ANNÉE 373 Dieu tout-puissant, Ă©ternel, juste et misĂ©ricordieux, donnez-nous, Ă  nous pauvres malheureux, de faire Ă  cause de vous ce que nous savons ĂȘtre votre volontĂ©, et de vouloir toujours ce qui vous plaĂźt ; de sorte qu'intĂ©- rieurement purifiĂ©s, illuminĂ©s et enflammĂ©s par le feu de l'Esprit saint, nous puissions suivre les traces de votre Fils bien aimĂ©, notre Seigneur JĂ©sus-Christ.» Qu'est-ce qui sĂ©pare cette priĂšre de l'efTort fait en dehors de toute religion rĂ©vĂ©lĂ©e par les Ăąmes d'Ă©lite pour dĂ©couvrir le devoir? TrĂšs peu de chose en vĂ©ritĂ© les mots sont diffĂ©rents, l'action est la mĂȘme. Cependant la sollicitude de François s'Ă©tendait bien au delĂ  des linaites de l'Ordre. Sa plus longue Ă©pĂźtre s'adresse Ă  tous les chrĂ©tiens les paroles y ont quelque chose de si vivant, qu'on croit entendre un bruit de voix derriĂšre; et cette voix, d'ordinaire sereine comme celle qui proclama sur la montagne de GalilĂ©e la loi des temps nouveaux, devient ça et lĂ  d'une douceur indicible, comme celle qui retentit dans le cĂ©nacle, au soir de la premiĂšre eucharistie. Comme JĂ©sus oubliant la croix qui se dresse dans l'ombre, François oublie ses souffrances, et envahi d'une divine tristesse, il songe Ă  cette humanitĂ© pour chaque membre de laquelle il voudrait donner sa vie ; il songe Ă  ses fils spirituels, les FrĂšres de la PĂ©nitence, qu'il va laisser sans avoir pu leur faire sentir, comme il l'aurait voulu, l'amour dont il brĂ»le pour eux PĂšre je leur ai donnĂ© les paroles que vous m'aviez donnĂ©es c'est pour eux que je vous prie ! » Tout l'Évangile franciscain est dans ces quelques pages, mais pour comprendre la fascinalion qu'il exerça, 374 VIE DE s. FRANÇOIS il faudrait d'abord passer par l'École du moyen Ăąge, et y entendre les interminables tournois dialecliques par lesquels on fanait les intelligences; il faudrait voir l'Église du XÏIP siĂšcle, rongĂ©e par la simonie et la luxure, et ne parvenant Ă  faire quelques inutiles efforts pour enrayer le mal que sous la pression de l'hĂ©rĂ©sie ou de la rĂ©volte. A tous les chrĂ©tiens, religieux, clercs ou laĂŻques tant hommes que femmes, Ă  tous ceux qui habitent dans le monde entier, frĂšre François, leur serviteur bien soumis, prĂ©sente ses devoirs et souhaite la vraie paix du ciel et un sincĂšre amour dans le Seigneur. Etant le serviteur de tous les hommes, je suis tenu de les servir et de leur dispenser les salutaires paroles dĂ©mon MaĂźtre. C'est pourquoi, voyant que je suis trop faible et trop malade pour vous visiter chacun en parti- culier, j'ai pris la dĂ©cision de vous adresser mon message par cette lettre et de vous offrir les paroles de notre Seigneur JĂ©sus-Christ qui est le Verbe de Dieu, et celles du Saint-Esprit qui sont esprit et vie. Il serait puĂ©ril de s'attendre ici Ă  des idĂ©es nouvelles soit pour le fond, soit pour la forme. Les appels de Fran- çois n'ont de valeur que par le souffle qui les anime. AprĂšs avoir briĂšvement rappelĂ© les grands traits de rÉvangile et recommandĂ© avec insistance la communion, François s'adresse en particulier Ă  quelques catĂ©gories d'auditeurs pour leur donner des conseils spĂ©ciaux. Que les podestats, les gouverneurs, et ceux qui sont constituĂ©s en autoritĂ©, exercent leurs fonctions avec mi- sĂ©ricorde, comme ils voudraient ĂȘtre jugĂ©s par Dieu avec misĂ©ricorde.... LA DERNIÈRE ANNÉE 375 Les religieux en particulier qui ont renoncĂ© au monde sont tenus de faire plus et mieux que les simples chrĂ©- tiens, de renoncer Ă  ce qui ne leur est pas nĂ©cessaire et d'avoir en haine les vices et les pĂ©chĂ©s du corps.... Ils doivent aimer leurs ennemis, faire du bien Ă  ceux qui les haĂŻssent, observer les prĂ©ceptes et les conseils de notre RĂ©dempteur, renoncer Ă  eux-mĂȘmes et dompter leur corps. Et aucun religieux n'est tenu Ă  l'obĂ©issance, si en obĂ©issant il devait commettre une faute ou an pĂ©chĂ© Ne soyons pas sages et savants selon la chair, mais simples, humbles et purs.... Jamais nous ne devons dĂ©- sirer ĂȘtre au-dessus des autres, mais plutĂŽt ĂȘtre au- dessous, et obĂ©ir Ă  tous les hommes. Il termine en montrant la sottise de ceux qui met- tent leur cƓur Ă  la possession des biens terrestres, et conclut par le tableau trĂšs rĂ©aliste de la mort du mĂ©chant Son argent, ses titres, sa science, tout ce qu'il croyait possĂ©der, tout cela lui est enlevĂ© ses proches et ses amis, auxquels il a donnĂ© sa fortune, viendront se la partager et finiront en disant Maudit soit-il, car il aurait pu nous donner davantage et il ne l'a pas fait ; il aurait pu acquĂ©rir une plus grande fortune et il n'en a rien fait.» Les vers dĂ©voreront son corps et les dĂ©mons rongeront son Ăąme, et ainsi il perdra son Ăąme et son corps. Moi, frĂšre François, votre petit serviteur, je vous prie et vous conjure par l'amour qui est Dieu , tout prĂȘt Ă  vous baiser les pieds, de recevoir avec humilitĂ© et amour ces paroles et toutes les autres de notre Seigneur JĂ©sus-Christ et d'y conformer votre conduite. 376 VIE DE s. FRANÇOIS Et que ceux qui les reçoivent dĂ©votement et qui les comprennent, les transmettent Ă * d'autres. Et s'ils per- sĂ©vĂšrent ainsi jusqu'Ă  la fin, qu'ils soient bĂ©nis par le PĂšre, le Fils et le Saint-Esprit, Amen*. Si jamais François a fait une rĂšgle pour le Tiers Ordre, elle a dĂ» ressembler de trĂšs prĂšs Ă  cette Ă©pĂźtre, et en attendant qu'on retrouve ce problĂ©matique docu- ment, la lettre indique ce que furent Ă  l'origine les associations de FrĂšres de la PĂ©nitence. Dans ces longues pages tout vise au dĂ©veloppement de la vie religieuse et mystique dans le cƓur de chaque chrĂ©tien. Mais dĂ©jĂ  au moment oĂč François les dictait, cette hauteur de vue Ă©tait une utopie, et le Tiers Ordre n'Ă©tait guĂšre qu'un bataillon de plus dans les armĂ©es de la papautĂ©. On voit maintenant comment les Ă©pĂźtres qui viennent d'ĂȘtre examinĂ©es procĂšdent en dĂ©finitive d'une seule et mĂȘme inspiration. Qu'il laisse des instructions pour ses successeurs, les ministres gĂ©nĂ©raux, qu'il Ă©crive Ă  tous les membres prĂ©sents et futurs de son Ordre, Ă  tous les chrĂ©tiens, ou mĂȘme au clergĂ© 2, François n*a qu'un but continuer Ă  prĂȘcher mĂȘme aprĂšs sa mort, et peut- 4. Cette Ă©pĂźtre a Ă©tĂ©, elle aussi, maladroitement divisĂ©e en deux lettres distinctes par Rodol]he de Tossignano, Ăź'^ 174 a, qui a Ă©tĂ© suivi par Wadding. Voir man. d'Assise 338, 23 a — 28 a ; Conform. 137 a 1 ss. 2. La lettre au clergĂ© ne fait que rĂ©pĂ©ter les idĂ©es dĂ©jĂ  exprimĂ©es sur le culte du saint sacrement. On se rappelle François balayant les Ă©glises et conjurant les prĂȘtres de les tenir propres ; cette Ă©pĂźtre a le mĂȘme but elle se trouve dans le Man. 338 d'Assise, f" 31 b-32 b, avec la' rubrique De reverentia corporis Domini et de munditia altaris ad omnes clericos. Incipit Attendamus omnes Explicit fecerint exemplari. C'est donc la lettre donnĂ©e par Wad- ding, XIII, mais sans l'adresse, ni la salutation. LA DERNIERE ANNEE 377 ĂȘtre aussi, en mettant par Ă©crit son message de paix et d'amour, empĂȘcher qu'il ne soit complĂštement travesti ou mĂ©connu. RattachĂ©es Ă  ces heures douloureuses qui les virent naĂźtre, elles forment, un ensemble dont la portĂ©e et la signification s'accentuent singuliĂšrement. C'est lĂ , comme dans la RĂšgle de 1221 et dans le Testament, qu'il faut aller chercher l'esprit franciscain. La nĂ©gligence et surtout les tourmentes qui boule- versĂšrent plus tard l'Ordre, expliquent la disparition de quelques autres documents qui viendraient jeter un rayon de poĂ©sie et de joie sur ces tristes journĂ©es ^ François n'oubliait pas son amie de Saint-Damien. Apprenant combien elle Ă©tait inquiĂšte de le savoir si malade, il voulut la rassurer il se faisait encore des illusions sur son Ă©tat, et lui Ă©crivit pour lui promettre d'aller bientĂŽt la voir. Il ajouta Ă  cette assurance quelques conseils affec- tueux, l'invitant, elle et ses compagnes, Ă  ne pas exa- gĂ©rer les macĂ©rations. Pour leur donner l'exemple de la gaietĂ©, il joignit Ă  sa lettre une laude en langue vul- gaire qu'il avait mise lui-mĂȘme en musique 2. De cette chambre du palais Ă©piscopal oĂč il Ă©tait comme emprisonnĂ©, il venait de remporter un nouveau triomphe, et c'Ă©tait lĂ  sans doute ce qui avait inspirĂ© sa joie. L'Ă©vĂȘque d'Assise, l'irritable Guido, toujours en guerre avec quelqu'un, l'Ă©tait cette fois avec le podestat 1. Il ne faut pas dĂ©sespĂ©rer de les retrouver. Les archives des monastĂšres de Clarisses sont d'ordinaire assez rudimentaires, mais conservĂ©es avec un soin pieux. 2. Spec. 117 b; Con/brm. 185 a 1 ; 135 bl. Cf. Test. B. ClartĂ©, A. SS. Aug., t. II, p. 747. 378 VIE DE s. FRANÇOIS de la citĂ© il n'en fallait pas davantage pour jeter un trouble profond dans la vje d'une petite ville. Guido avait excommuniĂ© le podestat, et celui-ci avait fait pro- clamer la dĂ©fense de rien vendre ou rien acheter aux ecclĂ©siastiques ni de faire avec eux aucun contrat. Le diffĂ©rend s'envenimait et personne ne semblait songer Ă  s'entremettre pour tenter un rapprochement. On comprend d'autant mieux la douleur de François en voyant tout cela, que son premier effort avait Ă©tĂ© pour ramener la paix dans sa ville natale, et qu'il considĂ©rait le retour de l'Italie Ă  l'union et Ă  la concorde comme le but essentiel de son apostolat. La guerre dans Assise^ c'Ă©tait l'Ă©croulement dĂ©finitif de son rĂȘve, la voix des Ă©vĂ©nements lui criant brutale- ment Tu as perdu ta vie ! » Cette lie du calice lui fut Ă©pargnĂ©e grĂące Ă  une inspi- ration oĂč Ă©clate de nouveau la fantaisie de son caractĂšre. Au Cantique du soleil il ajouta une nouvelle strophe Soyez louĂ©, Seigneur^ pour ceux qui pardonnent par amour et supportent les peines et les tribulations; [pour vous heureux ceux qui persĂ©vĂ©reront dans la paix, par vous, TrĂšs-Haut, ils seront couronnĂ©s. Puis, appelant un frĂšre, il le chargea de prier le gou- verneur de se rendre sur la place du parvis devant l'Ă©vĂȘchĂ© avec tous les notables qu'on pourrait rĂ©unir. Ce magistrat, auquel la lĂ©gende donne le beau rĂŽle dans toute cette affaire, se conforma aussitĂŽt au dĂ©sir du Saint. Quand il arriva et que TĂ©vĂȘque fut sorti de son palais, deux frĂšres s'avancĂšrent et dirent FrĂšre François a LA DERNIÈRE ANNEE 379 fait Ă  la louange de Dieu un cantique qu'il vous prie tous d'Ă©couter pieusement,» et ils se mirent aussitĂŽt Ă  chanter l'hymne de frĂšre soleil avec sa nouvelle strophe. Le gouverneur les Ă©couta debout dans l'attitude la plus recueillie, pleurant Ă  chaudes larmes, car il aimait beaucoup le bienheureux François. Quand le chant fut fini Sachez en vĂ©ritĂ©, dit-il, que je veux pardonner au Seigneur EvĂȘque, que je veux et dois regarder comme mon Seigneur, car si mĂȘme on eĂ»t assassinĂ© mon frĂšre je serais prĂȘt Ă  pardonner au meur- trier.» AprĂšs ces paroles il se jeta aux pieds de l'Ă©vĂȘque et lui dit Me voici prĂȘt Ă  tout ce que vous voudrez, par amour pour notre Seigneur JĂ©sus-Christ et pour son serviteur François. » Alors l'Ă©vĂȘque lui prenant la main se leva et lui dit Avec ma qualitĂ©, il conviendrait que je sois humble, mais puisque je suis naturellement trop prompt Ă  la co- lĂšre, il faut que tu me pardonnes ^ » Celte rĂ©conciliation inattendue fut aussitĂŽt regardĂ©e comme miraculeuse et augmenta encore le culte des Assisiates pour leur concitoyen. L'Ă©tĂ© touchait Ă  sa fin. AprĂšs quelques jours d'un rĂ©pit relatif, les souffrances de François devenaient plus fortes que jamais incapable de faire un mouvement, il pensa mĂȘme qu'il devait renoncer Ă  son ardent dĂ©sir de revoir encore Saint-Damien et la Portioncule et fit aux frĂšres toutes ses recompiandations pour ce dernier sanctuaire Ne l'abandonnez jamais, leur rĂ©pĂ©tait- L Ce rĂ©cit dans le Spec. 128 b est donnĂ© comme provenant de tĂ©moins oculaires. Cf. Conform. 184 b 1 ; 203 a 1. 380 VIE DE s. FRANÇOIS il, car ce lieu est vraiment sacrĂ©; c'est la maison de Dieu^. » Il lui semblait que si les frĂšres restaient attachĂ©s Ă  ce coin de terre, Ă  cette chapelle de dix pas de long, a ces huttes couvertes de chaume, ils y trouveraient le souvenir vivant de la pauvretĂ© des premiers temps, et ' ne pourraient s'en Ă©carter beaucoup. Un soir, son Ă©tat empira avec une effrayante rapi- ditĂ©; toute la nuit suivante, il eut des vomissements de sang qui ne laissaient aucun espoir les frĂšres accou- rant, il dicta quelques lignes sous forme de testament, puis leur donna sa bĂ©nĂ©diction Adieu, mes enfants, restez tous dans la crainte de Dieu, demeurez toujours unis au Christ; de grandes Ă©preuves vous sont rĂ©servĂ©es, et la tribulation approche. Heureux ceux qui persĂ©vĂ©re- ront comme ils auront commencĂ©; car il y aura des scandales et des scissions parmi vous. Pour moi, je m'en vais vers le Seigneur et vers mon Dieu. Oui j'ai l'assurance que je vais vers Celui que j'ai servi 2. » Les jours suivants, au grand Ă©tonnement de son en- tourage, il y eut de nouveau une amĂ©lioration; personne ne pouvait comprendre la rĂ©sistance qu'opposait Ă  la mort ce corps depuis si longtemps brisĂ© par la souffrance. 1. 1 Cel. 106 Ces recomm ndations sur la Portioncule furent amplifiĂ©es par les Zelanti, lorsque, sous le gĂ©nĂ©ralat de Crescentius Bulle Is qui ecclesiam 6 mars 1245, la basilique d'Assise fut subs- tituĂ©e Ă  Notre-Dame des Anges comme mater et eaput de l'Ordre. V. Spec. 32 b; 69 b-71 a; Conform. 144 a 2; 218 a 1; 3 Soc. 56; 2 Cel. 1, 12 et 13; Bon. 24 et 25; voir Ă  l'appendice l'Ă©tude sur l'Indulgence du 2 aoĂ»t. 2. Gel. 108. Gomme je l'ai dit, voir plus haut p. LIV le reste du rĂ©cit de Gelano semble nĂ©cessiter quelques rĂ©serves. Gf. Spec. 115 b; Conform. 225 a 2; Bon. 211. LA DERNIÈRE ANNÉE 381 Lui-mĂȘme retrouvait quelque espoir. Un mĂ©decin d'Arezzo, qu'il connaissait beaucoup, Ă©tant venu le visiter Bon ami, lui dit-il, combien penses-tu que j'aie encore Ă  vivre? » — Mon pĂšre, rĂ©pondit son interlocuteur pour le ras- surer, tout cela passera, s'il plaĂźt Ă  Dieu.» — Je ne suis pas un coucou ^, rĂ©pliqua François souriant et employant une expression populaire, pour avoir peur de la mort. Par la grĂące de l'Esprit saint, je suis si intimement uni Ă  Dieu que je suis Ă©galement content de vivre ou de mourir. » — En ce cas, mon pĂšre, au point de vue mĂ©dical, ton mal est incurable, et je ne crois pas que tu puisses aller bien plus loin que les premiers jours de l'au- tomne. » A ces mots, le pauvre malade Ă©tendit les mains comme pour appeler Dieu, et s'Ă©cria avec une indi- cible expression de joie ce SƓur Mort, soyez la bien- venue ! » Puis il se mit Ă  chanter et envoya chercher les frĂšres Ange et LĂ©on. A leur arrivĂ©e, ils durent malgrĂ© leur Ă©motion en- tonner le Cantique du soleil. Ils en Ă©taient Ă  la doxologie finale lorsque François les arrĂȘtant improvisa le salut Ă  la mort Soyez louĂ©, Seigneur_, pour notre sƓur la mort corporelle Ă  laquelle aucun homme ne peut Ă©chapper ; malheur Ă  ceux qui meurent en Ă©tat de pĂ©chĂ© mortel, heureux ceux qui se trouveront conformes Ă  vos trĂšs saintes car la seconde mort ne leur fera aucun mal. [volontĂ©s 1. Non sum cuculus^ en italien cuculo. 382 VIE DE s. FRANÇOIS A partir de ce jour, l'Ă©vĂȘchĂ© ne cessa de retentir du bruit de ses chants. A chaque instant, mĂȘme pendant la nuit, il recommençait lui-mĂȘme le Cantique du soleil ou quelqu'autre de ses compositions prĂ©fĂ©rĂ©es. Puis, quand il Ă©tait fatiguĂ©, il priait Ange et LĂ©on de con- tinuer. Un jour , frĂšre Élie crut devoir faire quelques remarques Ă  ce sujet. Il craignait que les gardes et les gens du voisinage n'en vinssent Ă  se scandaliser un saint ne doit-il pas se recueillir devant la mort, l'at- tendre avec crainte et tremblement, au lieu de se laisser aller Ă  une gaietĂ© qu'on pourrait mal inter- prĂ©ter ^. Peut-ĂȘtre l'Ă©vĂȘque Guido n'Ă©tait-il pas tout Ă  fait Ă©tranger Ă  ces reproches ; il ne paraĂźt pas impro- bable que l'encombrement de son palais par les FrĂšres Mineurs durant de longues semaines ait fini par lui donner un peu d'humeur. Mais François ne voulut pas cĂ©der; son union avec Dieu Ă©tait trop douce pour qu'il pĂ»t se rĂ©soudre Ă  ne pas la chanter. On se dĂ©cida enfin Ă  le transporter Ă  la Portioncule. Son dĂ©sir d'expirer prĂšs de l'humble chapelle^ oĂč il avait entendu la voix de Dieu le consacrant apĂŽtre, allait ĂȘtre accompli. Ses compagnons, chargĂ©s de leur prĂ©cieux far- deau, prirent Ă  travers les oliviers le sentier de la plaine. De temps en temps le malade, incapable de rien distinguer, demandait oĂč l'on Ă©tait. Quand 1. Spec. i36 b; Fior. IV consid. Il est Ă  noter que Guido au lieu d'attendre Ă  Assise TĂ©vĂ©nement si prĂ©vu de la mort de François partit pour le mont Gargano, 2 Gel. 3, 142. LA DERNIÈRE ANNÉE 383 ils furent Ă  moitiĂ© chemin, Ă  l'hĂŽpilal des Gru- cigĂšres oĂč jadis il avait soignĂ© les lĂ©preux et d'oii l'on peut embrasser toutes les maisons de la ville d'un seul regard, il pria qu'on l'assĂźt par terre tournĂ© vers la citĂ©, et Ă©levant la main, il dit adieu Ă  la terre natale et la bĂ©nit. CHAPITRE XX Testament et mort de saint François, Fin septembre — 3 octobre 1226. Les derniĂšres journĂ©es de la vie de François sont d'une radieuse beautĂ©. Il alla au-devant de la mort en chantant^, dit Thomas de Gelano pour rĂ©sumer l'im- pression de ceux qui le virent alors. Se retrouver Ă  la Portioncule aprĂšs la longue dĂ©ten- tion de l'Ă©vĂȘchĂ©, ne fut pas seulement une joie vĂ©ritable pour son cƓur le grand air au milieu de la forĂȘt dut lui causer un rĂ©el bien-ĂȘtre physique le Cantique des crĂ©atures ne semble-t-il pas fait exprĂšs pour ĂȘtre chantĂ© au soir de ces journĂ©es d'automne si lumineuses et si douces en Ombrie, oĂč toute la nature se recueille pour murmurer, elle aussi, son hymne d'amour au frĂšre soleil? On devine chez François cette disparition presque absolue de la douleur, ce renouveau de vie, qui devance si souvent l'approche de la catastrophe finale. Il en profita pour dicter son Testament 2. 1. Mortem cantando suscepit. 2 Gel. 3, 139. 2. Le texte pris pour base ici est celui du manuscrit 338 d'Assise fo 16a-18a. On le trouve aussi dans Firmamentum, P 19, col. 4; — SpĂ©culum Morin, tract. III, Sa; — Wadding ann. 1226, 35. — TESTAMENT ET MORT DE S. FRANÇOIS 385 C'est Ă  ces pages qu'il faut aller demander la note juste pour esquisser la vie de son auteur et se faire une idĂ©e de l'Ordre tel qu'il l'avait rĂȘvĂ©. Dans ce monument d'une incontestable authen- ticitĂ©, et qui est la manifestation la plus solennelle de sa pensĂ©e, le Poverello se rĂ©vĂšle tout entier avec une virginale candeur. Son humilitĂ© y est d'une sincĂ©ritĂ© qui s'impose ; elle est absolue, sans que l'on songe Ă  la trouver exagĂ©rĂ©e. Cependant il y parle, dĂšs qu'il s'agit de sa mission, avec une tranquille et sereine assurance. N'est-il pas ambas- sadeur de Dieu ? ne tient-il pas son message du Christ lui-mĂȘme? La genĂšse de sa pensĂ©e s'y montre Ă  la fois toute divine et toute personnelle. La conscience indivi- duelle y proclame sa souveraine autoritĂ© Personne ne me montrait ce que je devais faire, mais le ÏrĂšs-Haut lui-mĂȘme m'a rĂ©vĂ©lĂ© que je devais vivre conformĂ©ment au saint Évangile. » Quand on a parlĂ© ainsi, la soumission Ă  l'Eglise est singuliĂšrement entamĂ©e. On peut l'aimer, l'Ă©couter, la vĂ©nĂ©rer, mais on se sent, peut-ĂȘtre sans oser se l'avouer, supĂ©rieur Ă  elle. Vienne une heure de crise, on se trouvera hĂ©rĂ©tique sans le savoir et sans le vouloir. A. SS., p. 663; Amoni, Legenda Trium Sociorum Appendice» p. 110. — Tout dans ce document rĂ©vĂšle son authenticitĂ©, mais on n'en est pas rĂ©duit aux preuves internes. Il est expressĂ©ment citĂ© dans 1 Gel. 17 avant 1230; par les Trois Compagnons 1246, 3 Soc. 11 ; 26; 29; par 2 Cel. 3, 99 1247. Ces preuves seraient plus que suffisantes, mais il en est une autre dont la valeur est en- core plus grande la bulle Quo elongati du 28 sept. 1230 oĂč GrĂ©- goire IX le cite textuellement et dĂ©clare que les frĂšres ne sont pas tenus de l'observer. 386 VIE DE s. FRANÇOIS Eh, oui! s'Ă©crie Angelo Glareno, saint François a promis d'obĂ©ir au pape et a ses successeurs, mais ils ne peuvent et ne doivent rien ordonner qui soit contraire Ă  l'Ăąme ou Ă  la RĂšgle ^. » Pour lui comme pour tous les Franciscains spirituels, lorsqu'il y a conflit entre ce qu'ordonne la voix intĂ©- rieure de Dieu et ce que veut l'Eglise, il n'y a qu'Ă  obĂ©ira la premiĂšre-. Si vous lui dites que l'Église et l'Ordre sont lĂ  pour dĂ©finir la signification vĂ©ritable de la RĂšgle, il en appelle au bon sens et Ă  cette certitude intĂ©rieure que donne la vue claire de la vĂ©ritĂ©. La RĂšgle, comme aussi l'Évangile qu'elle rĂ©sume est au-dessus de tout pouvoir ecclĂ©siastique^ et per- sonne n'a Ă  dire le dernier mot dans leur interprĂ©- tation^. Le Testament ne tarda pas Ă  avoir une autoritĂ© mo- rale supĂ©rieure Ă  celle de la RĂšgle mĂȘme. Jean de Parme, pour expliquer la prĂ©dilection des Joachi mites pour ce document, faisait remarquer qu'aprĂšs l'impression des stigmates le Saint-Esprit avait Ă©tĂ© en François avec plus de plĂ©nitude encore qu'auparavant *. Les innombrables sectes qui ont troublĂ© l'Église au 1. Promittit Franciscus ohedientiam . . . papƓ . . . et successo- ribus . . . qui non possunt nec debent eis prƓcipere aliquid quod sit contra animam et rĂ©gulant. Archiv, 1, p. 563. 2. Quod si quando a quocumque . . . pontifice aliquid . . . man- daretur quod esset contra fldem. . . et caritatem et fructus ejus tune obediet Deo magis quant hominibus. Id. ibid. p. 561. 3. Est [Begula^ et stat et intelligitur super cos . . . Cuni spei fiducia pace fruemur cum eonscientiƓ et Christi spiritus testi- monio certo. Ibid. p. 503 et 565. 4. Archiv, t. II, p. 274. TESTAMENT ET MORT DE S. FRANÇOIS 387 XIIP siĂšcle sentirent-elles que ces deux Ă©crits, — la RĂšgle et le Testament — faits en apparence pour se suivre et s'appuyer, substantiellement identiques comme on disait, procĂ©daient de deux inspirations opposĂ©es? D'une maniĂšre bien confuse sans doute, mais qu'im- porte, guidĂ©es par un instinct trĂšs sĂ»r, elles voyaient dans ces pages le drapeau de la libertĂ©. Elles ne se trompaient pas. Aujourd'hui-mĂȘme les penseurs, les moralistes, les mystiques qui cherchent Ă  dĂ©couvrir le sens de la vie, peuvent arriver Ă  des solu- tions trĂšs diffĂ©rentes de celle du prophĂšte ombrien, mais la mĂ©thode qu'ils emploient a Ă©tĂ© la sienne, et ils ne sau- raient refuser de saluer en lui un prĂ©curseur du subjec- tivisme religieux. L'Eglise ne s'y est pas trompĂ©e non plus. Elle com- prit tout de suite le souffle qui animait ces pages. Quatre ans aprĂšs, peut-ĂȘtre jour pour jour, le 28 sep- tembre 1230, Hugolin, devenu GrĂ©goire IX, interprĂ©- tait solennellement la RĂšgle, malgrĂ© les prĂ©cautions de François qui avait interdit toute glose ou tout commentaire Ă  la RĂšgle et au Testament, et dĂ©clarait que les FrĂšres n'Ă©taient pas tenus Ă  l'observation du Testament 2. Que dire de cette bulle oĂč le pape allĂšgue ses relations familiĂšres avec le Saint pour justifier son commentaire, 1. Bulle, Quo elongati Potthast 8620. 2. Ad mandatum illud vos dicimus non teneri ; quod sine consensu Fratrum maxime ministrorum, quos universos tange- bat obligare nequivit nec successorem suum quomodolibet obli- gavit\ cum non habeat imperium, par in parem. Le sophisme est Ă  peine spĂ©cieux François n'Ă©tait pas l'Ă©gal de ses succes- seurs , il n'avait pas agi comme ministre gĂ©nĂ©ral mais comme fondateur. 388 VIE DE s. FRANÇOIS et oĂč les passages les plus clairs sont tordus jusqu'Ă  en changer complĂštement le sens On demeure stupide, s'Ă©criera Ubertin de Casai, qu'un texte si clair ait besoin de commentaire, car il suffĂźt d'avoir son bon sens et de savoir la grammaire pour le comprendre. » Et ce moine Ă©trange osa ajouter; Il y a un miracle que Dieu lui-mĂȘme ne saurait faire, celui de faire vraies deux choses contradictoires '^ . » Certes, l'Eglise doit ĂȘtre maĂźtresse chez elle; il n'y aurait eu aucun mal Ă  ce que GrĂ©goire IX créùt un ordre conforme Ă  ses vues et a ses idĂ©es, mais quand on par- court les in-folio de Sbaralea et les milliers de bulles accordĂ©es aux fils spirituels de celui qui avait interdit, de la façon la plus claire et la plus solennelle, de demander aucun privilĂšge en cour de Rome, on ne peut se dĂ©fendre d'une amĂšre tristesse. Ainsi soutenus par la papautĂ©, les frĂšres de la com- mune observance firent durement expier aux zelanti leur attachement aux derniĂšres volontĂ©s de François CĂ©saire de Spire mourut des violences du frĂšre prĂ©posĂ© Ă  sa garde 2; le premier disciple, Bernard de Quinta- valle, traquĂ© comme une bĂȘte fauve, passa deux ans dans les forĂȘts de Monte-Sefro, cachĂ© par un bĂ»cheron^; les autres premiers compagnons qui ne parvinrent pas Ă  s'enfuir, eurent Ă  subir les plus durs traitements. Dans la Marche d'AncĂŽne, foyer des Spirituels, le parti vain- queur sĂ©vit avec une terrible violence. Le Testament fut 1. Arbor vit. crue. lih. V, cap. 3 et 5. Voir ci-dessus p. 211. 2. Tribal. Laur. 25 b; Ârchiv^ 1. 1, p. 532. 3. Au sommet des Apennins, Ă  peu prĂšs Ă  moitiĂ© chemin entre Gamerino et Nocera Umbria. Tribul. Laur. 26 b. Magl. 135 b. TESTAMENT ET MORT DE S. FRANÇOIS 389 confisquĂ© et dĂ©truit, on alla jusqu'Ă  le brĂ»ler sur la tĂȘte d'un frĂšre qui s'obstinait Ă  vouloir l'observer ^. TESTAMENT traduction littĂ©rale. Voici de quelle maniĂšre Dieu m'a donnĂ©, Ă  moi frĂšre François, de commencer Ă  faire pĂ©nitence lorsque je vivais dans le pĂ©chĂ©, il m'Ă©tait trĂšs pĂ©nible de voir des lĂ©preux ; mais Dieu lui-mĂȘme m'amena au milieu d'eux, et j'y restai un peu de temps ^. Quand je les quittai, ce qui m'avait paru amer me devint doux et facile. Peu de temps aprĂšs, je quittai le monde, et Dieu me donna une telle foi en ses Ă©glises que je m'agenouillais avec simplicitĂ©, et je disais Nous vous adorons, Seigneur JĂ©sus-Christ, ici et dans toutes vos Ă©glises qui sont par tout le monde, et nous vous bĂ©nissons de ce que, par votre sainte croix, vous avez rachetĂ© le monde.» En outre, le Seigneur me donna et me donne une si grande foi aux prĂȘtres qui vivent selon la forme de la sainte Eglise romaine, Ă  cause de leur caractĂšre sacer- dotal, que mĂȘme s'ils me persĂ©cutaient je veux avoir recours Ă  eux. Et quand bien mĂȘme j'aurais toute la sagesse de Salomon, lorsque je trouverai de pauvres prĂȘtres sĂ©culiers, je ne veux prĂȘcher dans leurs paroisses qu'avec leur assentiment. Je veux les respecter, eux comme tous les autres, les aimer et les honorer 1. Declaratio Ubertini, Archiv, III, p. 168. Ce fait ne saurait ĂȘtre rĂ©voquĂ© en doute, puisqu'il est allĂ©guĂ© dans une piĂšce adres- sĂ©e au pape, en rĂ©ponse aux frĂšres relĂąchĂ©s, auxquels elle devait ĂȘtre communiquĂ©e. 2. Feci moram cum illis. Man. 333. La plupart des textes im- primĂ©s donnent misericordimn qui prĂ©sente un sens moins satis- faisant. Cf. Miscellanea t. III 1888 p. 70; 1 Gel. 17; 3 Soc. 11. 33 390 VIE DE s. FRANÇOIS comme mes seigneurs. Je ne veux pas considĂ©rer leurs pĂ©chĂ©s, car en eux je vois le Fils de Dieu, et ils sont mes seigneurs. Je fais cela parce que je ne vois rien, je n'aperçois rien ici-bas corporellement du trĂšs haut Fils de Dieu, sinon son trĂšs saint corps et son sang qu'ils reçoivent et que seuls ils distribuent aux autres. Je veux honorer et vĂ©nĂ©rer par -dessus tout ces trĂšs saints mystĂšres, et les garder prĂ©cieusement. Partout oĂč je trouverai les noms sacrĂ©s de JĂ©sus ou ses paroles en des lieux indĂ©cents, je veux les en ĂŽter, et je prie qu'on les en ĂŽte pour les placer en quelque endroit honnĂȘte. Nous devons honorer et vĂ©nĂ©rer tous les thĂ©ologiens et ceux qui prĂȘchent la trĂšs sainte parole de Dieu, comme nous dispensant l'esprit et la vie. Quand le Seigneur m'eut donnĂ© des frĂšres, personne ne me montrait ce que je devais faire, mais le TrĂšs- Haut lui-mĂȘme me rĂ©vĂ©la que je devais vivre selon le modĂšle du saint Evangile. Je fis Ă©crire une courte et simple formule, et le seigneur pape me la confirma. Ceux qui se prĂ©sentaient pour embrasser ce genre de vie distribuaient aux pauvres tout ce qu'ils pouvaient avoir. Ils se contentaient d'une tunique rapiĂ©cĂ©e en dedans et en dehors avec la corde et les braies, et nous ne voulions rien avoir de plus. Les clercs disaient l'office comme les autres clercs, et les laĂŻques Pater noster. Nous aimions Ă  demeurer dans les Ă©glises pauvres et abandonnĂ©es, et nous Ă©tions ignorants et soumis Ă  tous. Je travaillais de mes mains et veux continuer, et je veux aussi que tous les autres frĂšres travaillent Ă  quel- que mĂ©tier honorable. Que ceux qui n'en ont point en ap- prennent un, non dans le but de recevoir le prix de leur travail, mais pour le bon exemple et pour fuir l'oisivetĂ©. Et quand on ne nous donne pas le prix du travail, ayons TESTAMENT ET MORT DE S. FllANÇOIS 391 recours Ă  la table du Seigneur, en demandant l'aumĂŽne de porte en porte. Le Seigneur me rĂ©vĂ©la la salutation que nous devions faire Dieu vous donne la paix. » Que les FrĂšres aient grand soin de ne recevoir les Ă©glises, les habitations, et tout ce qu'on construit pour eux, que si tout est comme il convient Ă  la sainte pau- vretĂ© dont nous avons fait vƓu dans la RĂšgle, et qu'ils n'y reçoivent l'hospitalitĂ© que comme des Ă©trangers et des voyageurs. J'interdis absolument, par obĂ©issance, Ă  tous les frĂšres, en quelque endroit qu'ils se trouvent de demander aucune bulle en cour de Rome, soit directement, soit indirectement, sous prĂ©texte d'Ă©glise, de couvent, ou sous prĂ©texte de prĂ©dications, ni mĂȘme pour leur pro- tection personnelle. S'ils ne sont pas reçus quelque part, qu'ils aillent ailleurs pour faire pĂ©nitence avec la bĂ©nĂ©- diction de Dieu. Je veux obĂ©ir au ministre gĂ©nĂ©ral de cette fraternitĂ©, et au gardien qu'il lui plaira de me donner. Je veux me mettre entiĂšrement entre ses mains, n'aller nulle part et ne rien faire contre sa volontĂ©, car il est mon seigneur. Quoique je sois simple et malade, je veux cependant toujours avoir un clerc qui me fasse l'office comme il est dit dans la RĂšgle ; que tous les autres frĂšres soient aussi tenus d'obĂ©ir Ă  leurs gardiens et de faire l'office suivant la RĂšgle. S'il venait Ă  y en avoir qui ne fissent pas l'office selon la RĂšgle et qui voulussent faire tout autre changement, ou bien s'ils n'Ă©taient pas catholiques, que tous les frĂšres, partout oĂč ils se trouvent, soient tenus par obĂ©issance de les prĂ©senter au custode le plus voisin. Que les custodes soient tenus par obĂ©issance de le mettre sous bonne garde, comme un homme qui est dans les liens nuit et jour, de façon Ă  ce qu'il ne puisse 392 VIE DE s. FRANÇOIS Ă©chapper de leurs mains, jusqu'Ă  ce qu'ils le remettent personnellement entre les mains du ministre. Et que le ministre soit tenu par obĂ©issance de l'envoyer par des frĂšres qui le garderont nuit et jour comme un prison- nier, jusqu'Ă  ce qu'ils l'aient remis au seigneur Ă©vĂȘque d'Ostie qui est le seigneur, le protecteur et le correc- teur de toute la FraternitĂ© ^ Et que les frĂšres ne disent pas ceci est une nouvelle RĂšgle; car ceci est un souvenir, un avis, une exhorta- tion, c'est mon testament, que moi petit frĂšre François, je fais pour vous, mes frĂšres bĂ©nis, afin que nous obser- vions plus catholiquement la RĂšgle que nous avons promis au Seigneur de garder. Que le ministre gĂ©nĂ©ral, tous les autres ministres et les custodes soient tenus par obĂ©issance de ne rien ajouter et de ne rien retrancher Ă  ces paroles. Qu'ils aient tou- jours cet Ă©crit avec eux, Ă  cĂŽtĂ© de la RĂšgle, et que dans tous les chapitres qui seront tenus, en lisant la RĂšgle, on lise aussi ces paroles. J'interdis absolument par obĂ©issance Ă  tous les frĂšres, clercs ou laĂŻques, d'introduire des gloses dans la RĂšgle, ou dans ce testament, sous prĂ©texte de l'expliquer. Mais puisque le Seigneur m'a donnĂ© de dire et d'Ă©crire la RĂšgle et ces paroles d'une maniĂšre claire et simple, comprenez-les de mĂȘme, d'une maniĂšre claire et simple, sans commentaire, et mettez-les en pratique jusqu'Ă  la fin. Et que quiconque aura observĂ© ces choses soit comblĂ© au ciel des bĂ©nĂ©dictions du PĂšre cĂ©leste, et sur la terre de celles de son Fils bien-aimĂ© et du Saint-Esprit conso- lateur, avec l'assistance de toutes les vertus cĂ©lestes et de tous les saints. 1. On voit qu'il ne s'agit lĂ  que de l'hĂ©rĂ©sie. Les frĂšres qui en Ă©taient entachĂ©s devaient ĂȘtre livrĂ©s Ă  l'ÉgUse.. TESTAMENT ET MORT DE S. FRANÇOIS 393 Et moi petit frĂšre François, votre serviteur, je vous confirme autant que je puis cette trĂšs sainte bĂ©nĂ©diction. Amen. AprĂšs s'ĂȘtre occupĂ© de ses frĂšres, François songea Ă  ses chĂšres sƓurs de Saint-Damien,etfit pour elles aussi un testament. Il ne nous est pas parvenu, et l'on ne saurait s'en Ă©tonner; les frĂšres Spirituels purent s'enfuir et protester du fond de leurs retraites, mais les sƓurs se trou- vaient complĂštement dĂ©sarmĂ©es conlre les entreprises de la commune Observance ^. Dans les derniĂšres paroles qu'il adressa aux Glarisses, aprĂšs leur avoir rappelĂ© de persĂ©vĂ©rer dans la pauvretĂ© et dans l'union, il leur donnait sa bĂ©nĂ©diction^. Puis il les recommanda aux. FrĂšres, suppliant ceux-ci de ne jamais oublier qu'ils Ă©taient les membres d'une seule et mĂȘme famille religieuse^. Ayant ainsi fait son possible pour tous ceux qu'il allait quitter, il songea un instant Ă  lui-mĂȘme. Il avait fait connaissance Ă  Rome d'une pieuse dame nommĂ©e Jacqueline de Settesoli. Quoique riche, elle Ă©tait simple et bonne, toute dĂ©vouĂ©e aux idĂ©es nou- 1. Urbain IV publia le 18 octobre 1263 Potthast 18680 une RĂšgle pour les Glarisses qui changeait complĂštement le caractĂšre de cet Ordre. Elle avait pour auteur le cardinal-protecteur Jean des Ursins le futur Nicolas III qui par prĂ©caution dĂ©fendit, sous les peines les plus sĂ©vĂšres, aux FrĂšres Mineurs de dissuader les SƓurs de l'accepter. Elle diffĂšre autant de la premiĂšre RĂšgle, dit Ubertin de Casai, que le blanc et le noir, le savoureux et l'insipide! » Arbor vit. crue, lib, V, cap. 6. 2. V. Test, B. ClarƓ; Conform. 185 a 1; Spec. 117. b. 3. 2 Gel. 3. 132. 394 VIE DE s. FRANÇOIS velles ; mĂȘme le cĂŽtĂ© un peu Ă©trange du caractĂšre de François lui plaisait. Il lui avait donnĂ© un agneau qui Ă©tait devenu pour elle un compagnon insĂ©parable ^. Malheureusement tout ce qui la concerne a beaucoup souffert des remaniements postĂ©rieurs de la lĂ©gende. La conduite toute naturelle du Saint avec les femmes a beaucoup embarrassĂ© ses biographes, de lĂ  des com- mentaires lourds et entortillĂ©s, accolĂ©s Ă  des Ă©pisodes d'une dĂ©licieuse simplicitĂ©. Avant de mourir, François dĂ©sira revoir cette amie qu'il nommait en souriant frĂšre Jacqueline. Il lui fit Ă©crire de venir Ă  la Portioncule on devine l'effarouche- ment des narrateurs devant cette peu monastique invi- tation. Mais la bonne dame avait devancĂ© son appel ; au moment oii le messager chargĂ© de la lettre allait partir pour Rome, elle arriva Ă  la Portioncule et y resta jusqu'au dernier soupir du Saint 2. Un instant elle avait eu l'idĂ©e de renvoyer sa suite, le malade Ă©tait si calme et si joyeux qu'elle ne pouvait le croire mourant, 1. Bon. 112. 2. Les Bollandistes nient toute cette histoire qu'ils trouvent en opposition avec les prescriptions mĂȘmes de François. A. 664 ss. Mais il est difficile de voir dans quel but l'auraient inventĂ©e des au- teurs qui se donnent beaucoup de peine pour l'expliquer; Spec. 133 a; 137 a; Fior. IV consid. ; Conform. 240 a. J'ai entiĂšrement empruntĂ© mon rĂ©cit Ă  Bernard de Besse De laudibus f" 113 b. 11 paraĂźt que Jacqueline s'installa pour le reste de sa vie Ă  Assise, pour aller s'Ă©difier auprĂšs des premiers compagnons de François. Spec. 107. b. quelle jolie scĂšne et d'une saveur si franciscaine ! On ignore la date exacte de sa mort. Elle fut ensevelie dans l'Ă©glise infĂ©rieure de la basilique d'Assise, et sur sa tombe fut gravĂ© Hic jacet Jacoba sancta nobilisque romana. V. Fratini, Storia dĂ©lia basilica p. 48. Cf. Jacobilli, Vite dei Santi e Beati delV Vmbria^ Foligno, 3 vol. in 4», 1647 ; t. I. p. 214. TESTAMENT ET MORT DE S. FRANÇOIS 395 mais il l'engagea lui-mĂȘme Ă  garder ses gens auprĂšs d'elle. Cette fois il sentait Ă  n'en pas douter que sa cap- tivitĂ© allait finir. Il Ă©tait prĂȘt, il avait achevĂ© son Ɠuvre. Songea-t-il alors Ă  la journĂ©e oĂč, maudit par son pĂšre, il avait renoncĂ© a tout bien terrestre et criĂ© Ă  Dieu avec une ineffable confiance Notre PĂšre, qui ĂȘtes aux cieux ! » On ne saurait le dire, mais il voulut finir sa vie par un acte symbolique qui rappelle de bien prĂšs la scĂšne de l'Ă©vĂȘchĂ©. Il se fit dĂ©pouiller de ses vĂȘtements et demanda qu'on retendit par terre, car il voulait mourir entre les bras de sa Dame la PauvretĂ©. D'un coup d'Ɠil il embrassa les vingt ans qui s'Ă©taient Ă©coulĂ©s depuis leur union J'ai fait mon devoir, dit-il aux frĂšres, que le Christ maintenant vous enseigne le vĂŽtre ^! » Ceci se passait le jeudi i^"" octobre 2. On le remit sur son lit et, pour se conformer Ă  ses dĂ©sirs, on lui chanta de nouveau le Cantique du soleil. Lui-mĂȘme joignait par instant sa voix Ă  celle de ses frĂšres^ et revenait avec prĂ©dilection au Psaume 4 42. Voce mea ad Dominum clamavi^. De ma voix je crie Ă  l'Éternel, De ma voix j'implore rÉternel. Je rĂ©pands ma plainte devant lui, Je lui raconte ma dĂ©tresse. 1. 2 Gel. 3, 139; Bon. 209, 210; Conform, 171 b 2. 2. 2 Gel. 3, 139. Cum me videritis . , . sicut me nudius tertius nudum vidistis, 3. 1 Gel. 109 ; 2 Gel. 3, 139. 4. 1 Gel. 109; Bon. 212. 396 VIE DE s. FRANÇOIS Quand mon esprit est abattu au dedans de moi, Toi, tu connais mon sentier. Sur la route oĂč je marche, Ils m'ont tendu un piĂšge. Jette les yeux Ă  droite et regarde ! Personne ne me reconnaĂźt, Tout refuge est perdu pour moi Nul ne prend souci de mon Ăąme. Éternel ! c'est Ă  toi que je crie. Je dis Tu es mon refuge, Mon partage sur la terre des vivants^ Sois attentif Ă  mes cris ! Car je suis bien malheureux. DĂ©livre-moi de ceux qui me poursuivent ! Car ils sont plus forts que moi. Tire mon Ăąme de sa prison Afin que je cĂ©lĂšbre ton nom. Les justes viendront m'entourer Quand tu m'auras fait du bien. Les visites de la mort sont toujours solennelles, mais la fin des justes est le plus Ă©mouvant sursum corda que l'on puisse ouĂŻr sur la terre. Les heures s'Ă©coulaient et les frĂšres ne le quittaient pas c HĂ©las, bon pĂšre, lui dit l'un d'eux, incapable de se contenir davantage, vos enfants vont vous perdre et rester privĂ©s de la vraie lu- miĂšre qui les Ă©clairait souvenez- vous des orphelins que vous laissez, et leur pardonnant toutes leurs fautes, donnez-leur Ă  tous, aux prĂ©sents comme aux absents, la joie de votre sainte bĂ©nĂ©diction. » Voici, dit le mourant. Dieu m'appelle. Je pardonne Ă  tous mes frĂšres, prĂ©sents et absents, leurs offenses et leurs fautes, et les en absous selon mon pouvoir. Annonce-le-leur et bĂ©nis-les tous de ma part^. » 1. 1 Gel. d09. Cf. E^ist. EliƓ. TESTAMENT ET MORT DE S. FRANÇOIS 397 Puis croisant les bras, il posa les mains sur ceux qui l'entouraient. Il le fĂźt avec une effusion particuliĂšre pour Bernard de Quintavalle d Je veux, dit-il, et je recommande de tout mon pouvoir, Ă  quiconque sera ministre gĂ©nĂ©ral de l'Ordre de l'aimer et de l'honorer comme moi-mĂȘme ; que les provinciaux et tous les frĂšres en agissent avec lui comme avec moi^.» Il p3nsa non seulement aux frĂšres absents, mais aux frĂšres futurs ; l'amour surabondait tellement en lui qu'il lui arracha une plainte le regret de ne pas voir tous ceux qui entreraient dans l'Ordre jusqu'Ă  la fin des siĂšcles, pour poser sa main sur leur front, et leur faire sentir ces choses que seul peut dire le regard de celui qui aime en Dieu^. Il avait perdu la notion du temps croyant qu'on Ă©tait encore au jeudi, il voulut prendre un dernier repas avec ses disciples. Du pain fut apportĂ©, il le rompit, le leur donna, et dans la pauvre cabane de la Portioncule, fut cĂ©lĂ©brĂ©e, sans autel et sans prĂȘtre, la GĂšne du Seigneur^. Un frĂšre lut l'Ă©vangile du Jeudi saint Ante diem festum PaschƓ Avant la fĂȘte de PĂąques, JĂ©sus sachant que son heure Ă©tait venue de passer de ce monde au PĂšre, 1. Tribul. Laur. 22 b. Rien ne montre mieux la valeur histo- rique de la Ghroniqne des Tribulations, que de comparer le rĂ©cit qu'elle fait de ces instants avec celui que font les documents sui- vants Conform. 48 b 1; 185 a 2; Fior. 6 ; Spec. 86 a. 2. 2 Gel. 3, 139 ; Spec. 116 b; Conform. 224 b 1. 3. 2 Gel. 3, 139. Une simple comparaison entre ce rĂ©cit dans le SpĂ©culum 116 b et dans les ConformitĂ©s 224 b 1, suffit Ă  mon- trer, combien dans certaines de ses parties, le SpĂ©culum, reprĂ©sente un Ă©tat de la lĂ©gende antĂ©rieur Ă  1385. 398 VIE DE s. FUĂąNÇOIS comme il avait aimĂ© les siens qui Ă©taient dans le monde, il les aima aussi jusqu'Ă  la fin. » Le soleil venait de dorer de ses derniers rayons la cime des montagnes, le silence se fit autour du mou- rant. Tout allait ĂȘtre consommĂ©. L'ange de la dĂ©livrance pouvait approcher. Le samedi 3 octobre 1226, Ă  la nuit tombante, sans douleur, sans combat, il rendit le dernier soupir. Les frĂšres contemplaient encore son visage, espĂ©rant y surprendre quelque trace de vie, lorsque d'innombrables alouettes vinrent s'abattre en chantant sur le chaume de sa cellule^, comme pour saluer l'Ăąme qui venait de s'en- voler, et faire au Petit Pauvre la canonisation dont il Ă©tait le plus digne, la seule sans doute qu'il ait jamais souhaitĂ©e. Le lendemain, dĂšs l'aube, les Assisiates descendaient chercher son corps et lui faire de triomphales funĂ©railles. Par une pieuse pensĂ©e, au lieu d'aller tout droit vers la citĂ©, on fit un dĂ©tour pour passer Ă  Saint-Damien, et de cette façon se trouva rĂ©alisĂ©e la promesse faite par François aux sƓurs, quelques semaines auparavant, d'aller les voir encore une fois. Leur douleur fut dĂ©chirante. Ces cƓurs de femmes se rĂ©voltaient contre l'absur- ditĂ© de la mort 2, mais ce jour-lĂ , il n'y eut de larmes 1. Bon. 214. Cette cellule a Ă©tĂ© transformĂ©e en chapelle et se trouve Ă  quelques mĂštres de la petite Ă©glise de la Portioncule. Eglise et chapelle sont aujourd'hui abritĂ©es dans la grande basilique de Notre-Dame des Anges. Voir la figure et le plan A. SS., p. 814 ou mieux encore dans P. Barnabas aus dcm Elsass, Portioncula oder Geschichte U. L. F. v. den Engcln. Rixheim 1884, 1 vol. in-S», p. 311 et 312. 2. 1 Gel. 116 et 117; Bon. 219; Conform. 185 a 1. TESTAMENT ET MOllT DE S. FRxiNGOIS 399 qu'Ă  Saint-Damien. Les frĂšres oubliaient leur tristesse, en voyant les stigmates, et les habitants d'Assise mani- festaient une indescriptible joie d'avoir enfin leur relique. On la dĂ©posa dans l'Ă©glise Saint-Georges ^. Moins de deux ans aprĂšs, le dimanche 26 juillet 1228, GrĂ©goire IX venait Ă  Assise pour prĂ©sider lui-mĂȘme les cĂ©rĂ©monies de la canonisation, et poser le lendemain la premiĂšre pierre de la nouvelle Ă©glise dĂ©diĂ©e au Stig- matisĂ©. BĂątie sous l'inspiration de GrĂ©goire IX et sous la direction de frĂšre Élie, cette merveilleuse basilique est, elle aussi, un des documents de cette histoire, et peut- ĂȘtre ai-je eu tort de le nĂ©gliger. Allez la contempler fiĂšre, riche, puissante, puis des- cendez Ă  la PortioQcuIe, passez Ă  Saint-Damien, courez aux Garceri, et vous comprendrez l'abĂźme qui sĂ©parait l'idĂ©al de François, de celui du pontife qui le cano- nisait. 1. Aujourd'hui dans la clĂŽture du couvent Sainte-Claire. V. Mis- cellanea, I, p. 44-48 une Ă©tude fort intĂ©ressante du prof. Carattoli sur la biĂšre de saint François. Cf. Ib. p. 190. APPENDICE Étude critique sur les stigmates et sur l'indulgence du 2 aoĂ»t. I. Les stigmates. Une dissertation sur la possibilitĂ© des miracles serait ici dĂ©placĂ©e une esquisse historique n'est pas un traitĂ© de philosophie ou de dogmatique. Je dois cependant au lecteur quelques explications pour lui permettre de juger en connaissance de cause ma maniĂšre de voir. Si par miracle on entend soit la suspension ou le ren- versement des lois de la nature, soit l'intervention de la cause premiĂšre dans certains cas particuliers, je ne saurais l'admettre. Dans cette nĂ©gation, les raisons physiques et logiques sont secondaires la vraie raison — qu'on veuille bien ne pas s'Ă©tonner — est toute reli- gieuse le miracle est immoral. L'Ă©galitĂ© de tous devant Dieu est un des postulats de la conscience religieuse, et le miracle, ce bon plaisir de Dieu, ne fait que rabaisser celui-ci au niveau des fantasques tyrans de la terre. Les Ă©glises actuelles, en faisant Ă  peu prĂšs toutes de cette notion du miracle, l'essence mĂȘme de la religion et la base de toute foi positive, se rendent involontaire- ment coupables de l'affaissement de virilitĂ© et de mora- 402 VIE DE S. FRANÇOIS litĂ© dont elles se plaignent si vivement. Si Dieu inter- vient ainsi d'une maniĂšre irrĂ©guliĂšre dans les affaires des hommes, ceux-ci ne peuvent que viser Ă  devenir des courtisans qui attendent tout de la faveur du souverain. La question change d'aspect, si l'on appelle miracle, comme cela a lieu fort souvent, tout ce qui dĂ©passe l'ex- pĂ©rience courante. Beaucoup d'apologĂštes se plaisent Ă  montrer que l'inouĂŻ, l'inexpliquĂ© se rencontrent Ă  chaque instant dans la vie. Ils ont raison, et je suis d'accord avec eux, Ă  condition qu'ils ne remplacent pas Ă  la fin de leur dĂ©monstration cette nouvelle notion du surnaturel par la prĂ©cĂ©dente. C'est ainsi que je suis arrivĂ© Ă  conclure Ă  la rĂ©alitĂ© es stigmates. Ils pourraient ĂȘtre un fait unique, sans ĂȘtre plus miraculeux que tel autre phĂ©nomĂšne, par exemple la puissance de calcul ou la virtuositĂ© musicale d'un enfant prodige. Il y a dans l'ĂȘtre humain des puissances presque indĂ©- finies, des Ă©nergies merveilleuses; elles sommeillent engourdies chez la plupart des hommes; mais s'Ă©veillant chez quelques-uns, elles en font les prophĂštes, les gĂ©nies et les saints qui montrent Ă  l'humanitĂ© sa voie. Nous entrevoyons Ă  peine le domaine de la pathologie mentale, tant il est vaste et encore inexplorĂ© ; les savants de demain feront peut-ĂȘtre, sur les confins de la psycho- logie et de la physiologie, des dĂ©couvertes qui amĂšne- ront le bouleversement complet de nos lois et de nos mƓurs. Il reste Ă  examiner les stigmates au point de vue purement historique. Or, si sur ce terrain les difficultĂ©s petites et grandes ne manquent pas, les tĂ©moignages I APPENDICE — LES STIGMATES 403 m'ont paru Ă  la fois trop nombreux et trop prĂ©cis pour ne pas entraĂźner la conviction. On peut Ă©carter de prime abord le systĂšme de ceux qui ont pensĂ© que frĂšre Elie, par une pieuse supercherie, avait aidĂ© leur apparition. Cette thĂšse pourrait se dĂ©fendre, Ă  la rigueur, si ces plaies eussent Ă©tĂ© comme on les reprĂ©sente aujourd'hui, ou comme chez la plupart des stigmatisĂ©es postĂ©rieures, des blessures bĂ©antes, mais tous les tĂ©moignages sont d'accord pour dĂ©crire, sauf au cĂŽtĂ©, des excroissances charnues, noirĂątres, res- semblant Ă  des tĂȘtes de clous, et sur le dessus des mains Ă  des pointes de clous rabattues Ă  coups de marteau. Il n'y eut de suintement sanguinolent qu'au cĂŽtĂ©. D'autre part, la tromperie d'Elie obligerait Ă  penser qu'il prit pour complices prĂ©cisĂ©ment les chefs du parti qui lui Ă©tait opposĂ©, LĂ©on, Ange et Rufin. Une pareille ma- ladresse serait bien Ă©tonnante chez un homme aussi avisĂ©. Enfin l'adaptation psychologique entre les circons- tances extĂ©rieures et l'Ă©vĂ©nement lui-mĂȘme est si intime que l'invention de ce cadre serait aussi inexplicable que le fait mĂȘme des stigmates. Ce qui dĂ©cĂšle en effet presque toujours les traits inventĂ©s ou dĂ©naturĂ©s, c'est qu'ils ne s'enchĂąssent pas dans la contexture des Ă©vĂ©ne- ments. Ce sont des hors-d'Ɠuvre, des Ă©lĂ©ments pure- ment dĂ©coratifs dont on peut changer la place Ă  volontĂ©. Ici rien de semblable, Thomas de Celano est si vĂ©ri- dique et si exact que tout en voyant dans les stigmates un miracle, il nous donne tous les Ă©lĂ©ments nĂ©cessaires pour les expliquer d'une façon diamĂ©tralement opposĂ©e. 1° RĂŽle prĂ©pondĂ©rant de la passion de JĂ©sus dans la conscience de François dĂšs sa conversion 1 Cel. 115, 2 Cel. 1, G; 3, 29; 49; 52. 2^ Son sĂ©jour Ă  l'Alverne coĂŻncide avec un redouble- ment d'ardeur mystique. 40i V[E DE S. FRANÇOIS 3'' Il y cĂ©lĂšbre un carĂȘme en l'honneur de l'arcliange Saint Michel. 4° La fĂȘte de l'Exaltation arrive, et la vision du sĂ©ra- phin crucifiĂ© fond ainsi en une seule les deux images dont il Ă©tait obsĂ©dĂ©, les anges et le crucifix 1 Cel. 91 — 96, 112—115. Cette convenance parfaite entre les circonstances et le prodige mĂȘme, constitue une preuve morale dont la va- leur ne saurait ĂȘtre exagĂ©rĂ©e. Il est temps de passer en revue les principaux tĂ©moi- gnages. 1'' FrĂšre Èlie 1226. Au lendemain mĂȘme de la mort de François, frĂšre Elie, en sa qualitĂ© de vicaire, adressait Ă  tout l'Ordre des lettres pour annoncer cet Ă©vĂ©nement et prescrire des priĂšres*. AprĂšs avoir Ă©panchĂ© sa douleur et annoncĂ© Ă  tous les frĂšres la bĂ©nĂ©diction dont François mourant l'avait chargĂ© pour eux, il ajoute Je vous annonce une grande joie et un miracle tout nouveau. Jamais le 1. Le texte en a Ă©tĂ© publiĂ© en 1620 par SpƓlberch dans son Speculwn vitƓ B. Franeisci. Anvers, 2 tomes in-12, t. II, p. 103- 106, d'aprĂšs Texomplaire adressĂ© Ă  frĂšre GrĂ©goire, ministre de France, et conservĂ© alors au couvent des RĂ©collets de Valenciennes. Il a Ă©tĂ© reproduit par Wadding Ann. 1226, n. 44 et les Bollan- distes p. 668 et 669. Cette rĂ©apparition si tardive d'un document capital aurait pu donner lieu Ă  des scrupules; ils n'ont plus de raison d'ĂȘtre, depuis la publi- cation de la chronique de Jourdain de Giano qui relate l'envoi de celte lettre Jord. 50. — L'abbĂ© Amoni a publiĂ© aussi ce texte Ă  la suite de sa Legenda trium Sociorum, Rome 1880, p. 105-109, mais suivant sa dĂ©plorable habitude, il nĂ©glige d'indiquer oĂč il l'a puisĂ©. C'est d'autant plus regrettable qu'il donne une variante de premier ordre Nam diu an te mortcm au lieu de Non diu, comme le veut le texte de SpƓlberch. La leçon Nam diu paraĂźt prĂ©fĂ©rable au point de vue philologique. APPENDICE — LES STIGMATES 405 monde n'avait vu un signe pareil, sinon dans le Fils de Dieu, qui est le Christ Dieu. Car longtemps avant sa mort; notre FrĂšre et notre PĂšre apparut crucifiĂ©, ayant en son corps cinq plaies qui sont vraiment les stigmates du Christ, car ses mains et ses pieds portaient comme des clous en dessus et en dessous et formant des sortes de cicatrices; quant au cĂŽtĂ©, il Ă©tait comme percĂ© d'un coup de lance, et souvent il en suintait un peu de sang. » 2° FrĂšre LĂ©on. C'est prĂ©cisĂ©ment l'adversaire d'Élie, qui se trouve ĂȘtre le tĂ©moin naturel non seulement des stigmates, mais des circonstances de leur impression. Ce fait n'est pas sans ajouter une valeur particuliĂšre Ă  ses rĂ©cits. On a vu plus haut Introduction p. LXIV le malheu- reux sort d'une partie de la LĂ©gende des frĂšres LĂ©on, Ange et Rufin. Les chapitres qui la terminent aujourd'hui 68 — 73, et dans lesquels se trouve la narration du mi- racle, n'en ont pas fait partie Ă  l'origine. Ils sont un rĂ©sumĂ© ajoutĂ© postĂ©rieurement pour donner une fin Ă  ce document. Cet appendice n'a donc aucune valeur histo- rique, et on ne peut s'y appuyer, ni comme les auteurs ecclĂ©siastiques pour affirmer le miracle, ni comme M. Hase pour le rĂ©voquer en doute. Par bonheur le tĂ©moignage de frĂšre LĂ©on nous est parvenu malgrĂ© cela. On n'a mĂȘme pas besoin d'aller le chercher dans le SpĂ©culum, les Fioretti, les ConformitĂ©s, oĂč se rencontrent des lambeaux de son Ɠuvre, mais on le trouve aussi dans plusieurs autres documents d'une au- toritĂ© incontestable. L'authenticitĂ© de l'autographe de saint François con- servĂ© Ă  Assise paraĂźt bien Ă©tablie voir Introduction p. XLII; or, il contient la note suivante de la main de 34 406 VIE DE s. FRANÇOIS frĂšre LĂ©on Le B. François, deux ans avant sa mort, fit un carĂȘme Ă  l'Alverne en l'honneur de la B. V. Marie, mĂšre de Dieu et de saint Michel archange de- puis la fĂȘte de l'Assomption de la B. V. M. jusqu'Ă  la fĂȘte de Saint-Michel de septembre, et la main de Dieu fut sur lui par la vision et l'allocution du sĂ©raphin et l'im- pression des stigmates en son corps. Il fit les laudes qui sont de l'autre cĂŽtĂ© etc. » D'un autre cĂŽtĂ© Eccleston 13 nous montre frĂšre LĂ©on se plaignant Ă  frĂšre Pierre de Theukesbury, ministre d'Angleterre, de ce que la lĂ©gende soit trop laconique sur les Ă©vĂ©nements de l'Alverne, et lui racontant la plupart des traits qui forment le noyau de la narration des Fioretti sur les stigmates. Ces souvenirs sont d'autant plus sĂ»rs, qu'ils furent aussitĂŽt consignĂ©s par Ă©crit par le compagnon de Pierre de Theukesbury, frĂšre Garin de Sedenfeld. Enfin Salimbene, dans sa chronique adann. 1244, est amenĂ© en parlant d'Ezzelino da Romano, Ă  l'opposer Ă  François ; il se rappelle tout Ă  coup les stigmates et dit Jamais aucun homme sur la terre, Ă  part lui, n'a eu les cinq plaies du Christ. Son compagnon, frĂšre LĂ©on, qui Ă©tait prĂ©sent lorsqu'on lava son corps avant de l'en- sevelir, m'a racontĂ© qu'il ressemblait exactement Ă  un crucifiĂ© descendu de la croix. » 3° Thomas de Celano avant 1230. Il les dĂ©crit plus longuement que frĂšre Elie 1 Cel. 94 et 95, 112. Les dĂ©tails y sont trop prĂ©cis pour ne pas faire songer Ă  une leçon apprise par cƓur. Nulle part l'auteur ne s'y pose en tĂ©moin oculaire, et il a cependant l'air de dresser un procĂšs-verbal. Ces objections ne sont pas sans valeur, mais la nou- veautĂ© mĂȘme du miracle dut amener les Franciscains APPENDICE — LES STIGMATES 407 Ă  le fixer en une sorte de rĂ©cit canonique et comme stĂ©- rĂ©otypĂ©. 4° Le portrait de François, par Berlinghieri, datĂ© de 1236 1, conservĂ© Ă  Pescia province de Lucques; montre les stigmates tels qu'ils sont dĂ©crits dans les documents qui prĂ©cĂšdent. 5° GrĂ©goire IX en 1237. Bulle du 31 mars Confessor Domini, Potthast 10307. Cf. 10315. Il s'Ă©tait produit un mouvement d'opinion dans certains pays contre les stigmates. Le pape invite tous les fidĂšles Ă  y ajouter foi. Deux autres bulles du mĂȘme jour, adressĂ©es l'une Ă  l'Ă©vĂȘque d'Olmutz, l'autre Ă  des Dominicains, les con- damnent avec vigueur parce qu'ils ont rĂ©voquĂ© en doute les stigmates. Potthast 10308 et 10309. 6° Alexandre IV, dans sa bulle Benigna operatio du 29 octobre 1255 Potthast 16077, raconte qu'Ă©tant jadis prĂ©lat domestique du cardinal Hugolin, il connut fami- liĂšrement saint François, et s'appuie sur ces relations pour sa description des stigmates. On doit Ă  ce pontife plusieurs autres bulles dĂ©clarant excommuniĂ©s tous ceux qui les nieraient. Elles n'ap- portent Ă  la question aucun Ă©lĂ©ment nouveau. 7° Bonaventure 1260 rĂ©pĂšte dans sa lĂ©gende la description de Thomas de Celano Bon. 193. Cf. 1 Cel. 94 et 95, non sans y ajouter des traits nouveaux Bon. 194-200 et 215-218, mais souvent si grossiers et si maladroits qu'ils Ă©veillent invinciblement le doute voir par exemple 201. i. GravĂ© dans Saint François d'Assise. Paris, in-4o, 1885, p. 277. 408 VIE DE s. FRANÇOIS 8*^ Matthieu Paris t 1259. Son tĂ©moignage discordant mĂ©rite Ă  peine d'ĂȘtre citĂ© pour mĂ©moire v. Introduction p. CXXV. Pour lui pardonner la fantaisie de ses longues pages sur saint François, on est obligĂ© de penser qu'il devait ses renseignements Ă  la relation verbale de quel- que pĂšlerin. Il fait apparaĂźtre les stigmates quinze jours avant la mort du Saint, les montre rĂ©pandant sans cesse du sang ^ la blessure du cĂŽtĂ© si ouverte qu'on voyait le cƓur. Le peuple accourt en foule pour jouir du spectacle, des cardinaux arrivent aussi et tous ensemble Ă©cou- tent les bizarres dĂ©clarations de François {Hisfo7'la major. Edition Wats, Londres. 1 vol. in-fol. 1640. p. 339-342. On pourrait beaucoup allonger cette liste en y ajou- tant un passage de Luc, Ă©vĂȘque de Tuy Lucas Tudensis Ă©crit en 1231 1, oĂč l'auteur s'appuie surtout sur la vie de Thomas de Celano et les tĂ©moignages oraux. — Les paroles de frĂšre Boniface tĂ©moin oculaire, au chapitre de GĂȘnes 1254. Eccl. 13. — Enfin et surtout, il faudrait Ă©tudier les strophes se rapportant aux stigmates dans les proses, hymnes, sĂ©quences, composĂ©es en 1228 par le pape et plusieurs cardinaux pour l'office de saint François ; mais un pa- reil travail, pour ĂȘtre fait avec exactitude, nous entraĂź- nerait fort loin, et les autoritĂ©s dĂ©jĂ  citĂ©es suffisent sans doute sans en faire intervenir d'autres ^. 1. Bibliotheca Patrum. Lyon 1677, t. XXV, adv. Albigenses, lib. II, cap. 11. Cf. m, 14 et 15. Reproduit dansles A. SS., p. 652. 2. Voici pour les curieux l'indication de quelques sources Sa- limbene ann. 1250, — Conform. 171 b 2, 235 a 2; Bon. 200; Wad- ding, ann. 1228, no 78; A. SS., p. 800. Le manuscrit 340 du Sacro- Convento contient f» 55 b-56 b quatre de ces hymnes. Cf. Archiv. I, p. 485. APPENDICE — LES STIGMATES 409 Les objections faites contre ces tĂ©moignages se rĂ©- duisent je crois aux suivantes*. a Les funĂ©railles de François eurent lieu avec une prĂ©cipitation surprenante. Mort le samedi soir, on l'en- terre le dimanche matin. h Son corps fut enfermĂ© dans une biĂšre, ce qui est contraire aux habitudes italiennes. c Lors de la translation, le corps arrachĂ© Ă  la foule est si bien cachĂ© dans la basilique que durant des siĂšcles on a ignorĂ© sa place exacte. d La bulle de canonisation ne fait pas mention des stigmates. Ă© Ils n'ont pas Ă©tĂ© admis sans conteste, et parmi les nĂ©gateurs se trouvent des Ă©vĂȘques. Aucun de ces arguments ne me paraĂźt dĂ©cisif ; a Au moyen Ăąge, les funĂ©railles ont lieu presque de suite aprĂšs le dĂ©cĂšs Innocent III mort Ă  PĂ©rouse le 16 juillet 1216 est enterrĂ© le 17 ; Honorius III meurt le 18 mars 1227 et est enterrĂ© le lendemain. h Il est plus difficile qu'on ne croit de savoir les habitudes de l'Ombrie au treiziĂšme siĂšcle pour les funĂ©railles. Quoi qu'il en soit, on Ă©tait bien obligĂ© de mettre le corps de François dans un cercueil. Celui-ci se trouvant dĂ©jĂ  canonisĂ© par le sentiment populaire, son corps Ă©tait dores et dĂ©jĂ  une relique pour laquelle il fallait une chĂąsse ; plus que cela, un coffre- fort tel que nous le reprĂ©sentent les scĂšnes secondaires du tableau de Berlinghieri. Sans ces prĂ©cautions, le corps saint eĂ»t Ă©tĂ© en quelques instants rĂ©duit en lam- 1. Voir en particulier Hase, Franz v. Assisi. Leipzig, 1vol. in-S», 1856. Le savant professeur ne consacre pas moins de soixante pages d'impression compacte Ă  l'Ă©tude des stigmates, p. 142-202. 410 VIE DE S. FRANÇOIS beaux. Que l'on se rappelle cette fureur qui entraĂźna des dĂ©votes Ă  couper les oreilles au cadavre de sainte Elisabeth de Hongrie, et mĂȘme le bout des seins ! [QuƓdam aures illius trimcahant, etiam summitafem ma- millarum ejus quidam praecidehant et pro reliquiis sibi servahant. — Liber de dictis IV ancillaruniy Mencken, t. II, p. 2032]. c La cĂ©rĂ©monie de la translation avait attirĂ© Ă  Assise une foule innombrable. Si frĂšre Elie a fait disparaĂźtre le corps 1, il a pu y ĂȘtre amenĂ© par la crainte de quelque coup de main organisĂ© par les habitants de PĂ©rouse, pour dĂ©rober la prĂ©cieuse relique. Avec les mƓurs d'alors, un pareil vol n'avait rien d'extraordinaire. PrĂ©- cisĂ©ment les gens de PĂ©rouse enlevĂšrent, quelques annĂ©es plus tard, Ă  Bastia, village dĂ©pendant d'Assise, le corps de Conrad d'Offida qui y accomplissait d'in- nombrables miracles. {Conform. 60 b. 1. Cf. Jord. 50. Des Ă©chauffourĂ©es du mĂȘme genre eurent lieu Ă  Padoue, Ă  propos des reliques de saint Antoine. Hilaire, Saint Antoine de Padoue, sa lĂ©gende primitive. Montreuil- sur-Mer. 1 -vol. 8^ 1890. p. 30-40. d La bulle de canonisation, comme le sont au reste la plupart des documents de ce genre, n'a aucune prĂ©tention historique. Dans cette rhĂ©torique verbeuse, on appren- drait plutĂŽt l'histoire des Philistins, de Samson, ou mĂȘme de Jacob, que celle de saint François. La canonisation n'est ici qu'un prĂ©texte saisi par le vieux pontife pour revenir Ă  ses images favorites. Ce silence ne signifie rien, aprĂšs le tĂ©moignage si ex- plicite donnĂ© par d'autres bulles du mĂȘme pontife en 1. Plus j'y rĂ©flĂ©chis, plus je deviens incapable d'attribuer une valeur quelconque Ă  cet argument de la disparition du corps ; car enfin, s'il y avait eu une fraude pieuse d'Élie, il aurait au contraire Ă©talĂ© ce cadavre. APPENDICE — LES STIGMATES 411 1237, et aprĂšs la part faite aux stigmates dans les chants liturgiques composĂ©s par lui pour l'office de saint Fran- çois dĂšs 1228. e Ces attaques de quelques Ă©vĂȘques n'ont rien d'Ă©ton- nant, ce sont des Ă©pisodes de la lutte du clergĂ© sĂ©culier contre les ordres mendiants. Au moment oĂč ces nĂ©gations se sont produites en 1237, le rĂ©cit de Thomas de Celano Ă©tait officiel et rĂ©- pandu partout*, rien de plus facile alors, une dizaine d'annĂ©es aprĂšs les Ă©vĂ©nements, que de prouver la super- cherie, s'il y en avait eu une, par des tĂ©moignages; or l'Ă©vĂȘque d'Olmtitz et les autres s'appuient toujours et uniquement sur des motifs dogmatiques. Quant aux attaques des Dominicains, il est inutile de rappeler la rivalitĂ© des deux ordres ^ ; dĂšs lors n'est-il pas Ă©trange de voir ces protestations se produire en SilĂ©sie !, et jamais dans l'Italie centrale oĂč, entre autres tĂ©moins oculaires, vivait encore frĂšre LĂ©on f 1271 ? Les tĂ©moignages me paraissent ainsi subsister dans leur intĂ©gritĂ©. On les prĂ©fĂ©rerait plus simples, plus courts-, on voudrait qu'ils nous soient arrivĂ©s sans des dĂ©tails qui Ă©veillent tous les soupçons 2, mais il est bien 1. Voir par exemple 2 Gel. 3, 86, ainsi que l'encyclique de Jean de Parme et de Humbert de Romans en 1255. 2. Les suivants entre beaucoup d'autres François se serait fait faire des braies particuliĂšrement montantes, pour cacher la plaie du cĂŽtĂ© Bon. 201. Au moment de l'apparition qui eut lieu durant la nuit, une si grande clartĂ© inonda le pays que les marchands logĂ©s dans les auberges du Gasentin sellĂšrent leurs bĂȘtes et se mirent en route. Fior. III consid. M. Hase, dans son Ă©tude, est constamment sous le poids de la mauvaise impression produite sur lui par la dĂ©plorable argumen- tation de Bonaventure ; il ne voit les autres tĂ©moignages qu'Ă  tra- vers celui-lĂ . Je crois que s'il avait eu devant lui uniquement la premiĂšre vie de Thomas de Celano, il serait arrivĂ© Ă  des conclusions bien diffĂ©rentes. 412 VIE DE S. FllANÇOIS rare qu'un tĂ©moin ne cherche pas Ă  trop prouver ses affirmations, et Ă  les Ă©tayer d'arguments dĂ©testables, mais appropriĂ©s Ă  l'auditoire vulgaire auquel ils s'adressent. II. Le pardon du 2 aoĂ»t, dit indulgence de la Portioncule *. Cette question pourrait ĂȘtre nĂ©gligĂ©e elle n'a, somme toute, aucune attache directe avec l'histoire de saint François. 1. Le document le plus important est le manuscrit 344 des ar- chives du Sacre- Gonvento Ă  Assise. Liber indulgentiƓ S. MariƓ de Angelis sive de Portiuncula, in quo libro ego fr. Franciscus Bartholi de Assisio posui quidquid potui sollicite invenire in legen- dis antiquis et novis h. Francisci et in aliis dictis sociorum ejus de loco eodem et commendatione ipsius loci et quidquid verita- tis et certitudinis potui invenire de sacra indulgentia prefati loci, quomodo scilicet fuit impetrata et data 6. Francisco de miraculis ipsius indulgeniiƓ, quƓ ipsam dĂ©clarant certam et veram. Bartholi vivait dans la premiĂšre moitiĂ© du XIV^ siĂšcle. Son ouvrage est encore inĂ©dit mais le R. P. LĂ©on Patrem M. 0. en prĂ©pare la publication. Le nom de ce savant religieux donne toute garantie pour l'exactitude de ce difficile travail ; en attendant, on trouvera une description dĂ©taillĂ©e et de longs extraits dans les Miscellanea t. II 1887. La storia del perdono, di Francesco de Bartholi par Don MichĂšle Faloci Pulignani p. 149—153. Cf. Archiv, t. I p. 486. Voir aussi dans les Miscellanea t. 1, 1886 p. 15, une notice bibliographique contenant l'Ă©numĂ©ration dĂ©taillĂ©e de cinquante-huit ouvrages Cf. Ihid. p. 48 et 145. La lĂ©gende elle-mĂȘme se trouve dans le SpĂ©culum 69 b-83 a et les ConformitĂ©s 151 b-157 a. Dans ces deux recueils elle se trouve encore pĂ©niblement enchĂąssĂ©e et ne fait pas corps avec le reste de l'Ɠuvre. Dans le dernier, BarthĂ©lĂ©my de Pise a poussĂ© l'exactitude jusqu'Ă  copier bout Ă  bout tous les documents qu'il avait sous les yeux, et comme ceux-ci proviennent d'Ă©poques diffĂ©rentes, il nous donne ainsi plusieurs phases du dĂ©veloppement de la tradition. L'ouvrage le plus complet est celui du P. Grouwel RĂ©collet His- APPENDICE — LE PARDON DU 2 AOUT 413 Cependant elle occupe une trop large place dans ses biographies modernes, pour qu'il ne faille pas en dire quelques mots on raconte que François Ă©tait une nuit en priĂšre Ă  la Portioncule, Ă  la fin de juillet 1216, lorsque JĂ©sus et la Vierge lui apparurent avec un cortĂšge d'anges. Il s'enhardit jusqu'Ă  solliciter un privilĂšge inouĂŻ, celui de l'indulgence plĂ©niĂšre de tous les pĂ©chĂ©s, pour tous les fidĂšles qui, confessĂ©s et contrits, visiteraient la chapelle. JĂ©sus l'accorda, sur la priĂšre de sa mĂšre, Ă  la seule condition que le pape son vicaire la ratifierait. Le lendemain François accompagnĂ© de Masseo partait pour PĂ©rouse et obtenait d'Honorius III l'indulgence demandĂ©e, mais seulement pour la journĂ©e du 2 aoĂ»t. Tel est en quelques lignes le rĂ©sumĂ© de cette lĂ©gende qui est entourĂ©e d'une foule de dĂ©tails merveilleux. La question de la nature et de la valeur des indul- loria critica iS. IndulgentiƓ B. MariƓ Angelorum vulgo de Por- tiuncula . . . contra Libellas aliquos anonymos ac famosos nuper editos. Anvers -1726, 1 vol. in-S» de 5i0 pages. Le BoUandiste Suysken en fait aussi une longue Ă©tude A. SS., p. 879-910, ainsi que le P. Candide Ghalippe RĂ©collet, Vie de saint François d'Assise, 3 vol. in-8°. Paris, 1874 La premiĂšre Ă©dition est de 1720, t. III, p. 190-327. On trouvera dans ces quelques ouvrages ce qui a Ă©tĂ© dit dans tous les autres. Les nombreux Ă©crits dirigĂ©s contre l'Indulgence sont tantĂŽt des amas de grossiĂšretĂ©s, tantĂŽt des traitĂ©s de dogma- tique, je me dispense donc d'en grossir ces pages. Les principaux sont indiquĂ©s par Grouwels et Ghalippe. Parmi les contemporains le R. P. Barnabe d'Alsace Portiuncula odcr Geschichte Unserer lieben Frau von den Engeln Rixheim, un vol. in-S". 1884, reprĂ©sente la tradition de l'Ordre, et M. l'abbĂ© Le Monnier {Histoire de saint François, 2 vol. in-8^, Paris, 1889, l'opinion catholique moyenne des cercles non franciscains. Le meilleur rĂ©sumĂ© est celui du P. Panfilo da Magliano dans sa Storia compendiosa. Il a Ă©tĂ© complĂ©tĂ© et amĂ©liorĂ© dans la traduc- tion allemande Geschichte des h, Franciscus und der Franzis- kaner Ă»bersetzt und bearbeitet von Fr. Quintianus Miiller, t. I, Munich 1883, p. 233-259. 414 VIE DE S. FRANÇOIS gences n'a rien Ă  faire ici. La seule qui se pose est la suivante François a-t-il demandĂ© cette indulgence ? Honorius III l'a-t-il accordĂ©e? MĂȘme en rĂ©duisant le rĂ©cit Ă  ces simples proportions, on est amenĂ© Ă  rĂ©pondre par un non catĂ©gorique. Il serait fastidieux de rappeler mĂȘme briĂšvement les difficultĂ©s, contradictions, impossibilitĂ©s, signalĂ©es maintes fois dĂ©jĂ  mĂȘme par des auteurs orthodoxes dans toute cette histoire ; ils ont conclu malgrĂ© cela par l'affirmative Borna locuta est. Les personnes que cela pourrait intĂ©resser trouveront dans la note ci-dessus des indications bibliographiques dĂ©taillĂ©es sur les monuments principaux de cette discus- sion aujourd'hui assoupie. Je me bornerai Ă  marquer les impossibilitĂ©s contre lesquelles vient se heurter la tra- dition, elles sont Ă  la fois psychologiques et historiques. Les Bollandistes avaient dĂ©jĂ  signalĂ© le silence des premiers biographes de François sur cette question. Aujourd'hui que les documents publiĂ©s sont en bien plus grand nombre, il est encore plus Ă©crasant. Ni la PremiĂšre ni la Seconde Vie par Thomas de Celano, ni l'auteur anonyme de la seconde vie donnĂ©e dans les Acta Sanctorum, ni mĂȘme l'Anonyme de PĂ©rouse, les Trois Compagnons ou saint Bonaventure n'en disent un seul mot. Des travaux beaucoup plus tardifs et qui ne pĂšchent pas par excĂšs de scrupules critiques ne la mentionnent pas non plus Bernard de Besse, Jourdain de Giano, Thomas d'Eccleston, la Chronique des Tribulations, les Fioretti et mĂȘme la LĂ©gende dorĂ©e. Cette conspiration du silence de tous les auteurs du treiziĂšme siĂšcle serait le plus grand miracle de l'histoire, si elle n'Ă©tait absurde. On a dit, pour l'expliquer, qu'on avait Ă©vitĂ© de parler APPENDICE — LE PARDON DU 2 AOUT 415 de cette indulgence pour ne pas faire tort Ă  celle de la croisade, mais alors pourquoi le pape ordonnait-il Ă  sept Ă©vĂȘques de se rendre Ă  la Portioncule pour la proclamer en son nom ? La lĂ©gende elle-mĂȘme se charge de nous expliquer comment François refusa toute bulle ou toute attestation Ă©crite de ce privilĂšge, mais cela admis, encore faudrait-il expliquer comment aucune indication Ă  ce sujet n'a Ă©tĂ© conservĂ©e dans les papiers d'Honorius III. Et les bulles adressĂ©es aux sept Ă©vĂȘques, comment n'ont-elles pas laissĂ© Consultez le journal des derniers avis de dĂ©cĂšs publiĂ©s dans la ville de Reims. Vous avez la possibilitĂ© de rechercher facilement un avis de dĂ©cĂšs plus ancien et d’affiner votre requĂȘte par nom et prĂ©nom du dĂ©funt ; ville ou code postal. Tous les avis de dĂ©cĂšs de Reims recense toutes les annonces nĂ©crologiques diffusĂ©es en France. À ce titre, le site diffuse gratuitement la liste des derniers avis de dĂ©cĂšs et d’obsĂšques partagĂ©e par les agences de pompes funĂšbres et les familles en deuil pour la ville de Reims. Vous recherchez le faire-part de dĂ©cĂšs d’une connaissance, d’un ami ou d’un parent dĂ©cĂ©dĂ© ? Renseignez alors les informations personnelles du dĂ©funt dans la barre de recherche dĂ©diĂ©e ou consultez la liste des personnes dĂ©cĂ©dĂ©es dans la ville de Reims. Pour information c’est aussi une plateforme de services et de partenariats conçus par des professionnels pour l’accompagnement des particuliers. Le site vous permet ainsi d’accĂ©der Ă  tout un catalogue de solutions de qualitĂ©, depuis chacune des annonces de dĂ©cĂšs publiĂ©e dans la ville de Reims. Message de condolĂ©ances, bougie de deuil, livraison de fleurs via un fleuriste du rĂ©seau Interflora, cagnotte obsĂšques
 vous accompagne dans l’hommage aux dĂ©funts. Les faire-part de dĂ©cĂšs et d’obsĂšques de la ville de Reims À l’instar des avis de dĂ©cĂšs diffusĂ©s au niveau national, l’annonce pour une personne dĂ©cĂ©dĂ©e dans la ville de Reims mentionne les informations essentielles Nom et prĂ©nom de la personne dĂ©cĂ©dĂ©e Date et ville du dĂ©cĂšs Un faire-part plus dĂ©taillĂ© peut Ă©galement ĂȘtre mis en ligne ModalitĂ©s liĂ©es Ă  la cĂ©rĂ©monie d’obsĂšques type et lieu de la cĂ©rĂ©monie funĂšbre – obsĂšques civiles ou religieuses ; type et lieu des obsĂšques – inhumation ou crĂ©mation ; demandes spĂ©cifiques du dĂ©funt ou de la famille – ni fleurs, ni couronnes
 Informations sur l’agence de pompes funĂšbres en charge des obsĂšques nom et adresse de l’opĂ©rateur funĂ©raire Premier registre national des avis de dĂ©cĂšs et d’obsĂšques, le site vous facilite toutes les dĂ©marches pour rechercher une annonce de dĂ©cĂšs et pour rendre hommage Ă  un dĂ©funt Acte de dĂ©cĂšs » Acte de dĂ©cĂšs par dĂ©partement » Acte de dĂ©cĂšs de la Marne » Acte de dĂ©cĂšs Ă  Vitry-le-François » en 2006Liste des 178 dĂ©cĂšs survenus sur la commune de Vitry-le-François pour l'annĂ©e cette annĂ©e, l'age moyen de dĂ©cĂšs sur Vitry-le-François est de 77 ans. 35 vitryats sont nĂ©s et morts sur la des dĂ©cĂšs antĂ©rieurs ou ultĂ©rieurs, vous pouvez consulter les acte de dĂ©cĂšs de 2022, 2021, 2020, 2019, 2018, 2017, 2016, 2015, 2014, 2013, 2012, 2011, 2010, 2009, 2008, 2007 et sur la commune de Vitry-le-François en 2006178 dĂ©cĂšs enregistrĂ©s en 2006 sur la commune de en DĂ©cembre 2006- Henriette PELLETIER Henriette Leontine PELLETIER dĂ©cĂ©dĂ©e le 29 dĂ©cembre 2006 Ă  l'age de 78 ans et nĂ©e Ă  Membrey 70 le 7 aoĂ»t 1928. Acte numĂ©ro 221- Bernard LOISELET Bernard Arthur LOISELET dĂ©cĂ©dĂ© le 23 dĂ©cembre 2006 Ă  l'age de 92 ans et nĂ© Ă  Chavanges 10 le 1 novembre 1914. Acte numĂ©ro 219- Gilbert MAILLOT dĂ©cĂ©dĂ© le 21 dĂ©cembre 2006 Ă  l'age de 72 ans et nĂ© sur la mĂȘme commune le 16 novembre 1934. Acte numĂ©ro 217- Yvette PIERRARD Yvette Paulette PIERRARD dĂ©cĂ©dĂ©e le 20 dĂ©cembre 2006 Ă  l'age de 86 ans et nĂ©e Ă  Pringy le 2 mai 1920. Acte numĂ©ro 216- Madeleine LATAIX Madeleine Marie-Louise LATAIX dĂ©cĂ©dĂ©e le 19 dĂ©cembre 2006 Ă  l'age de 87 ans et nĂ©e Ă  Larzicourt le 4 juillet 1919. Acte numĂ©ro 215- Suzanne CARLIER Suzanne AndrĂ©e CARLIER dĂ©cĂ©dĂ©e le 15 dĂ©cembre 2006 Ă  l'age de 86 ans et nĂ©e Ă  Chantecoq le 9 mars 1920. Acte numĂ©ro 214- Michel BALLEIN Michel Louis BALLEIN dĂ©cĂ©dĂ© le 14 dĂ©cembre 2006 Ă  l'age de 57 ans et nĂ© sur la mĂȘme commune le 8 juillet 1949. Acte numĂ©ro 212- Jean BERDY dĂ©cĂ©dĂ© le 14 dĂ©cembre 2006 Ă  l'age de 79 ans et nĂ© Ă  ChĂąlons-en-Champagne le 5 octobre 1927. Acte numĂ©ro 213- Bernard EDEL Bernard Marcel EDEL dĂ©cĂ©dĂ© le 3 dĂ©cembre 2006 Ă  l'age de 63 ans et nĂ© sur la mĂȘme commune le 30 janvier 1943. Acte numĂ©ro 209- Marie DUMPER dĂ©cĂ©dĂ©e le 2 dĂ©cembre 2006 Ă  l'age de 88 ans et nĂ©e Ă  Strasbourg 67 le 4 aoĂ»t 1918. Acte numĂ©ro 210- Serge MULLER Serge RenĂ© Raymond MULLER dĂ©cĂ©dĂ© le 1 dĂ©cembre 2006 Ă  l'age de 68 ans et nĂ© sur la mĂȘme commune le 23 juillet 1938. Acte numĂ©ro 208DĂ©cĂšs en Novembre 2006- Emile LEE Emile AndrĂ© LEE dĂ©cĂ©dĂ© le 28 novembre 2006 Ă  l'age de 76 ans et nĂ© sur la mĂȘme commune le 20 dĂ©cembre 1929. Acte numĂ©ro 207- Seraphine BIAVA Seraphine Marie BIAVA dĂ©cĂ©dĂ©e le 26 novembre 2006 Ă  l'age de 76 ans et nĂ©e Ă  Soulanges le 21 mars 1930. Acte numĂ©ro 206- Palma RIZZUTI dĂ©cĂ©dĂ©e le 25 novembre 2006 Ă  l'age de 79 ans le 10 avril 1927. Acte numĂ©ro 205- GeneviĂšve LE BIHAN GeneviĂšve Simone Marie LE BIHAN dĂ©cĂ©dĂ©e le 24 novembre 2006 Ă  l'age de 78 ans et nĂ©e Ă  Quimper 29 le 28 dĂ©cembre 1927. Acte numĂ©ro 204- Lucienne VAUTHIER Lucienne Georgette VAUTHIER dĂ©cĂ©dĂ©e le 23 novembre 2006 Ă  l'age de 90 ans et nĂ©e Ă  Donnement 10 le 17 janvier 1916. Acte numĂ©ro 203- Marcel VARLET Marcel Henri VARLET dĂ©cĂ©dĂ© le 19 novembre 2006 Ă  l'age de 85 ans et nĂ© Ă  Bois-Colombes 92 le 10 avril 1921. Acte numĂ©ro 202- Paulin POLFER Paulin Emile Germain POLFER dĂ©cĂ©dĂ© le 18 novembre 2006 Ă  l'age de 82 ans et nĂ© Ă  Saint-Amand-sur-Fion le 14 juin 1924. Acte numĂ©ro 201- Paulette PREVOST Paulette Germaine PREVOST dĂ©cĂ©dĂ©e le 17 novembre 2006 Ă  l'age de 85 ans et nĂ©e Ă  Saint-Remy-en-Bouzemont-Saint-Genest-et-Isson le 25 mai 1921. Acte numĂ©ro 200- AndrĂ© SIMONNIN AndrĂ© Henri SIMONNIN dĂ©cĂ©dĂ© le 10 novembre 2006 Ă  l'age de 90 ans et nĂ© Ă  Nancy 54 le 7 avril 1916. Acte numĂ©ro 199- Gilbert GUERY dĂ©cĂ©dĂ© le 7 novembre 2006 Ă  l'age de 73 ans et nĂ© Ă  Blercourt 55 le 23 mars 1933. Acte numĂ©ro 198- Eliette JOSEPH Eliette Augusta Hermeline JOSEPH dĂ©cĂ©dĂ©e le 6 novembre 2006 Ă  l'age de 85 ans le 4 janvier 1921. Acte numĂ©ro 196- Elienne FASQUELLE Elienne Irma Eudoxie FASQUELLE dĂ©cĂ©dĂ©e le 5 novembre 2006 Ă  l'age de 71 ans et nĂ©e Ă  Pont-Ă -Vendin 62 le 15 mai 1935. Acte numĂ©ro 193- Jackie LOLL Jackie Albert Anatole LOLL dĂ©cĂ©dĂ© le 5 novembre 2006 Ă  l'age de 69 ans et nĂ© Ă  Dormans le 21 novembre 1936. Acte numĂ©ro 195- Antoine EPIS Antoine Lorain EPIS dĂ©cĂ©dĂ© le 4 novembre 2006 Ă  l'age de 78 ans et nĂ© Ă  Soulanges le 5 septembre 1928. Acte numĂ©ro 194- Robert DUQUENNE Robert Michel DUQUENNE dĂ©cĂ©dĂ© le 3 novembre 2006 Ă  l'age de 71 ans et nĂ© Ă  Aguilcourt 02 le 7 juin 1935. Acte numĂ©ro 192- Antoinette VERLEYE Antoinette Georgette VERLEYE dĂ©cĂ©dĂ©e le 1 novembre 2006 Ă  l'age de 80 ans le 15 janvier 1926. Acte numĂ©ro 189- Nicole BOLOT Nicole AndrĂ©e BOLOT dĂ©cĂ©dĂ©e le 1 novembre 2006 Ă  l'age de 74 ans et nĂ©e sur la mĂȘme commune le 10 fĂ©vrier 1932. Acte numĂ©ro 190- Bernard GIMENEZ Bernard Marceau GIMENEZ dĂ©cĂ©dĂ© le 1 novembre 2006 Ă  l'age de 53 ans et nĂ© Ă  Saint-Dizier 52 le 17 mars 1953. Acte numĂ©ro 191DĂ©cĂšs en Octobre 2006- Jean-Pierre WEBER dĂ©cĂ©dĂ© le 27 octobre 2006 Ă  l'age de 56 ans et nĂ© sur la mĂȘme commune le 31 juillet 1950. Acte numĂ©ro 185- Iolanda MUNINI dĂ©cĂ©dĂ©e le 27 octobre 2006 Ă  l'age de 88 ans le 4 janvier 1918. Acte numĂ©ro 186- Louis DOUADI Louis AndrĂ© DOUADI dĂ©cĂ©dĂ© le 27 octobre 2006 Ă  l'age de 86 ans le 8 fĂ©vrier 1920. Acte numĂ©ro 187- Jean MAILLOT Jean Raymond MAILLOT dĂ©cĂ©dĂ© le 25 octobre 2006 Ă  l'age de 78 ans et nĂ© Ă  Sedan 08 le 6 avril 1928. Acte numĂ©ro 183- Lucien BOUILLEVAUX Lucien EugĂšne Edouard BOUILLEVAUX dĂ©cĂ©dĂ© le 22 octobre 2006 Ă  l'age de 76 ans et nĂ© Ă  LuxĂ©mont-et-Villotte le 15 dĂ©cembre 1929. Acte numĂ©ro 182- Yvette TANIOU Yvette Mireille TANIOU dĂ©cĂ©dĂ©e le 16 octobre 2006 Ă  l'age de 80 ans et nĂ©e Ă  Songy le 1 septembre 1926. Acte numĂ©ro 181- Maurice THOLOME Maurice Julien François THOLOME dĂ©cĂ©dĂ© le 15 octobre 2006 Ă  l'age de 73 ans et nĂ© Ă  Drosnay le 10 mai 1933. Acte numĂ©ro 180- Magdeleine PATTYN dĂ©cĂ©dĂ©e le 11 octobre 2006 Ă  l'age de 88 ans et nĂ©e Ă  Toulouse 31 le 18 septembre 1918. Acte numĂ©ro 178- Bernard COLLOT Bernard Roland COLLOT dĂ©cĂ©dĂ© le 11 octobre 2006 Ă  l'age de 85 ans et nĂ© Ă  Perthes 52 le 23 fĂ©vrier 1921. Acte numĂ©ro 179- Alain LEGRAND Alain Pierre LEGRAND dĂ©cĂ©dĂ© le 8 octobre 2006 Ă  l'age de 53 ans et nĂ© sur la mĂȘme commune le 8 juillet 1953. Acte numĂ©ro 177- Antoine ALOISIO Antoine Sauveur Mario ALOISIO dĂ©cĂ©dĂ© le 6 octobre 2006 Ă  l'age de 84 ans le 5 mars 1922. Acte numĂ©ro 176- Leone GRANDCOLLOT Leone Charlotte GRANDCOLLOT dĂ©cĂ©dĂ©e le 3 octobre 2006 Ă  l'age de 90 ans et nĂ©e Ă  Outrepont le 13 juin 1916. Acte numĂ©ro 175- Odette BURLET Odette Jeanne ThĂ©rĂšse Alice BURLET dĂ©cĂ©dĂ©e le 1 octobre 2006 Ă  l'age de 77 ans et nĂ©e Ă  Boulogne-Billancourt 92 le 1 novembre 1928. Acte numĂ©ro 174DĂ©cĂšs en Septembre 2006- Robert SCHNEIDER Robert Gaston Jules SCHNEIDER dĂ©cĂ©dĂ© le 28 septembre 2006 Ă  l'age de 73 ans et nĂ© Ă  Revigny-sur-Ornain 55 le 17 novembre 1932. Acte numĂ©ro 173- Alfreda DIE Alfreda Albertine DIE dĂ©cĂ©dĂ©e le 23 septembre 2006 Ă  l'age de 92 ans et nĂ©e sur la mĂȘme commune le 28 juin 1914. Acte numĂ©ro 171- Franck BONHOMME Franck Paul Pierre BONHOMME dĂ©cĂ©dĂ© le 22 septembre 2006 Ă  l'age de 28 ans et nĂ© sur la mĂȘme commune le 27 novembre 1977. Acte numĂ©ro 170- Maurice NOTTRET Maurice EugĂšne LĂ©on NOTTRET dĂ©cĂ©dĂ© le 20 septembre 2006 Ă  l'age de 85 ans et nĂ© Ă  Drouilly le 6 juin 1921. Acte numĂ©ro 169- Marie COLLARD Marie Louise Camille COLLARD dĂ©cĂ©dĂ©e le 19 septembre 2006 Ă  l'age de 94 ans et nĂ©e Ă  Heiltz-l'ÉvĂȘque le 5 avril 1912. Acte numĂ©ro 168- Gilberte SIMONNET Gilberte Marie SIMONNET dĂ©cĂ©dĂ©e le 17 septembre 2006 Ă  l'age de 87 ans et nĂ©e Ă  Saint-Amand-sur-Fion le 1 mai 1919. Acte numĂ©ro 165- Lucien ALIPS Lucien Maurice ALIPS dĂ©cĂ©dĂ© le 16 septembre 2006 Ă  l'age de 94 ans et nĂ© Ă  Sainte-Marie-du-Lac-Nuisement le 27 dĂ©cembre 1911. Acte numĂ©ro 166- Leonard NOWACKI dĂ©cĂ©dĂ© le 12 septembre 2006 Ă  l'age de 77 ans et nĂ© Ă  Mont-Saint-Martin 54 le 15 mai 1929. Acte numĂ©ro 163- AndrĂ© MEUNIER AndrĂ© Albert Jean MEUNIER dĂ©cĂ©dĂ© le 11 septembre 2006 Ă  l'age de 80 ans et nĂ© sur la mĂȘme commune le 24 janvier 1926. Acte numĂ©ro 164- Annie AUBERT Annie Marguerite AUBERT dĂ©cĂ©dĂ©e le 5 septembre 2006 Ă  l'age de 59 ans et nĂ©e Ă  Aix-les-Bains 73 le 2 novembre 1946. Acte numĂ©ro 160- Louis POLONI Louis AngĂšle POLONI dĂ©cĂ©dĂ© le 5 septembre 2006 Ă  l'age de 76 ans et nĂ© Ă  Soulanges le 11 avril 1930. Acte numĂ©ro 161- Edmond CLASSE Edmond Abel CLASSE dĂ©cĂ©dĂ© le 3 septembre 2006 Ă  l'age de 88 ans et nĂ© Ă  Bussy-le-Repos le 17 mai 1918. Acte numĂ©ro 158- Claude CARNET Claude Jean-Paul CARNET dĂ©cĂ©dĂ© le 3 septembre 2006 Ă  l'age de 77 ans et nĂ© Ă  GenĂȘts 50 le 10 fĂ©vrier 1929. Acte numĂ©ro 159- Lou MARECHAL Lou Laura Manola MARECHAL dĂ©cĂ©dĂ©e le 3 septembre 2006 et nĂ©e sur la mĂȘme commune le 10 fĂ©vrier 2006. Acte numĂ©ro 162- AndrĂ© MICHEL AndrĂ© Fernand LĂ©on MICHEL dĂ©cĂ©dĂ© le 1 septembre 2006 Ă  l'age de 85 ans et nĂ© Ă  Saint-Amand-sur-Fion le 11 janvier 1921. Acte numĂ©ro 156DĂ©cĂšs en AoĂ»t 2006- Jacques LETHEUX Jacques Louis LETHEUX dĂ©cĂ©dĂ© le 31 aoĂ»t 2006 Ă  l'age de 76 ans et nĂ© Ă  Livry-Gargan 93 le 2 avril 1930. Acte numĂ©ro 157- Maurice CHOLLIER Maurice AndrĂ© Fernand CHOLLIER dĂ©cĂ©dĂ© le 30 aoĂ»t 2006 Ă  l'age de 92 ans et nĂ© Ă  Nuisement-aux-Bois le 7 mars 1914. Acte numĂ©ro 154- Daniel DESIMEUR Daniel Pierre DESIMEUR dĂ©cĂ©dĂ© le 27 aoĂ»t 2006 Ă  l'age de 77 ans et nĂ© Ă  Drosnay le 13 mai 1929. Acte numĂ©ro 151- Irene AIMOND Irene Lucienne Augustine AIMOND dĂ©cĂ©dĂ©e le 27 aoĂ»t 2006 Ă  l'age de 78 ans et nĂ©e Ă  Laheycourt 55 le 16 novembre 1927. Acte numĂ©ro 152- Claude OUDET Claude Joseph Prosper OUDET dĂ©cĂ©dĂ© le 25 aoĂ»t 2006 Ă  l'age de 64 ans et nĂ© Ă  Valentigney 25 le 24 novembre 1941. Acte numĂ©ro 153- Maurice FRANCK Maurice Louis Robert FRANCK dĂ©cĂ©dĂ© le 24 aoĂ»t 2006 Ă  l'age de 85 ans et nĂ© Ă  Frignicourt le 17 mai 1921. Acte numĂ©ro 150- Jean BURY Jean Joseph BURY dĂ©cĂ©dĂ© le 13 aoĂ»t 2006 Ă  l'age de 62 ans et nĂ© Ă  Cambrai 59 le 1 octobre 1943. Acte numĂ©ro 148- AndrĂ© DANCOT AndrĂ© Ernest Omer DANCOT dĂ©cĂ©dĂ© le 3 aoĂ»t 2006 Ă  l'age de 80 ans et nĂ© Ă  Corbeil le 15 aoĂ»t 1925. Acte numĂ©ro 146- Gilberte PIAT Gilberte Suzanne PIAT dĂ©cĂ©dĂ©e le 3 aoĂ»t 2006 Ă  l'age de 86 ans et nĂ©e Ă  Bussy-le-Repos le 3 juillet 1920. Acte numĂ©ro 147DĂ©cĂšs en Juillet 2006- AndrĂ© GUYOT AndrĂ© Prosper Didier GUYOT dĂ©cĂ©dĂ© le 31 juillet 2006 Ă  l'age de 93 ans et nĂ© Ă  Champlitte 70 le 24 mai 1913. Acte numĂ©ro 145- Jean-Pierre FATH Jean-Pierre Theodat Victor FATH dĂ©cĂ©dĂ© le 30 juillet 2006 Ă  l'age de 59 ans et nĂ© Ă  Balignicourt 10 le 3 mai 1947. Acte numĂ©ro 144- Madeleine GABILLARD Madeleine Emelie Juliette GABILLARD dĂ©cĂ©dĂ©e le 26 juillet 2006 Ă  l'age de 79 ans et nĂ©e Ă  la Chapelle-sur-Oudon 49 le 15 dĂ©cembre 1926. Acte numĂ©ro 141- Paul KARL Paul Marcel KARL dĂ©cĂ©dĂ© le 26 juillet 2006 Ă  l'age de 81 ans et nĂ© Ă  Changy le 14 septembre 1924. Acte numĂ©ro 142- Micheline LANGLOIS Micheline Marcelle LANGLOIS dĂ©cĂ©dĂ©e le 26 juillet 2006 Ă  l'age de 67 ans et nĂ©e Ă  Theuvy-AchĂšres 28 le 14 aoĂ»t 1938. Acte numĂ©ro 143- Claudette FEROT dĂ©cĂ©dĂ©e le 24 juillet 2006 Ă  l'age de 69 ans et nĂ©e Ă  Hirson 02 le 6 mai 1937. Acte numĂ©ro 138- GĂ©rard EBERSOLD dĂ©cĂ©dĂ© le 22 juillet 2006 Ă  l'age de 69 ans et nĂ© Ă  Saint-Dizier 52 le 27 juin 1937. Acte numĂ©ro 139- Jeanne MICHELS Jeanne Maryvonne MICHELS dĂ©cĂ©dĂ©e le 18 juillet 2006 Ă  l'age de 88 ans et nĂ©e Ă  Villerupt 54 le 24 octobre 1917. Acte numĂ©ro 133- Jacques BOMPARD Jacques Paul Ernest Raymond BOMPARD dĂ©cĂ©dĂ© le 18 juillet 2006 Ă  l'age de 80 ans et nĂ© sur la mĂȘme commune le 1 novembre 1925. Acte numĂ©ro 134- Madeleine PANON Madeleine AndrĂ©e PANON dĂ©cĂ©dĂ©e le 18 juillet 2006 Ă  l'age de 81 ans et nĂ©e sur la mĂȘme commune le 20 avril 1925. Acte numĂ©ro 135- Sylvian SICHEL Sylvian Christophe Bernard SICHEL dĂ©cĂ©dĂ© le 18 juillet 2006 Ă  l'age de 27 ans et nĂ© sur la mĂȘme commune le 25 dĂ©cembre 1978. Acte numĂ©ro 136- HĂ©lĂšne ALBANESE HĂ©lĂšne Assunta ALBANESE dĂ©cĂ©dĂ©e le 17 juillet 2006 Ă  l'age de 77 ans et nĂ©e sur la mĂȘme commune le 11 juin 1929. Acte numĂ©ro 132- Antoinette BALOSSE Antoinette Emilienne BALOSSE dĂ©cĂ©dĂ©e le 15 juillet 2006 Ă  l'age de 94 ans et nĂ©e Ă  Somsois le 17 juin 1912. Acte numĂ©ro 131- AndrĂ©e FOUCART AndrĂ©e Georgette FOUCART dĂ©cĂ©dĂ©e le 13 juillet 2006 Ă  l'age de 83 ans et nĂ©e Ă  la TrĂ©toire 77 le 8 mars 1923. Acte numĂ©ro 130- Jean-Jacques POMPPE dĂ©cĂ©dĂ© le 10 juillet 2006 Ă  l'age de 76 ans et nĂ© Ă  Rueil-Malmaison 92 le 17 avril 1930. Acte numĂ©ro 129- Marcel FERRE Marcel Henri Albert FERRE dĂ©cĂ©dĂ© le 3 juillet 2006 Ă  l'age de 84 ans et nĂ© Ă  Beaurevoir 02 le 30 mai 1922. Acte numĂ©ro 127- Robert GALLET Robert Jules Louis GALLET dĂ©cĂ©dĂ© le 3 juillet 2006 Ă  l'age de 94 ans et nĂ© Ă  ChĂąteau-Thierry 02 le 30 octobre 1911. Acte numĂ©ro 128DĂ©cĂšs en Juin 2006- Nicole FLEURIOT Nicole Micheline FLEURIOT dĂ©cĂ©dĂ©e le 27 juin 2006 Ă  l'age de 59 ans et nĂ©e Ă  Brandonvillers le 5 dĂ©cembre 1946. Acte numĂ©ro 125- Paulette DONCEL Paulette Anne DONCEL dĂ©cĂ©dĂ©e le 22 juin 2006 Ă  l'age de 85 ans et nĂ©e Ă  Verdun 55 le 25 juillet 1920. Acte numĂ©ro 123- Ginette BEGUIN dĂ©cĂ©dĂ©e le 22 juin 2006 Ă  l'age de 73 ans et nĂ©e Ă  Chauny 02 le 13 juin 1933. Acte numĂ©ro 124- Armande JESSON Armande Marthe AngĂšle JESSON dĂ©cĂ©dĂ©e le 19 juin 2006 Ă  l'age de 81 ans et nĂ©e Ă  Larzicourt le 4 juillet 1924. Acte numĂ©ro 122- Aimee LEVASSEUR Aimee Fernande LEVASSEUR dĂ©cĂ©dĂ©e le 17 juin 2006 Ă  l'age de 76 ans et nĂ©e Ă  Broyes le 25 avril 1930. Acte numĂ©ro 120- Jean-Pierre OBRADOVIC Jean-Pierre Zivko OBRADOVIC dĂ©cĂ©dĂ© le 14 juin 2006 Ă  l'age de 59 ans et nĂ© Ă  Villenauxe-la-Grande 10 le 29 mai 1947. Acte numĂ©ro 118- AndrĂ© MEUNIER AndrĂ© Gaston Augustin MEUNIER dĂ©cĂ©dĂ© le 14 juin 2006 Ă  l'age de 91 ans et nĂ© sur la mĂȘme commune le 27 janvier 1915. Acte numĂ©ro 119- Pierre JOSEPH dĂ©cĂ©dĂ© le 12 juin 2006 Ă  l'age de 68 ans et nĂ© Ă  Montboyer 16 le 2 aoĂ»t 1937. Acte numĂ©ro 117- Ginette MERAT Ginette Suzanne MERAT dĂ©cĂ©dĂ©e le 11 juin 2006 Ă  l'age de 75 ans et nĂ©e aux Essarts-lĂšs-SĂ©zanne le 7 janvier 1931. Acte numĂ©ro 116- FrĂ©dĂ©ric KOHL FrĂ©dĂ©ric Christophe Marcel KOHL dĂ©cĂ©dĂ© le 7 juin 2006 Ă  l'age de 69 ans et nĂ© sur la mĂȘme commune le 8 juin 1936. Acte numĂ©ro 115- Gabriel CABANNES dĂ©cĂ©dĂ© le 3 juin 2006 Ă  l'age de 82 ans et nĂ© Ă  Lerm-et-Musset 33 le 8 mai 1924. Acte numĂ©ro 114DĂ©cĂšs en Mai 2006- Marie LAMBERT Marie Marcelline Eliane LAMBERT dĂ©cĂ©dĂ©e le 31 mai 2006 Ă  l'age de 96 ans et nĂ©e Ă  Vavray-le-Grand le 14 dĂ©cembre 1909. Acte numĂ©ro 112- Yvette BERTE dĂ©cĂ©dĂ©e le 31 mai 2006 Ă  l'age de 90 ans et nĂ©e sur la mĂȘme commune le 16 septembre 1915. Acte numĂ©ro 113- Emilienne MARTIN Emilienne Rolande MARTIN dĂ©cĂ©dĂ©e le 30 mai 2006 Ă  l'age de 84 ans et nĂ©e Ă  ChĂąlons-en-Champagne le 7 juillet 1921. Acte numĂ©ro 110- Françis SIVRET Françis LĂ©on Lucien SIVRET dĂ©cĂ©dĂ© le 29 mai 2006 Ă  l'age de 50 ans et nĂ© sur la mĂȘme commune le 13 aoĂ»t 1955. Acte numĂ©ro 107- Henriette DENIS Henriette Lucie DENIS dĂ©cĂ©dĂ©e le 28 mai 2006 Ă  l'age de 82 ans et nĂ©e Ă  Hampigny 10 le 7 mars 1924. Acte numĂ©ro 108- Madeleine OUDIN Madeleine Solange OUDIN dĂ©cĂ©dĂ©e le 24 mai 2006 Ă  l'age de 74 ans et nĂ©e Ă  Reims le 26 mai 1931. Acte numĂ©ro 104- Cecile BLANCHARD Cecile Marie Celine BLANCHARD dĂ©cĂ©dĂ©e le 24 mai 2006 Ă  l'age de 82 ans et nĂ©e Ă  Jussecourt-Minecourt le 22 novembre 1923. Acte numĂ©ro 105- Blasa MARTINEZ Blasa Maria MARTINEZ dĂ©cĂ©dĂ©e le 24 mai 2006 Ă  l'age de 89 ans le 20 mai 1917. Acte numĂ©ro 106- Alfreda BAUDOUR dĂ©cĂ©dĂ©e le 18 mai 2006 Ă  l'age de 82 ans et nĂ©e Ă  la Sentinelle 59 le 27 juillet 1923. Acte numĂ©ro 100- Bazyli SOKOLYK dĂ©cĂ©dĂ© le 18 mai 2006 Ă  l'age de 95 ans le 7 janvier 1911. Acte numĂ©ro 101- LĂ©on LEFEVRE LĂ©on Emile LEFEVRE dĂ©cĂ©dĂ© le 14 mai 2006 Ă  l'age de 86 ans et nĂ© Ă  Saint-Amand-sur-Fion le 24 fĂ©vrier 1920. Acte numĂ©ro 99- Guy JESSON Guy Epiphane Marcel JESSON dĂ©cĂ©dĂ© le 9 mai 2006 Ă  l'age de 84 ans et nĂ© Ă  Larzicourt le 16 mai 1921. Acte numĂ©ro 96- AndrĂ© BASSLER AndrĂ© Michel BASSLER dĂ©cĂ©dĂ© le 9 mai 2006 Ă  l'age de 61 ans et nĂ© Ă  ChĂąlons-en-Champagne le 12 juin 1944. Acte numĂ©ro 98- Jean-Claude PANO dĂ©cĂ©dĂ© le 8 mai 2006 Ă  l'age de 53 ans et nĂ© sur la mĂȘme commune le 21 septembre 1952. Acte numĂ©ro 95- Jean GOEREN dĂ©cĂ©dĂ© le 5 mai 2006 Ă  l'age de 87 ans et nĂ© Ă  Brousseval 52 le 27 juillet 1918. Acte numĂ©ro 94- Jeanne PIERRET Jeanne VĂ©ronique PIERRET dĂ©cĂ©dĂ©e le 2 mai 2006 Ă  l'age de 78 ans et nĂ©e Ă  LĂ©glantiers 60 le 17 septembre 1927. Acte numĂ©ro 90- Nicole CAPPE Nicole AndrĂ©e Georgette CAPPE dĂ©cĂ©dĂ©e le 2 mai 2006 Ă  l'age de 76 ans et nĂ©e Ă  Paris 15e arrondissement le 14 mars 1930. Acte numĂ©ro 91- Raymonde BOBENRIETH Raymonde Madeleine BOBENRIETH dĂ©cĂ©dĂ©e le 2 mai 2006 Ă  l'age de 87 ans et nĂ©e Ă  Villemomble 93 le 21 janvier 1919. Acte numĂ©ro 92- Aime CRNKOVIC dĂ©cĂ©dĂ© le 1 mai 2006 Ă  l'age de 77 ans le 8 mars 1929. Acte numĂ©ro 87DĂ©cĂšs en Avril 2006- Maryan MOULY Maryan Jacques CĂ©dric MOULY dĂ©cĂ©dĂ© le 30 avril 2006 Ă  l'age de 27 ans et nĂ© Ă  Annecy 74 le 23 mars 1979. Acte numĂ©ro 88- Jean BALDARACCHI Jean Charles BALDARACCHI dĂ©cĂ©dĂ© le 30 avril 2006 Ă  l'age de 58 ans et nĂ© sur la mĂȘme commune le 5 mars 1948. Acte numĂ©ro 89- Mariette ROUSSELET Mariette Julienne HĂ©lĂšne ROUSSELET dĂ©cĂ©dĂ©e le 25 avril 2006 Ă  l'age de 94 ans et nĂ©e Ă  Somsois le 19 fĂ©vrier 1912. Acte numĂ©ro 84- Honorata ROKITA dĂ©cĂ©dĂ©e le 24 avril 2006 Ă  l'age de 79 ans le 20 octobre 1926. Acte numĂ©ro 82- RenĂ©e LEPICIER RenĂ©e Marie Louise LEPICIER dĂ©cĂ©dĂ©e le 24 avril 2006 Ă  l'age de 86 ans et nĂ©e Ă  Grauves le 27 fĂ©vrier 1920. Acte numĂ©ro 83- Robert DHOTEL Robert Paul DHOTEL dĂ©cĂ©dĂ© le 23 avril 2006 Ă  l'age de 75 ans et nĂ© sur la mĂȘme commune le 11 mars 1931. Acte numĂ©ro 80- HĂ©lĂšne ROUSSEL dĂ©cĂ©dĂ©e le 19 avril 2006 Ă  l'age de 76 ans et nĂ©e Ă  ChĂąlons-en-Champagne le 24 dĂ©cembre 1929. Acte numĂ©ro 79- Raymond FAUCON Raymond Louis FAUCON dĂ©cĂ©dĂ© le 16 avril 2006 Ă  l'age de 82 ans et nĂ© Ă  Arras 62 le 27 juin 1923. Acte numĂ©ro 78- Serge ZIMMERMANN Serge Gabriel ZIMMERMANN dĂ©cĂ©dĂ© le 12 avril 2006 Ă  l'age de 85 ans et nĂ© sur la mĂȘme commune le 14 septembre 1920. Acte numĂ©ro 76- Fernande ROTH Fernande Marthe ROTH dĂ©cĂ©dĂ©e le 8 avril 2006 Ă  l'age de 77 ans et nĂ©e sur la mĂȘme commune le 29 janvier 1929. Acte numĂ©ro 75- Alexandre NEMBRINI dĂ©cĂ©dĂ© le 7 avril 2006 Ă  l'age de 90 ans le 3 mars 1916. Acte numĂ©ro 74- Michel DEMARCQ Michel Gaston DEMARCQ dĂ©cĂ©dĂ© le 6 avril 2006 Ă  l'age de 67 ans et nĂ© sur la mĂȘme commune le 14 mai 1938. Acte numĂ©ro 72- Emile MENISSIER Emile Pierre Jules MENISSIER dĂ©cĂ©dĂ© le 4 avril 2006 Ă  l'age de 98 ans et nĂ© Ă  Sainte-Marie-du-Lac-Nuisement le 1 avril 1908. Acte numĂ©ro 70DĂ©cĂšs en Mars 2006- Pierre DEMANGECLAUDE dĂ©cĂ©dĂ© le 31 mars 2006 Ă  l'age de 67 ans et nĂ© sur la mĂȘme commune le 21 dĂ©cembre 1938. Acte numĂ©ro 69- Madeleine MAURICE Madeleine RenĂ©e MAURICE dĂ©cĂ©dĂ©e le 25 mars 2006 Ă  l'age de 74 ans et nĂ©e Ă  Pouilly-sur-SaĂŽne 21 le 27 juin 1931. Acte numĂ©ro 67- Marie-Jose DUBOIS Marie-Jose Mauricette DUBOIS dĂ©cĂ©dĂ©e le 24 mars 2006 Ă  l'age de 45 ans et nĂ©e sur la mĂȘme commune le 13 mars 1961. Acte numĂ©ro 65- Lorenza PENAGOS dĂ©cĂ©dĂ©e le 23 mars 2006 Ă  l'age de 85 ans et nĂ©e Ă  Bligny 10 le 31 dĂ©cembre 1920. Acte numĂ©ro 64- Simone BERTON Simone Henriette BERTON dĂ©cĂ©dĂ©e le 21 mars 2006 Ă  l'age de 88 ans et nĂ©e sur la mĂȘme commune le 8 mars 1918. Acte numĂ©ro 63- Odette SARTOR Odette Leonie SARTOR dĂ©cĂ©dĂ©e le 20 mars 2006 Ă  l'age de 77 ans et nĂ©e Ă  Morville-sur-Seille 54 le 17 septembre 1928. Acte numĂ©ro 62- Raymonde MIQUET dĂ©cĂ©dĂ©e le 18 mars 2006 Ă  l'age de 82 ans et nĂ©e Ă  Évin-Malmaison 62 le 1 aoĂ»t 1923. Acte numĂ©ro 60- Marcelle LALLEMENT Marcelle Louise LALLEMENT dĂ©cĂ©dĂ©e le 13 mars 2006 Ă  l'age de 87 ans et nĂ©e Ă  MontĂ©preux le 19 septembre 1918. Acte numĂ©ro 57- Gilbert CHABRIER Gilbert Guy CHABRIER dĂ©cĂ©dĂ© le 13 mars 2006 Ă  l'age de 69 ans et nĂ© Ă  GrĂ©zillac 33 le 19 fĂ©vrier 1937. Acte numĂ©ro 58- Jean GIRARD Jean Jacques GIRARD dĂ©cĂ©dĂ© le 9 mars 2006 Ă  l'age de 70 ans et nĂ© Ă  Frignicourt le 1 mai 1935. Acte numĂ©ro 56- Pierre DORIZY Pierre Louis DORIZY dĂ©cĂ©dĂ© le 8 mars 2006 Ă  l'age de 90 ans et nĂ© Ă  Sainte-Menehould le 29 juillet 1915. Acte numĂ©ro 54- Christiane LOMBARD Christiane Antoinette Simonne LOMBARD dĂ©cĂ©dĂ©e le 8 mars 2006 Ă  l'age de 83 ans et nĂ©e Ă  Échenay 52 le 22 juillet 1922. Acte numĂ©ro 55- Leonie BES dĂ©cĂ©dĂ©e le 6 mars 2006 Ă  l'age de 92 ans le 4 aoĂ»t 1913. Acte numĂ©ro 51- Paulette DEMANGECLAUDE Paulette Madeleine DEMANGECLAUDE dĂ©cĂ©dĂ©e le 6 mars 2006 Ă  l'age de 81 ans et nĂ©e sur la mĂȘme commune le 3 mars 1925. Acte numĂ©ro 52- Louise AVIGNI Louise Marie AVIGNI dĂ©cĂ©dĂ©e le 6 mars 2006 Ă  l'age de 103 ans et nĂ©e Ă  Marolles le 5 juillet 1902. Acte numĂ©ro 53DĂ©cĂšs en FĂ©vrier 2006- Henriette LARCENET Henriette AndrĂ©e LARCENET dĂ©cĂ©dĂ©e le 28 fĂ©vrier 2006 Ă  l'age de 81 ans et nĂ©e Ă  Vanault-les-Dames le 27 mai 1924. Acte numĂ©ro 47- Juan MARQUES dĂ©cĂ©dĂ© le 22 fĂ©vrier 2006 Ă  l'age de 84 ans le 20 janvier 1922. Acte numĂ©ro 44- Stanislas KACZMARCZYK dĂ©cĂ©dĂ© le 22 fĂ©vrier 2006 Ă  l'age de 60 ans le 8 dĂ©cembre 1945. Acte numĂ©ro 45- Yvette BEAUVOIS Yvette Louise Charlotte BEAUVOIS dĂ©cĂ©dĂ©e le 22 fĂ©vrier 2006 Ă  l'age de 79 ans et nĂ©e Ă  Pargny-sur-Saulx le 31 mai 1926. Acte numĂ©ro 46- Ferdinando MUSI Ferdinando Fermo Maria MUSI dĂ©cĂ©dĂ© le 17 fĂ©vrier 2006 Ă  l'age de 75 ans le 11 dĂ©cembre 1930. Acte numĂ©ro 41- Françoise THIERY Françoise Marie THIERY dĂ©cĂ©dĂ©e le 17 fĂ©vrier 2006 Ă  l'age de 60 ans et nĂ©e Ă  ThiĂ©blemont-FarĂ©mont le 31 mars 1945. Acte numĂ©ro 42- Aime BONETAUD Aime Raymond BONETAUD dĂ©cĂ©dĂ© le 17 fĂ©vrier 2006 Ă  l'age de 74 ans et nĂ© Ă  Reims le 27 mars 1931. Acte numĂ©ro 43- Pierre BOMERSBACH Pierre Charles BOMERSBACH dĂ©cĂ©dĂ© le 16 fĂ©vrier 2006 Ă  l'age de 81 ans et nĂ© Ă  Étrepy le 10 janvier 1925. Acte numĂ©ro 39- Berthe GALLAND Berthe Paulette GALLAND dĂ©cĂ©dĂ©e le 15 fĂ©vrier 2006 Ă  l'age de 88 ans et nĂ©e Ă  Marolles le 2 avril 1917. Acte numĂ©ro 40- Simone BARROIS Simone AndrĂ©e Georgette BARROIS dĂ©cĂ©dĂ©e le 12 fĂ©vrier 2006 Ă  l'age de 77 ans et nĂ©e Ă  ChĂąlons-en-Champagne le 26 mars 1928. Acte numĂ©ro 38- Pierre BAILLY Pierre Edmond Lucien BAILLY dĂ©cĂ©dĂ© le 9 fĂ©vrier 2006 Ă  l'age de 83 ans et nĂ© Ă  Bassuet le 6 juin 1922. Acte numĂ©ro 34- JosĂ© GERBEAU JosĂ© Guy Claude GERBEAU dĂ©cĂ©dĂ© le 8 fĂ©vrier 2006 Ă  l'age de 52 ans et nĂ© Ă  Brienne-le-ChĂąteau 10 le 6 octobre 1953. Acte numĂ©ro 33- Laurence FORET Laurence Zenaide Elise FORET dĂ©cĂ©dĂ©e le 7 fĂ©vrier 2006 Ă  l'age de 87 ans et nĂ©e Ă  Loisy-sur-Marne le 28 mars 1918. Acte numĂ©ro 31- Michelle FAVE Michelle ThĂ©rĂšse Marie FAVE dĂ©cĂ©dĂ©e le 7 fĂ©vrier 2006 Ă  l'age de 77 ans et nĂ©e Ă  Senuc 08 le 25 mars 1928. Acte numĂ©ro 32- Jean PEDRINI Jean Louis PEDRINI dĂ©cĂ©dĂ© le 3 fĂ©vrier 2006 Ă  l'age de 67 ans et nĂ© sur la mĂȘme commune le 14 novembre 1938. Acte numĂ©ro 30- Clotilde PICARD Clotilde Perine Marguerite PICARD dĂ©cĂ©dĂ©e le 2 fĂ©vrier 2006 Ă  l'age de 94 ans et nĂ©e Ă  Frignicourt le 22 novembre 1911. Acte numĂ©ro 29DĂ©cĂšs en Janvier 2006- ThĂ©rĂšse PANNET ThĂ©rĂšse HĂ©lĂšne PANNET dĂ©cĂ©dĂ©e le 31 janvier 2006 Ă  l'age de 53 ans et nĂ©e Ă  Sogny-aux-Moulins le 28 aoĂ»t 1952. Acte numĂ©ro 27- Monique PELOUARD Monique Berthe PELOUARD dĂ©cĂ©dĂ©e le 31 janvier 2006 Ă  l'age de 72 ans et nĂ©e Ă  Fontaine-sur-Coole le 10 septembre 1933. Acte numĂ©ro 28- Rolande BRISTHUILE Rolande Jeanne Eva BRISTHUILE dĂ©cĂ©dĂ©e le 29 janvier 2006 Ă  l'age de 72 ans et nĂ©e Ă  Fontainebleau 77 le 22 fĂ©vrier 1933. Acte numĂ©ro 23- Sophie MLYNARCZYK dĂ©cĂ©dĂ©e le 26 janvier 2006 Ă  l'age de 99 ans le 4 fĂ©vrier 1906. Acte numĂ©ro 22- Bernard BELLANGER Bernard Gabriel BELLANGER dĂ©cĂ©dĂ© le 22 janvier 2006 Ă  l'age de 83 ans et nĂ© Ă  Meilleray 77 le 11 octobre 1922. Acte numĂ©ro 19- Albert BAILLEUX Albert LĂ©on Jules BAILLEUX dĂ©cĂ©dĂ© le 22 janvier 2006 Ă  l'age de 87 ans et nĂ© Ă  Barlin 62 le 26 octobre 1918. Acte numĂ©ro 20- M'hamed DIHAJI dĂ©cĂ©dĂ© le 22 janvier 2006 Ă  l'age de 65 ans le 0 1941. Acte numĂ©ro 21- Emile OME Emile Jules OME dĂ©cĂ©dĂ© le 21 janvier 2006 Ă  l'age de 86 ans et nĂ© sur la mĂȘme commune le 31 aoĂ»t 1919. Acte numĂ©ro 18- Bernard DEGARDIN dĂ©cĂ©dĂ© le 20 janvier 2006 Ă  l'age de 50 ans et nĂ© Ă  HĂ©nin-Beaumont 62 le 16 janvier 1956. Acte numĂ©ro 16- Jeanine OUDART Jeanine Alice OUDART dĂ©cĂ©dĂ©e le 20 janvier 2006 Ă  l'age de 59 ans et nĂ©e Ă  Pringy le 9 fĂ©vrier 1946. Acte numĂ©ro 17- Maria PIANI dĂ©cĂ©dĂ©e le 18 janvier 2006 Ă  l'age de 91 ans le 21 avril 1914. Acte numĂ©ro 15- Pierre KIRCHDOERFFER Pierre Henri KIRCHDOERFFER dĂ©cĂ©dĂ© le 14 janvier 2006 Ă  l'age de 91 ans et nĂ© sur la mĂȘme commune le 29 juillet 1914. Acte numĂ©ro 14- Jean COLIN Jean NoĂ«l COLIN dĂ©cĂ©dĂ© le 12 janvier 2006 Ă  l'age de 69 ans et nĂ© Ă  Anzin 59 le 12 juillet 1936. Acte numĂ©ro 10- RenĂ© GIRY dĂ©cĂ©dĂ© le 12 janvier 2006 Ă  l'age de 83 ans et nĂ© Ă  Aixe-sur-Vienne 87 le 8 juin 1922. Acte numĂ©ro 13- Nicolas GONIN Nicolas Eric GONIN dĂ©cĂ©dĂ© le 10 janvier 2006 Ă  l'age de 37 ans et nĂ© sur la mĂȘme commune le 4 juillet 1968. Acte numĂ©ro 9- RenĂ© DRALET RenĂ© Alix DRALET dĂ©cĂ©dĂ© le 9 janvier 2006 Ă  l'age de 87 ans et nĂ© Ă  Saint-Dizier 52 le 25 janvier 1918. Acte numĂ©ro 5- ThĂ©rĂšse LAROCHE ThĂ©rĂšse Jeanne Marie LAROCHE dĂ©cĂ©dĂ©e le 8 janvier 2006 Ă  l'age de 82 ans et nĂ©e sur la mĂȘme commune le 14 juin 1923. Acte numĂ©ro 8- Paul VIART Paul Louis Maurice VIART dĂ©cĂ©dĂ© le 7 janvier 2006 Ă  l'age de 79 ans et nĂ© Ă  Omey le 3 mai 1926. Acte numĂ©ro 6- Jean MARCHAND Jean LĂ©on Max MARCHAND dĂ©cĂ©dĂ© le 7 janvier 2006 Ă  l'age de 79 ans et nĂ© Ă  Bussy-aux-Bois le 19 mai 1926. Acte numĂ©ro 7- Lucien LEGLAYE Lucien Charles Achille LEGLAYE dĂ©cĂ©dĂ© le 4 janvier 2006 Ă  l'age de 85 ans et nĂ© Ă  Ablancourt le 19 janvier 1920. Acte numĂ©ro 3- Fernande AMAND Fernande Louisa AMAND dĂ©cĂ©dĂ©e le 1 janvier 2006 Ă  l'age de 83 ans et nĂ©e Ă  KƓur-la-Petite 55 le 16 juin 1922. Acte numĂ©ro 1Rechercher un dĂ©cĂšs

ceotto avis de deces vitry le francois